Mes loisirs

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Le retour.

Telle que la mère prête à sortir avec son enfant dans la blanche saison des glaces dit: ‘mon petit ami, attends sur le seuil, que je voie par où nous pourrons aller sans danger, car la route en maint endroit est glissante ou boueuse;’ tel moi j'avais dit à ma jeune amie: ‘il nous faudra vivre quelque temps séparés l'un de l'autre; j'ignore la vie et ses périls, je veux, je dois les connaître, ainsi je vais parcourir le monde; mon amie, n'allons pas encore ensemble, tu trébu-

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cherais, tu tomberais peut-être, et je ne serais pas en état de te relever, mais quand je serai retourné alors nous pourrons cheminer surs et fermes, les bras entrelacés.’

Oh! je l'avais quittée, je l'avais dû pour mon bonheur et pour le sien. Combien à cette triste pensée d'absence elle avait versé de larmes! Souvent elle se pendait à mon cou en pleurant et toutefois ne voulant pas me retenir. ‘Non, beau jeune homme,’ me disait-elle, ‘pars! livre aux vents parfumés de la voluptueuse Italie tes cheveux blonds et bouclés, mais.... prends garde!’ Et elle chantait ces derniers mots d'un son de voix qui me transportait et en souriant, mais il était cependant aisé d'entrevoir une légere crainte qui se cachait dessous.

Je me rappelle fort bien, Dieu merci,

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notre dernière soirée. Nous nous promenions sur le glacis. Nous étions tristes tous les deux, elle était pensive et silencieuse et laissait tomber ses larmes sur la terre, car elle se flattait qu'en ne les essuyant pas, elles couleraient inaperçues. Mais quand après avoir soupé, je pris enfin mon chapeau pour partir, et que je m'attendais à une scène, elle me dit d'un ton assez tranquille qui m'étonna fort: ‘à demain, mon cher!’ Je lui avais promis de m'arrêter encore quelques instants chez elle le lendemain. Elle ne voulait pas rendre quelques unes de ses amies témoins de son ardente passion et tournait déja la tête que je n'avais pas encore franchi le seuil, quand tout-à-coup la douleur et les tristes pensées tombant comme un fer glacé sur son coeur brulant, et ne pouvant plus se contenir, elle

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s'élance vers la porte, la tire avec violence sur elle, me tombe au cou, inonde mon visage et mon linge d'un torrent de larmes et ne peut sanglotter qu'un ‘adieu!’ accompagné d'un pressement de main dont mon bras tout entier tressaillit.

Je m'arrache d'entre ses bras et prends le chemin de mon hôtel.

En ôtant mon habit j'y trouvai son portrait en médaillon, quelle y avait glissé sans doute, d'une parfaite ressemblance, sous lequel étaient gravés ces mots, qu'elle m'avait si souvent répétés: Prenez garde! Sur le revers se trouvait son nom en cheveux, et le tout monté en or pendait à un ruban bleu clair, sa couleur chérie.

Le lendemain matin je revins encore, comme je le lui avais promis. Après un triste et long adieu je partis, vis la France,

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l'Italie, l'Allemagne, et revins apres une absence de deux, années.

Je rentre dans ma ville, chaque rue, chaque maison est un souvenir. Je prends mes appartements dans l'hôtel où j'avais coutume d'aller, mais je n'y vois que des faces inconnues. ‘Cet hôtel,’ demandai-je à la domestique qui m'apportait du pain, ‘n'a-t-il pas changé de propriétaire depuis deux ans?’ - ‘Sans doute, Monsieur, me répond la femme,’ celle qui tenait cet hôtel avant nous, c'était une veuve...’ - ‘Précisément!’ - ‘Il y a six mois qu'elle est morte.’ - ‘Morte!’ murmurai-je en regardant la flamme de la chandelle. Cette veuve m'avait allaité.

J'avais pressé un peu mon retour, et voulant ménager une agréable surprise à ma jeune amie, j'avais négligé ma cor-

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respondance pendant les dernières semaines, afin de ne pas être obligé de lui apprendre quelque chose de mon retour, mais aussi par cela même elle n'avait pu savoir quelque ville me tenait et s'était trouvée par conséquent hors d'état de me rien faire parvenir de sa part.

Ainsi personne ne soupçonnant même mon arrivée je veux me présenter encore ce soir à l'improviste devant elle. Je m'habille, et pends à mon cou un pâtenôtre en pierres précieuses que je lui destinais auquel était attaché mon portrait peint sur ivoire par un artiste célèbre d'Italie, de la grandeur du sien, du sien! cher talisman, qui m'avait si souvent fait prendre garde! Oh! déja sur mes joues je sentais se coller ses lèvres brûlantes et ses bras d'albâtre se serrer autour de mon corps!

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Mes pas rapides m'ont transporté devant sa maison. Il me semble qu'il y a de la musique; j'écoute un moment. Y aurait-il fête? Peut-être. J'entre. Les lumières et les costumes m'éblouissent. Il y avait bal. De mes avides yeux je cherche le doux objet que j'aime et vois enfin de loin reluire sa tête céleste. Je m'élance vers elle, mais tout-à-coup je recule d'effroi et tombe par terre comme tomberait un corps inanimé!

La perfide! elle avait un voile nuptial!

Janvier 1832.