Opuscules de jeunesse. Deel 1
(1848)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
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Il est des écrivains éprouvés, mais infatigables, que la résistance enhardit, que l'obstacle aiguillonne; il en est d'autres qui subissent volontairement l'obscurité passagère de leur nom, sachant que, à l'heure qu'ils voudront, la célébrité, le triomphe les attendent; il en est d'autres encore que la seule puissance de leur volonté met au haut bout de la table, qui, généraux sans avoir passé par les rangs inférieurs de l'armée, conquièrent de plein saut la position que d'autres ne prennent que par tâtonnements. Mais il en est aussi qui, plus légers et plus promptement hors d'haleine, ne font pas de la | |
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poésie et de l'art le refuge unique de leur pensée, le centre de leur existence, le phare de leur océan; excellents compagnons pour la plupart, d'une imagination assez fleurie, d'une plume assez facile, d'un coeur assez sensible, d'un jugement assez net. Toujours jeunes, souvent fantasques, tour-à-tour enjoués et abattus, ces esprits livrent inconsidérément leur pensée et leur âme au caprice du premier vent qui les emporte. Les images qui leur viennent la nuit dans le sommeil et le matin dans l'aurore; les impressions qu'ils reçoivent l'été dans leurs courses, qu'ils amassent l'hiver dans leurs salons; les rêveries que leur apportent les soupirs des poètes, la brise du soir, le parfum des fleurs, les regards des jeunes filles, ils coulent tout cela en prose ou en vers, puis bien souvent ils oublient de fermer leur portefeuille, humble et charmant colombier, et voilà que les oiseaux prennent leur joyeuse volée! Il me semble que je suis un peu du nombre de ces derniers, et depuis quatre ans je m'amusais dans les jardins de l'art, semant derrière moi quelques minces bouquets, quelques fleurs éphémères, lorsque à de rares intervalles je me surprenais à songer que | |
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le temps était peut-être venu de donner à mes aptitudes une direction plus sérieuse et j'écrivis la lettre suivante:
A M. f. buloz, directeur de la Revue de Paris et de la Revue des deux mondes.
Monsieur,
Souffrez qu'un auteur hollandais se donne l'avantage de s'entretenir quelques moments avec vous. Ma patrie offre le phénomène curieux d'un pays qui conserve encore, avec de brillants souvenirs, une physionomie, c'est-à-dire, des moeurs, des habitudes, une littérature à elle, mais qui se tient et s'obstine - car c'est un peu cela - à se tenir à l'écart au milieu de cette fusion des esprits, de ce cosmopolitisme universel dont Paris est le centre. Aussi se résignerait-elle volontiers à rester oubliée, vivant à jamais inconnue et cachée derrière la Belgique, si, maintenant qu'on commence à se soucier un peu d'elle, elle ne jugeait de son devoir de concourir de tous ses efforts à être mieux appréciée qu'elle ne l'est à cette heure. J'ai lu presque tout ce qui s'est publié chez vous dans les derniers temps sur mon pays et je vous jure que nous ne nous y reconnaissons pas. Avec cela la Hollande est non seulement mal connue | |
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chez vous, elle est méconnue. Et malheur au pays dont on rit! Il me semble d'ailleurs que mon pays est encore assez intéressant, assez original, pour qu'on l'étudie un peu sérieusement, et vous y gagneriez peut-être autant que nous. Il faut que cet isolement cesse pour la Hollande, tous mes efforts tendent vers ce but et c'est votre aide, Monsieur, que je viens demander pour l'atteindre. La Revue de Paris s'ouvre à des noms italiens, anglais, allemands, vous écouterez assurément un homme de lettres hollandais qui vient y briguer la faveur d'un petit coin. Vous avez publié, il y a quelque temps, un article sur Vondel, écrit par un compatriote, et je vous avoue que j'ai été singulièrement étonné de voir un de nos auteurs les plus élégants et les plus spirituels adopter une forme si sèche et si scolastique. On ne veut plus cela, on ne veut plus cela surtout dans une Revue comme celle que vous dirigez. Aussi au cas que je m'engageais à faire une galerie d'artistes hollandais depuis Vondel jusqu’à Bilderdijk, en mêlant quelquefois à ces portraits littéraires des esquisses sur notre littérature contemporaine et des traductions de nos meilleurs écrivains, je présèrerais la manière de M. Janin dans les vies de Holbein, de Benvenuto Cellini, etc. à la manière didactique et dédaigneuse d'ornements de M. van Lennep. Je sais que ma plume, contrainte à parler une autre langue que la sienne, ne peut entrer en ligne de compte avec la grâce, l'esprit, la facilité, la libre allure de celle de vos auteurs, même du second et du troisième ordre; mais je | |
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compte sur l'indulgence avec laquelle les Français accueillent toujours les étrangers et sur l'honorable empressement dont la presse périodique a ouvert ses portes à tant d'hommes obscurs, devenus, grâce à elle, des célébrités européennes. En attendant, Monsieur, je vous prie d'accepter l'assurance de ma parfaite considération.
Leyde, 3 Janvier 1837. J.K.
Peu de temps après j'envoyai deux articles. Quelques mois s'écoulèrent. Comme ils ne paraissaient pas, je priai un de mes amis qui se trouvait en ce moment à Paris d'aller savoir ce qu'ils devenaient et à son retour il me remit un billet de M. Buloz où celui-ci témoignait son regret de ne pouvoir insérer mes articles, les uns étant tout-à-fait opposés aux opinions que la Revue avait embrassées, les autres trop peu importants et écrits dans un style trop étranger. J'avais cru qu'il n'eût pas été impossible de placer mes articles après certaines corrections, toujours indispensables à l'ouvrage d'un étranger, mais il paraît que ma présomption m'a joué pièce. Hélas! à ces efforts infructueux j'ai risqué de perdre | |
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mon hollandais qui a failli devenir à peu près insupportable! Continuer toutefois d'écrire en français au centre de la Hollande et sans raison valable, c'eût été la plus étrange anomalie, la plus inconcevable bizarrerie qui se pût imaginer. J'ai donc tourné bride, j'ai fermé la carrière et désire que ces Volumes soient considérés comme la borne de mon apparition éphémère et modeste dans une littérature hybride où j'occupais une place si seule et si abandonnée.
Leyde, Février 1848. J.K. |
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