Een visie op de universiteit
(1985)–P. De Somer– Auteursrechtelijk beschermd
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Enseignement universitaire et vie professionnelleGa naar voetnoot*Mesdames, Messieurs, Depuis deux siècles et en un sens depuis l'origine même de l'Université au moyen âge, c'est la culture occidentale qui a formé le monde de la science et celui de l'enseignement supérieur. Même aujourd'hui les universités du tiers monde restent substantiellement liées aux acquisitions scientififiques et aux méthodes didactiques de l'Occident. Mais voilà que surgit, un peu partout dans les nations nouvelles, une mentalité qui prône une plus grande identification aux valeurs propres des communautés humaines que l'université entend servir. C'est un enjeu aux proportions considérables, car il s'agit d'établir un lien nouveau entre les cultures indigènes et la culture intellectuelle de l'universitaire. Quelle forme devra prendre l'enseignement supérieur, s'il veut concilier les acquisitions de la science moderne avec les richesses culturelles de chaque pays, par exemple: traditions séculaires, langues multiples, religions, coutumes locales, arts populaires, métiers, en un mot toute cette sagesse vécue qui durant des siècles a donné un visage particulier à chaque peuple? On a beaucoup réfléchi à ce problème, de nombreuses tentatives ont été entreprises pour trouver les voies et les conditions pour le résoudre, mais il faut reconnaître qu'un long chemin reste encore à parcourir. Notre université a fait sa propre expérience dans votre pays par l'établissement de l'Université Lovanium, qui devait poursuivre en Afrique la mission qui lui avait été donnée en 1425 par son fondateur le Pape Martin V dans la bulle ‘Sapientiae Immarcessibilis’ et qui était libellée comme suit ‘Les études contribuent à l'expansion du Royaume de Dieu et à la diffusion de la foi: elles donnent à l'église militante les chefs qui gouvernent l'Église et l'État pour le plus grand salut des âmes; elles renforcent la tranquillité et la paix et elles augmentent la prospérité pour toutes les classes de la société’. | |||||||||
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C'est en tant que missionnaires que nous sommes venus chez vous et nous avons, comme tant d'autres, par une sorte d'inclination spontanée, eu tendance à identifier culture chrétienne et culture européenne. Nous avons omis de reconnaître qu'il existe un patrimoine propre à chaque communauté humaine, qu'il y a une pluralité de cultures, des styles de vie divers et des échelles de valeurs différentes trouvant leur source dans la façon particulière que l'on a de se servir des choses, de travailler, de s'exprimer, de pratiquer sa religion, de légiférer, d'établir des institutions juridiques, d'enrichir les sciences et les arts et de cultiver le beau. Ce pluralisme des cultures est à la base d'un nouveau type d'existence communautaire, c'est le refus d'un monde totalitaire, le rejet d'une société arbitraire, qui serait imposée par une bureaucratie impersonnelle au nom d'une idéologie dogmatique. La reconnaissance et le respect des disparités dans la collectivité humaine tend à la réalisation d'une large communauté, enrichie de petites communautés vivantes. Cette introduction à ma conférence avait comme seul but de vous expliquer que le but de notre visite au Zaïre n'est pas de venir inspecter vos universités, de les critiquer et de vous présenter des solutions. Vous seuls êtes à même de résoudre vos difficultés, de faire des universités modelées sur votre culture et adaptées au besoin des hommes, auxquels vous devez porter la sagesse et la science de l'homme et le bien-être. Ceci ne veut pas dire que les universités de l'Occident n'auraient aucune mission à votre égard. Il serait trop facile pour elles de se contenter d'une sorte d'auto-suffisance culturelle, qui malheureusement s'est vérifiée en plus d'une circonstance. Il suffit de consulter les publications scientifiques dans certains domaines pour voir que les sources bibliographiques se limitent à une langue ou à une nation. Les universités de l'Occident doivent, elles aussi, tenter un effort courageux pour s'ouvrir aux cultures non-occidentales, aux grandes traditions et à l'immense richesse des cultures indigènes et traditionnelles de l'Asie et de l'Afrique. L'enjeu est la survie de richesses culturelles, qui seraient autrement menacées d'extinction. Par la voie d'échanges entre professeurs et étudiants, par la mise en place de projets de recherche ou d'instituts spécialisés, nous devons chercher à dépasser les horizons immédiats de notre milieu culturel propre et à nous ouvrir davantage à la culture de l'universel. C'est dans cette optique que nous cherchons des contacts avec vous dans l'espoir que ces contacts pourront nous enrichir mutuellement. C'est pourquoi je me limiterai à traiter devant vous un des problèmes majeurs avec lequel nos universités sont confrontées en | |||||||||
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Occident, à savoir l'adaptation de l'enseignement universitaire à la vie professionnelle. Je me baserai sur la situation concrète de la Belgique, situation qu'on pourrait facilement extrapoler aux autres pays d'Europe et, à une autre échelle et parfois pour d'autres raisons, aux pays en voie de développement. Ce problème se pose sur un double plan, sur un plan global que les spécialistes appellent macro-économique, et sur le plan individuel de la qualité du travail. Au niveau macro-économique, le problème d'adaptation porte sur la correspondance entre l'offre des diplômés universitaires d'une part, et la demande ou les besoins socio-économiques d'autre part. Le problème posé ici est en somme celui de la régulation des flux de sortie de l'enseignement universitaire et de leur assimilation sur le marché du travail. L'accroissement récent de l'attrait des études universitaires sur les jeunes est un phénomène bien connu. C'est la conséquence indirecte de l'explosion d'une technologie, basée sur la science, après la dernière guerre mondiale. A cette occasion, l'humanité s'est rendue compte que des cerveaux sont plus importants que des matières premières comme source de richesses; que l'intelligence donne plus de puissance à une armée que les blindés ou le courage des militaires. De là est née la préoccupation, aussi bien des nations prospères que des nations pauvres, d'investir dans le développement de la matière grise par un investissement dans l'enseignement, spécialement dans l'enseignement supérieur. Elles partaient du raisonnement, peut-être un peu naïf, qu'elles deviendraient plus riches et plus fortes en y investissant plus de moyens et en créant plus de facilités pour le développement intellectuel. En Belgique, le nombre de nouvelles inscriptions prises à l'université n'a cessé de croître à partir du milieu des années cinquante, pour atteindre au cours des années soixante un taux de croissance annuelle de plus de 10%. Par voie de conséquence, l'augmentation du nombre de diplômes universitaires octroyés annuellement à des étudiants belges est passé d'environ 4% par an entre 1950 et 1965 à plus de 10% entre 1965 et 1972. En chiffres absolus: 1890 = 6.200; 1940 = 11.000; 1950 = 20.000; 1960 = 29.000; 1967 = 50.000 et 1975 = 80.000. Cette augmentation de l'offre de diplômes universitaires débouchant sur le marché du travail a pu être facilement absorbée au cours de la précédente décennie, grâce au rythme élevé de la croissance économique. Après 1970 l'offre a dépassé les besoins économiques. Cette inadéquation de l'offre de diplômés universitaires et de la demande sur le marché du | |||||||||
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travail a eu trois conséquences majeures, à savoir: le chômage ou l'inactivité des diplômés universitaires, leur sous-emploi et la prolongation des études. Une enquête lancée par les Services de Programmation de la Politique Scientifique auprès des diplômés universitaires ayant obtenu leur diplôme de base au sortir des années académiques 1971-1972 et 1972-1973, nous fournit des indications précises à cet égard. Elle nous apprend que 33 mois après l'obtention de leur diplôme, sur un total de 9.000 diplômés universitaires ayant répondu à l'enquête, 3.3% du sexe masculin et 5% du sexe féminin sont à la recherche d'un emploi. A ce chiffre s'ajoutent 3.2% de femmes se déclarant volontairement inactives, ce qui amène à près de 10% le pourcentage des femmes n'exerçant pas leur profession. La durée moyenne du temps consacré à la recherche d'un emploi est de plus ou moins un an. Quelques 10% des répondants ayant une occupation professionnelle estiment que l'accomplissement de leur fonction ne requiert pas un diplôme universitaire. Enfin, le quart des répondants entreprend des études complémentaires. Ces chiffres globaux cachent en partie la gravité du problème. En effet, le chômage universitaire est plus marqué pour certains diplômes: - pour l'histoire de l'art: 13% - sciences politiques et sociales: 7.2% d'hommes et 18% de femmes. Il est également important en histoire, en chimie et en agronomie. L'examen des principaux secteurs de la vie socio-économique, sur lesquels les études universitaires débouchent normalement, permet de mieux comprendre le phénomène de l'inadéquation entre l'offre et la demande des diplômés universitaires. En effet, ceci nous apprend que pour cent répondants qui ont une activité professionnelle, 27.7% enseignent, 15.6% sont engagés dans la recherche scientifique, 20% exercent leur profession dans le secteur des soins de santé et 7% dans le secteur juridique, tandis que 8% d'entre eux sont employés dans le secteur publique et seulement 20% dans une entreprise privée. De ce qui précède, on peut déduire que, au moins au début de leur carrière, plus de la moitié des diplômés universitaires sont engagés dans l'enseignement, la recherche scientifique ou dans l'administration publique et occupent ainsi un emploi financé par les pouvoirs publics. Si l'on considère en outre que les diverses professions libérales du secteur des soins de santé sont, dans une large mesure, financées par le canal de la para-fiscalité, on peut en conclure que pour plus des trois quarts des diplômés universitaires l'exercice d'une profession dépend des moyens mis à la disposition par la société, par la voie de la fiscalité ou de la para- | |||||||||
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fiscalité. Le secteur privé, à proprement parler, recrute seulement un cinquième des diplômés de l'enseignement universitaire. La prédominance de l'orientation des diplômés universitaires vers des fonctions dépendant directement ou indirectement du secteur public est encore plus marquée en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne. Ces chiffres nous amènent à conclure, avec R. Boudon, dans son livre ‘Effets pervers et ordre social’ que ‘les produits du système universitaire apparaissent pour une large part comme utilisés davantage à la reproduction du système scolaire et universitaire lui-même qu'à une utilisation pour le système économique dans son ensemble’. De tels chiffres doivent nous faire réfléchir sur la valeur relative d'un investissement dans les universités pour le développement industriel et économique d'un pays. Sur le plan individuel et qualitatif, le problème de l'adéquation de l'enseignement universitaire à la vie professionnelle porte sur la correspondance entre la formation reçue et le niveau de qualification de l'activité professionnelle. Il est clair que celle-ci découle, en partie au moins, de l'inadéquation sur le plan quantitatif et global. Dans la mesure où l'offre des diplômés universitaires dépasse la demande socio-économique, ceux-ci seront partiellement embauchés pour l'accomplissement de tâches ne requérant pas une formation universitaire. C'est ici qu'on parle de ‘under-employment’, c.à.d. sous-emploi ou sous-utilisation des qualifications universitaires. A cet égard aussi, les résultats de l'enquête sont intéressants. Ils nous apprennent que parmi les répondants ayant une activité professionnelle, 63,4% sont d'avis que leur formation est la seule qui donne les qualifications requises pour la fonction qu'ils exercent, 26% estiment que d'autres formations universitaires procurent également les qualifications nécessaires à l'accomplissement de leur travail et 11% prétendent qu'une formation universitaire n'est pas indispensable. Ces derniers se trouvent surtout parmi les diplômés des sciences sociales, politiques et économiques, ainsi que parmi les licenciés en histoire de l'art. D'une façon plus générale, la majorité des diplômés travaillant dans le secteur de l'administration publique et dans l'entreprise privée sont du même avis. Quelques chiffres pour illustrer ce phénomène:
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Il est clair de ce qui précède que ces appréciations négatives au sujet de la correspondance entre la formation et le travail effectif, sont l'expression de désillusions et de frustrations dues à l'absence de lien entre l'une et l'autre. Ces états d'esprit ont une répercussion sur les étudiants, ils créent l'incertitude dans nos campus et sont en partie responsables pour l'agressivité des jeunes vis-à-vis de la société et également pour l'évolution des sentiments de l'opinion publique à l'égard des problèmes universitaires. L'expansion universitaire fut déclenchée partout avec intérêt et espoir. Mais cette sympathie se transforma en désillusion, méfiance et crainte. Il en résulta que l'université fut renvoyée à elle-même, dans une atmosphère de grande indifférence publique pour la résolution de ses problèmes. Un dialogue de sourds a lieu entre la société, qui estime que les 17 milliards, qui actuellement en Belgique sont destinés à la surproduction de diplômés, pèsent trop lourdement sur le budget de l'État. L'augmentation de la demande d'éducation et la démocratisation de l'enseignement universitaire ont engendré l'inverse de l'effet recherché par les individus. Il est indéniable que l'engouement pour les études universitaires au cours des vingt dernières années trouve sa raison principale dans l'espoir des jeunes d'accéder à des professions supérieures, tant du point de vue de la rémunération que du statut social qui y est attaché. L'accroissement du nombre de diplômés au-delà des besoins socio-économiques a par contre entraîné la détérioration du niveau des chances professionnelles des détenteurs d'un diplôme supérieur. L'inflation des diplômes est ainsi cause de leur dévalorisation, et l'effet principal de l'augmentation de la demande d'éducation est d'exiger de l'individu une scolarisation de plus en plus longue en contre-partie d'espérances sociales inchangées et sans que cela soit justifié pour la nature des tâches à accomplir. C'est ce qui amène R. Aron à écrire que: ‘En simplifiant on pourrait dire que la licence d'aujourd'hui vaut ce que valait le baccalauréat il y a une ou deux générations’. En résumant, on peut affirmer que l'inadéquation entre l'offre et la demande socio-économique de compétences a pour conséquence inévitable une baisse de l'utilité marginale de la formation universitaire et ce, | |||||||||
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tant au point de vue global qu'individuel. L'effet sur le plan global se traduit par une sous-utilisation de qualifications existantes, qui s'exprime par le chômage, l'inactivité ou l'utilisation à un niveau inférieur à la formation. Sur le plan individuel, elle résulte dans une baisse généralisée du statut professionnel et social auquel l'universitaire accède. Il n'y a pas de correction spontanée de cette inadéquation à prévoir à l'avenir. Au contraire, la quantité d'universitaires croîtra encore dans les années à venir, vu qu'il existe toujours des groupes potentiels d'étudiants insuffisamment représentés dans l'enseignement universitaire. Ce sont surtout les filles qui sont encore très sous-représentées. Si la participation des filles devait devenir égale à celle des garçons, rien qu'en Flandre le nombre d'étudiants universitaires pourrait encore s'élever d'au moins 14.000 unités ou 30% des effectifs actuels. Il est donc irréaliste de s'attendre, comme certains le prédisent, à ce que le pouvoir d'attraction de l'université diminue en raison du mécanisme classique de l'offre et de la demande sur le marché du travail intellectuel. Il n'y a d'ailleurs pas d'alternative pour les jeunes. Les études statistiques sur le chômage des jeunes effectuées par A. Bonte ont clairement montré que la chance de trouver du travail augmente en fonction du degré de scolarité et que le groupe des diplômés universitaires est encore moins touché que les autres par le chômage. Cette situation relativement favorable ne se maintiendra sans doute pas plus longtemps. La demande d'universitaires diminue parce que le marché est saturé. Pensons par exemple à l'enseignement secondaire où aboutissent la majorité de nos diplômés en sciences et en philosophie et lettres. Depuis une vingtaine d'années cet enseignement est en pleine expansion grâce à un afflux croissant de jeunes, mais cette expansion est actuellement arrêtée et, sous peu d'années, on prévoit une régression de 20 à 25% à la suite de la diminution de la natalité. Dans les universités les cadres sont remplis, tandis que dans l'industrie les possibilités d'emploi diminuent à cause de la crise économique. Pour les mêmes raisons l'engagement du personnel se voit arrêté dans les services de l'état et des parastataux. De nouveaux débouchés ne peuvent donc pratiquement plus être trouvés que par une augmentation des études exigées pour l'obtention d'un emploi déterminé, ou bien par la création de nouveaux services utiles dans les secteurs indéfinis de la qualité de la vie, de la vie culturelle et des loisirs. Mais cela comporte le danger d'une bureaucratisation future dans ces domaines. On doit avoir à l'esprit que la liberté est une des composantes essentielles du bien-être. Il est surprenant de constater que les mesures de mise au travail, qui jusqu'à présent ont été proposées | |||||||||
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ou trouvées - en diminuant le temps de travail hebdomadaire, en avançant l'âge de la pension et en luttant contre le cumul, les heures supplémentaires et le travail clandestin - n'ont visé le plus souvent qu'à répartir d'une autre façon la masse de travail disponible. Aussi justifiées que soient de semblables mesures et quoiqu'elles puissent atténuer les effets nocifs du chômage, en réalité, elles mènent à un esprit de défaitisme et de malthusianisme: elles se fondent sur une quantité stable d'emplois qui, hélas, ne peut pas être augmentée et peut même être difficilement préservée. Il est évident qu'une solution fondamentale et durable ne peut venir que d'un fléchissement de l'activité économique vers des activités d'avenir. Toute parcimonie dans le domaine de l'enseignement universitaire et dans la recherche scientifique consiste, dès lors, à couper la dernière branche maîtresse sur laquelle un pays, comme la Belgique, qui n'a pas de matières premières, peut s'appuyer. Même si le nombre d'étudiants universitaires n'augmentait plus, on pourrait s'attendre à court terme à une hausse sensible du chômage, étant donné que, dans le domaine universitaire, la pyramide des âges présente une base de jeunes universitaires anormalement large. C'est que l'expansion explosive des universités est un phénomène récent. Plus de la moitié des universitaires ont obtenu leur diplôme dans les dix dernières années et pour chaque place vacante, à la suite de l'arrivée normale à la limite d'âge, il se présente sur le marché du travail huit candidats nouvellement formés. Ceci nous oblige à nous interroger sur le sens et la finalité de l'enseignement universitaire. La conception et la structure de l'université sont celles héritées du 19e siècle. Si nous ne trouvons pas de solution, nous serons confrontés d'ici quelques années avec un prolétariat intellectuel, qui présentera en Belgique un groupe social d'un million d'anciens universitaires. Théoriquement il y a trois remèdes possibles à l'inadéquation: la planification, la sélection et l'orientation. La persistance de l'accroissement des effectifs de l'enseignement a stimulé, au courant des années soixante, une planification de l'éducation en partant des besoins socio-économiques. Après le premier engouement, cette idée de la planification de la production des compétences fut bientôt délaissée. Elle s'est révélée pratiquement impossible, eu égard notamment à la difficulté des prévisions à long terme. Personne, il y a vingt ans, n'avait prévu la situation actuelle. En outre elle est contraignante, aussi bien d'un point de vue collectif que d'un point de vue individuel. La limitation de l'accès à l'université constitue une deuxième solution. | |||||||||
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Pour être efficace, celle-ci doit cependant être générale, sans quoi elle se résume à protéger certaines filières au dépens des autres sur lesquelles la dévalorisation des diplômes sont reportées. L'exemple de son application dans certains pays d'Europe n'est guère convaincant. Une limitation généralisée de l'accès de l'enseignement universitaire est d'autant plus mal acceptée qu'elle porte atteinte à la base de notre système démocratique, le droit égal de chacun au développement intellectuel. Une telle politique est en contradiction avec les acquis essentiels de notre démocratie occidentale, lesquels doivent permettre à chacun de déterminer librement le choix de ses études avec ses propres risques et responsabilités. Enfin, procédant par élimination, elle est purement négative dans ses effets. La troisième solution, celle de l'orientation, est la seule qui paraisse compatible avec la mentalité et les idéaux qui caractérisent nos sociétés démocratiques. Elle est préférable dans la mesure ou elle est positive dans ses effets, à l'opposé d'une sélection pure et simple. Sa réalisation présuppose toutefois une restructuration en profondeur du système de l'enseignement supérieur existant, dans le sens d'une diversification tant au niveau des institutions qu'au niveau des programmes d'études. Ce système se réfère au système d'enseignement supérieur americain, qui se distingue précisément des systèmes européens par le degré de différentiation des institutions universitaires et les mécanismes d'orientations qu'engendre cette différenciation. A la gradation subtile et nuancée des institutions américaines s'oppose la brutale dichotomie du système européen, qui a été copiée dans plusieurs pays africains, entre l'universitaire et le non-universitaire et entre filières nobles, telles la médecine ou les écoles d'ingénieurs, et les autres.
Mesdames, Messieurs, Je vous ai posé un problème préoccupant pour ceux qui portent des responsabilités pour l'enseignement universitaire dans notre pays. Ce problème était prévisible, mais personne ne l'a prévu. En 1971, il y a donc 8 ans, on a encore augmenté les institutions universitaires, dans le but de faciliter l'accès à l'université; maintenant nous nous trouvons devant une dévaluation du produit fini, que nous livrons à une société qui ne sait comment l'utiliser. Je ne vous ai pas donné une solution à ce problème, j'ai seulement présenté quelques suggestions, qui ne donnent pas satisfaction à un esprit critique. J'ai choisi ce thème, parce qu'il se pose de façon aussi aiguë, sinon de | |||||||||
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façon plus aiguë encore, dans certains pays en voie de développement, qui exportent leur matiére grise, dans laquelle ils ont investi, vers des pays plus riches. Je ne connais pas la situation au Zaïre, mais je suis convaincu que si vous ne l'êtes pas encore, vous serez confrontés dans un avenir rapproché avec la même inadéquation de votre enseignement universitaire aux besoins, ou plutôt à la capacité d'absorption, de votre pays. Les révoltes universitaires qui ont commencé en 1968 n'ont été qu'un prélude aux manifestations d'une jeunesse à la recherche de nouvelles formes d'existence dans une société en pleine mutation, une jeunesse dèsemparée, inquiète de son avenir. Grâce aux réalisations fantastiques de la science et de la technologie, l'Occident vivait il y a quelques années dans l'illusion de transformer le monde en paradis terrestre, dans lequel il n'y aurait plus de maladies, de faim, ni de pauvreté. Ces rêves ont été troublés par le cauchemar de l'apprenti sorcier, incapable de maîtriser les esprits qu'il avait appelés. C'est peut-être une note pessimiste pour finir cette conférence - pour vous, elle peut servir de consolation, à savoir que des extérieurs de confort et de richesse cachent chez nous une vive inquiétude pour notre avenir. |
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