rois et des grands, la paix de leurs débiteurs, la paix des populations et des princes, la paix des antisémites. Ils ne demandaient qu'à recommencer. Ils ne demandaient qu'à continuer. Ils ne demandaient qu'à sacrifier Dreyfus pour conjurer l'orage. La grande majorité des Juifs est comme la grande majorité des (autres) électeurs. Elle craint la guerre. Elle craint le trouble. Elle craint l'inquiétude. Elle craint, elle redoute plus que tout peut-être le simple dérangement. Elle aimerait mieux le silence, une tranquillité basse. Si on pouvait s'arranger moyennant un silence entendu, acheter la paix en livrant le bouc, payer de quelque livraison, de quelque trahison, de quelque bassesse une tranquillité précaire. Livrer le sang innocent, elle sait ce que c'est. En temps de paix elle craint la guerre. Elle a peur des coups. Elle a peur des affaires. Elle est forcée à sa propre grandeur. Elle n'est conduite à ses grands destins douloureux que forcée par une poignée de factieux, une minorité agissante, une bande d'énergumènes et de fanatiques, une bande de forcenés, groupés autour de quelques têtes qui sont très précisément les prophètes d'Israël. Israël a fourni des prophètes innombrables, des héros, des martyrs, des guerriers sans nombre. Mais enfin, en temps ordinaire, le peuple d'Israël est comme tous les peuples, il ne demande qu'à ne pas entrer dans un temps extraordinaire. Quand il est dans une période, il est comme tous les peuples, il ne demande qu'à ne pas entrer dans une époque. Quand il est dans une période, il ne demande qu'à ne pas entrer dans une crise. Quand il est dans une bonne plaine, bien grasse, où coulent les ruisseaux de lait et de
miel, il ne demande qu'à ne pas remonter sur la montagne, cette montagne fût-elle la montagne de Moïse. Israël a fourni des prophètes innombrables; plus que cela elle est elle-même prophète, elle est ellemême la race prophétique. Tout entière, en un seul corps, un seul prophète. Mais enfin elle ne demande que ceci: c'est de ne pas donner matière aux prophètes à s'exercer. Elle sait ce que ça coûte. Instinctivement, historiquement, organiquement pour ainsi dire elle sait ce que ça coûte. Sa mémoire, son instinct, son organisme même, son corps temporel, son histoire, toute sa mémoire le lui disent. Toute sa mémoire en est pleine. Vingt, quarante, cinquante siècles d'épreuves le lui disent. Des guerres sans nombre, des meurtres, des déserts, des prises de ville, des exils, des guerres étrangères,