Verzameld werk. Deel 4: proza
(1979)–Paul van Ostaijen– Auteursrechtelijk beschermdBesprekingen en beschouwingen
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Le renouveau lyrique en BelgiqueMesdames, Messieurs, Camarades,
A la question: ‘Qu'est-ce que l'Art?’ plusieurs réponses semblent possibles. A l'analyse de ces réponses, Tolstoï a consacré un livre, que j'ai lu à treize ans, c'est-à-dire assez tôt pour n'en pas comprendre le contenu, mais bien l'atmosphère. Cette compréhension m'a d'ailleurs aidé plus tard, par un mécanisme de souvenir tout subjectif, à connaître la distance qu'il faut mettre entre l'adjectif ‘ennuyeux’ et le substantif ‘ennui’. Des personnes qui aiment la critique dite objective prétendent que la riposte du Sar n'est guère supérieure à l'attaque de Tolstoï. Aussi conclut-on aisément: ‘Tout reste à dire à ce sujet.’ Mais non, mais non! Un directeur d'académie de province a déjà formulé à l'usage de ses élèves: ‘Chers amis, l'art est une chose difficile, et, par conséquent, dès ce moment, l'art n'est plus un art.’ En ce qui concerne la littérature, M. Lepic n'a pas sans sagesse résolu le difficile problème que pose le vice de la lecture. Vous vous rappellerez ce passage oò Poil de Carotte souhaite comme cadeau ‘l'Emile, dit-il, par ]ean-]acques Rousseau et le Dictionnaire philosophique par Arouet de Voltaire’ et vous vous rappellerez également le refus de M. Lepic, disant: ‘Poil de Carotte, Rousseau et Voltaire étaient des hommes comme toi et moi, Ecris le Dictionnaire philosophique, après tu le liras.’ Voici que nous descendons, par la littérature générale, de l'art à la poésie. On pourrait y être aussi péremptoire que M. Lepic: ‘Si vous voulez des poèmes, faites-les vous mêmes.’ Ne dites pas: cela est ridicule; en effet, il doit être évident qu'ainsi procèdé le vrai poète: C'est un Monsieur qui écrit lui-même des poésies à sa mesure. Il joue à la fois client et tailleur, étant tailleur précisément parce qu'il est également client. En peutil au surplus si la coupe plaît encore à d'autres personnes? C'est un accident. D'ailleurs ni le tailleur, ni le poète ne relèvent d'une vocation, mais celui-ci a sur celui-là l'avantage - si avantage il y a - d'une nécessité biologique. Le poème est au poète ce que la ruche est aux abeilles. Mais ne l'oublions pas: il y a des ruches artificielles. Si donc, voulant lire des poèmes, - et évidemment vous les lirez à haute voix, puisqu'il s'agit de sons et de sonorités, - vous vous êtes mis à en composer et si même cet exercice est, supposons-le, resté sans résultat positif, vous en emporterez cependant cette connaissance-ci que les poèmes les plus difficiles sont ceux que tout le monde pourrait faire. On réussit assez rarement une poésie comme celle d'Apollinaire qui commence par: ‘Toc, toc, elle est venue frapper à ma porte...’Ga naar voetnoot1 Il n'y a qu'une chose difficile en poésie: trouver et garder l'équilibre dans le facile. Et si je conclus: seul difficile est le facile, j'ai la satisfaction non pas de créer un paradoxe mais bien celle de me retrouver | |
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une fois de plus en face de cette vérité que les mots sont des signes. Ici, je dois cependant faire halte pour dire qu'il n'y a que des demi-vérités. Si les mots sont des signes, il est également vrai que les signes, les phénomènes, sont des mots. Certes: voilà encore une assertion gratuite, direz-vous, mais alors vous oubliez une fois de plus que le mot est le milieu biologique du poète. Précisons. Si je vous dis que le mot ne vaut que par le son, je fais erreur, mais erreur louable, dans l'intention de corriger par l'acceptation de l'axiome que les phénomènes sont des mots, cette autre erreur que les mots sont seulement des signes. Et me voici arrivé par un petit détour à énoncer un premier aspect théorique: la poésie, comme tout autre art, est de la matière sensibilisée. Et sa matière est le mot avec toutes les possibilités de son affectation au subconscient. En ce système tout autre souci que celui de la sensibilisation de la matière est à rejeter, parce qu'il doit être ressenti comme un corps étranger à la poésie. Le souci métaphysique du poète ne peut lui permettre d'employer les mots seulement comme les images des phénomènes; ce souci métaphysique doit entièrement se résoudre dans le mot par l'exactitude du choix de la place, par le choix de ses actions et de ses réactions, par l'assimilation de ses amitiés et le choc de ses inimitiés. C'est le mot et non la phrase dans sa composition intellectuelle qui doit nous révéler le transcendant. Dans son oeuvre le poète ordonne les mots de telle façon qu'ils révèlent la somme subconsciente spécifique qui s'est formée en lui autour d'eux. C'est par la nouveauté, par le surprenant de cette somme que le poète nous touche. Ce n'est point l'intelligence qu'il doit frapper, mais bien, en forçant l'intelligence, le subconscient. Qu'il capte le mot dans sa profondeur! Le mot est une pierre que l'on jette dans un abîme et malgré notre amour exalté pour la vitesse, prenons le temps qui permette à notre oreille intérieure de percevoir ses dernières résonnances sur les parois lointaines. Par la communication de ces résonnances, qui diffèrent de sujet à sujet, les mots s'édifient devant nous: choses scintillantes de nouveauté. D'ailleurs - et j'en parle ici incidemment pour combattre une certaine tendance de la poésie moderne que j'appelle idolâtre - d'ailleurs la vitesse, participant du temps, touche peu à la méditation métaphysique; il y aurait même lieu de lui préférer son inverse, le ralenti, qui tente une action vers le réintégrement des choses dans l'ordre de l'immuable. Tout ce que je viens de développer ne revient-il pas à un système d'exploitation consciente du subconscient? - Entendons-nous: il y a deux tendances poétiques: la poésie subconsciemment inspirée et la poésie consciemment construite, avec cette réserve qu'entre les deux extrêmes glissent tous les degrés intermédiaires. La poésie subconsciemment inspirée résulte d'un état extatique. Une des plus grandes erreurs des historiens de la littérature a été de séparer les productions de l'extase de la littérature proprement dite. Bien au contraire, je considère la poésie extatique comme un aboutissement. La littérature, la parole transmise, forme un pays, je ne dirai pas inexploré, mais exploré d'après des méthodes fausses. Se trompe-t-on encore sur la valeur de Giotto en peinture? Par exagération de la fonction de l'intelligence en poésie, le XVIIe siècle est cependant présenté encore comme le paradigme de la littérature française, - exception faite pour quelques esthètes qui préfèrent la Renaissance. Par | |
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réaction les Dadas, sans doute peu au courant de la littérature mystique, ont fait commencer la littérature à Lautréamont. Je veux exagérer également pour me faire comprendre: la littérature française commence avec Jeanne-Marie Bouvier de la Mothe-Guyon. Tous les manuels seraient à recomposer d'après une valorisation de cet ordre: oui, celui-là est le plus grand qui retient le plus de transcendance dans son oeuvre. Voici que Saint Jean de la Croix devient la figure centrale de la littérature espagnole; les Allemands se mettent à relire enfin leur véritable littérature: Mechtild de Magdebourg, Meister Eckehardt, Jacob Böhme, Tauler et Angelus Silesius. En reprenant maintenant ce que j'ai dit il y a quelques instants au sujet de la double possibilité de la poésie, il est clair qu'aucun poète littérateur ne peut se réclamer de cette poésie subconsciemment inspirée et que, par conséquent, celle-ci doit être considérée comme aboutissement idéal. Il ne nous reste que la poésie consciemment construite, mais cette construction participera du subconscient par la récupération complète de la matière première. Il ne s'agit donc pas de noter les successions de mots que notre subconscience pousse à la surface, comme si à priori le bon Dieu parlait par notre intermédiaire, mais bien de cet acte conscient qui consiste à rechercher les affinités électives des mots; le son et les rapports sensibles et métaphysiques entre le son et le sens constitueront dans cette recherche les guides les meilleurs. Autour du terme ‘étoile’ peuvent tourner cent mille aspects; il s'agit d'en choisir les cinq qui se demandent mutuellement. Comment ne pas appeler cet acte construction consciente au moyen d'éléments que nous devons au subconscient? Peut-on créer volontairement une école mystique? Non certes, mais on peut, sans se proposer cette fin et cependant sans mystification, assez loyalement si j'ose dire, se servir de ses moyens d'extériorisation. Il ne faut pas oublier que dans notre intention un mysticisme dans les phénomènes remplace le mysticisme en Dieu et que, d'autre part, ce dernier s'exprime, chez les auteurs mystiques, surtout par un mysticisme réaliste, haussant les phénomènes par lesquels il se manifeste, à une ambiance visionnaire. Il y a une rencontre dans la mysticité des phénomènes qui nous permet, sans employer ce divin, d'user des moyens d'application subjective dans les rapports des phénomènes et des mots comme seuls l'ont fait les mystiques. D'ailleurs je pourrais être plus bref et vous dire qu'on n'apprend bien les langues germaniques que chez les auteurs mystiques. Pour conclure sur ce point, voici: bien que ne participant pas de l'extase, mais bien au contraire relevant toujours de la littérature volontaire - une fois cette différence située - l'émerveillement devant les possibilités de l'expression comme préoccupation centrale, nous fait rejoindre les mystiques. Parce qu'il supprime l'extase, cet émerveillement porte sa fin en soi. C'est donc de cet état d'émerveillement que partiront nos recherches. Emerveillement: je m'étonne de mon pouvoir de suivre par mon utilisation du mot les phénomènes dans leurs valeurs les plus imperceptibles à la seule intelligence. Par l'émerveillement devant le mot je sauve au cours de son extériorisation mon émerveillement devant le phénomène. Devant la nécessité de l'extériorisation, je revis dans le processus du verbe les aspects actifs du phénomène. Et ce produit se résolvant dans l'évolution du verbe, j'entre rationnellement dans le surréel. C'est une situation saine et cette épithète n'a, cette fois, vraiment rien de péjoratif. | |
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Reprenons encore pour obvier à quelques mal-entendus éventuels: si je parle de recréer le développement du verbe, on pourrait peut-être en conclure que je tente de traduire un acte précis. Rien de plus faux. Je resterais ainsi dans le domaine d'une poésie à sujet. Or, ce que je réclame est un lyrisme à thème, sans sujet. Les apparitions phénoménales disparaissent dans le subconscient, elles s'y pénètrent et s'y modifient. De ce résidu naît mon émotion lyrique, mon thème bien plus que mon sujet lyrique, encore que dans la crainte de devenir spéculatif, je n'ose entièrement désavouer ce dernier. Je tends vers ce lyrisme que j'appelle pur, qui, ayant posé une phrase prémisse et rien que cela, se développe d'une façon dynamique par les répercussions des mots dans le subconscient; celui-ci livrera à la conscience la matière nécessaire à la continuation et à l'achèvement de l'édifice, tandis qu'en retour il sera du devoir de la conscience, de veiller à ce que cette matière reste dans les limites posées par la phrase prémisse. Cette introduction terminée, je vous lirai une Mêlopée dont voici les données: 1o allure générale déterminée par l'intention d'écrire une mélopée; 2o la première phrase - la phrase prémisse - devra, cette fois-ci, être la plus positive de toutes; 3o les phrases suivantes s'en iront de plus en plus dans le vague et j'essaierai d'y atteindre en tirant la phrase prémisse en longueur par l'addition d'un nouveau sujet ou d'un complément indirect; 4o il sera probablement nécessaire de syncoper quelque part pour donner plus de distance, plus de lointain à ce qui suivra. - Voilà donc, rapidement montré dans les détails du point de départ, un exemple de ce que j'appelle une poésie à thème. Nous ne sommes pas loin de l'axiome de Verlaine: ‘De la musique avant toute chose.’ Mais il se peut que je le défende avec une rigueur trop sévère. Maintenant vous comprendrez aisément que, n'ayant aucun sujet à mettre en rage, nul lien ne me rattache à la vieille prosodie: je ne peux pas bien m'imaginer l'emploi que pourrait faire de la prosodie une poésie à thème. Mais bien plus encore que la prosodie, une technique vers-libriste m'embarrasserait dans ce qui m'importe le plus. Pour aimer le vers libre, il faut aimer la liberté; la génération de Verhaeren fut la dernière qui, sur les traces de ceux de 89, eut cet amour. La cadence continue du vers libre me gêne, parce qu'elle ne permet pas aux mots de se déployer en profondeur, de ressortir en durée pure. Le vers libre ne concentre pas les mots vers leur noyau. Si on me dit qu'il faut bien choisir entre les deux hypothèses, prosodie ou vers libre, je répondrai que, évidemment, ma technique appartient au vers libre, mais avec cette différence que le vers libre symboliste existe par sa fuite de la prosodie et que le mien est à la recherche d'une prosodie. En admettant même que le vers libre symboliste soit organique, avouons cependant que des organes ne sont pas dessinés avec fermeté et qu'ils disparaissent sous une idée d'ensemble. Les différentes parties du vers libre symboliste ne vivent pas en eiles-mêmes, n'étant point déterminées d'une façon concentrique. Le vers libre est le divisionisme en poésie. Bien au contraire, je recherche d'abord une indépendance formelle des organes qui, par après, constitueront l'ensemble organique du poème. Que les éléments soient par rapport au tout comme par exemple sont les mains ou les doigts par rapport au corps: complets, mobiles en eux-mêmes et je ressens cette autono- | |
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mie des organes comme le meilleur moyen de sauver dans le conscient la première conquête subconsciente de la vision. Seule me satisfait une construction lyrique formée de parties d'un contour précis et qui ne doivent pas emprunter leur force et leur beauté à l'ensemble. Repoussons une instrumentation dont les parties doivent attendre la fin pour épanouir leur motif, au profit d'une instrumentation progressant logiquement des organes vers l'organisme. Et l'image? Une intruse. Que vient-elle faire avec ses appels à l'intelligence et ses méthodes de sous-offs, divisant la phrase poétique en terme comparé et terme comparatif; que vient-elle faire dans mon vers que je désire organique et s'édifiant par parties égales? L'image est un apport ornemental et je n'ai aucun usage de l'ornement, toutes les parties constructives étant des valeurs égales. Les images me paraissent des microbes qui viennent vicier le sang du poème. Enfin leur emploi ne relève-t-il trop de l'arbitraire individuel? Pour terminer faut-il que je vous avoue mon contentement d'avoir pu parler pour moi seul? Devant moi, qui suis parti du postulat de la communion des efforts, après douze ans, se dessine de plus en plus la nécessité de proposer d'autres expériences si nous voulons créer des aspirations collectives. Aussi je me retire dans une discipline personelle dont le but est de trouver les moyens qui pourraient devenir collectifs. Après Wittenberg, il y a Elseneur. Il y fait bon vivre, un livre ou un crâne à la main. On ne lit plus le livre et on ne regarde plus le crâne, mais on y parle de telle façon que les auditeurs peuvent croire à des paradoxes. De temps à autre on appelle les comédiens du monde extérieur; encore faut-il qu'on leur écrive la pièce qu'ils devront monter. |
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