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1559 [L'histoire Aethiopique de Heliodorus]
Heliodorus. L'histoire Aethiopique de Heliodorus, contenant dix livres, traitant des loyales & pudiques amours de Theagenes Thessalien, & Chariclea Aethiopienne. [...] Paris, Iean Longis & Robert le Mangier, 1559. kbh 182 A 2.
Le proesme du translateur.
1Ainsi comme un certain grand Philosophe amonneste sagement les
2nourrices, de ne conter indifferemment toutes sortes de fables à leurs
3petitz enfantz, de peur que leurs ames des le commencement ne
4s'abreuvent de folie, & ne prennent quelque vicieuse impression: aussi
5me semble il, que 1 on pourroit avecques bōne cause conseiller aux
6personnes ia parvenues en aage de cognoissance, de ne s'amuser à lire
7sans iugement toutes sortes de livres fabuleux: de peur que leurs
8entēdemēs ne s'acoustument petit à petit à aymer mensonge, & à se
9paistre de vanité, outre ce que le temps y est mal employé Et pourroit
10à l'aventure ceste raison estre assez valable pour condemner tous escritz
11mensongers, & dont le subiet n'est point veritable, si ce n'estoit que
12l'imbecilité de nostre nature ne peult porter que l'entendement soit
13tous iours tendu à lire matieres graves, & serieuses, non plus que le
14corps ne sçauroit sans intermission durer au travail d'oevres laborieuses.
15Au moyen dequoy il fault aucunesfois, que nostre esprit est troublé
16de mesaventures, ou travaillé & recreu de grave estude, user de quelque
17divertissement, pour le destourner de ses tristes pensées, ou bien de
18quelque refreschissement, pour puis apres le remettre plus alaigre, &
19plus vif à la consideration, ou action des choses d'importance. Et pour
20ce que la propre & naturelle delectation d'un bon entendement est
21tousiours voir, ouyr, & apprendre quelque chose de nouveau, il n'y
22a point de doute, que l'histoire, à cause de la diversité des choses qui
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23y sont comprises, ne soit l'une des lectures que plus on doit chercher,
24& eslire, pour le resiouyr: attendu mesmement que le proffit y est
25conioint avecques le plaisir. Mais toutesfois encores a il semblé à quelques
26hommes de bon iugement, que la verité d'icelle estoit un petit trop
27austere pour suffisamment delecter, à cause qu'elle doit reciter les choses
28nuëment, & simplement, ainsi comme elles sont avenues, & non pas
29en la sorte qu'elles seroient plus plaisantes à lire, ny ainsi comme noz
30courages (qui naturellement se passionnent en lisant, ou voyant les faictz
31& fortunes d'autruy) le souhaitent, & le desirent. Et si ne luy peulton
32donner tant d'ayde par enrichissement de langage, ny par tout artifice
33d'eloquence, qu'elle ayt autant de force à recréer l'entendement de
34celuy qui la lit, comme un conte faict à plaisir expressement pour
35delecter, quand il est subtilement inventé, & ingenieusement deduit.
36Aussi n'est ce le but auquel elle est proprement adressée, ains la fin
37principale pour laquelle elle doit estre escrite, & leuë, est par exemples
38du passé s'insyruyre aux affaire de l'advenir, lá ou ceux, qui pour
39supplier au default de la vraye histoire, en cest endroit inventent &
40mettent par escrit des contes fabuleux en forme d'histoire, ne se proposent
41autre but principal, que la delectation. Mais tout ainsi comme en la
42pourtraicture les tableaux sont estimez les meilleurs, & plaisant plus
43aux yeux à ce cognoissans, qui representent mieux la verité du naturel,
44aussi entre telles fictions celles qui sont les moins esloignées de nature,
45& ou il y a plus de verisimilitude, sont celles qui plaisent le plus à
46ceux qui mesurent leur plaisir à la raison, & qui se delectent avecq'
47iugement. Pource qui suyvāt les preceptes du Poëte Horace, il fault
48que les choses faintes, pour delecter, soyent approchantes des veritables:
49Et si n'est pas besoing que toutes choses y soyent faintes, attendu que
50cela n'est point permis aux Poëtes mesmes. Pourautant que l'artifice
51d'invention Poëtique, comme doctement a escrit Strabon, consiste en
52trois choses. Premierement en histoire, de laquelle la fin est verité.
53A raison dequoy il n'est point loysible aux Poëtes, quand ilz parlent
54des choses qui sont en nature d'en escrire à leur plaisir autrement que
55la verité n'est: pource que cela leur seroit imputé, non à licence ou
56artifice: mais à ignorance. Secondement en ordre, & disposition, dont
57la fin est l'expression & la force d'attraire & retenir le leur. Tiercement
58en la fiction, dont la fin est l'esbahissement, & la delectation, qui procede
59de la nouvelleté des choses estranges, & pleines de merveilles. Par ainsi
60beaucoup moins se doit-on permettre toutes choses es fictions que lon
61veult desguiser du nom d'istoriale verité: ains y fault entrelasser si
62dextrement du vray parmy du faux, en retenant tousiours semblance
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63de verité, & si bien rapporter le tout ensemble, qu'il n'y ayt point
64de discordance du commencement au milieu, ny du milieu à la fin.
65Et au contraire la plus grande partie des livres de ceste sorte, qui
66ont anciennemēt esté escritz en nostre langue, oultre ce qu'il a nulle
67erudition, nulle cognoissance de l'antiquité, ne chose aucune (à brief
68parler) dont on peust tirer quelque utilité, encore sont ilz le plus souvēt
69si mal cousuz & si esloignez de toute vraysemblable apparence, qu'il
70semble que ce soyent plus tost songes de quelque malade resvant en
71fievre chaude, qu'inventions d'aucun homme d'esprit, & de iugement.
72Et pour ce m'est il advis qu'ilz ne sçauroyent avoir la grace ny la
73force de delecter le loysir d'un bon entendement: car ilz ne sont point
74dignes de luy. Et est un certain signe que celuy n'a point de sentiment
75des choses ingenieuses, & gentilles, qui se delecte des lourdes et grossieres.
76Mais tout ainsi qu'entre les exercices du corps, que lon prend par
77esbatement, les plus recommandables sont ceux qui oultre le plaisir
78que lon en reçoit, adressent le corps, enforcissent les membres, & profitent
79à la santé: aussi entre les ieux, & passetemps de l'esprit, les plus loüables
80sont ceux qui oultre la resiouyssance qu'ilz nous apportent, servent
81encore à limer (par maniere de dire) & affiner de plus en plus le iugement,
82de sorte que le plaisir n'est point du tout ocieux. Ce que i'espere que
83lon pourra aucunement trouver en ceste fabuleuse histoire des amours
84de Charciclea, & de Theagenes, en laquelle, oultre l'ingenieuse fiction,
85il y a en quelques lieux de beaux discours tirez de la Philosophie Naturelle,
86& Morale: force dictz notables, & propos sentēcieux: plusieurs belles
87harēgues, ou l'artifice d'eloquēce est tresbien employé, & par tout les
88passions humaines paintes au vif, avec si grande honesteté, que lon
89n'en sçauroit tirer occasion, ou exemple de mal faire. Pource que de
90toutes affections illicites, & mauvaises, il a fait l'yssue malheureuse:
91& au contraire des bonnes, & honnestes, la fin desirable & heureuse.
92Mais sur tout la disposition en est singuliere: car il commence au mylieu
93de son histoire, comme font les Poëtes Heroïques. Ce qui cause de
94prime face un grand esbahissement aux lexteurs, & leur engendre un
95passionné desir d'entendre le commencement: & toutesfois ils les tire
96si bien par l'ingenieuse liaison de son cōte, que lon n'est point resolu
97ce que lon trouve tout au commencement du premier livre iusques
98à ce que lon ait leu la fin du cinquiesme. Et quant on est lá venu,
99encore a lon plus grāde enuie de voir la fin, que lon n'avoit au paravant
100d'en voir le commencement: De sorte que tousiours l'entēdement
101demeure suspendu, iusques à ce que lon vienne à la conclusion, laquelle
102laisse le lecteur satisfaict, de la sorte que le sont ceux, qui à la fin
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103viennent à iouyr d'un bien ardemment desiré, & longuement attendu.
104Toutesfois ie ne me veux pas beaucoup amuser à la recommander:
105pource que (quand tout est dict) ce n'est qu'une fable, à laquelle encore
106default (à mon iugement) l'une des deux perfections requises pour faire
107chose belle, c'est la grandeur, à cause que les contes, mesmement quant
108à la personne de Theagenes, auquel il ne faict executer nulz memorables
109exploitz d'armes, ne me semblent point assez riches, & ne meriteroient
110pas à l'aventure d'estre leuz, si ce n'estoit ou pour divertir quelque
111ennuy, ou pour en avoir puis apres l'entendement plus deliure & mieux
112dispos à faire & à lire autres choses meilleures, suyvāt le precepte
113du Sage, qui dict: Qu'il fault iouër pour faire à bon escient, & non
114pas faire à bon escient pour iouër. C'est à dire: Que lon doit user
115des choses de plaisir, pour estre puis apres plus apte à faire les choses
116d'importance, & nō pas s'embesongner apres une chose qui n'est que
117de plaisir, comme si c'estoit un affaire de consequēce. Ce que ie veux
118employer pour me servir de descharge & d'excuse envers les gents
119d'honneur, ausquelz i'ay voulu donner matiere de resiouyr leurs
120entendementz travaillez d'affaires en lisant ce livre (au moins si tant
121il merite de faveur que de venir en leurs mains) comme i'ay moymesme
122adoulcy le travail d'autres meilleures & plus fructueuses traductions
123en le traduisant par intervalles aux heures extraordinaires. Mais au
124regard de ceux qui sont si parfaictement composez à la vertu, qu'ilz
125ne cognoissent ny ne reçoivent aucun autre plaisir que le devoir, ou
126de ceux qui par une fievre d'austerité intraitable ont le goust si corrōpu,
127qu'ilz ne treuvēt rien bō, & se deplaisent à eux mesmes, si d'aventure
128ilz viennent à reprendre ceste mienne entremise, ie me contenteray
129de leur respondre. Que ce livre n'a iamais esté escrit, ne traduit por
130eux: les uns, pource qu'ilz n'en ont que faire, les autres pource qu'ilz
131ne le valent pas. [...] |
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