Prose et vers
(1838)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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L'homme sur qui le ciel mit l'astre du génie
Est sensible aux doux sons de la molle harmonie,
Qui, tel que la vapeur s'exhale de l'Etna,
Montent du larghetto que Beethoven rêva.
Ou si l'ardent pinceau baise amoureux sa toile,
L'un n'aura de regards que pour les beaux contours,
La grâce de la ligne et les longs plis du voile
Qui descend gravement, pareil à du velours,
Jusques sur les pieds nus de la chaste Madonne;
L'autre n'adorera que l'éclat, la couleur,
Son, crescendo, piano, dans l'art de Rubens, qu'on ne
Ternira pas comme une tendre fleur
Que salit en avril l'araignée ou la pluie:
Les noces de Cana le verront à genoux,
Il oublîra le monde et l'orgueil et la vie,
Il oublîra l'amour en des instants si doux;
Des couleurs le mystère ineffable l'embrase,
Et son âme se plonge en des torrents d'extase.
Ou bien encore si le sort dans sa faveur
L'a béni de ses dons et l'a créé poète,
De l'esprit et des cieux vénérable interpréte,
Il ira courtiser la pensée en sa fleur;
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Dans un rhythme profond son oreille sans cesse
Entend couler, bondir, murmurer, se heurter;
S'écrier de plaisir ou gémir de détresse,
La pensée échappée en son heure d'ivresse,
Forme qu'on ne voit pas et qu'on sent exister.
Mais mon âme jamais n'a compris ni la flamme
Qui brille au front sacré d'Homère et de Mozart,
D'Horace, de Paul Véronèze, rois de l'art,
Ni celle de celui d'Urbin aux mains de femme;
Car mon âme est en deuil, d'elle qu'on ait pitié!
- Oh! que n'ai-je, Seigneur, toujours vers toi crié! -
Mon âme ne sait rien qu'embraser une autre âme,
Et s'embraser elle-même à son tour
Du feu de l'amitié qu'allume un saint amour!
Mai 1837.
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