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[december 1868
La prière de l'Athée]
Waarschijnlijk eind december 1868
Zonder jaartal en zonder naam van de vertaler, Herman van Duyse, verschijnt te Gent een vertaling in franse alexandrijnen van Multatuli's Gebed van den onwetende. (U.B. Amsterdam; fotokopie M.M.)
Blijkens zijn reactie heeft Multatuli hiervan in februari 1869 een exemplaar ontvangen; zie zijn brief aan Van Duyse, d.d. 18 februari 1869. Zijn opmerking over de taalfout is juist; in vs. 16 leze men: nommez.
LA PRIÈRE DE L'ATHÉE
TRADUIT DU HOLLANDAIS DE MULTATULI
prohibé en france
Prix 20 centimes
E. Vandermeulen,
Office de publicité gantois.
Passage Vanderdonck.
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La prière de l'athée.
J'ignore si nos pas vers un but sont portés
Ou s'en vont au hasard; - si des divinités
Assises au-dessus de nous dans les nuées
Poursuivent nos douleurs de sinistres huées
Et raillent les efforts de notre être incomplet;
Chaque fois que le corps subit des défaillances,
Chaque fois que l'esprit des mortelles souffrances
Sent l'éternel fardeau l'écraser - Ce serait
Horrible... Sur qui donc rejeter l'anathème
De ce que le malade est languissant et blême,
Le faible sans vigueur et le fou sans raison?
Si nous sommes créés pour un but inflexible
Et si l'imperfection rend notre effort risible,
Qui donc en accuser? - Puis, quelle liaison,
Entre le créateur qui fût toujours et l'homme
Qui n'est que d'hier. Ce Dieu, nommé le Jéhovah,
Baâl, Jupiter, Zéus ou Jaò, c'est tout comme:
Il n'est qu'un spectre vain, un imprudent fantôme
Né d'un cerveau malade ou qu'un fourbe rêva,
S'il n'est bon, s'il n'est juste et s'il ne nous pardonne
De l'avoir méconnu. N'était-ce pas à lui
De se montrer à nous? Pourtant jusqu'aujourd'hui
Jamais il ne l'a fait. Jusqu'aujourd'hui, personne
N'a pu le contempler et s'il se faisait voir,
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Serait-ce aux élus seuls qu'il voudrait apparaître?
- Il voudrait se montrer au dernier des mortels
De sorte que plus un, conspuant ses autels
Quand on lui disait ‘Dieu’ ne répondrait ‘Peut-être’
Ce que d'autres ont su de cet être divin
Cela m'importe peu, je ne le puis comprendre
Et n'en veux rien savoir. - Je me demande en vain
A quoi leur sert la foi si ce n'est à la vendre?
D'où cette foi leur vient? Je demande pourquoi
Leur Verbe revélé reste un secret pour moi.
Serait-il donc des fils préférés par le Père?
- Tant que peut l'ignorer un enfant de la terre,
Affirmer un tel Dieu c'est le calomnier.
Faut-il blâmer l'enfant dont la vaine prière
Jette au coeur paternel un lamentable accent,
Où le père cruel qui rebute sa plainte!
Non le père coupable, en le méconnaissant,
De la paternité foule aux pieds la loi sainte,
Et mieux encor vaut dire: ‘Un père, il n'en est pas!’
Que croire: ‘Son enfant il le peut méconnaître.’
Un jour nous en saurons plus long, un jour peut-être
Nous verrons que son oeil a suivi tous nos pas,
Qu'il est, que son silence avait sa raison d'être.
Alors il sera temps d'exalter sa grandeur,
Mais aujourd'hui... Non pas... Il verrait avec peine
Ce culte à l'inconnu... Ce serait chose vaine,
Que vouloir promener un flambeau sans lueur
Dans l'éternelle nuit de la lourde ignorance.
Le servir... C'est folie et tout encens l'offense.
S'il voulait des autels, il vous eût révélé
Comment il les voulait. Jamais il n'a parlé
De ce culte et de plus il serait illogique,
Qu'il attendit de nous sacrifice et cantique.
De quel droit quand lui-même a gardé ses secrets,
Veut-il que nous puissions observer les decrets
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Qu'il voile à nos regards? Que sur lui seul retombent
Les doutes écoeurants où nos forces succombent.
Jusqu'à ce que le jour ait dessillé nos yeux,
Rien ne sépare donc le juste de l'injuste?
Je ne puis entrevoir à quoi servent des dieux,
Pour distinguer du haut de leur demeure auguste
Le bien du mal. Pour moi, celui dont la vertu
A pour secret mobile un céleste héritage,
Fait du bien un marché froidement débattu
Et transforme ce bien en monstrueux chantage;
Celui qui fuit le mal par crainte du Seigneur
Trouve encor moins d'excuse à sa lâche terreur.
Je ne te connais pas, o Dieu! Cherchant ta voie
Longtemps j'ai supplié; tu me laissas en proie
Au doute, à la douleur, et tu restas muet.
J'aurais voulu pourtant à ton culte fidèle
Me soumettre, obéir, non pas comme un sujet
Aux ordres d'un tyran, par crainte ou par espoir,
Mais comme un fils soumis à la voix paternelle
Supporte avec amour la règle du devoir.
Mais tu demeures sourd à la voix qui t'appelle,
Tu ne t'es pas fait voir au regard anxieux
Que j'attache sans cesse à la voûte des cieux.
Et j'erre et je te cherche et tout mon être aspire
A l'heure où je pourrai te comprendre et savoir
Si tu n'es qu'un vain mot; où je pourrai te dire:
- Pourquoi, Père, as-tu donc si longtemps rejeté
Ton enfant, loin de toi, dans sa morne anxiété,
Alors que poursuivant seul sa route fatale,
Son âme succombait dans la lutte inégale
Pour le droit, la justice et la fraternité.
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- Père, n'as-tu pas craint qu'il te devint rebelle?
Etais-tu bien certain qu'ignorant de ta loi,
Il n'aurait d'autre amour et d'autre fin que toi,
Et qu'il te servirait toujours avec le zèle
Que tu lui demandais? - Auraient-ils donc raison?...
- Père, écoute ma voix, d'un rayon de ta flamme
De mon sombre destin éclaircis l'horizon
Réponds à mes sanglots! Regarde, vois mon âme,
Triste jusqu'à la mort. - C'est l'appel d'un banni
La voix de ton enfant qu'un injuste arrêt froisse.
Père, seras-tu sourd au cri de son angoisse,
Cri funèbre et sanglant... lama Sabactani!
Ne trouvant nul écho sous la voûte azurée,
Ainsi pleure et gémit l'ignorant sur la croix
Qu'il s'est choisi lui-même et sa mourante voix
Expire comme un râle en sa gorge altérée.
Le sage lui qui sait tous les secrets du ciel,
Se rit de l'insensé qu'il abreuve de fiel.
- ‘Peuple, écoutez le fourbe, il appelle son père!’
Puis les lèvres encore tremblantes de colère,
- ‘Je te bénis, Seigneur, de n'être pas ainsi
Que celui dont le cri te blasphème. Merci.’
Et le coeur frémissant, il entonne un cantique:
- ‘Heureux qui du pécheur fuit l'exemple affligeant
Loin du sentier maudit que le méchant pratique.’
Puis il court à la bourse amasser de l'argent.
Dieu!... Il n'est pas de Dieu!
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