Oeuvres complètes. Tome XIX. Mécanique théorique et physique 1666-1695
(1937)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
[pagina 327]
| |
IV.
| |
Sur la CoagulationGa naar voetnoot1).§ 1. Puis que nous voions que la coagulation produit une matiere consistente ou il n'y avoit qu'une liquide, je crois que pour examiner la raison de la coagulation il faut chercher premierement ce que c'est qu'estre liquide et estre consistent. Et quant a la liquiditè il me semble qu'on peut dire qu'elle ne consiste pas seulement dans le detachement des parties desGa naar voetnoot2) corps, mais encore dans un mouuement continuel de ces parties. et il y a plusieurs raisons qui rendent cela vraisemblable car premierement cette proprietè des liqueurs de se faire une surface plane et horizontale c'est a dire de faire descendre toute sa masse aussi bas qu'elle peut, est une chose qu'on ne concoitGa naar voetnoot3) pas qui se puisse faire par la seule petitesse et non coherence des parties, parce que l'on voit qu'un tas de bled ou de grains de moutarde ou de sable ne s'applatist pas mais demeure en forme de pyramide lorsqu'on les verse les uns sur les autres. mais quand on secoue longtemps quoyque par petits coups le vaisseau que les contient, ce qui cause du mouvement dans tous ces grains, on voit qu'ils se mettront de niveau ainsi qu'un liquide. L'experience du plastre fait d'albastre pourrait encore confirmer la mesme chose si on le regardoit avec le microscope. | |
[pagina 328]
| |
Ce qui prouve encore le mouvement des parties de l'eau et des liqueurs est le meslange qui se fait des unes avec les autres, ainsi l'on voit qu'un peu d'esprit de vin quoyque doucement versè dans un verre d'eau se distribue par tout le corps de cette eau, et on le verra encore mieux s'il est teint de safran ou quelqu'autre couleur. Mais cela ne se feroit pas si les parties de l'eau n'estoient en continuel mouvement et ne changeassent mesme de place entre elles, pour transporter les parties de l'esprit de vin par toute l'estendue du verre. Je crois donc que les petites parties qui composent les liquides sont dans un continuel mouvement, qui pourtant ne les agite guere ni ne les fait guere viste changer de place, mais seulement les secoue legerement. Pour dire ce qui leur continue ce mouvement, je ne puis pas concevoir qu'elles se le conservent elles mesmes, car ayant chacune de la pesanteur elles ne peuvent pas se maintenir dans le mouvement non plus que du bled entassè. Mais il faut qu'il y ait une autre matiere fortement agitee, et si subtile qu'elle penetre par tous les corps que nous estimons les plus solides, puis que l'eau enfermee dans un vaisseau de verreGa naar voetnoot1) ou de quelque matiere que ce soit conserve sa liquiditè, et qui plus est, quoyque comprimee avec autant que l'on veut de force. Il y a beaucoup d'effects naturels comme du ressort, de la pesanteur, de la poudre a canon qui ne se peuvent pas bien expliquer sans poser cette mesme matiere subtile mue avec une extreme vitesse. Or comme sesGa naar voetnoot2) parties sont tres petites en comparaison de celles des liqueurs, entre les quelles elle coule elle ne les esbranfle que fort peu mais assez pour leur donner ces petites secousses dans lesquelles j'ay fait consister la liquiditè de la masse qu'elles composent. Ayant fait ces suppositions touchant la liquiditè, il s'en ensuit presque que la consistence des matieres n'est autre chose que la privation du mouvement des parties, a raison de quelque attachement des unes aux autres. Cet attachement vient a mon avis de la figure des parties qui ont des accroches pour se prendre et lier ensemble; car je ne suis pas en cela de l'avis de Mr. des Cartes, qui veut que le repos seul des parties les une[s] aupres des autres, suffise pour composer les corps les plus dursGa naar voetnoot3).
§ 2. Pour venir maintenant a la coagulation, et premierement a celle du lait, je considere qu'il est composè de deux matieres differentes dont celle qui fait le fromage a ses parties tant soit peu herissees ou branchues mais detachees les unes des autres, tant que le lait n'est pas encore caillè, et flottantes parmy celles du petit lait qui est fait de parties uniesGa naar voetnoot4). Or parce que la matiere subtile, qui meut les unes et les autres | |
[pagina 329]
| |
de ces parties, ne les fait remuer presque que en elles mesmes, sans les faire beaucoup changer de place, celles du fromage demeurent sans s'accrocher, tant qu'il n'y [a] autreGa naar voetnoot5) agitation que celle la, parce qu'elles ne se rencontrent point mais la chaleur survenant qui n'est qu'une agitation plus violente des mesmes parties du laictGa naar voetnoot6), elles se meslent beaucoup plus qu'auparavant et se vont chercher les unes les autres et celle[s] qui ont des accroches, demeurent lièes ensemble, si ce n'est que leur mouvement soit trop fort, car on peut faire bouillir le laict et le remuer en mesme temps sans qu'il se caille. Pour ce qui est des liqueurs qui estant meslees au laict le font cailler, nous avons trouuè que toutes les corrosives ont eu cette vertu. l'acretè de leur gout et l'effect qu'elles font sur les metaux font voir qu'elles ont des parties qui par leur mouvement excitent celuy des autres corps; ce qui peut estre ne vient pas tant de la rapiditè de leur mouvement, que de leur grandeur en comparaison des parties des liqueurs non corrosives. Quoy qu'il en soit, l'on peut facilement s'imaginer qu'elles causent un mouuement extraordinaire aux parties du lait et plus grand que celuy qui luy conservoit sa liquiditè. Et ainsi ces parties du fromage qui nagent parmy les autres se rencontrant souvent dans leur chemin s'accrochentGa naar voetnoot7) de mesme que lorsqu'elles sont agitees par l'effect de la chaleur. Outre ces liqueurs corrosives nous en avons trouuè une astringente qui fait pour le moins autant d'effet, qui est l'extrait de noix de galle. Il est difficile de dire ce que c'est que cette facultè astrictive, mais ce qui me paroit le plus vraisemblable, est que cette liqueur consiste en partie de petits corps aspres et capables de s'accrocher ensemble, lesquels estant meslez dans ceux du laict servent de lien commun aux parties fromageres et les attachent ainsi plus fortement qu'elles ne feroient toutes seules. Pour confirmer cette supposition touchant la figure des parties de l'infusion des noix de galles, il faut prendre garde a l'effect qu'on en voit, quand on y mesle seulement la dissolution de vitriol, car il se fait d'abord une manière de coagulation, quoyque non pas si espesse que dans le lait, et on la peut attribuer à l'attachement mutuel qui se fait des parties de la liqueur des noix de galle, apres que le vitriol les a mises en mouuement, ainsi que j'ay dit du laict. Pour ce qui est de l'esprit de vin et autres liqueurs qui encore qu'elles ayent apparemment les parties fort agitees, n'ont point fait cailler le lait, la cause peut estre que leur parties sont trop menuës pour pouvoir agiter plus fort que d'ordinaire les parties du laict. Et en fin celles qui ont empeschè la coagulation comme le sel commun, l'on peut | |
[pagina 330]
| |
dire que c'est pour avoir empeschè en quelque facon le mouuement que l'action de la chaleur auroit donnè aux parties du lait, car l'on voit que le sel a la facultè d'apporter de l'empeschement au mouuement par l'effet de la precipitation. car l'eau forte faisant flotter par son mouuement les parties des metaux qu'elle a dissoute[s], le sel en faisant cesser ou diminuant ce mouuement, fait tomber au fond ces mesmes parties. Que si l'on demande la raison pourquoy il fait cesser le mouuement, je diray que c'est la grosseurGa naar voetnoot1) et le repos de ses parties qui se manifeste par d'autres effects comme par le froid qu'il cause et par la resistence au feu.
§ 3. En marge: P.S. On n'avoit pas encore decouvert par le microscope que le lait est composè de petites boules transparentes qui nagent dans une autre liqueur transparente, mais dont la refraction est moindre, ce qui fait sa blancheur par les refractions et reflexions de ces petites boules. Cette remarque de date inconnue annihile l'explication donnée au § 2 de la formation du fromage sans y substituer une autre. La remarque ne se trouve pas dans les Registres. Comparez l'observation microscopique de Huygens de 1678, p. 698 du T. XIII; voyez surtout la note 5 de cette page qui mentionne les observations de Leeuwenhoeck de 1674.
La Pièce de Huygens fur la coagulation fait partie d'une longue discussion qui commença déjà en mars ou avril 1669. La f. 60 du T. VI des Registres dit - sans indiquer la date précise -: ‘La Compagnie estant assemblée on a parlé des Experiences qu'il est a propos de faire pour la recherche des causes de la coagulation’. Du Clos lut ce jour un mémoire. Le 27 avril il parla de nouveau ‘sur les experiences qui ont esté faictes’; elles portaient toutes sur le lait. Du 4 mai au 12 juin - 8 séances - on fit des expériences sur la coagulation du blanc d'oeuf, du fiel de boeuf, du sang, de ‘l'eau trouuee dans le péricarde d'un cheual qui avait été disséqué vif a la Bibliotheque du Roy’, ainsi que des expériences avec différents sels. Le 6 et le 13 juillet du Clos parla ‘des causes de la coagulation’, le 20 juillet Mariotte traita le même sujet; après le discours de Huygens du 3 août Cl. Perrault lut lui aussi un mémoire. Plus tard (f. 173) on fit encore d'autres expériences. Il nous est impossible de résumer ici cette discussion. Nous nous contentons de copier quelques passages du discours de Mariotte pour faire mieux ressortir que Huygens, lui - il ne parle d'ailleurs que des expériences sur le lait - s'abstient autant que possible d'hypothèses chimiques, si ce n'est de l'hypothèse de la permanence des atomes; ainsi que du discours de Perrault, sur lequel nous aurons à revenir dans la Pièce V qui suit.
Mariotte (parlant avant Huygens): ‘Il est difficile de bien parler des causes de la coagulation, sans sçavoir quels sont les elements et les premieres petites parties qui composent les corps, et il est difficile de sçauoir le nombre et les diverses figures et grandeurs, a cause de leur extreme petitesse qui empesche qu'ils ne soient apparens ny par la veüe quand mesmes elle seroit aidée des plus excellents microscopes ny par aucun autre de nos sens, et tout ce qu'on en peut dire n'est appuyé que | |
[pagina 331]
| |
sur de legeres coniectures et des hypotheses qu'on a de la peine d'establir. En voicy qui peuuent paroistre assez vraysemblables. Je suppose premierement qu'il y a de certains corps moins composez que les autres qui se trouuent ordinairement dans les autres corps plus composez. Ces corps moins composez sont le sel commun, le salpestre, le vitriol, le soulphre, le sel armoniac &c. Et ces corps en telle petitesse qu'on les puisse voir ont de certaines figures qui leur sont propres, le vitriol et le sel paroissent en petits cubes, le salpestre est composé de longues pyramides et de petites pointes, le sel armoniac a peu pres de mesme, on voit d'autres figures dans d'autres mineraux, d'ou l'on peut conclure que les premiers corps simples ont de certaines figures et grandeurs determinees. Je suppose en second lieu que les corps les plus simples se trouuent presque tousiours joincts avec d'autres deux a deux, ou trois a trois ou quatre a quatre .... les uns sont inflammables qu'on peut appeler sulphurez ... le vitriol a une portion sulphurée, un esprit et un sel fixe ...’ L'orateur dit que par la chaleur ‘les particules ... se desaccrochent’. Dans la congélation, de l'eau p.e., les particules au contraire ‘s'accrochent’. ‘Lorsque par le meslange de quelques matieres il se faict des coagulations, il ne faut pas croire qu'il y ait des corps naturellement coagulants et d'autres dissoluants .... Le vinaigre empesche la coagulation du sang, a cause qu'il le delaye trop et qu'il empesche par son acidité et penetration de ses parties l'action des parties visqueuses .... Les autres experiences de la coagulation se peuuent expliquer par des causes a peu pres semblables quoy qu'elles satisfassent peu et qu'elles ne soient pas convainquantes’.
Cl. Perrault (parlant après Huygens) nous apprend qu'entre les parties d'un liquide il n'y a ‘rien d'interposé que l'aether’, exactement comme dans les corps solides; seulement le liquide a des ‘parties aisément séparables’. Il ne croit pas à ‘tous les crochets et toutes les branches qui font les entrelacements que les disciples de Democrite et d'EpicureGa naar voetnoot2) s'imaginent .... ils devroient estre tous rompus il y a desia long temps par les dissolutions infinies depuis le commencement du monde... Je dis que ce qui lie les particules des corps durs & concrets est la repugnance qu'il y a a la separation des particules qui sont proches les unes des autres, laquelle separation ne se peut faire, que d'autres particules ne prennent place et n'emplissent l'espace que celles qui se separent doiuent laisser entre elles: mais ie n'entends pas proposer cette repugnance seulement comme une condition sans laquelleGa naar voetnoot3) & comme une raison simplement metaphysique, je l'attribue a une cause physique qui est la pesanteur qui se trouue generalement dans tous les corps et dans l'atmosphere aussi bien que dans la Terre. Car la pesanteur de l'atmosphere qui presse et qui serre tous les corps est ce qui repugne a la separation des particules plus grossieres, lors qu'il ne s'en rencontre pas d'autres plus petites qui soient capables d'entrer dans l'espace que les premieres laissent en se separant. Car alors il faut que cette separation se face en forçant la pesanteur de tout l'atmosphere, etc..... Il ne se fait point de coagulation que par le moyen des parties aqueuses qui sont meslees dans tout ce qui en est capable, etc.’ |
|