Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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XV.
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pression de la vie est aussi d'une force extraordinaire dans ce superbe portrait En général les portraits de cette période révèlent un esprit plus poétique, une conception plus grandiose que ceux de la première manière, qu'on pourrait nommer plus prosaïques, plus historiques. Le faire tend à devenir plus immatériel; la toile et les couleurs disparaissent pour faire place à une impression qui semble immédiate. Mais il est impossible au demeurant de les classer sous des généralités. Ils varient selon les individus et l'impression que ceux-ci font sur le peintre. Tel le magnifique portrait de la dame à l'éventail, de Buckingham palace, qui a son mari, le pendant, au musée de Bruxelles. Tous les deux son vus dans une embrasure de fenêtre. La femme est un chef-d'oeuvre de vie, de délicatesse, de distinction. Debout, de face, elle s'appuie de la main gauche contre la parois verticale de la fenêtre; la main droite tient un éventail. Elle est richement habillée, costume du temps, d'une ample robe de soie noire avec corsage lacé, qui laisse voir en-dessous une robe en satin blanc; une chemise à plis fins monte à la gorge; une grande collerette plate en dentelle s'étend jusqu'aux épaules et pend en deux pointes par devant; manchettes en dentelles. Les cheveux très blonds sont peignés en arrière et pendent derrière les oreilles, une bande de velours noir les retient sur le sommet de la tête; elle porte un collier de perles de trois rangs, une broche et des pendants d'oreille, un bracelet d'un triple rang de perles. La figure n'est pas d'une beauté régulière, mais elle a un beau teint frais, de jolis yeux bruns. La lumière qui vient de gauche éclaire le visage et jette un petit rayon sur la main droite. La touche est fondante et pas très empâtée. La lumière est fine, le ton légèrement doré. La tête est claire, même | |
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dans les ombres, le sang y circule: les ombres autour da nez et de la bouche sont d'un brun tendre, les ombres plus légères d'un gris tendre. On voit que Rembrandt a souvent peint les portraits de commande, surtout les dames, d'une manière plus calme, dans un jour plus clair. On n'aimait pas ces portraits si ‘basanés’, si ‘rôtis’, ainsi qu'on disait alors. L'homme est peint dans la manière et la couleur de la leçon d'anatomie. Le fond, qui s'éclaire autour de la tète, est du même gris vert. Le costume noir, la collerette en dentelle, les mains dans la demi-teinte, tout est peint dans cette gamme, dans une belle harmonie, où la tête seule avec ses cheveux un peu roux offre des tons plus chauds et plus coloriés. Un portrait de femme qui a été détruit lors de l'incendie du musée Boymans en 1863, représentait un buste offrant quelque ressemblance avec la dame à l'éventail. Même nez assez fort, même petit menton, même chevelure et même collerette de dentelle. Elle était de face; yeux bruns, cheveux blonds cendrés et pendant des deux côtés; collier et boucles d'oreilles de perles, broche de pierres fines de diverses couleurs. Ce tableau avait souffert dans le visage; mais il avait encore de très belles parties, surtout dans l'exécution large et magistrale de la dentelle, dont l'effet superbe était obtenu à coups hardis de brosse et de hampe, avec du blanc, du noir et du brun. La gorge était fortement empâtée, en pleine lumière. Ce portrait, qui n'est plus qu'un souvenir, me semblait dater de cette époque et avait l'air d'une étude artistique. Parmi les portraits, quelques uns ont un intérêt spécial. Ceux de Cornelis Claesz. Anslo nous montrent ce personnage bien connu dans l'oeuvre du peintre. Anslo était ministre niennonite à Amsterdam et appartenait à une famille du | |
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nom de Claesz, car c'était là son vrai nom. Il se peut que ce fût cette même famille dont nous avons rencontré plusieurs membres dans celle de Kembrandt, et que les relations de celui-ci avec le ministre s'expliquent de cette manière. En 1640 Rembrandt dessina à la plume, avec de vigoureux lavis à l'encre de Chine sur papier teinté de brun, un beau et vif portrait du ministre assis près de ses livres d'étude et gesticulant de la mainGa naar voetnoot1. C'est une première pensée de l'eau-forte, et déjà la même pose. Dans la même année il fit un dessin à la sanguine, portrait à mi-corps qui a servi pour l'eau-forte et montrant des traces qu'il a été décalqué sur le cuivre. L'eau-forte est de 1641. C'est ainsi qu'on peut suivre pas à pas la pensée du peintre. En 1641 Rembrandt fit un grand tableau avec les portraits de Anslo et de sa femme, où le ministre a une pose qui rappelle celle des dessins et de l'eau-forte. Il est assis à une table couverte de livres et se tourne un peu pour parler à la femme assise à côté de lui. La peinture porte le même caractère également simple et naturel que le construcleur de navire. Selon le catalogue du musée de Munich les deux portraits, représentant Govert Flinck et sa femme, sont datés 1642. Cette date ne pourrait être juste. Flinck se maria pour la première fois en 1645 avec Ingitta Thoveling, une demoiselle de RotterdamGa naar voetnoot2. En 1656 il épousa en secondes noces Sophia van der Hoeven. Si le portrait est daté 1642, ce n'est donc pas la femme de Flinck; et si c'est elle, la date sera 1645 ou 52 peut être. | |
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Deux autres portraits exquis sont la dame au musée de Berlin et celle à la galerie de Cassel. Le premier est daté 1642, le second appartient à la même époque. Tous les deux se rapprochent par l'exécution et la couleur de la ronde de nuit. On lit que Rembrandt était souvent des heures, des journées même, à arranger, à changer les plis d'un turban. En effet plusieurs portraits, et celui-ci encore, donnent raison à cette assertion de Houbraken. Quelles recherches infinies dans ces turbans, ces toques à plumes, ces voiles, ces coiffures de cheveux ornés de toutes espèces de parures, d'or, de pierreries, de plumes! Quel raffinement dans les costumes, d'une coupe, d'un jet extraordinaires, de couleurs étranges, d'étoffes rares, ornées de fourrures! Ce n'est pas le costume qui nous fournirait ici une date pour ces deux portraits de femme; il appartient au domaine de la fantaisie. Le portrait à Berlin d'abord, est celui d'une dame de qualité, belle femme au visage frais et ovale, vue de trois quarts. Les cheveux retombent sur le dos et les épaules. Un turban aux plis recherchés, de couleur brune, orné de perles, couvre la tête. La dame porte une chaîne d'or. La robe, coupée carrément sur la poitrine, laisse voir une chemisette. La robe et le manteau tombant des épaules, et retenu d'une main, sont de couleur brune, jaune et vert de cuivre; la manche lilas violacé. Ces mêmes couleurs se remarquent dans la ronde de nuit. Parmi les jugements ordinaires sur Rembrandt on trouve celui-ci, que ne sachant pas faire les mains il les reléguait dans l'ombre. Eh bien! cette main de femme, superbe et délicate, suffirait à prouver le contraire. Le visage est très travaillé, par touches fines dont on remarque les traces et qui émaillent les couleurs. Dans les parties ombrées on remarque un léger glacis de brun grisâtre. | |
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Le buste de femme à Cassel est vu de face. Elle n'est pas belle, mais comme peinture c'est un portrait exquis. La dame tient un oeillet rouge de la main gauche, gantée d'un gant brun chamois. Inutile de dire qu'elle est parée de perles. Des cheveux d'un brun rougeâtre entourent la tête et tombent sur le front, légèrement frisottants; les ombres du visage sont brunes, le ton de la chair chaud. De concert avec ces couleurs, l'harmonie du tableau consiste en des rapports fort hardis de vert foncé, de vert de mer, de bleu, de brun chaud, d'ocre jaune. Couleurs fort originales, mélangées, sans nom et qui semblent jaillir d'un hachis de pierres précieuses. Le fond est brun vert, la robe d'un vert pâle et jaune, le manteau vert foncé, bordé de fourrure brune tachetée de noir; les manches bronzées avec petit ouvrage en or; la chemisette a des tons verts en rapport avec le reste. Peu d'artistes ont eu tant de cordes sur leur lyre. Voici deux autres portraits de femme tout différents. Ce sont deux Saskia, l'une à Dresde, Vautre à Anvers. Le premier en date est celui de Dresde: 1641. Saskia est dans toute la fraîcheur de sa beauté, vue à travers le prisme de l'amour et de l'art. Elle est de grandeur naturelle, de face et vue jusqu'aux genoux. Debout, elle s'incline légèrement, car la main droite s'avance et présente un oeillet rouge, qu'elle a pris d'une table près d'elle où se trouvent encore deux ou trois fleurs. Le bras gauche est ramené vers le sein. Les mains et les bras sortant à moitié des manches, sont d'une belle forme et peints et dessinés à merveille. Une robe en velours rouge amarante est ceinte par deux chaînes à chaînons d'or carrés. Ouverte sur le buste la robe laisse voir le beau sein, à demi couvert d'une chemisette à plis fins, bordée d'une petite ruche. Un châle, brun, vert, or, jaune, | |
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rayé de vert, passe sur l'épaule droite et retombe sur le bras gauche; à ce bras deux bracelets d'or; un collier de perles et un autre en corail; des perles pour pendants d'oreilles; sur la tête un petit diadème en or. Les cheveux châtains entourent la tête et tombent sur le front, légèrement bouclants, puis sur le dos et l'épaule droite. Le visage d'un bel ovale est plein et d'une fraîcheur charmante; les joues et les lèvres rouges, la bouche cerise, entre-ouverte avec un sourire délicieux, les yeux bleus, grands et bien ouverts. Elle ressemble parfaitement à la Saske sur les genoux de son mari. Il est difficile d'imaginer une physionomie plus charmante et plus aimable, et un portrait plus ravissant de couleur et d'expression. L'harmonie générale est l'amarante, mais doré d'une chaude patine, même dans les chairs du visage et de la poitrine et les manches de la chemise. Le faire est très soigné, très travaillé, mais sans minutie, le ton profond, la pâte énergique et émaillée, la touche grasse et fondante. Tout dans ce portrait, resplendissant de lumière, respire la vie, le bonheur, la santé. Quel contraste avec la Saske d'Anvers! Celle-ci ressemble pour la pose et le costume à celle de Cassel. Elle est debout de profil, à mi-corps, coiffée du grand chapeau et couverte de son manteau. Mais ici le bonnet de velours rouge a des plumes d'un jaune orangé. Le corps est un peu plus tourné vers le spectateur. La robe d'un rouge foncé est brodée d'or avec des agraffes d'or aux manches et au corsage; les manches sont d'un brun rougeâtre. Un manteau fourré pend de l'épaule droite et est retenue par les bras; les deux mains se rencontrent vers la ceinture. Elle a un collier de perles, une perle à l'oreille, un bracelet de trois rangs de perles au bras. La main droite tient un bouton de rose. La | |
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robe est taillée carrément sur la poitrine; la fine chemisette, si bien fermée dans le portrait de Cassel, est ici entr'ouverte et laisse voir un peu la gorge. Fond de muraille grisâtre, glacé de brun. La figure n'a pas cette fraîcheur juvenile, à peine ombrée du portrait de Cassel, mais elle a une expression extrêmement distinguée, rêveuse. Les traits plus allongés sont fins et délicats. Les yeux foncés contemplent quelque rêve sous leurs cils relevés; les lèvres semblent vouloir s'ouvrir pour laisser s'envoler quelque vague parole. Ce portrait a un charme indéfinissable. L'âme du peintre a passé dans cette oeuvre idéale et poétique. A force de la contempler on la voit s'animer. L'exécution est d'une grande ampleur, le coloris chaud, brûlant. C'est le peintre occupé à la Ronde qui a rêvé en même temps à ce portrait, qu'il a fait du même pinceau. Il s'attache encore un intérêt mélancolique à cette image. Sans aucun doute elle date de 1642. Saske n'était plus ce qu'elle fut dans son portrait de 1641 au musée de Dresde. Elle allait bientôt mourir. Ses traits délicats ont un reste de beauté; non pas cette beauté sereine de la jeunesse et de la force, mais celle que l'expérience de la vie a transfigurée. Qui sait si le peintre ne l'a pas faite de mémoire, lorsqu'il avait perdu sa compagneGa naar voetnoot1. | |
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Parmi les tableaux de cabinet de cette époque, nous remarquerons surtout le petit bijou, dit le ménage du menuisier, qui se trouve au Louvre. Dans une chambre bourgeoise, hollandaise, le jour vient par la fenêtre à gauche, pittoresquemeut encadrée de vigne et près de laquelle Joseph en manches de chemise est occupé à travailler le bois. Marie est assise avec sa mère auprès du berceau et allaite son enfant. Ce groupe est vivement éclairé par un rayon de soleil qui laisse Joseph dans une fine demi-teinte, enveloppe d'une lumière chaude l'enfant et le sein de la mère, dont la tête est dans une délicieuse demi-teinte, et dessine un carré de lumière sur le plancher. L'intérieur, qui rappelle beaucoup ceux d'Adriaen van Ostade, est riche en d'étails et noyé dans des teintes superbes, transparentes et carminées. C'est une scène de famille remplie de charme, de naturel, d'une poésie intime. Le caractère ici n'a rien de divin; c'est le côté humain qui domine. Pour moi la scène n'en est que plus touchante. Je ne conteste pas la grandeur que peut exprimer une madonne épique; mais il est impossible de rendre mieux le charme d'une mère, d'un ménage, d'un intérieur heureux. C'est le caractère humain que le peintre a cherché et qu'il a exprimé à merveille dans cette brillante petite peinture. Le dessin du visage régulier de Marie, des ses doigts effilés, est remarquable en ce qu'il tire un peu sur le goût italien. Il rappelle le style de cette belle eau-forte, la sainte famille avec Marie au pied un et la Marie d'une pieta, parmi les dessins de Rembrandt au musée de Berlin. Ce n'est pas la première fois que je remarque chez lui les traces que ses belles estampes italiennes ont laissées dans son esprit. Rembrandt a peint une scène pareille sur un petit panneau, à Wilhelmshöhe; là, Marie est assise près du berceau, allaitant son enfant; près d'elle est un petit feu et un chat; | |
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au second plan, Joseph est occupé à travailler avec la hache. Rembrandt y a peint un rideau rouge sur une tringle, qui cache une partie du côté droit de la scène; c'est une espèce de trompe-l'oeil comme E. de Witt et d'autres en ont fait. Un sentiment pareil à celui du ménage du menuisier du Louvre se trouve dans un très beau petit tableau de lord Grosvenor, la visite de Marie à Elisabeth; une expression délicate et distinguée s'y marie à une lumière fine. Ce petit bijou se distingue par une harmonie merveilleuse de tons chauds et froids. Burnet, qui l'a gravé, en a senti toutes les finesses, avec toutes les difficultés. Ces tons se rencontrent dans le groupe principal: Elisabeth est vêtue de rouge et de jaune, Marie de bleu, blanc et gris froid. La couleur chaude passe par la manche rouge d'Elisabeth et une partie de son châle jaune et descend sur l'habit d'une négresse qui prend à Marie son manteau gris, se dissipant enfin en quelques touches chaudes sur le terrain. La couleur froide passe du ton chaud de Zacharie et du porche sur le pilastre gris-vert, le paon et quelques touches de couleur froide dans les feuilles. Le ton général est une lueur douce qui réchauffe même les tons froidsGa naar voetnoot1 . A cette époque, vers 1640, on pense encore pouvoir ranger la Pylhonisse d'Endor, de la galerie Schönbom. Le tableau ajoute la force à la finesseGa naar voetnoot2. Sur un fond mystérieux se voient l'ombre de Samuel, en longue barbe blanche, turban jaune et manteau brodé d'or, Saul, en pleine armure, qui se posterne et la Pythonisse qui tient un livre ayant servi à l'évocation. Trois grandes toiles datent de 1641 et 42, la Susanne, l'offrande de Manoé et la ronde de nuit. | |
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Déjà en 1631 et 33, nous avons vu le peintre occupé de Susanne, - le petit tablean à la Haye et le grand de la collection Yonssoupoff. Sir Josua Reynolds fait mention de quatre autres Susanne: une étude peinte, un tableau à figures de grandeur naturelle, un dessin qui reproduit les mêmes dispositions de ce tableau et une peinture pareille se trouvant alors chez M. Blacwood. Le grand tableau de Reynolds, daté 1641, a été gravé en manière noire par Earlom. Il reproduit la figure du musée de la Haye avec quelques variantes. La pose de la femme est presque exactement la même, mais elle y paraît un peu plus grêle. Dans celui de la Haye, Susanne a un pied dans sa pantouffle, l'autre dessus; dans celui de Reynolds elle est sur le point de descendre dans l'eau, dans laquelle elle a déjà posé le pied droit, tandis que le gauche se replie un peu sur la marche. Dans le premier, Susanne paraît entendre un bruissement dans le feuillage, et la tête d'un vieillard ne fait qu'apparaître; dans le second les deux vieillards se montrent et l'un d'eux prend la femme par le linge qui entoure sa taille. La tête et le geste des mains sont les mêmes. Dans le tableau de Reynolds, l'entourage occupe beaucoup plus de place et même la moitié du tableau est occupée par l'eau, le jardin et les édifices, qui au reste ont un caractère pareil à celui du tableau de la Haye. Ce dernier me paraît donc le type dont les autres sont dérivés. Cependant il existe une autre étude de Susanne, (coll, de M. Lacaze) qui est évidemment l'esquisse que possédait Reynolds et qui a servi pour le grand tableau, également de Reynolds. Il ressemble pour le fond et les arbres et leur couleur rouge, ainsi que pour la pose de la femme à la Susanne de la Haye, mais quelques détails la rapprochent tout à fait du grand tableau. Elle y a la même pose des pieds, l'un dans l'eau, l'antre sur la marche, ayant les doigts courbés en bas. La figure est fortement | |
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modelée arec la pâte dans le sens des formes du corps. Le ton de la chair est plus brun que dans celui de la Haye. Susanne, on plutôt le modèle dont le peintre se servit, y porte un bonnet blanc; à l'endroit des bras et des mains droites, car elle en a deux, on voit des répentirs. Il en dessina une sur le corps, une autre posée sur la balustrade. M. de Burtin possédait en 1808, dans sa galerie, une Susanne assise au bord de l'eau sous un rocher, sur un linge qui couvre ses habits. Elle se présente de côté, tout le devant dans la demi-teinte, le dos dans la lumière. Ses longs cheveux blonds retombent en désordre; elle n'a pas encore aperçu les vieillards, qui se tiennent cachés derrière elle, appuyés sur une estacade. Des joncs et autres herbes sont baignés par l'eau. Ce tableau, dit de Burtin, est très empâté et peint à la brosse, mais cependant d'une touche assez soignée et caresséeGa naar voetnoot1. Au cabinet d'estampes de Berlin j'ai trouvé un croquis large et rapide à la plume de roseau Susanne au bain, assaillie par les deux vieillards; fond de mur avec des arbres. La grande toile avec l'offrande de Manoé se trouve au musée de Dresde. Le sujet a été traité entre autres, par Lastman, avec des costumes et des couleurs qui rappellent le tableau de son disciple. Rembrandt a esquissé une première pensée dans un croquis rapide à la plume, que possède M. Ch. BlancGa naar voetnoot2. On y voit Manoé avec sa femme prosternés devant l'autel d'où l'ange s'envole. Dans le tableau, la composition est un peu changée. On | |
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y retrouve le geste de frayeur avec lequel Manoé s'écarte; mais ce geste, exagéré dans le dessin, est plus fin dans le tableau. Dans cette superbe toile, Manoé et sa femme sont agenouillés, les mains jointes et levées. Elle, de profil, droite sur ses genoux, incline légèrement la tête; lui, un genou à terre, se recule un peu comme de frayeur et de respect. Au coin gauche, une pierre carrée servant d'autel, supporte le feu et l'offrande. A gauche en haut, l'ange vu de dos s'envoleGa naar voetnoot1. Fond d'architecture: une maison avec fenêtre, escalier, et du feuillage, d'une couleur grise et brune. L'ange est peu visible et éclairé faiblement sur le dos; il n'a pas d'ailes et est vêtu d'une tunique blanche. Les longs cheveux blonds sont ceints d'une couronne de fleurs. Manoé, qui a de longs cheveux et une barbe blanche. porte une robe rouge foncé, violacé, à grands plis bien dessinés. Sa femme est vêtue d'une robe brodée jaune, avec sous-manches blanches; le grand manteau, qui de la tête au pieds la couvre, est d'un rouge plus vif et plus clair que celui de Manoé. Cette draperie aussi est largement comprise. La tête porte une espèce de coiffure ou de turban enroulé, orné d'or et d'une grande pierre fine. Il y a dans cette peinture, exécutée d'une brosse large, avec ce degré de vaporeux que nous avons déjà remarqué, un grand et noble sentiment. L'expression des figures et de leurs gestes, ainsi que la tonalité concourent à lui donner un air de grandeur, de mystère qui touche au sublime. Dans l'exécution, il est encore évident que nous marchons vers la Rotule. La composition offre des analogies remarquables avec les deux tableaux de l'ange quittant les Tobie et surtout avec ce sujet dans l'eau-forte de 1641. Dans cette estampe, le vieux Tobie est agenouillé dans | |
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l'attitade de la femme de Manoé et le jeune Tobie fait un geste semblable à celui de Manoé. Durant les années qui nous occupent, le peintre élaborait une grande oeuvre, une de celles qui suffisent à la gloire d'un homme et qui allait résumer et embrasser tout ce dont son talent était capable. C'était Ronde, que nous étudierons séparément. Il nous faut ici jeter un dernier coup d'oeil sur quelques autres oeuvres; d'abord un vigoureux dessin (coll. de M.J. de Vos), une vue des remparts d'Amsterdam, étude qu'il fit un jour en se promenant hors de la ville. C'est dessiné avec de vives couleurs - brun, rouge, vert, - d'une belle harmonie et d'un puissant eflet de lumière. Puis les eaux-fortes. Quelques croquis et études de belles têtes; la jolie pièce, le taureau avec fond de paysage; trois autres paysages, très pittoresques et gravés avec beaucoup d'esprit; - le beau portrait d'Anslo. Quelques sujets bibliques: le triomphe de Mardochée (que je range vers 1640), composition pleine d'expression et de mouvement; le baptême de l'Eunuque, légèrement tracé à la pointe; 1'ange s'envolant devant la famille de Tobie, superbe morceau, d'un beau ton, aux ombres veloutées; la Vierge et l'enfant sur les nuages, sujet peu commun dans l'oeuvre du maître; une fine pièce, la petite résurrection de Lazare; deux Saint Jérôme, l'un dans un intérieur qui rappelle celui des philosophes au Louvre, l'autre écrivant sur une espèce de pupitre adapté à un tronc de saule, superbe gravure d'une touche grasse et veloutée. De 1641 datent trois morceaux superbes d'un autre genre, les chasses au lion. Il n'y a que la grande chasse qui soit datée, mais les deux autres appartiennent au même temps. La grande chasse, composition qui ne le cède pas | |
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à celles de Rubens ni aux croquis de combats de Léonard da Vinci, est une esquisse pleine de fougue, de fureur, où sa main hardie, stimulée par l'imagination, traça vivement les contours du sujet; les deux autres chasses ont plus d'effet de clairobscur. Les lions et les chevaux de ces trois pièces sont admirables; il n'est aucun peintre dans toute l'école qui ait exprimé avec plus de génie les animaux dans leurs violences. Et tout cela à si peu de frais! car ces lions rugissants, ces chevaux qui se cabrent ne sont faits qu'à quelques traits minces. Mais tout est juste et chaque trait porte. Ces croquis doivent avoir été faits de suite sur le cuivre; du moins ils ne sont pas calqués. Sa manière de dessiner se laisse voir ici clairement; dans ces lions par exemple, les muscles sont indiqués à traits nerveux, brisés, élémentaires. Ce n'est pas un contour précis qui enferme la forme, ce n'est qu'une indication de la charpente et des muscles, et la bête se trouve ainsi, non pas dessinée mais modelée. Tout cela est juste en tout point et de plus palpitant de vie. Rembrandt fit probablement en ce temps l'éléphant, et quelques uns de ces superbes dessins de lion qui se trouvent au British museum, aux musées Teyler, Fodor, au Louvre etc. J'en compte une trentaine. La plupart sont à la plume et lavés d'encre brune; quelques-uns sur papier brun. Parmi les dessins du maître, ceux là excellent par la grandeur monumentale qu'il a su donner à ces bêtes. Il y en a qu'un statuaire n'aurait qu'à pétrir pour faire un chef-d'oeuvre. |
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