Les ailes rouges de la guerre
(1916)–Emile Verhaeren– Auteursrecht onbekend
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PrièreL'air vibre et s'incendie a l'autre bout du monde;
L'air n'est plus qu'asphyxie et tonnerre chez nous;
Un ciel empoisonné couvre de ses remous
Le fleuve bienfaisant et la terre féconde.
Seigneur! qu'ils étaient beaux les champs dans le soleil,
Quand le soir grandissait l'attitude superbe
D'un travailleur dressant une à une les gerbes
Avec leur ombre longue au ras du sol vermeil.
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Seigneur! qu'ils étaient beaux, les clos et les chaumières
Et les jardins fleuris de maison à maison
Et les arbres marchant en rang vers l'horizon
Et s'enfonçant au loin dans l'or de sa lumière.
Qu'étaient profonds les bois, qu'étaient douces les eaux
Dans la steppe en Ukraine et la prairie en Flandre,
Quand la bonne rivière avec ses longs méandres
Serrait entre ses bras les bourgs et les hameaux.
Mais aujourd'hui, Seigneur, tout brûle au bout du monde,
Tout n'est que flamme errante et tonnerre chez nous.
Des sous-marins sournois et des avions fous
Ont ravagé les vents et saccagé les ondes.
Vers des pays de brume et de caps désolés
Et puis, là-bas, où des vagues qui montent blanches
Assiègent un roc blanc, à Douvres, sur la Manche,
Et puis jusqu'au Bosphore, et puis jusqu'à Thulé,
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Partout, la mort immense et rouge se démène.
Elle part du Volga ou s'élance du Rhin
Et rôde même autour du piédestal marin
D'où Minerve éclairait, de ses ailes, Athènes.
Seigneur, si tout l'espace est en proie à l'effroi,
Pourquoi les angelus y sonnent-ils encore,
Pourquoi les muezzins, au soir et à l'aurore,
Pour monter vers ta gloire, allongent-ils leurs voix?
Seigneur, ton assistance est partout disputée,
Turc ou chrétien, chacun te somme à le servir
Et te jette d'en bas son outrageant désir
Et sa prière atrocement ensanglantée.
Seigneur, c'est contre toi qu'il déchaîne les maux.
Où désormais poser tes regards sur la terre
Sans que tes yeux n'y voient les cent poings de la guerre
Enfoncer de la mort dans la terre et dans l'eau?
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Seigneur, Dieu de la paix populaire et profonde,
Serais-tu le captif de ces empereurs fous
Et ne comprends-tu pas qu'en pliant leurs genoux
Et t'invoquant ensemble, ils te chassent du monde?
Ne bénis plus, Seigneur, le vol de leurs drapeaux,
Ni leurs aigles, ni le croissant de leur épée,
Mais simplement, reviens t'asseoir sous la cépée,
Parmi les humbles gens, sous ton humble manteau.
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