Appendice II
Aux réflexions sur la probabilité de nos conclusions etc.
Pour mieux faire connaître les Dialogues de la Mothe le Vayer qui a apparemment eu une certaine influence sur Huygens, nous croyons utile d'en copier quelques pages.
II, p. 184 et suiv. (Dialogue de l'Opiniastreté): ‘Tant s'en faut que je pense que les longues estudes & les plus profondes cogitations rendent un esprit dogmatique et asserteur .. plus clairvoyant & meilleur juge de ce qu'il s'est proposé de reconnoistre, qu'au contraire, j'estime que souvent son travail ne luy sert qu'à s'esloigner de la verité & à le rendre contre elle d'autant plus opiniastre. Ce qui procede de ce qu' Aristote discourt si bien au dernier chapitre du second livre de sa Metaphysique, c'est à sçavoir, que nostre façon de concevoir, d'apprendre & de discourir, despend bien souvent de la coustume, laquelle nous emporte & tyrannise mesmes en ce poinct, auscultationes seu rationes discendi secundum consuetudines acciduntGa naar voetnoot1), en telle sorte, que celui qui s'adonne aux Mathematiques, veut tout soubmettre aux demonstrations de son art, celuy qui aime la fable & la mythologie, ne discourt & ne s'explique que par parabole. Ainsi le Philosophe Musicien Aristoxenus dans Ciceron, 1. Tusc. qu., artificio suo non recedit, voulant que nostre ame ne soit autre chose qu'une douce harmonieGa naar voetnoot2); ainsi
Pythagore assubjettissoit toute sa Philosophie aux mysteres de ses nombresGa naar voetnoot3); Aristote luy mesme aux regles de sa LogiqueGa naar voetnoot3); Platon à ses idéesGa naar voetnoot4);
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Democrite & votre Epicure à leurs Atomes ou corps insectiles; les Chimistes à leurs principes & fourneaux; les Cabalistes & Rosecroix à leurs traditions & figures enigmatiques; Gilbertus à la vertu aimantée; Copernicus (après Philolaus & Hicetas autheurs de cette pensée) à la mobilité de la terre; bref, chacun se forme une ratiocination, & ensuite un systeme à part, & à sa mode. Or, de l'heure qu'un esprit, pour bon souvent qu'il soit, s'est ainsi laissé prevenir de quelque particuliere imagination & a pris à party de la soustenir, sa force ne luy sert plus qu'à se confirmer & roidir en icelle, rejettant animeusement tout ce qui semble luy pouvoir contrarier. C'est ce que Verulamius s'est advisé de fort bien appeller idola specus en son nouvel organe, habet enim, dit-il, unusquisque specum sive cavernam quandam individuam, quae lumen naturoe frangit & corrumpit; & nous pouvons bien dire en ce sens, que l'homme est un grand idolastre, n'y ayant peut estre que le seul Sceptique qui se puisse aucunement exempter de tomber en cette flatteuse idolatrie de ses fantaisies, à cause de l'indifferente constitution interieure de son esprit’. P. 235-236 (même dialogue): ‘Les Dogmatiques, qui sont dans la prevention, ne voyant souvent les choses que du biais qui favorise leur sentiment anticipé, ce n'est pas merveille qu'ils inclinent promp tement à l'un ou à l'autre party, avec tant de pesanteur qu'on ne les en puisse plus demouvoir, qui ad pauca respiciunt, de facili pronuntiant. Mais quant à ceux de nostre famille, qui font les reflexions convenables sur la probabilité [nous soulignons] de toutes propositions, au lieu de se
laisser emporter foiblement à pas un party, ils s'arrestent genereusement sur leurs propres forces, entre les extremitez de tant d'opinions differentes, qui est la plus belle & la plus heureuse assiette que puisse posseder un esprit Philosophique’.
Voyez aussi les l. 6-7 de la p. 3 du T. XIX.
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voetnoot1)
- En grec: Αἱ δ᾽ἀϰροάσεις ϰατὰ τὰ ἔϑη συμβαίνουσιν, etc. C'est dans l'édition de Bekker (Vol. II, p. 994b) le dernier paragraphe du second chapitre du premier livre de la Métaphysique.
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voetnoot2)
- Tusculanae disputationes, I, §§ 19-20. Cicéron ajoute à bon droit: ‘et tamen [Aristoxenus] dixit aliquid, quod ipsum quale esset erat multo ante et dictum et explanatum a Platone’.
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voetnoot3)
- Nous saisissons cette occasion pour citer un passage de la p. 160 des ‘Archaeologiae philosophicae libri duo’ de 1692 de Th. Burnet (voyez sur ce livre la p. 664 qui suit) où ce contemporain anglais de Huygens dit, comme lui, que, plutôt que de suivre Pythagore ou Aristote, le physicien doit s'en tenir à la fois à la ratio et à l'experientia (comparez la p. 31 du T. XVIII): ‘Nec tamen dissimulandum est, ingenium Pythagoricum, Platonicumque, hoc vitio laborâsse, quod res Physicas in rationes Mathematicas, numeros & proportiones, resolverit: uti postea Aristoteles in rationes Logicas. Uterque peccavit nimiâ subtilitate, dum tennibus aranearum filis Divam Naturam tenere studerent, quae non nisi ferreis aut adamantinis catenis, ratione rigidà fidisque observationibus, se constringi patitur’.
convient d'ajouter (comparez la note 5 de la p. 768 qui suit) que la Mothe le Vayer, de même que Burnet, ne pouvait, au dix-septième siêcle, avoir une idée quelque peu précise de l'évolution de la pensée d'Aristote. ‘Aristote, sans abandonner sa prédilection pour un système scientifique logique, l'oeuvre de sa vie entière, et sans renoncer à la recherche des causes premières .. en arrive à reconnaître à l'observation méthodique le rôle primordial et à en faire la base essentielle de toute recherche scientifique’ (Pierre Brunet et Aldo Mieli ‘Histoire des Sciences. Antiquité’, Payot, Paris, 1935, p. 233).
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voetnoot3)
- Nous saisissons cette occasion pour citer un passage de la p. 160 des ‘Archaeologiae philosophicae libri duo’ de 1692 de Th. Burnet (voyez sur ce livre la p. 664 qui suit) où ce contemporain anglais de Huygens dit, comme lui, que, plutôt que de suivre Pythagore ou Aristote, le physicien doit s'en tenir à la fois à la ratio et à l'experientia (comparez la p. 31 du T. XVIII): ‘Nec tamen dissimulandum est, ingenium Pythagoricum, Platonicumque, hoc vitio laborâsse, quod res Physicas in rationes Mathematicas, numeros & proportiones, resolverit: uti postea Aristoteles in rationes Logicas. Uterque peccavit nimiâ subtilitate, dum tennibus aranearum filis Divam Naturam tenere studerent, quae non nisi ferreis aut adamantinis catenis, ratione rigidà fidisque observationibus, se constringi patitur’.
convient d'ajouter (comparez la note 5 de la p. 768 qui suit) que la Mothe le Vayer, de même que Burnet, ne pouvait, au dix-septième siêcle, avoir une idée quelque peu précise de l'évolution de la pensée d'Aristote. ‘Aristote, sans abandonner sa prédilection pour un système scientifique logique, l'oeuvre de sa vie entière, et sans renoncer à la recherche des causes premières .. en arrive à reconnaître à l'observation méthodique le rôle primordial et à en faire la base essentielle de toute recherche scientifique’ (Pierre Brunet et Aldo Mieli ‘Histoire des Sciences. Antiquité’, Payot, Paris, 1935, p. 233).
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voetnoot4)
- Voyez sur l'évolution de la pensée de Platon la note 15 de la p. 533 qui précède ainsi que la note 5 de la p. 768 qui suit.
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