Mes loisirs
(1832)–Johannes Kneppelhout– Auteursrechtvrij
[pagina 145]
| |
Rêve.J'ai rêvé! Grand Dieu, je t'en rends grâce! Etendu sur ma couche, y dormant d'un doux sommeil, j'ai rêvé la nuit à mon rêve du jourGa naar voetnoot(1). Papillons légers et diaphanes au corps de crystal! rêves d'amour, revenez, revenez! Vous avez caressé de vos ailes les cordes de mon imagination, lyre divine! instrument favori de mon ame! et elles | |
[pagina 146]
| |
ont donné un accord mélodieux. Oh! je l'entends encore, il vibre encore à mes oreilles; et il semble à mes sens enivrés que la nature entière l'ait entendu comme moi! Je l'ai vue! Oh! oui! je l'ai vue! je l'ai vue! Je cherche à me rappeler son air, mais, hélas! je ne m'en souviens pas bien. C'était un rêve. Il n'y a que l'impression, que le trait, dont je mourrais en l'arrachant, qui est resté là dans ce coeur, source du mal qu'il chasse comme un fleuve de lave par mes veines brûlantes, car je sens tout jusqu'à mes jambes même tressaillir quand je pense à cet être adorable, à cet être adoré! C'était une vision ineffable et brillante, mais le sommeil, hélas! a rendu ses traits brouillard pour ma mémoire, mais brouillard vermeil, éclatant et parfumé. Cependant je | |
[pagina 147]
| |
me souviens que ses yeux étaient doux et bienveillants et que sa bouche m'a souri. Je sais encore qu'elle s'est approchée de la fenêtre où je l'ai entrevue si souvent, mais je n'ai pu entendre le bruit de ses pas, c'est comme si elle marchait sur les nues, c'était la jeune fille de l'apothéose de Girodet; ensuite je l'ai couverte de baisers, en tenant mes bras serrés autour de sa taille; elle s'est laissée faire; que j'étais heureux. Je pensais la dévorer. Oh! voilà ce dont je me souviens le mieux! Ces baisers étaient ardents à envenimer les flèches de l'amour! Puis, je ne sais comment cela s'est fait, sa bouche s'est tout-à-coup trouvée collée sur ma joue, et elle m'a donné un si doux, si pur, si long baiser, que je m'éveillai; mais doucement, comme si sa lèvre de satin caressait encore ma joue, comme si | |
[pagina 148]
| |
sa blanche et pure main.... Mais arrête, arrête, Pensée! car du moment que j'eus ouvert mes yeux à la lumière du soleil je n'étais plus heureux! Oh! si alors j'eus vu au chevet de mon lit, se découpant belle et blonde dans le fond du bleu firmament sa rayonnante figure, et dans la réalité, ce bonheur eût causé ma mort peut-être! Mais, hélas! tantôt je passerai devant sa maison; elle sera devant sa fenêtre toute grande ouverte; je passerai, et comme on salue celle dont on n'a jamais entendu la voix et qui n'a jamais entendu la nôtre, je devrai la saluer. Oh! s'il était seulement permis de lui sourire! Mais que dis-je? Pourquoi me flatter d'un espoir in certain? Peut-être ne pourrai-je pas seulement la voir, distinguer ses traits. La studieuse fille penchée sur un livre..... | |
[pagina 149]
| |
Que lira-t-elle? Je voudrais la voir lire Millevoye, et mon oeil verserait une larme de joie!.... ou sur une broderie, sur une écharpe, sur une petite chemisette, qu'elle arrangera pour se rendre plus belle, ne fera pas attention à moi, misérable, qui rêve d'elle le jour et la nuit, et qui donnerais tout, pour me mirer un seul chétif instant dans le bleu de sa prunelle. Mais s'il arrive qu'en passant je puisse la regarder en face, mon trouble et sa froideur me jetteront mes larmes aux yeux quand je la salue, comme si on me jetait un seau d'eau au visage; elle me saluera aussi, mais non pas comme dans mon rêve; elle ne rira pas; mais d'un visage sévère, et cependant toujours doux elle s'inclinera, gracieusement, puisqu'elle ne sait le faire d'une autre façon. Oh! si j'entendais seulement sa douce voix | |
[pagina 150]
| |
dire: ‘ma mère!’ quand je passe! Oh! s'il m'était seulement permis de lui jeter une rose par la fenêtre et de la voir la ramasser, cela me rendrait le bonheur peut-être...... Mais, hélas! tout ceci est vain; ces désirs, ces soupirs, ces paroles dont la pensée brûle et consume, tout cela est vain, et en quelques années j'irai peut-être en répétant avec un grand poète: Aujourd'hui mère heureuse aux bras d'un autre époux!Ga naar voetnoot(1) Je n'avais pas encore vu le ciel bleu, que ce vers volait déja en lettres de feu dans la nuit de ma paupière encore fermée. Prédiction déchirante!
Juillet 1831. |