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Préface.
Nous qui publions aujourd'hui ces quelques pages que peut-être on trouvera bien minces, bien maigres, bien pauvres, bien peu intéressantes, si nous avions voulu utiliser pour nos concitoyens le séjour que nous avons fait pendant deux mois à Paris, nous nous serions mis après notre retour à refaire, à refondre, à délayer, à corriger notre journal, et quelque chemin que nous eussions pris, nous aurions fini toujours par aboutir à un guide pour les étrangers ou à une descrip-
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tion de paris. Nous n'avons pas voulu faire cela. Pour cela nous sommes venu trop tard. Les hommes voyagent trop dans le siècle où nous vivons pour avoir encore tant besoin de livres de ce genre, bien des gens ont vu Paris mieux, plus longtemps et plus complètement que nous, d'ailleurs nous avons dulaure avec le livre des cent-et-un et les guides ne nous manquent pas non plus. Nous sommes donc venu trop tard, aussi étions nous bien résolu à laisser ce voyage ne porter des fruits que pour nous seul, quand un soir en furetant dans notre correspondance, car nous n'aimons rien tant que la lecture de nos vieilles lettres, noires, sales, en lambeaux, et nos amis nous les prêtent toujours de bien bonne grâce, nous crûmes nous apercevoir que ces lettres
telles qu'elles étaient n'étaient pas sans quelque attrait, qu'elles renfermaient tel et tel passage digne de voir le jour, et nous nous dîmes qu'il serait curieux et piquant de faire regarder le public par le trou de la serrure de notre correspondance. Nous nous avisâmes donc d'en publier quelques fragments. Les voici, avec leurs fau-
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tes, leurs négligences, leurs inexactitudes, vrais fragments de correspondance.
- Mais, entendons-nous répéter de toutes parts, ce ne sont pas là des lettres sur Paris, ce sont des lettres sur Victor Hugo.
Nous ne disons pas le contraire.
- Sur Victor Hugo!
Et voilà qu'on jette les hauts cris, voilà qu'on se... - ne craignons rien, disons toujours et tout - qu'on se fâche. Car il y a des personnes que ce nom là met dans une grande colère. C'est qu'il fait peur ce nom. Et vous savez qu'un chat vous saute au visage quand il a peur et vous arracherait les yeux. Pourtant cet excellent M. Hugo, artiste grave et sage s'il en fut, ne leur a jamais rien fait à eux.
Les uns vous disent, car les observations ne manquent pas, que M. Hugo ne sait pas faire des vers, puisque dans ses drames il aime à les briser quand cela lui semble nécessaire, d'autres viennent vous chanter qu'il vous fait mal, que la société comme il la peint est révoltante, que ses hommes sont affreux, que tous ses ouvrages
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crient désespoir, fatalité! Et si le monde est ainsi fait, que voulez-vous qu'il y fasse, lui? Si vous désirez du mensonge, de la vertu mensongère, de la nature mensongère, des hommes mensongers, de l'art mensonger et par suite caduc et boiteux et misérable, lisez M. le chevalier de Florian et M. le cardinal de Bernis et à peu près tout le siècle de Louis XV et à peu près tous ces auteurs musqués qui avaient autant de vérité dans leur costume que dans leur ame, et vous devrez être contents et heureux alors, il me semble. D'autres viendront vous dire qu'ils ont bâillé en lisant Notre-Dame-de-Paris, que ceci tuera cela est bien ennuyeux et surtout si long. A ceuxlà, voyez-vous, on n'a rien à répondre, sinon à dire au dieu Plutus la première fois qu'il se trouvera sur votre chemin.
- Faites-moi un richard de cet homme-là pour qu'il lui vienne de l'esprit!
D'autres encore vous font subir d'autres raisonnements tous de la même force et qui ressemblent à une saine critique comme l'hôtel-de-ville de Rotterdam à un hôtel-de-ville. Enfin, que
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dirons-nous? Il n'est pas d'argument ridicule et pitoyable dont on ne vous assomme, car il n'est pas d'idée si sotte et si misérable qui ne trouve son débiteur empressé.
Généralement parlant, et nous le soutenons, on ne connaît pas Victor Hugo. Voici sur quoi on le juge. On connaît Lucrèce Borgia et encore deux ou trois de ses drames où ses ennemis trouvent de quoi mettre des fautes au grand jour et des beautés de premier ordre à mettre à l'ombre, on connaît Han d'Islande, oeuvre de jeune homme, nous dirions presque d'enfant, (1820) qu'on attaque sérieusement et vigoureusement comme si c'était nous ne savons quoi de grand, de fort et de puissant, on connaît quelquefois les Orientales et Notre-Dame-de-Paris, mais on connaît trop peu le dernier jour d'un condamné, savante étude psychologique, éloquente analyse de l'ame, qui restera toujours, quelque bien qu'il fasse jamais, une des plus admirables productions d'Hugo, on ignore ce que c'est que Cromwell et sa préface, ce que c'est que les Odes, si douces, si belles, si chastes, si pures, si sua-
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ves, qui ont valu à leur auteur le titre de premier génie lyrique de France, ce que c'est que les feuilles d'automne qui sont l'expression la plus complète et la plus intime de Victor Hugo, on ignore surtout ce que c'est que
littérature et philosophie mêlées. Et puis encore on ne le comprend pas, et quand nous disons comprendre, nous n'insistons pas sur la signification métaphysique que l'on donne à ce verbe, mais nous prétendons l'employer tout bonnement dans sa signification simple et naturelle, on ne l'entend pas. Si l'on savait combien nous vivons coudoyés de personnes qui ne savent pas le Français! Au moment où nous écrivons ceci nous pourrions en citer plus qu'il ne nous serait agréable, et des personnes qui sont membres de l'église Wallonne et qui iront au théâtre Français la première fois qu'il y aura spectacle. Après cela elles vous diront que le français de M. Hugo ne vaut rien, car rien n'est impertinent comme l'a-plomb de la stupidité.
Peut-être maintenant nous fera-t-on un crime du respect, de l'amour que nous portons à notre
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auteur, à notre poète. Qu'y faire? On ne nous changera pas pour cela, nous ne reculerons pas d'un pouce, et ceux qui voudraient prendre la peine de s'acharner contre aussi peu de chose que nous n'avanceront pas d'un pouce, ce seraient des efforts faits en pure perte. Nous aimons Hugo, nous l'adorons, nous le respectons. Nous qui vivons dans un siècle qui pourrait s'appeler à juste titre l'automne des illusions, nous qui les voyons tomber une à une de l'arbre de notre vie comme autant de feuilles sèches et mortes, qui voyons s'abîmer tout ce qu'il y avait de grand et de sacré jadis, qui voyons tomber et fouler aux pieds l'amour qui est jaune à le prendre pour de l'or, qui voyons tomber la paternité et la royauté qui est une espèce de paternité aussi, qui voyons se changer l'art en marchandise que l'un vend et que l'autre achète, qui voyons la plume se changer en outil dont on se sert comme d'une charrue pour féconder son avoir, qui voyons la littérature devenir un métier et l'égoïsme surgir devant nos pas partout où nous marchons, - et qu'on n'accuse pas ici notre jeu-
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nesse, notre peu d'expérience, tout homme qui a l'usage de ses sens n'a qu'à jeter les yeux sur ce qui se passe tous les jours autour de lui pour sentir la vérité de nos paroles, au lieu d'éprouver il n'a besoin que d'observer, et voilà aussi pourquoi notre génération est triste et ennuyée et morose et maladive, voilà pourquoi elle
craint de mettre la main à l'oeuvre, craint d'aimer une femme, craint de prendre racine au sol, craint de s'attacher à quoi que ce soit au monde, tant elle a découvert et vu la pourriture de tout ce qui l'environne et que toujours,
Sous la peau la plus fine et le plus doux transport
Vous sentez percer l'os d'une tête de mort, -
n'est-ce pas qu'il est doux et consolant pour nous d'avoir comme un oiseau mélodieux qui charme la nuit de notre ame, voyant tomber une à une lui aussi ses illusions fanées, bénissant celles qui tiennent encore, regrettant celles qui ont disparu, comprenant profondément la vie, se faisant un avec nous, nous soulageant en nous distrayant ou pleurant et gémissant avec nous, pensant ce que nous pensons, aimant ce que nous
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aimons, un poète bien indépendant, bien illustre, bien honnête homme, qui nous fasse reprendre courage quand nous sommes abattu, qui nous montre le ciel quand nous doutons et quelquefois déride notre front à force de folie comme un frère aîné qui tout navré de douleur s'efforce de rire et d'être gai pour distraire son jeune frère au désespoir devant un lit de mort ou un cercueil rempli.
Toutefois quoiqu'il en puisse être, ne perdons pas courage et espérons! Tenons surtout les yeux sans cesse ouverts sur la génération dans les rangs de laquelle nous sommes fier de nous compter! Déja bien des esprits, esprits pleins de sève et de vigueur, ont rompu en visière à leurs anciennes opinions, un monde intellectuel que naguère ils ne soupçonnaient pas s'est levé devant eux, leurs idées se sont élargies, leur instinct d'artiste s'est immensément développé, honneur à eux, qu'ils persévèrent! c'est pour eux surtout que ces pages se publient. Napoléon II se trouve en bien des mains, que disons-nous? est gravé en bien des têtes. Espérons, avançons toujours
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et foulons aux pieds et écrasons tous tant que nous sommes et prêchons en tout lieu et en tout temps une croisade furieuse et impitoyable contre tous les préjugés qui couvrent notre terre! Ne nous étonnons pas de la résistance qu'Hugo éprouve chez nous; tous les grands génies ont eu à livrer de bien rudes combats avant de se voir accepter par la foule rebelle. Qu'on se souvienne de Byron, qu'on se souvienne de notre Bilderdyk, qu'à la honte.... mais nous nous taisons; Hollandais, nous ne voulons pas vous forcer à rougir!
J.K.
Leyde le 22 Janvier 1835.
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