X.
Dilatation des corps par la chaleur. Le thermomètre.
Fusion. La chaleur une agitation des particules, grosses ou fines.
La dilatation de l'eau a été mentionnée dans la Pièce VI qui précède. Celle des liquides en général, ainsi que celle de l'air, étaient connues à tout le monde depuis qu'on se servait de thermomètres.
À la p. 25 du T. XVIII nous avons publié une courte Pièce de Huygens sur la dilatation des métaux dont il n'était pas bien convaincuGa naar voetnoot1). Il y parlait d'expériences, prises à l'Académie des Sciences, dont il se souvenait vaguement. Or, voici ce que les Registres nous apprennent à ce sujet:
T. I, p. 200 (début de 1667; voyez sur l'expérience du canon du 8 janvier 1667 la Pièce VII qui précède): ‘Monsieur Auzout a proposé de faire l'experience du froid sur toutes sortes de métaux et sur tous les autres corps solides, pour uoir combien il fait acourcir les uns plus que les autres. pour les metaux il les faut faire passer par une mesme filiere d'une ligne ou enuiron de diametre, à l'egard des autres corps on pourra en faire des regles. Il seroit bon aussy de faire l'experience dans toutes les liqueurs qui ne gelent point pour uoir celles qui diminuent dauantage. Enfin on peut faire l'experience du froid dans un canon de cinq ou six lieues de balles, le remplir d'eau et le bien boucher pour uoir s'il creuera. On peut encore faire la mesme experience dans un flacon d'etain ou dans un vaisseau de plomb’.
P. 201: ‘Le 29e de Januier Monsieur Auzout a proposé quelques experiences qu'il a faites sur le racourcissement des Metaux par le froid et leur alongement par le chaud’.
T. II, p. 155: ‘le 19e de Januier Mr. Auzout a rapporté a la Compagnie que le cuivre s'acourcit par le froid en sorte qu'il ne revient pas aisement a sa premiere grandeur, 2. qu'estant bien battu il ne se reserre pas tant par le froid, 3. qu'une regle d'un pied se retrecit de la cinquiesme partie d'une ligne. Monsr. du Clos a obserué la mesme chose dans une regle de 16 pouces. Monsr. Buot a aussy remarqué que le fil bien asseré [?], et ou il y a plus de matiere ne s'étrécit par le froid que fort peu, ou point du tout’.
Cette dernière communication explique bien l'opinion de Huygens que la dilatation des métaux, p.e. dans le cas des pendules, est trop peu considérable pour devoir être prise en considération.
Le 30 novembre 1669 (Registres, T. VI, f. 181) Cl. Perrault proposa de ‘recommencer l'experience qui a desia esté faicte sur le retrecissement que le froid fait aux metaux pour comparer cet effect du froid avec celuy du grand chaud de l'esté ce qui se feroit en gardant la mesure dans une caue profonde’Ga naar voetnoot2).
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Comme tous les physiciens de ce temps, Huygens s'est toujours intéressé au thermomètre. Voyez le texte de la p. 270 du T. XVII, et la note 2 de cette page, sur le zéro du thermomètre (glace fondante) et sur la température, jugée également fixe, de l'eau bouillante. On peut consulter le T. V sur les thermomètres de Slusius (à globule flottant) et de Hooke.
Dans le Mémoire de 1667, déjà cité à la p. 143 (note 8) qui précède, ‘des Instrumens & autres choses necessaires dont il faudra fournir ceux qui iront à Madagascar’ il est question de ‘thermometres tant des communs que de ceux qui se font auec l'esprit de vin, le vif argent &c. que l'on aura ajustez pour ce pays-ci, afin de remarquer les differences’. Voyez aussi, à la p. 257 qui précède, la fin du programme de 1666.
Le baromètre de Huygens fut transformé en thermomètre à air par Hubin en 1673Ga naar voetnoot3). A la p. 539 du T. VIII, en 1684, Huygens parle d'un thermomètre à alcool, dont le zéro indique la température de la glace fondante, tandis que le deuxième point fixe est donné par celle de la fusion du beurre. La p. 708 du T. X mentionne les thermomètres de d'AlencéGa naar voetnoot4).
Registres, T. II, p. 163: ‘Ce 12 de Juillet [1667] on a proposé de multiplier la chaleur des Miroirs par degrez comme pour fondre divers Corps, comme la glace, le beurre &c. jusqu'aux metaux’. Nous ne voyons pas qu'on ait alors exécuté ce projet, mais on l'a fait certainement en 1669; les Registres n'en font pas mention, mais Huygens nous l'apprend dans une lettre à Oldenburg du
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10 août de cette annéeGa naar voetnoot5). Du Hamel, aux p. 144 et 183 de son ‘Historia’ de 1701, fait mention d'expériences de ce genre du 8 mai 1675 et du 6 avril 1678. Dans le Traité de la LumièreGa naar voetnoot6) Huygens dira que ‘le feu et la flamme ... contiennent sans doute des corps qui sont dans un mouvement rapide, puisqu'ils dissolvent et fondent plusieurs autres corps des plus solides’.
Est-ce à dire que la chaleur n'est autre chose qu'un mouvement, et que le froid n'a donc qu'une existence relative? Le biographe de Huygens P. HartingGa naar voetnoot7) a cité à ce proposGa naar voetnoot8) les paroles (Registres, T. VIII, f. 131, le 23 juin 1677): ‘Conjectures sur le Chaud et sur le Froid. Il y a beaucoup d'apparence que la chaleur vient du mouuementGa naar voetnoot9). La forte d'un mouuement tres viste, le foible d'un mouuement assez lent. Etc.’ En concluant de là que suivant Huygens toute chaleur n'est qu'un mouvement, il s'est trompé doublement; d'abord parce que les paroles citées ne sont pas de Huygens mais de F. Blondel; ensuite parce que leur auteur, après avoir dit qu'il y a ‘beaucoup d' apparence que la froideur consiste dans le repos’ arrive néanmoins, avec Borelli, à la conclusion: ‘Il semble .... qu'il y a deux sortes de froid, l'un qui n'est que l'absence du chaud, et qu'on peut appeler negatif, l'autre qui est l'effet de la presence de certains corps et qu'on peut appeler positif’.
Il faut avouer que, par conséquent, les paroles imprimées en italiques dans la Pièce sur la Coagulation (p. 329 qui précède) que Harting cite avec beaucoup plus de raisonGa naar voetnoot10), ne sont pas non plus absolument probantes.
Gassendi affirmait la nature positive du froidGa naar voetnoot11), Boyle était en doute sur ce sujetGa naar voetnoot12), Locke dans son livre de 1690 la niait absolumentGa naar voetnoot13). Quant à Huygens, nous n'avons pu trouver chez lui aucun passage où il parle de l'existence probable ou possible d'un froid positif. D'autre part, nous avons déjà dit (p. 319) ne pas avoir trouvé chez lui (comme chez Gassendi) des atomes de feu.
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En février 1693Ga naar voetnoot14) il dit que Baco Verulamius ‘a enseignè de tres bonnes methodes’ - comparez la p. 250 et surtout la note 1 de la p. 270 qui précèdent - et qu'il ‘en a donnè un exemple avec succes qui regarde la chaleur dans les corps, qu'il conclud n'estre qu'un mouvement des particules qui les composent’Ga naar voetnoot15). En 1692, dans une lettre à LeibnizGa naar voetnoot16), il avait dit qu' ‘au sujet de la chaleur dans les corps des metaux et autres [Verulamius] a assez bien reussi, si ce n'est qu'il n'a pas pensè au mouvement rapide de la matiere tres subtile, qui doit entretenir quelque temps le bransle des particules des corps’Ga naar voetnoot17).
Voyez sur la communication de la chaleur à travers le vide les dernières lignes de la p. 196 qui précède. Bacon (‘Novum Organon’ Livre II, Art. 12, § 6) avait déjà dit qu'il vaudrait la peine de rechercher s'il est possible de concentrer avec une lentille la chaleur invisible provenant d'un corps chaud (‘calidum quod non sit radiosum aut luminosum’) exactement comme on concentre les rayons du soleil. Il n'avait pas parlé (faute d'y avoir pensé??) d'une matière subtile portant ou propageant les rayons. Nous observons qu'un peu plus loin (Art. 40) il parle du ‘Spiritus qui includitur in corporibus Tangibilibus. Omne enim Tangibile apud nos continet Spiritum invisibilem & intactilem, eique obducitur, atque eum quasi vestit, &c.’. Dans sa courte Pièce ‘Topica inquisitionis de Luce et Lumine’Ga naar voetnoot18) il dit: ‘Lux utrum in corpore aeris deferatur, quemadmodum sonus, incertum’. Il ne connaissait pas encore, est-il besoin de le dire? la pompe pneumatique de von Guericke.
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voetnoot1)
- Voyez aussi sur ce sujet la p. 544 du T. XVII.
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voetnoot2)
- Du Hamel (‘Historia’ de 1701, p. 94) ajoute: ‘1670. Illud quoque à D. Picard tum fuit observatum, lapides & metalla, ut aurum, cuprum, ferrum prae frigore contrahi, ut caloris vi distenduntur, quod jam antea fuerat animadversum, etc.’ Il parle d'une dilatation d'un quart de ligne par pied, mais sans dire quelles étaient les températures considérées; fort probablement on ne songea pas à les mesurer.
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voetnoot3)
- T. VII, p. 261. Sa brochure intitulée ‘Machines nouvellement executees et en partie inventees par le Sieur Hubin, Emailleur ordinaire du Roy. Premiere Partie ou se trouvent une Clepsydre, deux Zymosimetres, un Pese-liqueur, & un Thermometre. Avec quelques observations à Orleans, sur les qualitez de l'Air & particulierement sur sa pesanteur’ parut en 1673 à Paris chez Jean Cusson, éditeur du Journal des Sçavans. Le thermomètre se montra ‘infiniment plus sensible que les nouveaux thermometres de Florence, où l'on met de l'esprit de vin, & qui sont scellez’. Les observations furent faites tant avec le thermomètre qu'avec le ‘baromètre double’ de Huygens, que Hubin comparait avec un baromètre simple. Le premier se montra beaucoup plus sensible, mais tandis que ‘à mesure qu'on montoit, le mercure baissoit regulierement dans le baromètre simple ... la liqueur du barometre double ne haussoit pas selon la mesme proportion’. Comparez la p. 343 qui précède.
La brochure de Hubin contient un Extrait du ‘Registre de l'Académie Royale des Sciences’ du 21 Janvier 1673 dans lequel le secrétaire Galloys testifie que le thermomètre de Hubin a été examiné et approuvé. ‘Le mesme jour le dit Sieur Hubin a aussi proposé à l'Assemblée un moyen de perfectionner le thermometre & le barometre, en faisant monter en spirale les tuiaux dont ils sont composés’. Nous observons que l'Accademia del Cimento avait déjà eu cette idée, qui alors aussi n'était pas nouvelle.
Cet Extrait du Registre provient d'un des tomes perdus; comparez la p. 179 qui précède.
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voetnoot4)
- Sur l'histoire du thermomètre, et des idées sur la nature de la chaleur, on peut consulter p.e. Kirstine Meyer ‘Entwicklung des Temperaturbegriffs’ (‘Die Wissenschaft, No 48, Braunschweig, 1913).
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voetnoot5)
- T. VI, p. 480. Il paraît qu'en 1670 aussi on a fait des expériences de ce genre: du Hamel (‘Historia’ de 1701, p. 96) écrit: ‘1670. Multa insequenti aestati vi speculi ustorii & metallici, quod est in Regia Bibliotheca, liquata sunt corpora etc.’
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voetnoot7)
- Auteur de ‘Chr. Huygens in zijn Leven en Werken geschetst’ (Groningue, Hoitsema, 1868).
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voetnoot8)
- Dans son article ultérieur ‘Christiaan Huygens in de Parijsche Akademie van Wetenschappen’ (revue ‘Album der Natuur’, Haarlem, Tjeenk Willink, 1869).
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voetnoot9)
- R. Hooke à ia p. 12 de sa ‘Micrographia’ de 1667 dit plus positivement: ‘Heat being nothing else but a very brisk and vehement agitation of the parts of a body’. De même J. Rohault dans son ‘Traité de physique’ (en grande partie cartésienne): ‘La chaleur d'un corps consiste dans un mouvement particulier de ses parties’ (p. 221 de la 1o partie, Ch. XXIII, X; nous citons d'après la 4ième éd. de 1682).
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voetnoot11)
- F. Bernier, ‘Abregé de la Philosophie de Gassendi’ T. III, livre I, Ch. VII et VIII (‘De la Chaleur’, ‘De la Froideur’): ‘Or l'on sçait assez que lorsque nous disons que la Chaleur entre, penetre, dissout, &c. on n'entend pas une simple Qualité, mais qu'on entend de certains Atomes ...’ (p. 93); ‘Or comme le froid est opposé au chaud, il est constant que si le propre de la chaleur est d'écarter, & de separer, le propre de la froideur est d'assembler, & de resserrer, & les Atomes qui sont propres pour cela peuvent estre appellez Atomes de froideur ou Atomes frigorifiques’ (p. 115).
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voetnoot12)
- Voir la p. 354 du T. VII. Au début de la Sectio II des ‘Experimenta et notae circa caloris et frigoris originem seu productionem mechanicam’ Boyle dit de la chaleur: ‘Si illius naturam propiùs inspexerimus, ea autem aut omnino aut certè primariò in illa materiae affectione quam motum localem mechanicè modificatum dicimus, videtur esse posita’. Il approuve en général ce que Bacon dit ‘de formâ calidi’: ‘omnium primus de calore ut Experimentalis Philosophus egit’.
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voetnoot13)
- ‘An essay concerning the human understanding’ II, p. 494: ‘Heat is a very brisk agitation of the insensible parts of the object, which produces in us that sensation from whence we denominate the object hot; so what in our sensation is heat, in the object is nothing but motion ... On the other side, the utmost degree of cold is the cessation of that motion of the insensible particles, which to our touch is heat’. Huygens parle avec sympathie du
livre de Locke (T. XVIII, p. 661).
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voetnoot14)
- T. X, p. 404, Remarques de Huygens sur ‘la vie de M. des Cartes’ par Baillet.
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voetnoot15)
- Nous n'avons pas trouvé que Bacon préconise où que ce soit l'existence d'un froid positif. Il dit (‘Novum Organon’ Livre II, Art. 20) ‘quod ipsissimus Calor, sive Quidipsum Caloris sit Motus, & nihil aliud’ ... ‘in se ipso res varia est, cum idem corpus (prout Sensus praedisponitur) inducat perceptionem tam Calidi quam Frigidi’.
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voetnoot17)
- Paroles citées aussi par P. Harting dans sa biographie.
C'est absolument à tort que E. Gerland et F. Traumüller disent à la p. 247 de leur intéressante ‘Geschichte der physikalischen Experimentierkunst’ de 1899, sans citer aucun texte, que suivant Bacon la chaleur consiste en un mouvement de ‘Feuerteilchen’ pouvant aussi se communiquer à d'autres particules (‘Bewegung der Feuerteilchen ... die auf die Teilchen der festesten Körper einen Teil ihrer Bewegung übertragen können’).
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voetnoot18)
- P. 748 des ‘Opera Omnia’ (Francofurti, 1665).
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