Charles Péguy
(1919)–Jan van Nijlen– Auteursrecht onbekend
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O belle nuit, nuit au grand manteau, ma fille au manteau
étoilé
Tu me rappelles, à moi-même tu me rappelles ce grand silence
qu'il y avait
Avant que j'eusse ouvert les écluses d'ingratitude.
Et tu m'annonces, à moi-même tu m'annonces ce grand
silence qu'il y aura
Quand je les aurai fermées.
O douce, ô grande, ô sainte, ô belle nuit, peut-être la plus
sainte de mes filles, nuit à la grande robe, à la robe étoilée
Tu me rappelles ce grand silence qu'il y avait dans le monde
Avant le commencement du règne de l'homme.
Tu m'annonces ce grand silence qu'il y aura
Après la fin du règne de l'homme, quand j'aurai repris
mon sceptre.
Et j'y pense quelquefois d'avance, car cet homme fait
vraiment beaucoup de bruit.
Mais surtout, Nuit, tu me rappelles cette nuit.
Et je me la rappellerai éternellement.
La neuvième heure avait sonné. C'était dans le pays de
mon peuple Israël.
Tout était consommé. Cette énorme aventure.
Depuis la sixième heure il y avait eu des ténèbres sur tout
le pays, jusqu'à la neuvième heure.
Tout était consommé. Ne parlons plus de cela. Ça me fait
mal.
Cette incroyable descente de mon fils parmi les hommes.
Chez les hommes.
Pour ce qu'ils en ont fait.
Ces trente ans qu'il fut charpentier chez les hommes.
Ces trois ans qu'il fut une sorte de prédicateur chez les
hommes.
Un prêtre.
Ces trois jours où il fut une victime chez les hommes.
Parmi les hommes.
Ces trois nuits où il fut un mort chez les hommes.
Parmi les hommes morts.
Ces siècles et ces siècles où il est une hostie chez les hommes.
Tout était consommé, cette incroyable aventure
Par laquelle, moi, Dieu, j'ai les bras liés pour mon éternité?
Cette aventure par laquelle mon Fils m'a lié les bras.
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Pour éternellement liant les bras de ma justice, pour éternellement
déliant les bras de ma miséricorde.
Et contre ma justice inventant une justice même.
Une justice d'amour. Une justice d'Espérance. Tout était
consommé.
Ce qu'il fallait. Comme il avait fallu. Comme mes prophètes
l'avaient annoncé. Le voile du temple s'était déchiré en
deux, depuis le haut jusqu'en bas.
La terre avait tremblé; des rochers s'étaient fendus.
Des sépulcres s'étaient ouverts, et plusieurs corps des saints
qui étaient morts étaient ressuscités.
Et environ la neuvième heure mon Fils avait poussé
Le cri qui ne s'effacera point. Tout était consommé. Les
soldats s'en étaient retournés dans leurs casernes.
Riant et plaisantant parce que c'était un service de fini.
Un tour de garde qu'ils ne prendraient plus.
Seul un centenier demeurait, et quelques hommes.
Un tout petit poste pour garder ce gibet sans importance.
La potence où mon Fils pendait.
Seules quelques femmes étaient demeurées.
La Mère était là.
Et peut-être aussi quelques disciples, et encore on n'en
est pas bien sûr.
Or tout homme a le droit d'ensevelir son fils.
Tout homme sur terre, s'il a ce grand malheur
De ne pas être mort avant son fils. Et moi seul, moi
Dieu,
Les bras liés par cette aventure,
Moi seul à cette minute père après tant de pères,
Moi seul je ne pouvais pas ensevelir mon fils.
C'est alors, ô nuit, que tu vins.
O ma fille chère entre toutes et je le Vois encore et je verrai
cela dans mon éternité.
C'est alors ô Nuit que tu vins et dans un grand linceul
tu ensevelis
Le Centenier et ses hommes romains,
La Vierge et les saintes femmes,
Et cette montagne et cette vallée, sur qui le soir descendait,
Et mon peuple d'Israël et les pécheurs et ensemble celui
qui mourait, qui était mort pour eux
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Et les hommes de Joseph d'Arimathée qui déjà s'approchaient
Portant le linceul blanc.
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