Car ce partage de biens s'étant fait d'un commun consentement de toutes les nations, et ayant été autorisé par la loi divine, vous êtes les maîtres et les propriétaires de la portion qui vous est échue: mais sachez que, si vous en êtes les véritables propriétaires selon la justice des hommes, vous ne devez vous considérer que comme dispensateurs devant la justice de Dieu, qui vous en fera rendre compte. Ne vous persuadez pas qu'il ait abondonné le soin des pauvres: encore que vous les voyiez destitués de toutes choses, gardez-vous bien de croire qu'ils aient tout à fait perdu ce droit si naturel qu'ils ont de prendre dans la masse commune tout ce qui leur est nécessaire. Non, non, ô riches du siècle, ce n'est pas pour vous seuls que Dieu fait lever son soleil, ni qu'il arrose la terre, ni qu'il fait profiter dans son sein une si grande diversité de semences: les pauvres y ont leur part aussi bien que vous. J'avoue que Dieu ne leur a donné aucun fonds en propriété; mais il leur a assigné leur subsistance sur les biens que vous possédez, tout autant que vous êtes de riches. Ce n'est pas qu'il n'eût bien le moyen de les entretenir d'une autre manière, lui sous le règne duquel les animaux, même les plus vils, ne manquent d'aucunes des choses convenables à leur subsistance: ni sa main n'est point raccourcie ni ses trésors ne sont point épuisés; mais il a voulu que vous eussiez l'honneur de faire vivre vos semblables. Quelle gloire en vérité, chrétiens, si nous la savions bien comprendre! Par conséquent, bien loin de mépriser les pauvres, vous les devriez respecter, les considérant comme des personnes que Dieu vous adresse et vous recommande.
Car enfin méprisez-les, traitez-les indignement tant qu'il vous plaira, il faut néanmoins qu'ils vivent à vos dépens, si vous ne voulez encourir l'indignation de celui qui parmi ces noms si augustes d'Eternel et de Dieu des armées, se glorifie encore de se dire le Père des pauvres. Vive Dieu, dit le Seigneur, c'est jurer par moi-même, le ciel et la terre et tout ce qu'ils enferment est à moi: vous êtes obligés de me rendre la redevance de tous les biens que vous possédez. Mais certes pour moi je n'ai que faire ni de vos offrandes ni de vos richesses: je suis votre Dieu, et n'ai pas besoin de vos biens. Je ne peux souffrir de nécessité qu'en la personne des pauvres, que j'avoue pour mes enfants; c'est à eux que j'ordonne que vous payiez fidèlement le tribut que vous me devez. Voyez-vous, mes frères; ces pauvres que vous méprisez tant, Dieu les établit ses trésoriers et ses receveurs généraux; il veut que 1'on consigne en leurs mains tout l'argent qui doit entrer dans ses coffres. Il ne leur donne ici-bas aucun droit qu'ils puissent exiger par une justice étroite; mais il leur permet de lever sur tous ceux qu'il a enrichis un impôt volontaire, non par contrainte, mais par charité. Que si on les refuse, si on les maltraité, il n'entend pas qu'ils portent leur plainte par-devant des juges mortels; lui-même il écoutera leurs cris du plus haut des cieux: comme ce qui est dû aux pauvres ce sont ses propres deniers, il en a réservé la connaissance à son tribunal. C'est moi qui les vengerai, dit-il: je ferai miséricorde à qui leur fera miséricorde, je serai impitoyable à qui sera impitoyable pour eux. Merveilleuse dignité des pauvres! la grâce, la miséricorde, le pardon est entre leurs mains; et il y
a des personnes assez insensées pour les mépriser!’