Prose et vers
(1838)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Aernout Drost, mourut à Amsterdam le 5 Novembre 1834, à la fleur de son âge. Si des moeurs simples et pures, des qualités aimables, un talent noble et élevé, des connaissances solides, un esprit cultivé, font aimer la vie, attachent à la terre, répandent sur l'homme le contentement et le bonheur du sage, Drost n'eût pas tardé à cueillir à pleines mains les beaux fruits de toutes ces fleurs qui répandaient leurs parfums le long de sa route paisible. Mais il a dû en être autrement, et une lente pulmonie est venue consumer cet homme précieux sur qui se fixaient les regards de la jeune littérature hollandaise. Toutefois s'il ne lui a pas été accordé de voir s'accomplir les grands projets qu'il méditait pour notre langue et les transformations que son goût se proposait de faire subir au roman; si ses illusions, ses rêves de gloire ont été impitoyablement fauchés dans leur printemps, alors que sa main et son esprit étaient prêts à les réaliser, le ciel en échange ne lui a retenu aucun des bonheurs qui font de la vie qui prend son vol une jouissance continuelle, une ivresse de toutes les heures. Né dans l'ai sance, il avait coulé ses jours au sein des études et de la maison paternelle, autour de lui s'était formé peu à peu un cercle étroit d'amis, jeunes poètes la plupart, | |
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parmi lesquels on distinguait Potgieter et Heye; Potgieter, écrivai infatigable et modeste, qui recueille avec tant de succès l'héritage imparfait de son confrère; Heye, dont la lyre rivale parfois du chantre de Vaucluse, nous émeut par ses touchants accords et sait faire vibrer dans notre langue sévère les molles mélodies de la langue du Tasse; - son nom commençait à percer avec éclat, une jeune fille allait combler ses voeux, la chaire protestante s'ouvrait pour lui, et voilà qu'au milieu de la fête de sa vie la tombe s'ouvre sous ses pas, tranche ses rêves les plus doux, fausse ses plus belles promesses, étouffe la pensée dans cette tête savante, nous ravit ce style de crystal, cette critique éclairée, ce goût exquis, cette diction chaste, élégante, limpide. Ce qui nous reste de lui, c'est d'abord un roman: Hermingarde, divers morceaux de critique, des poésies insérées dans nos recueils mensuels et plusieurs contes qui font l'ornement de plusieurs de nos annuals. Après sa mort, ses amis s'empressèrent de rassembler la meilleure partie de ces débris épars, la réunirent à un roman encore inédit, la peste de Catwick, et públièrent tout cela sous le titre de Contes et croquis. Drost est venu combler un vide dans l'art hollandais, remplir un besoin de notre époque. Il voulait régénérer le roman et la prose familière. Le roman, il faut bien l'avouer, n'a jamais été cultivé parmi nous avec beaucoup de succès, et ceux d'Adrien LoosjesGa naar voetnoot*), ainsi que les romans qu'Agathe Deken a composés | |
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avec son amie Wolff née BeckerGa naar voetnoot*), ne marchent plus avec l'esprit du siècle, ils s'oublient; et si notre style poétique et notre style oratoire ont atteint la perfection du genre grâce aux Bilderdyk et aux van der Palm, le style de la vie privée, le style de la conversation, le style d'intérieur, se trouvait encore dans un état déplorable, se jetant tantôt dans l'enflure et la pédanterie, tantôt rampant au niveau du langage barbare dont nous nous obstinons à nous servir. L'école flamande du style manquait. Drost l'avait senti, tous ses efforts tendaient à détruire les obstacles qui fermaient à la Hollande les abords du roman, et il croyait y parvenir en revêtant une intrigue simple, touchante, historique, d'un style gracieux, pur, noble, pas trop rude, sans apprêt comme sans prétention, louvoyant entre les écueils de la redondance et ceux de la trivialité, et s'élevant avec autant de facilité à la pompe de la description et aux mouvements les plus exaltés du drame, que redescendant vers la conversation journalière et pénétrant dans les détails les plus intimes du ménage. Et ce style qu'il avait rêvé si longtemps, il l'avait trou- | |
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vé; il avait triomphé de toutes les pruderies, de la raideur, des vieilles coutumes routinières et invétérées, de toute la sauvagerie intraitable du Hollandais, et il en aurait fait une langue agile, légère, spirituelle, prête à subir toutes les formes; il avait trouvé sa manière à lui, économe, sobre, châtiée, bien que procédant d'une façon un peu décousue de phrase á phrase; dans sa tête s'étaient amassés tous ces trésors d'histoire qu'il savait exhumer avec tant de discernement de la poudre de nos chroniques, cette connaissance étonnante d'antiquités indigènes, dont il était si amoureux; la source abondante allait couler!.... La source est tarie. N'en murmurons point, car c'est Dieu qui a frappé le coup! Résignons-nous et pleurons, car il est permis de pleurer à qui se résigne. Drost était un artiste éminemment simple et modeste, il se cachait volontiers à la multitude, il a dû longtemps douter de lui-même; il aimait la belle nature et par dessus tout ces charmants alentours de Harlem tout parfumés de fleurs et où la brise des mers souffle si fraîchement à travers les dunes jaunâtres dans les tièdes soirées d'été; religieux avant de se rendre compte de sa foi, il s'y entretenaît avec son créateur et avec les oeuvres de son créateur, et amassait en silence pour l'avenir tous ces matériaux, toutes ces conceptions, qui ne nous seront jamais révélés. Dire que les portraits de van der Palm, de Walter Scott, de Bilderdyk, et de Lamartine étaient ses dieux domestiques, cela vaut un éloge.
Novembre 1836. |
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