Mlle. J. Krüseman. Passaroean.
Bruxelles 15 Mai 1867.
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Il me semble que vous commencez à mener joyeuse vie.............. et que réellement aucune de vous n'a plus raison de regretter nos pauvres pays de glace où tout est luxe et brille à la surface, et misère et souffrance au fond. L'hiver nous a quitté dit-on, mais il fait si froid encore qu'on grelotte à l'ombre de quelques maigres feuilles et que le vent se moque de vous en tournant votre parapluie ou en emportant votre chapeau à plumes, qui danse et saute à dix pas devant vous tout le long des boulevards, au grand amusement de ceux qui vous voyent courir nue-tête, et tiennent leur trésor à eux en équilibre entre deux pouces et deux index!
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Le mien est ainsi, c'est flatteur quand on est pâle.
Presque deux pages sur une chapeau! Est-ce qu'on ne dirait pas que je suis la plus grande coquette du monde? On le dit. Cependant je ne vois personne et je ne veux voir personne, car je trouve qu l'on n'a que des désagréments des gens qu'on connait. Je n'aime le monde qu'à distance, il est si beau alors!
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Je crois que j'ai gagné mon procès, et que nous resterons à Bruxelles. Nous irons passer une partie de l'été (si été il y aura!) en Hollande, et nous reviendrons après reprendre nos quartiers d'hiver, et nous renfermer encore jusqu'à l'année prochaine. Il y a tant de changements dans notre vie! Papa ne sort jamais, et moi je ne veux voir personne. Aussi mes deux connaissances et demie m'appellent-elles ‘la recluse’, tandis que moi je trouve quelques fois que j'ai encore deux connaissances et demie de trop.
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Mina.