Opuscules de jeunesse. Deel 1
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Je ne prétends pas défendre M. Victor Hugo, mais il est évident que la mauvaise foi dirige la plume de Mrs Trollope dans le chapitre qu'elle lui consacre dans son livre sur Paris et les ParisiensGa naar voetnoot1). Elle se laisse guider par des ouï-dire. C'est ainsi qu'il lui est arrivé de demander ce que l'on pensait de telle ou telle des pièces de M. Hugo, et la réponse qu'on lui a faite a toujours été: je vous assure que je n'en sais rien, je ne l'ai jamais vu jouer. Pauvres gens auxquels elle s'est adressée, qui n'avaient jamais assisté à une seule des cinquante-trois représentations d'Hernani qu'on va reprendre! Ensuite une personne lui a dit un jour... Le roman de Notre-Dame de Paris est toujours cité comme le meilleur ouvrage de Victor Hugo, mais dans des cercles elle l'a entendu tourner en ridicule; etc. Puis elle n'examine que la partie la moins triomphale, la partie la plus discutable des productions de M. Victor Hugo et fond sur elles, non du côté de l'art, mais du côté de la morale. Elle applique en passant un soufflet | |
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sacrilège sur la joue de Notre-Dame de Paris et se jette après ce haut fait sur les drames et de préférence sur le Roi s'amuse qu'elle a pris plus particulièrement en grippe et qu'elle persiffle à outrance - le persifflage! Fi donc, Mrs Trollope, quand on juge un auteur sérieux! - mais en même temps elle glisse sur quelques pièces lyriques, quelques morceaux de poésie légère qu'on dit écrits avec beaucoup de pureté et de goût et qu'elle avoue ne pas connaître; elle dénature le type charmant de la Esméralda; elle oublie de parler des Orientales et des Feuilles d'automne; elle se refuse à avouer que pour chanter Napoléon M. Victor Hugo a trouvé avec Béranger les accents les plus retentissants et les plus énergiques, et elle se garde bien, en opposant ses créations féminines à celles de Shakespeare, de nommer dona Sol, Ethel, Juana du dernier jour d'un condamné, et de signaler ces gracieuses et originales figures, la Captive, Sara, Lazzara, la fille d'Otaïti, qui glissent d'un pas si léger dans les chemins de sa poésie. Pourtant cela n'aurait été que juste; quand on dit tout le mal, on est tenu de dire tout le bien. Mais je crois comprendre ce qui a si fort emporté Mrs Trollope. Un critique anglais a eu la maladresse de dire que M. Victor Hugo a soulevé le terrain sous les pieds de Racine. Cette sottise a fàché la voyageuse, et le poète doit pâtir des étourderies de son prôneur, quoique à la rigueur îl ne semblerait pas responsable de tout ce qui se débite sur son compte. Mrs Trollope paraît d'un avis contraire. Je ne crois | |
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pas, dit-elle, que, dans tout ce qu'il a écrit, on rencontre une seule pensée honnête, innocente et sainte. Le péché est la muse qu'il invoque. Il voudrait arracher les roses du front de l'innocence pour y coller l'ulcèreGa naar voetnoot1); l'horreur accompagne ses pas, des milliers de monstres lui servent de cortège et lui fournissent les originaux des portraits dégoûtants qu'il passe sa vie à tracer. La colère me prend, dit-elle en terminant, ou tout bonnement: je me fâche (I get angry) de ne pouvoir exprimer par des paroles tout ce que ce sujet m'inspire. Ah! que je voudrais, ne fùt-ce que pour une heure, posséder la plume qui traça la Dunciade; je m'en servirais de grand coeur, et je finirais en disant: Rentre dans le néant dont je t'ai fait sortir! Comme si c'était Mrs Trollope qui a fait sortir M. Victor Hugo du néant! Malheureusement pour elle il n'en est pas ainsi, et nous la surprenons en flagrant délit de vanterie. Mais trève à ce badinage, car je doute qu'il soit du goût de notre pudique tourist qui s'échaufferait encore davantage, et nous venons de voir que ce n'est pas un spectacle bien attrayant qu'une femme qui s'irrite, qui montre les poings et dont l'emportement trouve la langue en défaut. On sent bien que c'est moins pour prendre la défense de M. Victor Hugo contre les sorties un peu ridicules de Mrs Trollope que je viens de tracer ce peu de lignes, | |
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mais j'ai voulu faire voir qu'une prévention affligeante et la volonté manifeste de trouver mauvais ont dirigé la plume de la voyageuse anglaise. Je déplore que Mrs Trollope se laisse entraîner ainsi par ses antipathies littéraires, et que, sans égard pour son sexe, elle se rue d'une façon aussi inconvenante et malhonnête sur un homme qu'elle ne connaît qu'incomplètement et qui, pour le moins, offre une des physionomies les plus originales du siècle. J'aime à la suivre, lorsqu'elle m'introduit dans les salons de la capitale, qu'elle me rappelle par des traits si délicats et si vrais le talent enchanteur de la première comédienne de la France, qu'elle me trace le portrait de Madame Récamier au milieu de son petit cercle intime de célébrités qui l'entoure, mais lorsqu'elle s'en prend à l'auteur des Feuilles d'automne, que sa fureur aux abois manque à peu près d'haleine et d'imprécations et qu'en des transports de rage elle voudrait écraser son ennemi sous ses pieds pour le refouler dans le néant, elle me fait mal, car elle salit sa plume et trahit les qualités de son sexe.
1836. |