Oeuvres complètes. Tome XX. Musique et mathématique
(1940)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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Huygens et Euclide. | |
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Avertissement.Les vers de Théocrite par lesquels débute ce Tome montrent l'intérêt de Huygens non seulement pour les règles de l'art musical - lesquelles formèrent, de même que celles de l'optiqueGa naar voetnoot1), un sujet d'études pour EuclideGa naar voetnoot2) - mais plus généralement pour la considération objective, tant artistique que scientifique, de la nature. Nous ne croyons pas méfaire en reproduisant ici à ce propos un de ses dessins représentant une ferme, non pas sicilienne sans doute, mais néerlandaiseGa naar voetnoot3). Ce qui domine chez Théocrite, tel que le font connaître les endroits cités, c'est assurément la ἰδέα τῆς ἁρμονίας laquelle distingue les grecs des barbaresGa naar voetnoot4). | |
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L'hellénisme qui a eu sur Huygens l'influence la plus directe est, nous semble-t-il, celui de l'époque classique à laquelle appartiennent Euclide, Théocrite et son compatriote et contemporain cadet Archimède. Nous n'entendons évidemment nullement affirmer que la conception du monde - s'il est permis d'employer le singulier - des grands hommes de cette époque classique soit absolument conforme à celle de Huygens. N'oublions pas qu'ils étaient partisans du système géocentrique et que (malgré Aristote qui nie expressément la musique des sphèresGa naar voetnoot5) le poète, géographe, astronome et mathématicien Ératosthène, à qui Archimède dédia sa Méthode, ‘motu stellarum sonos musicos edi consentit’Ga naar voetnoot6). Le sentiment d'Euclide sur ce sujet nous est inconnu. Nous ne croyons cependant pas nous tromperGa naar voetnoot7) en disant que c'est surtout à une époque postérieure que les savants - Ptolémée était du nombre - s'inspirant d'idées anciennes, en sont venus à préciser d'une manière fantaisiste les rapports entre la musique, le monde des astres, et la vie humaine. Huygens, cherchant en géomètre, astronome et physicien les lois générales qui régissent les phénomènes - en laissant de côté un phénomène périodique étrange: il n'a jamais parlé de l'influence prépondérante, anciennement découverteGa naar voetnoot8), de la lune sur les maréesGa naar voetnoot9) - n'a nullement subi comme | |
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PlutarqueGa naar voetnoot10), KeplerGa naar voetnoot11) et plusieurs de ses propres contemporainsGa naar voetnoot12) le charme de ces vues semi-orientales. Sur l'influence directe ou indirecteGa naar voetnoot13) de Démocrite - pour qui, soit dit en passant, la terre était plate - et d'Epicure on peut consulter le T. XIXGa naar voetnoot14). Nous rappelons que Démocrite (comme Aristote) est antérieur à Euclide, tandis qu'Epicure est son contemporain. Pour Huygens ce qui constitue l'univers matériel ce sont en premier lieu les corps, entités bien définiesGa naar voetnoot15). La géométrie est la science qui traite des ‘corps, surfaces et lignes’Ga naar voetnoot16) de formes déterminées, ainsi que des rayons de lumièreGa naar voetnoot17), possédant tous | |
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une existence objectiveGa naar voetnoot18). Pas plus qu'Euclide ou Archimède il n'a cru devoir, ou pouvoir, formuler une théorie de la connaissance. Nous ne voyons pas qu'il se soit intéressé à la publication par Boulliau en 1663Ga naar voetnoot19) du ‘Tractatus de judicandi facultate et animi principatu’ de PtoléméeGa naar voetnoot20), auquel Boulliau avait ajouté un long commentaire et une ‘nota brevis ad subtilissimi philosophi Renati Cartesii de animae specie intellectui impressa opinionem’. Nous ne voulons pas dire que pour Huygens le degré d'objectivité de toutes les entités qui se présentent à notre esprit soit le même. Les forces, ainsi que les rayons de lumière, ne sont pas existantes pour lui au même titre que les figures et les mouvementsGa naar voetnoot21). La nature des mouvements eux-mêmes dépend du point de vue des spectateurs: il n'y a pas d'espace absoluGa naar voetnoot22). Mais il ne faut pas chercher chez lui de discussion générale sur la nature réelle ou idéelle des entités qu'il considère. Il croit avoir une certitude entière de l'infinité de l'espaceGa naar voetnoot23); c'est aussi intuitivement (comparez la note 9 qui précède) qu'il exclut de la nature les ‘qualitez attractives et expulsives’Ga naar voetnoot24). Ce sont bien les corpsGa naar voetnoot25), particules ou assemblagesGa naar voetnoot26) de particules indéformables, séparées les unes des autres par le vide (à moins qu'elles ne se touchent), qui suivant lui méritent en premier lieu notre attention: ils constituent la base ferme et inébranlable de toute théorie physique et géométrique. La géométrie euclidienne a une valeur absolue. Notons encore qu'il n'y a pas d'ambiguité dans | |
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le concept du temps; Huygens s'en sert sans le discuterGa naar voetnoot27): le temps, qu'il considère apparemment (tout aussi bien que l'espace) comme une grandeur continue, est le même pour nous tousGa naar voetnoot28). Or, puisque pour toute série de démonstrations il faut partir de certaines définitions et de certains axiomesGa naar voetnoot29), il s'agit de les bien choisir. Ce choix, en effet, est équivoque, et c'est ici que se manifestent le bon sens et l'art du physicien géomètre. Voyez la p. 10 du T. XVI sur le choix des axiomes dans le cas de la collision centrale de sphères dures homogènes; sujet bien important puisque toute la physique d'après Huygens doit finalement reposer sur la collision des corps dursGa naar voetnoot30). Quant à la géométrie pure, c'est dans la Pièce I sur Euclide qui suit, datant sans doute de 1672 ou 1673, qu'il nous donne son opinion sur la manière de parvenir au meilleur choix des axiomes, sans toutefois tâcher d'exécuter lui-même le programme qu'il ébauche. Personnellement - quoique partisan d'une certaine rigueurGa naar voetnoot31) - il n'a donc pas éprouvé la nécessité de serrer toutes ses pensées dans un étau rigide. Cette Pièce fait voir que pour Huygens nos connaissances géométriques sont empiriques; les propositions d'Euclide expriment des vérités de fait. | |
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Quant aux axiomes additionnels de la géométrie, également euclidienne, d'Archimède, Huygens s'en sert sans les critiquer. A l'instar du prince des géomètres grecs il est d'avis que l'infiniment grand et l'infiniment petit ne doivent pas entrer dans une démonstration formelleGa naar voetnoot31). |
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