Oeuvres complètes. Tome XIX. Mécanique théorique et physique 1666-1695
(1937)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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Il nous semble, malgré l'auteur, que le doute de Huygens était plus philosophique que l'assurance avec laquelle Huet défend l'explication du phénomène. Huygens douta, paraît-il, durant une sixaine d'années. jusqu'à la fin de 1667 (T. XVII, p. 263). Mais il est fort possible que le but du conseiller du Roi, d'ailleurs lié d'amitié avec Huygens depuis plusieurs années, ait été surtout d'imposer silence à ceux dont les propos pouvaient nuire au prestige de l'Académie des Sciences. Comparez la note 7.
‘J'employerai comme vous des exemples, & me serviray de l'effet des plaques, parce qu'il est le plus sensible & le plus commode pour cette matiere; car il sera facile ensuite de concevoir que la même chose doit arriver aux liqueurs. Il faut donc que vous vous imaginiés deux plaques percées chacune de six petits trous, qui occuperont, si vous voulez, autant d'espace que les parties solides qui restent, & que de plus vous vous figuriés les plaques appliquées l'une sur l'autre, mais dans cette disposition, qu'une moitié des parties solides se rencontrent contiguës, & que les autres soient vis à vis des trous. Je dis donc que, si on met les plaques ainsi jointes dans une liqueur dont les parties ayent du mouvement en tout sens, elles doivent infailliblement estre pressées l'une contre l'autre. La raison en est evidente, car leurs superficies exterieures ont toutes leurs six parties exposées aux coups de la liqueur, au lieu que leurs superficies interieures ne peuvent estre frappées que par ces trois parties que nous avons posé vis à vis des trous: ainsi on voit que ces plaques sont incessamment pressées l'une vers l'autre par six degrés de force, tandis qu'il n'y en a que trois qui tâchent de les séparer, de sorte qu'elles demeurent unies par trois degrez de force ....... chaque particule d'eau doit estre icy considerée comme une petite plaque appliquée, ou contre les parties du verre, ou contre les particules d'eau, qui sont unies ensemble, comme M. Hugens l'explique dans sa lettre ...... une plaque pourroit couler d'une file à l'autre sans tomber ........ & c'est de cette maniere que l'eau conserve sa liquidité dans la suspension, & tout cela doit mieux arriver a l'eau, dont les parties sont vraysemblablement pliantes, qu'à des plaques d'un metal fort roide ...... Voilà pour votre premiere objection, venons à la seconde qui ne paroist pas moins forte. Elle fut proposée dans cette même assemblée dans toute sa force, on allegua, aussi bien que vous, qu'un fort petit trou, qui étoit capable de laisser passer l'air, suffisoit pour faire tomber toutes les liqueurs qui en étoient soûtenues, & qu'à plus forte raison plusieurs trous, dont le verre est rempli & qui pourroient laisser passer librement la matiere subtile, n'etoient que trop suffisans pour faire tomber toutes les liqueurs, qu'on prétend qu'elle soûtient. Mais M. pour répondre encore à cette objection, il faut ici considerer que l'air pese toùjours sur une particule d'eau ou de quelqu'autre liqueur toute entiere ...... Tout cela prouve, ce me semble, assez clairement que la contiguité des particules des liqueurs entre elles, ou avec le verre, suffit pour en soûtenir des colomnes, pourveu qu'elles ne deviennent pas trop pesantes, & qu'elles soient toûjours comme celles qui sont sous un pore du verreGa naar voetnoot5); car autrement il arriveroit qu'étant trop pesantes, elles romproient la contiguité & tomberoient. Aussi a-t-on remarqué dans la seconde experience, qui est dans la lettre de M. Huguens, qu'une bulle d'air qui se forme dans l'eau purgée, rompt la contiguité & que l'équilibre des liqueurs y suit après les mesmes lois que dans le syphon ordinaire .......Ga naar voetnoot6). [On a constaté] que l'équilibre est rompu lorsque la bulle étoit parvenue comme à la ligne BB, laquelle étoit un peu au dessus du lieu où l'air, resté dans le recipient, pouvoit soûtenir l'eau ..... la matiere subtile du dehors s'y insinue au mesme tems sans peine, parce que l'union des parties de l'eau étoit rompuë de ce costé-là .....’Ga naar voetnoot7). | |
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R. Hooke, qui avait le premier, en 1673, fait réussir l'expérience de Huygens avec du mercureGa naar voetnoot8), parle d'une part de l'adhésion du fluide au tube et de la cohésion de ses parties entr'elles, d'autre part de l' ‘éther’ qui vainc l'une et l'autre en s'insinuant entre les particules: dans sa ‘Micrographia’ de 1675 il écrit (p. 31): ‘the parts of the quick-silver being so very similar and congeneous to each other, if once united will not easily suffer a divulsion. And the parts of the water, that were any wayes heterogeneous, being by exantlation or rarefaction exhausted, the remaining parts being also very similar, will not easily part neither. And the parts of the glass being solid are more difficultly disjoyn'd; and the water being somewhat similar to both, is, as it were, a medium to unite both the glass and the mercury together’Ga naar voetnoot9). Une petite circonstance, telle qu'un choc ou la présence d'une bulle, peut donner occasion au ‘heterogeneous aether to obtrude itself between the glass and either of the other fluids’. Alors ‘the gravity of mercury precipitates it downward with great violence.’ .... ‘though the aether passes between the particles, that is, through the pores of bodies, so that any chasme or separation being made, it has infinite passages to admit its entry into it, yet so much is the tenacity or attractive virtue of congruity, that till it be overcome by the meer strength of gravity, or by a shog assisting that conatus of gravity, or by an agil particle, that is like a leaver agitated by the aether .... the parts to be taken hold of being removed out of the attractive sphere, as I may so speak, of the congruity; such, I say, is the tenacity of congruity, that it retains and holds the almost contiguous particles of the fluid, and suffers them not to be separated, till by meer force that attractive or retentive faculty be overcome’. Cette explication s'accorde, plus ou moins, avec celle de Huygens qui, tout en n'acceptant pas l'adhésion comme une cause primordialeGa naar voetnoot10), se sert pourtant parfois de ce termeGa naar voetnoot11). Il est vrai que Hooke ne dit pas expressément qu' à son avis la pression de l' ‘éther’ sur la surface libre est en cause.
Newton, en 1679, admettait apparemment lui aussi la théorie de Huygens: le 28 février de cette année il écrit à BoyleGa naar voetnoot12): ‘I suppose that there is diffused through all places an aethereal substance, capable of contraction or dilatation, strongly elastic, and, in a word, much like air in all respects, but far more subtile. I suppose this aether pervades all gross bodies, but yet so as to stand rarer in their pores than in free spaces; and so much the rarer, as their pores are less. And this I suppose (with others) to be the cause, why light, incident on those bodies is refracted towards the perpendicularGa naar voetnoot13); why two well-polished metals cohere in a receiver exhausted of air; why quick-silver stands sometimes up to the top of a glass pipe, though much higher than 30 inches; and one of the main causes, why the parts of all bodies cohere .....Ga naar voetnoot14). | |
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Quelques dizaines d'années plus tard Newton n'était d'ailleurs plus de cet avis. Son Optique (‘Opticks’) de 1704 contient une série de questions (‘Query's’), qui furent amplifiées dans l'édition, également anglaise, de 1717. Entre temps (1706) avait paru une traduction latine de Clarke, qui écritGa naar voetnoot15): ‘Nonnulli existimant marmora illa compressa esse aethere quodam ambiente, argentumque vivum eodem aethere sursum in tubum impelli, etc.’ Clarke combat cette théorie et dit au contraire: ‘apparet partes corporum etiam fluidorum cohaerere inter se’ [nous soulignons]. Dans l'édition de 1717 cette partie de la ‘Query 31’ apparaît sous une forme modifiée. Newton y dit: ‘All bodies seem to be composed of hard particles .... And how such very hard particles, which are only laid together, and touch only in a few points, can stick together, and that so firmly as they do, without the assistance of something which causes them to be attracted or pressed towards one another is very difficult to conceiveGa naar voetnoot16). The same thing I infer also from the cohering of two polished marbles in vacuo; and from the standing of quick-silver in the barometer at the height of 50, 60 or 70 inches, or above, whenever it is well purged of air and carefully poured in, so that its parts be every where contiguous both to one another and to the glass. The atmosphere by its weight presses the quick-silver into the glass to the height of 29 or 30 inches. And some other agent raises it higher, not by pressing it into the glass, but by making its parts stick to the glass, and to one another [nous soulignons]’. Notons qu'un peu plus haut, à la p. 242 du T. IV, Newton avait dit: ‘what I call attraction, may be performed by impulse, or by some other means unknown to me [nous soulignons]’.
Au dix-huitième siècle, après la mort de Newton, le phénomène découvert par Huygens ne donna plus lieu, croyons-nous, à des discussions retentissantes. En 1739 P. van Musschenbroek, newtonien convaincu, l'explique uniquement par l'attractionGa naar voetnoot17). Au commencement du 19ième siècle Laplace mentionne en passant dans le Supplément au livre X de la ‘Mécanique céleste’ (p. 3) ‘la suspension du mercure dans un tube de baromètre à une hauteur deux ou trois fois plus grande que celle qui est due à la pression de l'atmosphère’. Sans l'expliquer, il dit qu'il peut y avoir une certaine relation entre ce phénomène et ‘l'action d'une masse fluide, terminée par une portion de surface sphérique concave ou convexe, sur une colonne fluide intérieure renfermée dans un canal infiniment étroit dirigé vers le centre de cette surface’. Il parle, comme on voit, des phénomènes capillaires.
Quelques dizaines d'années plus tard, le phénomène fut découvert de nouveau, pour de l'acide sulfurique, par F.H.L. DonnyGa naar voetnoot18). Il apprit ensuite que le phénomène avait été mentionné par Laplace et que les fabricants de baromètres savaient qu' ‘il arrive parfois que le mercure se tient totalement suspendu et ne descend à son niveau relatif au poids de l'atmosphère qu'en secouant le baromètre; mais - ajoute-t-il - personne n'a cherché à remonter à la cause de ce phénomène et n'en a déduit de conséquence’. | |
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Les discussions du dix-septième siècle étaient complètement oubliées.
Nous avons cité l'article de 1842 de Donny intitulé ‘Mémoire sur la cohésion des liquides et sur leur adhérence aux corps solides’Ga naar voetnoot19). Il y dit en outre que dans son manomètre à acide sulfurique ‘le liquide continua à occuper toute la capacité de la branche fermée comme si le vide n'avait pas été fait, et cela bien qu'on donnât à la machine de fortes secousses ... Je ne voyais d'autre moyen d'expliquer le phénomène, que de l'attribuer à l'adhérence de l'acide sulfurique au tube et à la cohésion de ses molécules entre elles. Mais j'eus de la peine à m'arrêter à cette explication, parce qu'elle contrariait les idées reçues, d'après lesquelles l'attraction dont il s'agit ne saurait à beaucoup près, produire des effets aussi marquants’. L'expérience lui réussit aussi avec de l'eau distillée. En 1892 A.M. WorthingtonGa naar voetnoot20) parvint à mesurer la pression négative ou tension du liquide suspendu en y introduisant un petit vase en verre mince plein de mercure et communiquant avec un tube capillaire (‘an ellipsoïdal bulb filled with mercury, and provided with a narrow graduated capillary stem’). L'abaissement du mercure dans le tube capillaire fit voir clairement que le volume du petit vase augmentait sous l'influence du liquide tendu adhérant à ses parois extérieures. Ce fut là l'‘experimentum crucis’, pour employer l'expression de Baco Verulamius: comparez la p. 320 (note 2) qui suit. Worthington constata de plus que (comme le dit aussi Huet) le fluide dans le tube reste liquideGa naar voetnoot21). Les ‘Communications from the Physical Laboratory at Leiden’ de 1912Ga naar voetnoot22) disent: ‘Bevor man im Stande sein wird aus Versuchen über die Zugfestigkeit von Flüssigkeiten (Donny, Berthelot, Worthington ...) ... mehr als einen Wert den der [negative] Cohäsionsdruck übersteigen muss, abzuleiten ... ist eine nähere Untersuchung der Bedingungen, unter welchen das metastabile Gleichgewicht bestehen bleiben kann, nötig’. Le phénomène de Huygens donnera donc peut-être encore lieu dans la suite à d'intéressants travauxGa naar voetnoot23). |
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