Poèmes(1895)–Emile Verhaeren– Auteursrecht onbekendLes bords de la route. Les Flamandes. Les moines Vorige Volgende [pagina 181] [p. 181] Vision Vers une hostie énorme, au fond d'un large choeur, Dans un temple bâti sur des schistes qui pendent, Voici dix-huit cents ans que les moines ascendent Et jettent vers le Christ tout le sang de leur coeur. Le temple est assis haut, là-bas, où rien ne bouge; Du fond de l'univers, du Zénith, du Nadir, On regarde l'hostie immense resplendir Sous le jailliss ement d'un grand soleil d'or rouge. Et les moines, les saints, les vierges, les martyrs, Foulant à pas égaux les routes ascétiques, S'en viennent là, du fond de leurs cloîtres mystiques, S'incendier l'esprit au feu des repentirs: [pagina 182] [p. 182] Les uns, n'ayant jamais péché, portent leur âme Comme un faisceau de lys sur leur manteau brodé, Ils ont le front de calme et d'ardeur inondé Et dans leurs doigts d'argent ils portent une flamme; Il en est dont les reins se ceinturent d'orties Et qui marchent, hagards, par les sentiers étroits, Le dos raidi, les flancs creusés, les bras en croix, La bouche effrayamment ouverte aux prophéties; D'autres, la gorge sèche et la poitrine en feu, Sont les suppliciés de jeûne et de prière Dont le corps s'éternise en des gestes de pierre Et qui dans les déserts hurlent après leur Dieu. Et tous s'en vont ainsi, vêtus de larges voiles, Comme des marbres blancs qui marcheraient la nuit, Qu'il fasse aurore ou soir, une clarté les suit Et sur leur front grandi s'arrêtent les étoiles, Et parvenus au temple ouvrant au loin son choeur, Dans un recourbement d'ogives colossales, Ils tombent à genoux sur la froideur des dalles Et jettent vers leur Dieu tout le sang de leur coeur. [pagina 183] [p. 183] Le sang frappe l'autel et sur terre s'épanche, Éclabousse de feu les murs éblouissants, Mais quoi qu'ils aient souffert depuis dix-huit cents ans, L'hostie est demeurée implacablement blanche. Vorige Volgende