Poèmes(1895)–Emile Verhaeren– Auteursrecht onbekendLes bords de la route. Les Flamandes. Les moines Vorige Volgende [pagina 243] [p. 243] Méditation Heureux, ceux-là, Seigneur, qui demeurent en toi, Le mal des jours mauvais n'a point rongé leur âme, La mort leur est soleil et le terrible drame Du siècle athée et noir n'entame point leur foi. Obscurs pour nos regards, ils sont pour toi les lampes, Que les anges sur terre, avec leurs doigts tremblants, Allument dans les soirs mortuaires et blancs Et rangent comme un nimbe à l'entour de tes tempes. Heureux le moine doux, pour qui l'orgueil n'est point, Dont les yeux n'ont jamais, si ce n'est en prière, Comme des braises d'or avivé leur lumière Et dont l'amour retient le coeur à ton coeur joint. [pagina 244] [p. 244] Son esprit lumineux, telle une aube pascale, Jette des feux pieux comme des fleurs de ciel; Il marche sans péché, ni désir véniel, Comme en une fraîcheur de paix dominicale. Heureux le moine saint s'abattant à genoux, Devant ta croix, dressant au ciel ses larges charmes, Et qui lave ton nom avec les mêmes larmes Que nous prostituons à nos douleurs à nous. Son coeur est tel qu'un lac dans la montagne blanche, Qui réverbère en ses pâles miroirs dormants Et ses vagues de prisme emplis de diamants Toute clarté de Dieu qui sur terre s'épanche. Heureux le moine rude, ardent, terrible, amer, Dont le sang se déperd aux larmes des supplices, Dont la peau se lacère aux griffes des cilices Et qui traîne vers toi les loques de sa chair. Pour en tordre le mal, ses mains tortionnaires Ont d'un si noir effort étreint son corps pâmé, Qu'il n'est plus qu'âme enfin et qu'il vit sublimé, Tout seul, comme un rocher meurtri par les tonnerres. [pagina 245] [p. 245] Heureux les moines grands, heureux tous ceux qui vont Là-bas, en des chemins de paix et de prière, Les regards aimantés par la vague lumière Qui se fait deviner par delà l'horizon. Vorige Volgende