Oeuvres complètes. Tome XXII. Supplément à la correspondance. Varia. Biographie. Catalogue de vente
(1950)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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§ 3. À Hofwijck et à la Haye, d'août 1689 au 8 juillet 1695.En 1689 Huygens pouvait encore espérer, malgré sa constitution peu robuste, avoir devant lui un assez grand nombre d'années, ce qui lui parmettrait d'achever ses travaux et faire en outre de nouvelles recherches. Mais le contraire était également possible. Ses réflexions sur la mort, sur la possibilité d'une ‘miseria corporis’, d'une perte de la mémoire et de l'intelligence, datent de la fin de cette année ou du commencement de l'année suivanteGa naar voetnoot1). Celles sur la gloire s'y rattachent. La survie de son nom ‘inscriptum coelo’ ne lui était nullement indifférenteGa naar voetnoot2). Quoiqu'il ne se désintéressât pas, comme on peut le voir dans ses lettres, des événements mondains et politiques, nous avons l'impression qu'avec l'âge le sentiment du devoir, l'économie d'émotions dont il avait toujours fait preuveGa naar voetnoot3) devenaient encore plus prononcés. Il convient sans doute de ne pas exagérer. Lorsque le comte de Portland chez qui il avait dîné en Angleterre, vint à la Haye, il ne manqua pas de lui faire une visiteGa naar voetnoot4). La solitude de Hofwijck ne lui plaisait pas durant toute l'année. En novembre 1689 il loua un appartement à la HayeGa naar voetnoot5) pour y passer l'hiver. Il avait toujours dans cette ville - ou à Klingendael, maison de campagne dans les environsGa naar voetnoot6) - sa soeur Suzanne et son mari Ph. Doublet. Leur maison à la Haye se trouvait à côté de la Kloosterkerk, au Voorhout. Nous pouvons nous figurer qu'étant à la Haye Christiaan y dînait souvent. Il voyait aussi sa belle-soeur, l'épouse de Constantyn, revenue d'Angleterre peu après lui. Le laboratoire où il avait travaillé quelques années auparavant avec Constantyn était chez elleGa naar voetnoot7). Quoique | |
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seul il s'y rendait pour tailler des objectifsGa naar voetnoot8); mais il ne nous semble pas qu'il ait encore eu le temps et les forces nécessaires pour y travailler sérieusement; nous ne connaissons pas de lentilles datant de ce temps. Le frère Constantyn ne venait plus que rarement à la Haye. Lorsqu'il n'était pas en Angleterre, il accompagnait le roi dans ses campagnes ou bien il résidait avec lui, dans les Pays-Bas septentrionaux, ailleurs qu'à la Haye. Nous ne voulons pas dire que le roi n'était jamais à la Haye. En 1690 Constantyn fut présent à la bataille du Boyne en Irlande; de 1691 à 1694, comme on peut le voir par les lettres adressées à ChristiaanGa naar voetnoot9), il se trouvait, l'été, dans les Pays-Bas méridionaux; tous les ans il y avait des combats. Son Journal fait voir qu'en avril 1691 il fut à la Haye pour quelques jours et que Christiaan dîna chez lui; le 24 avril à Londres; du 13 au 17 mai à la Haye; Christiaan dîna chez lui le 14 et le 15; ensuite Constantyn se rendit au Loo et en juin à l'armée. Etc. pour les années suivantes. Il ne pouvait plus être question de travailler ensemble. En 1685 Constantyn disait: ‘Je veux repeter...mes estudes de Mathematique avant qu'il soit longtempsGa naar voetnoot10)’. Depuis 1688 il ne peut plus guère avoir eu le temps de le faire. Mais il connaissait des membres de la Royal Society et en janvier 1692 il leur remit, comme il en avait l'intention depuis longtemps, son ‘verre de 122 pieds avecles dependences’ dont Halley et Fatio vinrent le remercierGa naar voetnoot11). Ce verre est mentionné, avec deux autres objectifs de lui, à la p. 303 de notre T. XXIGa naar voetnoot12). A.E. Bell, dans sa Biographie de Chr. Huygens de 1947, nous apprendGa naar voetnoot13) que ‘in recent times’ le jugement porté sur cette lentille est le suivant: ‘The figuring and centring of the surfaces is described as astonishingly efficient, but the quality of the glass is hopelessly bad’.
Nous ne voyons pas que Huygens se soit encore intéressé au théâtre comme à Paris. En Angleterre il avait vu une pièce où les règles aristotéliques de l'unité du temps et du lieu n'étaient pas observées. Il le dit, semble-t-il, in malam partem: il avait le goût trop classique, croyons-nous, pour approuver la thèse de la supériorité des ultramodernes, Ce qui ne veut pas dire qu'à beaucoup d'égards - comparez les p. 301-302 | |
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du T. IXGa naar voetnoot14) - il n'aurait pas été d'accord avec les Perrault: en fait de musique, d'astronomie, de science en général, il était partisan des modernes, tout en gardant jusqu'à la fin de sa vieGa naar voetnoot15) son grand respect pour l'exactitude d'Archimède. La pièce qu'il avait vue était-elle peut-être de Shakespeare? Son père possédait les oeuvres du dramatiste anglais mais ni lui ni Christiaan n'en parlent jamais. Dans le Catalogue de vente de 1695 nous ne trouvons que ‘Troilus and Cressida’Ga naar voetnoot16). Qu'on nous pardonne cette digression. Il nous semblait qu'il fallait faire mention encore une foisGa naar voetnoot17) de sa bibliothèque. Jusqu'à la fin de sa vie nous le voyons consulter ou acheterGa naar voetnoot18) des nouveaux livres et journaux. Faut-il se figurer qu'il lisait constamment des auteurs classiques, des ouvrages d'histoire, de théologie, des pièces de théâtre, des brochures de toutes sortes? Nous ne pouvons répondre à cette question. Il ne fut certes pas un laudator temporis acti; il semble possible qu'après avoir atteint l'âge de soixante ans ce fut surtout à ses propres idées et à celles de quelques contemporains qu'il s'intéressait. Ces contemporains n'étaient d'ailleurs pas uniquement des mathématiciens et physiciens. Considérons d'abord les biologistes. Nous avons parlé de Swammerdam, mort en bas âge - Huygens écritGa naar voetnoot19) trouver assez probable son opinion ‘de l'inclusion infinie des animaux et des herbes’ tout en faisant une objection sérieuse - de Leeuwenhoek qui lui survécut - comme celui-ci Huygens est animalculiste, non pas ovisteGa naar voetnoot20) - de quelques naturalistes anglais dont Oldenburg lui envoyait les livres. Dans les ‘Varia’ qui précèdent on peut voir les noms de ceux dont il lisait des articles: Woodward, Ray, Malpighi, Lyster, etc. Il vit ‘toutes les nouvelles découvertes en anatomie’ dans le livre de WottonGa naar voetnoot21). À propos de Malpighinous observons que le mot aurelia dans le sens de chrysalide se trouve chez lui; dans le T. XXIGa naar voetnoot22) nous disions ne pas connaître ce mot en ajoutant à tort que Huygens citait peut-être de mémoire Columella parlant de ‘apes ex aureolo’. - A Paris Huygens avait constamment assisté à des dissections, entendu discourir de l'anatomie de différents animaux. Rien d'étonnant à ce qu'il s'y intéressât encore et qu'on trouve chez lui des réminiscences à ce qu'il avait vuGa naar voetnoot23). | |
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Autres contemporains. Il y avait à la Haye des réfugiés français, expulsés par la révocation de l'édit de Nantes. Huygens ne pouvait manquer d'avoir quelques relations avec ces corréligionnaires, de lire quelques-uns de leurs écrits. On trouve dans nos T. VIII et suiv. le nom de P. Bayle-qui fut gouverneur à Rotterdam des enfants de LodewijkGa naar voetnoot24) - ainsi que celui du pasteur P. Jurieu qui d'ailleurs avait quitté la France déjà en 1681Ga naar voetnoot25). Basnage de Beauval a été mentionné plus haut. De même que lui Bayle avait son journal: les ‘Nouvelles de la République des Lettres’, et il y eut des publications de Huygens dans l'un et l'autreGa naar voetnoot26). Mais ces relations ne le portèrent pas à rien publier lui-même sur des questions de religion, de métaphysique ou de politique. Dans ses lettres il n'hésite pas à dire qu'à son avis la foi doit être raisonnable: ‘sano sensu nihil adversus rationem valere debere auctoritatem fidei, cum Rationem fidei reddi posse necesse sit’Ga naar voetnoot27). De cette façon, pense-t-il, on pourrait ‘mettre entièrement d'accord la Raison et la Foi’. Il avait reçu en mars 1690 le livre de J. Locke ‘An essay concerning the human understanding’ où l'on peut constater la même tendance. Il dit y trouver ‘une grande netteté d'esprit’Ga naar voetnoot28). Notons qu'il demande l'opinion de Leibniz sur ce sujetGa naar voetnoot29), lequel répond qu'il est difficile de satisfaire à la fois à la vérité et à l'opinion, encore plus que de satisfaire ensemble à la foi et à la raison’. Nous observons que Leibniz (sans dédaigner en aucune façon l'expérience) est plus rationaliste que LockeGa naar voetnoot30). Il est certain que d'après Huygens la raison n'est pas en état de résoudre tous les énigmes: une des Pièces de fin 1689 ou 1690 est intitulée ‘De rationi imperviis’. Quel que soit son désir de comprendre, de ‘scire per causas’Ga naar voetnoot31), il doit avouer que même en physique force nous est de nous contenter du probableGa naar voetnoot32). L'empirie a ses droits: il faut procéder ‘experientia ac ratione’Ga naar voetnoot33). En 1692 il écrit à propos de la Dioptrica nova de Molyneux: ‘Egregia est dedicatio ubi scolastica ac barbara philosophia exagitatur, nova experimentalis laudatur’Ga naar voetnoot34). | |
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Un réfugié que Huygens ne mentionne pas, mais qu'il a pourtant connu, est le peintre Pierre BourguignonGa naar voetnoot35), puisque ce dernier a fait son portrait lequel se trouve à Amsterdam au Trippenhuis, siège de la ‘Koninklijke Akademie der Wetenschappen’. Ce tableau, que nous reproduisons ici, a été attribué jusqu'ici à un maître inconnu: on n'avait pas remarqué que le Portefeuille ‘Varia’ contient sur ce sujet d'un membre de la familleGa naar voetnoot36) la notice suivante: ‘Is nogh een ander ConterfeytselGa naar voetnoot37) van hem, van Bourguignon, in het laest van sijn leeven gedaen en van soodaenigen weesen kleedije, als hij aen mij wel het meeste in gedagten is ingeprent gebleeven’. Parmi les personnes avec qui Huygens conversait il faut spécialement mentionner les (c.à.d. quelques) professeurs de l'Université de Leiden, en premier lieu de VolderGa naar voetnoot38) auquel les Directeurs de la Compagnie des Indes Orientales soumettaient les rapports de Huygens sur la conduite des horloges pendant les expéditions. En décembre 1689 Huygens écrit: ‘J'ai receu les Ephemerides de Mr. Flamsted pour les satellites de Jupiter..Elles pourroient servir a des observations tres utiles, mais ou sont les gens icy pour les faire? J'en parle assez souvent a nos Professeurs de Leiden, mais...il y a grand refroidissement pour toutes ces belles choses’. Voyez sur une autre visite à Leiden en 1689 la p. 308 qui précède. Il connaissait, pensons-nous, Wolferd Senguerd, depuis 1675 professeur de philosophie et de physique, qui en astronomie se montre partisan du système de Tycho Brahé.
Les travaux de 1689-1695, publiés dans nos volumes antérieurs, y ont été pourvus de notes et d'avertissements, de sorte qu'il suffira de les mentionner brièvement. Il faut nommer en premier lieu le Traité de la LumièreGa naar voetnoot39) et le Discours de la Cause de la PesanteurGa naar voetnoot40), parus simultanément dans les premiers jours de 1690. L'Appendice II au Discours traite de la correspondance subséquente avec Leibniz qui s'y rapporte. Dans le Traité de la Lumière il n'était pas question de couleurs; en 1692Ga naar voetnoot41) | |
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CHRISTIAAN HUYGENS EN 1687 D'APRÈS LE TABLEAU DE P. BOURGUIGNON.
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Huygens observe exactement les couleurs successives d'une bulle de savon, sans voir la possibilité d'en rien conclure. Nous notons que le Traité de la Lumière trouve toujours des lecteurs: une traduction espagnole - il n'en existait pas encore - a paru en 1945 à Buenos Aires en ArgentineGa naar voetnoot42).
Le 10 mai 1690 Huygens écrit de la Haye aux Directeurs de la Compagnie des Indes Orientales s'occuper journellement des horloges pour la nouvelle expédition. Le vaisseau Brandenburg partit en décembre pour le Cap de Bonne Espérance avec les nouvelles horloges. Elles provenaient des horloges de l'expédition précédente, celles-ci ayant été ‘tournees sens dessus-dessous’Ga naar voetnoot43). Huygens nous apprend qu'avant ce renversement il avait essayé d'y introduire le ressort spiral régulateur (‘spirale veeren aen den onrust’), mais le spiral s'était montré trop influencé, comme auparavantGa naar voetnoot44), par les changements de température: ‘vitium elateris ex mutatione caloris, alioqui tentassem itinere in Indiam’Ga naar voetnoot45). Plusieurs lettres des mois suivants sont également datées de la Haye. Nous n'en trouvons pas avant le mois d'août qui soient datées de Voorburg. Il est par conséquent fort possible qu'en juin et juillet Huygens ait encore travaillé aux horloges, soit chez van Ceulen soit chez van der Cloesen qui fut son horloger en 1694. Ce travail peut d'ailleurs aussi avoir eu lieu chez lui ou - ce qui nous semble le plus probable - dans le laboratoire de Constantyn.
Dans la même année il fit quelques calculs de dioptrique. L'un d'eux se rapporte à la détermination expérimentale des rayons de courbure d'une lentille biconvexe par la mesure des deux points de confusion, un à chaque côté de la lentilleGa naar voetnoot46). Il semble aussi que ce soit peu après l'apparition du Traité de la Lumière qu'il rédigea en français un débutGa naar voetnoot47) du traité de dioptrique: ‘J'ay traitè dans le livre precedent des causes de la reflexion et de la refraction et des loix que la nature y observe, etc.’. | |
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Un projet inachevé d'une préface latine pour un traité sur le choc des corps et la force centrifuge peut aussi dater de ce tempsGa naar voetnoot48). Vers la fin de 1690Ga naar voetnoot49), semble-t-il - puisqu'il écrit ‘il n'y a guere’ dans une lettre du 18 novembre à Leibniz - il fit quelques expériences sur ‘les effets de l'Ambre’ (il avait fabriqué en 1672 - ou plutôt vu fabriquer chez lui - la boule de soufre de Gericke attirant des plumes de fort près). Nous ne voyons pas si c'était à la Haye ou bien à Hofwijck. Elles ont trouvé leur place dans le T. XIXGa naar voetnoot50). Dans l'Avertissement nous avons dit que Huygens se montre ici plus cartésien que Descartes puisque, par analogie avec les tourbillons magnétiques, il adopte des tourbillons électriques. Cette Pièce est restée inconnue. D'autres peu après lui ont eu la même pensée. On peut dire que depuis lors les petits tourbillons n'ont pas disparu, qu'ils existent encore aujourd'hui, réduits il est vrai à des dimensions fort modestes.
En mai 1690 nous voyons Huygens disposé à étudier de nouveau ‘Salinas autheur de musique’Ga naar voetnoot51). En octobre 1691 parut enfin dans l' ‘Histoire des ouvrages des scavans’ la lettre touchant le cycle harmonique, mieux connue sous le nom ‘Novus cyclus harmonicus’Ga naar voetnoot52). Nous disons ‘enfin’ puisque cette Pièce est basée sur des considérations anciennes comme on peut le voir dans le T. XXGa naar voetnoot53). ‘Cette connaissance de la περιϰύϰλωσις donne moyen’, dit-il, ‘de faire un clavecin ou orgue avec le clavier mobileGa naar voetnoot54) sur les batons d'egale largeur et 31 dans l'octave, lequel clavier sert a transposer avec facilitè par cinquiemes de ton etc.’. Il espère que de ses recherches proviendra une ‘methode pour faire des beaux chants’. Ce nouveau systeme ‘apportera de nouveaux avantages tant pour la theorie que pour la pratique’Ga naar voetnoot55). Au moment de l'apparition du présent Tome un orgue correspondant au système de Huygens est en voie de construction. Il pourra être prêt en mars 1950 et sera placé dans l'Institut-Teyler (Teyler's Stichting) à HaarlemGa naar voetnoot56). A.D. Fokker, curateur de | |
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l'Institut, écrit à ce propos: ‘Par l'heureuse approximation tant à la tierce majeure qu'à la septième harmonique ce tempérament égal à cinquièmes de ton est prédisposé à rendre perceptibles à nos oreilles les nouvelles harmonies lesquelles sont possibles grâce à la dite septième’Ga naar voetnoot57).
Au printemps de 1692 Huygens observa la circulation du sang - à laquelle il croyait depuis longtempsGa naar voetnoot58) - dans la queue d'une anguilleGa naar voetnoot59). Ce fut sans doute à Delft puisqu'il écrit ‘monstrante Lewenhoukio nostro’Ga naar voetnoot60). De juillet à octobre il fit à Hofwijck, après avoir considéré déjà en avril la question de l'éclairage des objetsGa naar voetnoot61), de nombreuses observations sur divers infusoires et autres micro-organismesGa naar voetnoot62). Il rédigea en ce temps, semble-t-ilGa naar voetnoot63), sur les microscopes une longue Pièce remplie de calculs fort exactsGa naar voetnoot64). Une deuxième Pièce, où il traite aussi de télescopes, s'y rattacheGa naar voetnoot65). Il est question dans ces Pièces tant de microscopes simples que de microscopes composés. En exécutant ses calculs Huygens avait toujours sous les yeux les instruments auxquels ils se rapportaient, de même qu'en traitant ailleurs p.e. des cristaux d'Islande, il avait ces cristaux devant lui. En dioptrique il ne raisonnait pas en l'air, la théorie et l'observation marchaient de pair. Il considère l'étendue du champ, la netteté des images, les aberrations sphérique et chromatique. Les p. CVII-C???VII de l'Avertissement du T. XIII se rapportent surtout à la première Pièce; les démonstrations de Huygens y sont approfondies. Mais il faut aussi considérer les notes, surtout pour la deuxième Pièce. Robert Smith (p. C???VII) a donné un résumé précis et clair de la première Pièce, faisant partie de la Dioptrique telle qu'elle a été publiée dans les ‘Opuscula postuma’ de 1703. On peut voir dans nos Tables de ConcordanceGa naar voetnoot66) que de Volder et Fullenius n'ont pas fait usage pour les ‘Opuscula postuma’ de la deuxième Pièce. | |
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Il traita encore, comme en 1690, ‘De ordine in dioptricis nostris servando’Ga naar voetnoot67). En 1691 Huygens s'était déjà occupé des lunettes catoptriques. Dans ‘l'Astroscopia compendiaria’ de 1684 il avait parlé brièvement de celle de Newton, se contentant de dire qu'une confection précise des surfaces est éminemment nécessaire, qu'il faut de grands miroirs pour éviter l'obscuritéGa naar voetnoot68), qu'en somme les efforts faits jusqu'ici ont été vainsGa naar voetnoot69). En 1691 l'idée lui vint qu'au lieu de métal on pourrait s'y servir de verre comme matière des miroirs parcequ'il y a des moyens de supprimer ou de diminuer l'inconvénient de la duplication des images. Il continua les calculs en 1692Ga naar voetnoot70). Les p. CLI-CLII et CLVIII-CLXIII de l'Avertissement du T. XIII se rapportent à ce sujet. En 1691 il traita aussi d'un oeil artificiel schématiqueGa naar voetnoot71). Quelques pages de 1692 se rapportent spécialement aux télescopes. Il y est question de la distorsion des imagesGa naar voetnoot72). En 1693 - nous l'apprenons par une lettre du 1 septembre - un télescope, pesant plus de 200 livres, qui avait ‘un tuyau quarré d'ais de sapin’, fut construit pour un verre de 45 pieds. C'était à Hofwijck ‘pour la satisfaction des personnes de qualité qui me prient de leur montrer la Lune et les Planetes et qui ont trop de peine a se servir du fil sans tuyau’Ga naar voetnoot73), dont Huygens aussi ne veut plus rien savoir. En septembre 1692Ga naar voetnoot74) il avait encore été question dans une lettre de Constantyn en réponse à une lettre perdue de Christiaan de ‘dresser un mast’. ‘Un autre mast au jardin’, pour citer plus exactement. On voit aux p. 234-236 du T. XXI la description d'un mât, datant de mai ou juin 1692, avec des figures bien dessinées. Nous n'avons en ce temps de Huygens qu'une observation ‘Hofwici’ d'août 1693 et trois observations du 4 février 1694, peut-être faites avec la lunette à tuyau de sapin, une de Mars, une de Vénus, une de la nébuleuse d'OrionGa naar voetnoot75). Il peut avoir exécuté en ce temps - ce fut en juillet 1694 au plus tard, puisque la Pièce qui constitue notre Appendice IX à son oeuvre posthume, le ‘Cosmotheoros’, | |
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date de ce mois - la détermination du rapport de la clarté du soleil à celle d'une grande étoile fixe. La détermination approximative de la distance des étoiles fixes de première grandeur, supposées égales à notre soleil, était le but de cette observation. Elle constitue la partie la plus originale du Cosmotheoros. Huygens compare cette fois directement l'étoile avec une parcelle du soleil, en mettant dans le petit trou au bout du tube fermé un globule de verreGa naar voetnoot76). Dans les ‘Pensees meslees’ (p. 733 qui précède) il comparait l'étoile avec une parcelle de la lune et celle-ci avec le soleil. Toutefois il évalua aussi la distance des dites étoiles indépendamment de cette observation par un raisonnement, non publié en son temps, qui n'exige que la connaissance du diamètre apparent de la planète JupiterGa naar voetnoot77).
À l'astronomie se rattache la Description du Planétaire (‘Descriptio automati planetarii’), publiée dans le T. XXI et dont une figure qui faisait défaut se trouve à la p. 722 qui précède. Cette ‘Descriptio’ contient aussi la théorie de Huygens des fractions continues. Nous n'ajoutons à notre Avertissement que la remarque que le ‘Ned. Hist. Natuurw. Museum’ où se trouve le planétaire est devenu un ‘Rijksmuseum’, comme l'indique aussi la Table IV qui suit. Nous avons plusieurs fois parlé des horloges huguéniennes, pour la plupart nouvellement construites, qui se trouvent, de même que des lentilles des frères Huygens etc., dans ce MuséeGa naar voetnoot78). Hofwijck, ajoutons-nous, est aujourd'hui également un musée, mais on n'y trouve pas d'instruments.
Il y a d'autres parties purement astronomiques dans le ‘Cosmotheoros’. Huygens y calcule (deuxième livre) comment des observateurs placés sur d'autres corps célestes doivent voir le monde. C'est un livre composé ‘pour la satisfaction de personnes de qualité’ pour répéter cette expression. Huygens écrit en latinGa naar voetnoot79); il ne songe pas, comme de Fontenelle, aux dames. Il voudrait pouvoir choisir ses lecteurs ‘savoir ceux qui ne sont étrangers ni à la science astronomique ni à la philosophie raisonnable’Ga naar voetnoot80). ‘Le peuple ignorant’, dit-il ailleurs, ‘sera eternellement contraire a cette opinion’, c.à.d. au ‘systeme..veritable..qui establit le mouvement de la terre autour du | |
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soleil et autour de son propre axe’Ga naar voetnoot81). Peut-être ne trouve-t-il pas mal qu'il en soit ainsi. Il se serait bien gardé, pensons-nous, de vouloir convertir son jardinier au système véritable, quoiqu'il éprouvât encore le besoin de guérir l'abbé Espagnol de l'astrologieGa naar voetnoot82).
En 1693 et 1694 Huygens dut beaucoup s'occuper d'horloges marines. Quoiqu'il s'efforce de démontrer plus ou moins le contraire dans sa ‘Verklaeringh en aenmerckingen op het Journael van J. de Graef’Ga naar voetnoot83), il finit par dire que les horloges n'ont en somme pas satisfait. Il est question de l'expédition des années 1690-1692. L'opinion de de VolderGa naar voetnoot84) était nettement défavorable. Nous avons énuméré dans un Avertissement du T. XVIIIGa naar voetnoot85) les inconvénients qu'on avait remarqués dans les horloges employées dans cette expédition et la précédente, lesquels amenèrent Huygens à décider que l'horloge marine ne devait contenir aucun ressort, pas de fusée et peu de roues et qu'elle devait être à poids moteur; qu'il n'y fallait pas un pendule mais un balancier; que les châssis devaient être attachés au plancher d'en bas et munis de poids pour amortir les fortes secousses. Il se mit donc à l'oeuvre dès janvier 1693 pour construire ‘le balancier marin parfait’Ga naar voetnoot86), auquel succédèrent, comme on peut le voir au T. XVIII, la ‘libratio isochrona melior praecedente’ de mars 1693 et la ‘libra isochronis recursibus’ de mars 1694. En général, pour obtenir l'isochronisme des oscillations de diverses amplitudes, les balanciers sont encore pourvus de pendules minuscules.
Incidemment il énonce un axiome - c'est ainsi qu'il l'appelle - sur la conservation des forces: ‘In corporum motibus quibuscunque, nihil virium perditur aut interit nisi effectu edito et exstante ad quem producendum tantundem virium requiritur quantum est id quod decessit’. C'est à des mouvements qui se produisent près de la surface du globe terrestre qu'il songe, puisqu'il ajoute: ‘Vires voco potentiam extollendi ponderis. Ita dupla vis est quae idem pondus duplo altius extollere potest’Ga naar voetnoot87). | |
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Newton, soit dit en passant, n'a pas d'axiome, ou de théorème, sur la conservation des forces. Il sépare maintenant nettement avec ce dernier - comparez sur ce sujet la p. 688 qui précède - la notion de la masse d'un corps de celle de son poids: ‘separatim consideranda movens grave, et moles corporis moti, etiam cum utrumque in eodem residet’Ga naar voetnoot88). Dire que la cause du mouvement peut résider dans le corps lui-même, n'est-ce pas abandonner pour un instant l'idée de tourbillons gravisiques quels qu'ils soient? Dans le T. XXIGa naar voetnoot89) nous avons publié sa sentence: ‘Plusieurs embrassent les tourbillons de des Cartes; tant on aime mieux s'imaginer de scavoir que de rester ignorant sans adherer a rien’.
À la fin de mai 1694 Huygens peut écrire à Leibniz qu'il a fait ‘executer et mettre en perfection’ sa nouvelle invention qu'il prétend ‘pouvoir porter sur mer’. Jusqu'au 21 mai il y travaillait encore avec van der Cloesen. Il ne représente dans sa figure que l'extérieur de l'horloge, mais il y a bien des figures dans les pages précédentes. Il n'a cependant plus proposé, semble-t-il, aux Directeurs de la Compagnie des Indes Orientales ce nouveau moyen de trouver les longitudes. Il y a des raisons pour croireGa naar voetnoot90) que Henry Sully a connu cette horloge alors que Huygens était décédé tandis que van der Cloesen était encore en vie - Sully vivait à Leiden en 1710-1711 et peut-être plus longtemps; il y publia même un ouvrageGa naar voetnoot91) - de sorte que par l'influence indirecte exercée sur l'esprit de Sully l'oeuvre de Huygens des dernières années nous semble se rattacher visiblement à celle des grands horlogers anglais et français du dix-huitième siècleGa naar voetnoot92).
À la considération des horloges se rattache plus ou moins le calcul d'un des trois premiers mois de 1691 sur le rapport du temps d'une demi-oscillation où le point pesant parcourt un arc de 90o à celui dans lequel le point pesant du même pendule simple parcourt, en exécutant une demi-oscillation, un arc infiniment petit. Huygens réussit à trouver pour la valeur de ce rapport une limite inférieureGa naar voetnoot93) qui s'écarte fort peu de la vraie valeurGa naar voetnoot94). | |
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Une autre Pièce qui se rattache aux horloges est celle de 1692 ou 1693 qui peut conduire, dit Huygens non sans raison, à une nouvelle démonstration de la formule fondamentale pour le centre d'oscillation du pendule composéGa naar voetnoot95).
Dans les ‘Varia’ du présent Tome on trouvera plusieurs petites Pièces appartenant à la période ici considérée, e.a. des figures des meilleures formes à donner aux faucillesGa naar voetnoot96) - c'est là un sujet sur lequel Huygens peut avoir eu une conférence avec son jardinier - et la figure d'un vaisseau pour conserver du vinGa naar voetnoot97).
Mais ne nous attardons pas à ces petites choses et considérons de nouveau Huygens mathématicien. Nous l'avons déjà vu résoudre en 1687 le problème proposé par Leibniz: celui de la courbe de descente uniforme. Il s'agissait là d'une chute sans résistance. En 1691 nous le voyons correspondre avec le philosophe allemand sur les mouvements de corps punctiformes avec résistance et rédiger une Pièce ‘De descensu gravium et ascensu per aerem aut materiam aliam, quae resistit motui in ratione duplicata celeritatum, ut revera contingit’Ga naar voetnoot98). Sur ce terrain il pouvait encore tenir tête à LeibnizGa naar voetnoot99) quoiqu'en général, lui écrit-ilGa naar voetnoot100), ‘vous m'avez devancè de si loin que j'aurois trop de peine à vous atteindre’ et ailleurs: ‘[vous ne devez] pas supposer que nous entendions [Fatio et moi] votre calculus differentialis’Ga naar voetnoot101). On a vu plus haut que les considérations de Newton sur la résistance avaient amené Huygens à s'occuper de nouveau de ce sujet auquel se rapportent aussi les p. 327-330 et 335-341 du présent Tome; il s'agit ici de résistances éprouvées par des surfaces. Un coup d'oeil jeté sur les p. 598-611 du T. XX fera voir combien de pages des Manuscrits G. H, et I sont remplies de calculs se rapportant à la correspondance avec Leibniz, avec le marquis de l'Hospital, avec Hubertus Huighens, au travail entrepris en commun avec Fatio de Duillier. On y voit figurer de plus les noms des frères Bernoulli. Voyez aussi dans le T. XXGa naar voetnoot102) ce que Huygens appelle la ‘Progressio | |
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optima ad quadrandum circulum’ et ce que nous y avons réuni sous le titre ‘Problèmes et méthodes modernes’Ga naar voetnoot103), dont les chapitres III-VII se rapportent aux années 1691-1694. Fatio séjourna à la Haye de février à septembre 1691Ga naar voetnoot104). Les pages citées 598-611 du T. XX renvoient aux T. IX et X où l'on peut trouver de nombreuses notes sur les dits calculs. Les p. 551-552 du T. XX renvoient aux articles de Huygens dans les ‘Acta Eruditorum’ et dans l' ‘Histoire des ouvrages des sçavans’ lesquels constituent les no.s 44, 46, 56, 58, 59 des p. 379-380 qui précèdent. Huygens semble avoir été le premier à reconnaître que parmi les courbes qui possèdent la propriété requise par Jean Bernoulli dans son problème de 1694 il y en a qui ont des points de rebroussement (no. 58 mentionné plus haut, Pièce VII de la p. 552 du T. XX). Pour ces courbes, ainsi que pour les tractricesGa naar voetnoot105), il considère des instruments propres à les décrire. Le grand nombre de pages qu'il y consacre dans le cas des tractrices fait voir qu'il comprenait l'importance de ce sujet; aujourd'hui aussi on en voit l'importance: dans les derniers temps surtout on s'est appliqué à construire des machines à calcul capables d'intégrer graphiquement des équations différentielles de toutes sortes. Vers la fin de sa vie Huygens a fait son possible pour comprendre Leibniz ainsi que de l'Hospital, inspiré par Jean Bernoulli. On peut remarquer que dans sa lettre du 23 juillet 1693 à de l'Hospital, dans laquelle il lui communique la règle de Fatio pour résoudre le problème inverse des tangentes il se sert partout des dx, dy de Leibniz et qu'ailleursGa naar voetnoot106), déjà en 1691, il emploie le signe ∫. Il a cependant quelque peine à être si moderne: en octobre 1692 il note en marge dans un de ses manuscrits: ‘Au lieu de dy je mets λ, au lieu de dx je mets ϰ, ce qui est plus commode’Ga naar voetnoot107). Voyez sur le calcul infinitésimal de Newton tel que Huygens a appris à le connaître, la p. 488 du T. XX ainsi que les p. 18-19 qui précèdent.
Aux considérations du présent Tome sur les résistances éprouvées par des surfaces courbes, p.e. sur celles de vaisseaux en mouvement, se joignent tout naturellement des théories sur la vitesse que le vent peut donner à un voilierGa naar voetnoot108). Les deux dernières pages de cet article peuvent être considérées comme un avant-projet de celui de sep- | |
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tembre 1693 dans la ‘Bibliothèque Universelle et Historique’Ga naar voetnoot109) - article qui est encore suivi par deux autres pièces puisque l'auteur incriminé répliqua - ‘Remarque de M. Huguens sur le livre de la Manoeuvre des Vaisseaux [par B. Renau] imprimé à Paris en 1689’. Des considérations sur la courbure des voiles par le vent étaient aussi à l'ordre du jour. La dernière Pièce de Huygens dans les ‘Acta Eruditorum’ (no 59 mentionné plus haut) s'y rapporte en partieGa naar voetnoot110). Ces ‘Excerpta’ ont été tirés par Leibniz d'une lettre plus expliciteGa naar voetnoot111) laquelle fait bien voir que Huygens jouissait encore en août 1694 de toute sa force de tête: les notes 8, 9, 14, 20 et 21 du T. XGa naar voetnoot111) montrent qu'il pouvait encore parfois avoir raison contre la nouvelle génération dans des questions de géométrie et de mécanique.
Huygens fut un lecteur assidu des Acta Eruditorum, comme le font voir ses notes marginales dans les volumes des années 1682-1694 qu'il possédait. Il est vrai que ces volumes sont aujourd'hui inconnus, mais une copie des dites notes a été transmise à Leibniz. Elle a été recopiée par un de nous; voyez ces notes aux p. 786-811 qui suiventGa naar voetnoot112). Il avait généralement l'habitude d'écrire, au crayon, des notes marginales dans ses livresGa naar voetnoot113); voyez les p. 55-56 du T. XVIII ainsi que la p. 718 qui précède.
Huygens eut à souffrir de nombreuses indispositionsGa naar voetnoot114). En mai et juin 1694 il parle e.a. d'une intermission et battement irrégulier du poulsGa naar voetnoot115), en juillet il dit que | |
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son mal ne veut pas le quitter et le contraint de s'abstenir du travailGa naar voetnoot116). Ce fut aussi en mai qu'il écrivit dans son manuscrit I le passage bien connu, fortement exagéré, sur la ‘phrenesie’ de NewtonGa naar voetnoot117). En novembre il souffrait d'insomnies, ce qui d'ailleurs n'était rien de nouveau pour luiGa naar voetnoot118). Nous avons cité dans le T. XGa naar voetnoot119) les vers latins où il dit que la langueur du corps et celle de l'âme qui en résulte Infecte la raison d'amère mélancolie
Et trompe qui alors à ses conseils se fie.
Il n'abandonna néanmoins pas entièrement ses étudesGa naar voetnoot120). Dans sa dernière lettre, celle du 4 mars 1695 à Constantyn, il dit apporter encore toujours des corrections à son ‘Cosmotheoros’ et demande où il peut trouver dans la bibliothèque de son frère la Géologie de Warren. En ce même mois, étant déjà malade, il fit son testament. Puisqu'il se trouvait en mars (de même que les années précédentes) à la Haye, nous jugeons fort probable qu'il ne retourna plus à Hofwijck et que ce fut donc dans son appartement à la Haye qu'il décéda. Ce fut le 8 juilletGa naar voetnoot121). Nous avons déjà raconté brièvement sa fin douloureuse dans le T. XGa naar voetnoot122) d'après le Journal de son frère. L'enterrement, dans la St. JacobskerkGa naar voetnoot123), eut lieu le 17 juilletGa naar voetnoot124).
Leonardo da Vinci soutient qu'une vie bien employée est suivie par une douce mort: ‘come una giornata bene spesa dà lieto dormire, cosi una vita bene usata dà lieto morire’. S'il s'était contenté d'avancer qu'une vie bien employée devrait être couronnée par une fin heureuse on serait moins tenté de contester la justesse de sa sentence. Gino Loria qui met ces lignes en tête de sa brochure de 1942 ‘La vita | |
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scientifica di Christiano Huygens quale si desume dal suo carteggio’Ga naar voetnoot125) se sent néanmoins obligé de dire dans un de ses derniers paragraphesGa naar voetnoot126) que Huygens ferma les yeux ‘dopo indicibili sofferenze’.
D'après la femme du frère Constantyn les médecins parlaient, comme antérieurement, d'une maladie mélancolique (‘LiebergenGa naar voetnoot127) - le médecin principal - seyde dat het de swarte gall was’). Il est question déjà avant le 15 avril d'insomnie, de la crainte du malade de perdre la raison. Le 26 du même mois la belle-soeur écrit en effet que sa maladie ressemble fortement à l'insanité, qu'il se démène de telle façon et dit des choses si désespérées qu'on en est saisi de frayeur (‘een bedroefde sieckte, die niet weynigh nae uytsinnicheit geleeck, want dat hij somtijts soo aengingh ende sulcke desperate dingen sprack, dat men daer vervaert af wierd’). Le 25 mai Constantyn, de passage à la Haye, put visiter son frère; il ne rapporte que les plaintes du malade sur des douleurs intestinales et autres. Sa femme lui raconta que Christiaen se piquait parfois avec des épingles etc., qu'il s'imaginait parfois entendre parler des personnes absentes et disait que les gens, s'ils apprenaient ses opinions et sentiments au sujet de la religion, le déchireraient (‘imagineerde sich menschen te hooren spreken die daer niet en waren, en seyde, dat de menschen, hoorende van sijn opiniën en sentimenten omtrent de religie, hem souden verscheuren’). Il poussait parfois de grands cris et disait des choses impies (‘schreeuwde somtijts luyd uyt en seyde godloose dingen’). Vers le 15 juin il est rapporté qu'il s'imaginait qu'on voulait l'empoisonner, qu'il ne mangeait pas et était devenu terriblement maigre. Nous croyons en avoir suffisamment dit pour faire comprendre en quel état il se trouvait. Personne ne songeait à le déchirer à cause d'un manque d'orthodoxie, le déchirement intérieur est indéniable. Le manque d'orthodoxie, le doute, étaient bien réels. Le père Constantyn, dans le poème autobiographique cité à la p. 715 qui précède, affirmait, comme toujours, sa foi à la Trinité. Jamais pareille affirmation n'est sortie de la plume de Christiaan. Ce qui, il est vrai, ne l'empêchait pas d'assister régulièrement au culte, de prendre la CèneGa naar voetnoot128), de parler, sans hypocrisie, de ‘nostre Religion’Ga naar voetnoot129). Mais ‘quam longe haec omnia absunt a Geometricarum probationum evidentia!’Ga naar voetnoot130). La position de la famille Huygens à l'égard des pasteurs de l'église réformée a été touchée à la p. 5 qui précède. Lors de sa grave maladie de 1670-1671 Christiaan | |
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n'avait aucunement éprouvé le besoin de voir paraître un ecclésiastique à ce qui pouvait être son lit de mortGa naar voetnoot131). Il en fut de même en 1695. Le 18 juin la femme de Constantyn écrit que le frère avait été cette semaine de fort mauvaise humeur, que lorsqu'elle voulut le persuader de faire venir un pasteur, il commença à jurer et à tempêter (‘dat broer Christiaen van die weeck van een quaedt humeur geweest was, en dat, als sij hem wilde persuaderen om een Predicant bij hem te laten komen, hij begon te vloecken en te raesen’). Le 5 juillet la belle-soeur rapporte que le malade est encore dans le même état et que les médecins disent qu'il pourrait bien vivre encore une année (‘dat de doctoren seyden, dat hij noch wel een jaer soo soude konnen leven’). Il nous semble improbable que les médecins se seraient exprimés ainsi. Nous sommes plutôt d'avis qu'il faut conclure de cette remarque que l'on ne peut pas se fier absolument à la justesse de tout ce que les lettres de la belle-soeur contiennent. Le frère Constantyn était parti en campagne avec le roi. Il reçut cependant la nouvelle de la mort avec peu de retard. Le 7 juillet il y eut un affaissement subit (‘schielijcke verandering’). Alors on décida, évidemment sans consulter le malade, de faire venir un pasteurGa naar voetnoot132). Ce fut un certain OlivierGa naar voetnoot133), qu'il connaissait (‘soo men t'samen goedt gevonden had een Predicant - Mons. Olivier - bij hem te halen, wesende een kennis van broer’). Il semble possible que depuis quelques semaines l'esprit du mourant ait été plus lucide qu'auparavant, que cette lucidité ait même subsisté après le dit affaissement. La femme de Constantyn raconte que le pasteur lui adressa longuement la parole et fit une ou deux prières pour lui, mais que Christiaan lui répondit de la même façon dont elle l'avait entendu parler dernièrement, et que, quoi qu'on lui dît ou ne lui dìt pas, il n'était pas possible de le faire démordre de cette opinionGa naar voetnoot134) ce qui les affligea tousGa naar voetnoot135) (‘dat dese hem langh aensprack en een gebedt of twee voor hem dede, doch | |
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dat hij hem antwoorde op deselve manier als ick hem laest had hooren spreken, en dat, wat men hem seyde of niet en seyde, hij van die opinie niet af te krijgen was, dat haer alle seer bedroefde’). La nuit l'état du malade empira. On vint chercher la belle-soeur à 3½ heures du matin. Elle le trouva évanoui et dans la même matinée, le vendredi 8 juilletGa naar voetnoot136), il expira en paix (‘seer sacht ontsliep’).
Nous avons citéGa naar voetnoot137) les éloges de Leibniz, de Jean BernoulliGa naar voetnoot138), du marquis de l'Hôpital et de Basnage de Beauval. Celles de Bernoulli et de l'Hôpital sont empruntées à des lettres, celles de Leibniz et de Beauval respectivement aux Acta Eruditorum et à l'Histoire des Ouvrages des Sçavans. Il y eut en outre, beaucoup plus tard, de la part de l'Académie des Sciences de Paris, l'‘Eloge d'Huyghens’ de CondorcetGa naar voetnoot139).
Le Cosmotheoros fut beaucoup lu. Outre les éditions mentionnées dans nos Tomes antérieursGa naar voetnoot140), nous pouvons faire mention d'une réimpression à Prague de 1759Ga naar voetnoot141). Flamsteed en recommanda la lecture au docteur Plume, archdeacon de Rochester, lequel fut amené par là à fonder par testament à Cambridge, en 1704, le ‘Plumian Professorship of Astronomy and Experimental Philosophy’Ga naar voetnoot142).
Pratiquement Huygens ne s'est jamais occupé de questions d'enseignement. Interrogé sur ce sujet par G. Meier, avec qui il échangea en 1691 plusieurs lettres, il se prononce pour l'éclectisine. ‘Equidem neque hanc [c.à.d. Philosophiam Cartesij] | |
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neque Aristotelicam neque ab uno quopiam autore denominatam invehi vellem, sed unius veri rationemGa naar voetnoot143) haberi, ita ut a singulis ea sumantur quae optima ac rationi convenientissima censebuntur. Nihil autem magis obesse videtur philosophicis studijs, quam si in formam systematis redigantur, unde rerum omnium causae quasi jam compertae depromantur’Ga naar voetnoot144). Qu'il se sent à l'âge de soixante ans, physicien plutôt que mathématicien pur, cela résulte de ce qu'il écrit à Leibniz en 1691: ‘Il y a de certaines lignes courbes que la nature presente souvent à nostre vue..lesquelles j'estime dignes de considération. Mais d'en forger de nouvelles, seulement pour y exercer sa geometrie, sans y prevoir d'autre utilité, il me semble que c'est difficiles agitare nugas, et j'ay la mesme opinion de tous les problemes touchant les nombres’Ga naar voetnoot145). Un malveillant serait tenté de citer le dicton des raisins sûrs. Mais comparez aussi la p. 493 qui précèdeGa naar voetnoot146). Ce qu'il ne considère certes pas comme des ‘nugae’, c'est d'avancer certaines généralités sur les axiomes, ainsi que sur l'espace et le temps (notons que chez lui il n'y a pas de relativité du temps) et sur la question de savoir si le nombre des corps célestes est fini ou infiniGa naar voetnoot147).
Comme tout autre penseur, et même comme tout homme, il éprouvait constamment la nécessité de maintenir jusqu'à un certain point ses idées anciennes, mais aussi de les modifier, légèrement ou profondément, de tâcher d'assimiler ce qui n'était pas tout à fait disparate, d'écarter ce qui l'était. C'est ainsi qu'il croit devoir rejeter le ‘pitoyable axiome’ de FermatGa naar voetnoot148). Néanmoins, puisqu'il avait été influencé dès sa jeunesse par Cicéron qui s'inspire en partie des dialogues - aujourd'hui inconnus - d'AristoteGa naar voetnoot149), il ne dira pas qu'il n'y a rien de bon dans les oeuvres du philosophe grec; il cite même, | |
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si nous voyons bien sans la désapprouver, sa sentence: ‘Natura nihil frustra facit’ (en cet endroit il est question de botanique)Ga naar voetnoot150). Ce qu'il a maintenu jusqu'à sa mort, c'est - et en ceci il n'est pas en désaccord avec AristoteGa naar voetnoot151) - qu'il n'y a pas d'action à distance; d'autre part qu'il faut s'attacher à la considération des petites particules et qu'on doit bien considérer, comme le faisait Démocrite, les atomes comme des corpuscules infiniment durs. Le ‘principe d'attraction’ universelle de NewtonGa naar voetnoot152) - ou plutôt, pouvons-nous dire, de ses successeurs ou contemporains qui considèrent la ‘gravitatem’ comme ‘corporibus essentialem’Ga naar voetnoot153) - lui paraissait nettement ‘absurde’. Aujourd'hui l'on peut, pour se servir de la même terminologie, considérer comme absurdes les corpuscules infiniment durs - quoique la croyance à ceux-ci (tout aussi bien que la croyance à l'action à distance) se soit montrée fructueuse -, et plutôt approuver Leibniz soutenantGa naar voetnoot154) qu'on doit y ‘reconnoistre quelque chose de superieur, qui est la force’Ga naar voetnoot155). Quant aux tourbillons magnétiques et électriques - on sait qu'en électricité et magnétisme l'idée qu'il n'y a pas d'action à distance a prévalu depuis longtemps - on peut dire que le vrai et le faux, l'ivraie et la bonne graine, y sont inextricablement mêlés.
Nous avons çà et là (peu systématiquement) imprimé des mots en caractères gras, p.e. l'oculaire de Huygens à la p. 590, la spirale régulatrice des montres à la p. 692, le principe des ondes-enveloppes à la p. 699 et à la p. 587 le phénomène de Huygens dont l'interprétation erronée le fortifia dans sa conviction que la cohésion est due à une pression de matière fine ambianteGa naar voetnoot156) et que généralement il convient d'expliquer les phénomènes à l'aide de matières de différents ordres de finesse, toutes composées d'atomes infiniment durs. Nous aurions pu également nous servir de caractères gras dans le cas de la force centrifuge, de la conservation de la quantité du mouvement et des forces vives, de la relativité du mouvement, du Novus cyclus harmonicus, de l'aplatissement de la terre, de l'anneau de Saturne, de la mesure (ou évaluation) de la distance des étoiles fixes de première grandeur, de la lanterne magique, du centre d'oscillation, de l'horloge à pendule, du centre de courbure etc. À la question du vrai et du faux se rattache celle du bien et du mal, eux aussi en général inextricablement mêlés. Dans le Cosmotheoros - précédé par les ‘Verisimilia de planetis’ et quelques autres chapitres de 1690 que nous n'avons pas encore | |
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mentionnés dans le présent paragraphe - Huygens fait un sérieux effort pour être optimiste, pour voir les imperfections comme nécessaires au progrèsGa naar voetnoot157), le mal comme l'absence du bienGa naar voetnoot158), de même, pouvons-nous dire, que pour lui le froid n'est que l'absence de la chaleur (consistant en mouvements de particules). Cet optimisme est - comme toujours - plus ou moins forcé. Ailleurs le mal nous semble avoir à ses yeux un caractère positif quand il dit, conformément à ce que l'expérience lui avait appris: ‘Morbi quidem dolores saepe magnos adferunt, quos malum esse, quis sanus negaverit?’Ga naar voetnoot159).
À bien des égards l'influence de Newton a prévalu sur celle de Huygens, même dans le cas de la lumière dans lequel on a pensé, non pas au dix-huitième siècleGa naar voetnoot160) mais plus tard, que la théorie ondulatoire - dont on dissimulait parfois les imperfections - était nettement supérieure à celle de l'émissionGa naar voetnoot161). Nous savons maintenant que Newton n'a pas eu tort de se demanderGa naar voetnoot162) - ce qui suivant la conception de Huygens eût été une absurdité -: ‘Annon corpora crassa & lumen in se mutuo converti & transmutari possunt?’ La manière dont Huygens veut expliquer ‘la lumiere eclatante du Soleil’Ga naar voetnoot163) nous paraît aujourd'hui bien peu satisfaisante.
Nul certes n'est parvenu à expliquer définitivement la structure de l'univers. Mais le progrès, auquel Huygens croyait fermement et auquel il faut bien dire qu'il a contribué tant par ses oeuvres que par son exemple, est indéniable. Ce progrès a été grand au dix-septième siècle, il s'est accéléré depuis. L'humanité avance (quel que soit le sens de son progrès), l'individu, même l'individu éminent, dont l'esprit, malgré tous ses efforts, reste essentiellement borné et entaché d'erreurs, succombe. Ars longa, vita brevis. |
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