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[Rognures]
L'effet du sens poétique étant principalement l'exagération, tous les maux s'agrandirent autour de moi et tous les biens se révélèrent par des émotions si vives, qu'elles ressemblaient à la douleur.
C. Sand, Lélia, tome II.
Qu'est-ce que la douleur corporelle, la douleur de la matière? Une affection, un chatouillement trop vif des nerfs. On trouve du plaisir à se frotter la jambe, mais si on se la frotte trop fortement ou d'une façon trop vigoureuse on se fait mal, parce que les nerfs senseurs sont trop vivement irrités. L'âme est faite pareillement; elle se dilate aux coups peu sensibles, aux secousses peu rudes, mais elle se sentira blessée par un choc trop soudain. Lorsque l'âme ou le corps est aiguillonné plus vivement qu'il ne peut souffrir, l'homme éprouve ce qu'on nomme douleur, et c'est pourquoi la joie pleure comme elle.
Si l'on en croyait les femmes, celles-ci jugeraient mieux de la beauté des hommes, les hommes mieux de la beauté des femmes. Cela n'est vrai qu'en partie. Vrai, lorsqu'il s'agit de la beauté corporelle, de la beauté qui aiguillonne les sens et enflamme les désirs; faux, lorsqu'elles veulent faire entendre par là qu'elles savent mieux apprécier dans les hommes que les hommnes eux-mêmes, si la beauté masculine approche plus ou moins de ce type du | |
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beau que loule créature contemple dans les cieux de l'art et où cette vie n'atteint pas. L'homme seul peut juger de cette espèce de beauté chez les hommes, car le jugement d'une femme ne saurait jamais être calme, ses nerfs sont trop irritables et son esprit sujet à trop de fluctuations, d'ailleurs elle est cause et partie; et l'homme juge mieux en même temps de cette espèce de beauté chez les femmes que les femmes elles-mêmes, parce que, loin de s'arrêter aux misères matérielles qu'enfantent les passions, l'égoïsme et la manière presque toujours étroite de voir de la femme, - leur intelligence supérieure et plus austère élève tout de suite leur pensée où celle de la femme ne parvient jamais.
L'ambition c'est la gloire d'avoir atteint un but qui recule toujours. La vraie gloire c'est l'ambition d'atteindre un but moral. La vraie gloire ce n'est pas une tête que parent quelques lauriers sanglants, un nom qui fait frémir, un lit d'angoisse où les remords, furies qui font mourir deux fois, évoquent des ombres vengeresses; - c'est un chemin jonché de fleurs par un peuple reconnaissant devant les pas de son bienfaiteur, c'est un nom que bénissent les accords de la lyre. L'ambition c'est l'impossible, tandis que la gloire est une manne qui descend du ciel et sa passion une de ces forces nobles et grandes que, pour accomplir ses volontés, Dieu a mises en l'homme.
1832.
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M. Arnold da Costa vient de publier un volume de contes hollandais, sous le titre de: Abraham Pinedo, docteur d'Amsterdam.
M. da Costa a beaucoup d'esprit. Il veut se donner la peine d'être véridique, d'instruire les Français et de leur faire enfin ouvrir les yeux. Il leur dit que les Hollandais ne sont pas tout-à-fait aussi peu courageux que ses compatriotes le supposent et que la vie à Amsterdam ne diffère pas autant de la vie à Paris qu'on le pense communément; il se moque fort de ce qu'on n'a jamais voulu considérer les Hollandais que sous le seul point de vue, essentiel sans doute! de la propreté, et me paraît avoir saisi parfaitement le caractère et l'esprit commercial et artistique d'Amsterdam.
Je crois que pour bien apprécier la nation hollandaise de Helmers, il faut la considérer comme une pièce de circonstance, écrite pour consoler et soulager le peuple gémissant sous la politique de l'Empereur, en lui retraçant les hauts-faits de ses pères et en lui | |
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prédisant un avenir plus serein. Tous les défauts du poème, ses mots boursoufflés, sa redondance, ses métaphores hyperboliques, son dédain des nations voisines, son engouement patriotique, s'expliqueront. Encore faudra-t-il convenir qu'il fut de la couleur de l'époque, grandiose, doré, couvert d'oripeaux classiques, auxquels toujours
Purpureus late qui splendeat, unus et alter
car le plan de la nation hollandaise n'est qu'un tissu de brillants épisodes.
1835.
Il ne serait pas sans intérêt de faire sentir la ressemblance qui existe entre l'histoire de la Grèce et l'histoire de la Hollande. Dans les deux pays les arts avaient été cultivés avec succès, lorsque éclata en Grèce la guerre Persique, en Hollande la guerre de quatre-vingts ans. La mauvaise fortune, la misère, la détresse, furent à leur comble, et le courage le plus exalté et la vertu civique la plus admirable purent seuls vaincre la tyrannie et conquérir la liberté. Après ces temps désastreux où la lyre resta muette, où le ciseau dormit, où le pinceau sécha sur la palette abandonnée, l'art refleurit plus abondamment que jamais; ses parfums furent plus doux, ses feuilles plus fraîches, ses fleurs plus colorées. Alors, dans les deux républiques, se trouva répandu sur les arts un tel contentement, une telle vigueur, une telle ardeur de liberté; on ressentit dans les deux | |
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pays une telle soif de tout ce qui est véritablement grand et beau, qu'il ne faut pas s'étonner si l'art grec n'ait pu se soutenir longtemps à cette hauteur et qu'il est très remarquable qu'en Hollande le dix-neuvième siècle ait apporté pour la pensée des formules si nouvelles, si élevées et si pures.
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Que deux ennemis mortels se rencontrent loin de la patrie, c'est le seul moyen de les réconcilier. Car la haine s'éteint sur la terre étrangère.
De deux ennemis le plus dangereux est celui qui a tort.
Un album est un livre sacré du coeur, un compagnon le long de cette vie, une consolation dans nos vieux jours, et puis c'est un ami qui ne meurt jamais avant nous.
L'homme ne semble complet que parce qu'il ignore ce qui lui manque
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On se plaint que tout est épuisé. Folie!
Nil intentatum nostri liquere poetae,
disait déja le vieil Horace; et que n'a-t-on pas fait depuis lui! D'ailleurs
. . ce champ ne se peut tellement moissonner,
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
Les anciens avaient aussi leur rime, mais c'était une rime de quantité. Ils avaient une rime de temps, nous avons une rime de son.
Chez les anciens le théâtre était une école, pour nous c'est un amusement. Nous jouons la tragédie, les anciens la montraient; Docebant tragoediam veteres. Le Romain mourant eût dit:
- Docla fabula est.
Rabelais disait:
- La farce est jouée!
Quelqu'un a dit: le papier souffre tout. Nous ajoutons: et avant tout le papier à lettres, égoût immense où s'entasse toute l'ordure des fautes de langue et des écarts de style, puits profond où se balaient genre tragique et burlesque, drame et élégie, extraits de la Cui- | |
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sinière bourgeoise, réflexions graves, vers inédits, questions profondes.
1833.
O vous qui sans talent dérobez la plume aux Muses, je vous plains. Jadis, grâce aux anciens, vous pouviez briller encore d'un éclat éphémère, mais c'en est fait de vous à présent; car à présent on ne s'appuye plus aveuglément sur les vieilles règles, ponts-d'àne élevés sur des moeurs qui ne sont pas les nôtres, comme un perclus sur sa béquille; car à présent les règles littéraires ne sont plus une ornière où l'on se traîne, mais un flambeau qui éclaire et qu'on voit de loin et de partout. C'est la colonne de feu qui guide vers la vérité.
1831.
Les plagiaires sont comme les nuages dans la tourmente qui s'amassent devant le soleil. Ils sont noirs et hideux et répandent leur laideur sur toute la nature; mais le noble génie dont ils éteignent l'éclat n'hésite pas à dorer leurs bords. Il ne connaît pas la vengeance, car il darde malgré eux et ne compte pas ses rayons.
Les grands écrivains sont comme le soleil qui ne cesse jamais de se lever toujours quelque part, - chez | |
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quelque peuple nouveau, dans quelque intelligence nouvelle.
La liberté de l'homme est comme celle de l'oiseau sur la béquille qui ne vole pas plus loin que son fil, c'est à dire que la volonté du Maître.
Pour obtenir certains résultats ne faites agir que certains principes.
L'homme quitte la vie comme une jeune mariée la maison paternelle: malgré le plus radieux avenir qui l'attend, elle ne s'en sépare jamais sans les plus vifs regrets.
On ne saurait trop se mettre en garde contre une éducation qui étayerait toujours une action louable avec une récompense.
Miracle! Traité, armistice, entre la raison et l'autorité. Ou bien encore c'est un des pis-aller de l'intelligence humaine.
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Rien ne serait plus insipide que la Perfection. Il ne faudrait plus qu'elle ici-bas pour achever le désespoir du monde.
Les pensées que l'on garde sur le coeur s'y corrompent comme certaines eaux stagnantes.
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