Oeuvres complètes. Tome VIII. Correspondance 1676-1684

N^o 2255.
Christiaan Huygens à J. Gallois.
19 février 1682.

La minute et la copie de la minute se trouvent à Leiden, coll. Huygens.

A.M. l'Abbé Gallois.

19 fevr. 1682.

Monsieur

J'ay esté trop longtemps sans vous donner de mes nouvelles et si vous n'en avez point appris d'ailleurs, vous auriez pu douter avec quelque raison si j'estois encore au nombre des vivants. A ce que je vois pourtant par une lettre que m'escrit Mr. de la Hire¹⁾ vous me conservez tousjours l'honneur de vostre souvenir et de vos bonnes graces, car l'un et l'autre paroit en ce que vous luy avez remonstré touchant son dessein de me proposer l'echange de nos appartements a l'observatoire. Je luy suis obligé au reste de ce qu'il m'apprend par la mesme lettre les progrez que fait nostre Academie et ses nouvelles deputations vers les Canaries les Antilles et la Ligne aequinoctiale, en quoy je vois avec bien de la joye que les liberalitez du Roy ni les soins et l'affection de Monsgr. Colbert ne cessent point a procurer du lustre a nostre Compagnie et de l'avancement aux sciences ou elle s'occupe. J'ay d'autant plus de regret d'en estre absent et de ce que ma santé si lente a se raffermir ne me permest pas de prevoir ni d'arrester comme je voudrois le temps de mon retour. Toutefois puisque j'ay passè assez heureusement la mauvaise saison de l'hyver j'ay suject d'esperer que le printemps achevera de me rendre toutes mes forces. Ne croyez pas cependant que je manque de me donner de l'occupation. J'avois emporté avec moy, en quittant Paris la machine Planetaire que monseigneur Colbert avoit agrée que je fisse construire, et qui n'estoit que commencée. Ayant trouvè icij un ouvrier tres habile²⁾ je l'y ay fait travailler presque depuis le temps que je suis venu en ce pais. et il ne s'en faut que fort peu maintenant qu'elle ne soit achevée. de sorte que je suis tres assurè du bon succes

1) La Lettre N^o. 2253.

2) Johannes van Ceulen, d'après l'inscription de la machine planétaire. Voir la note 5.

[p. 343]

qu'elle aura, et de ses avantages par dessus celle de Mr. Römer³⁾, comme en premier lieu qu'elle a son mouvement d'elle mesme, montrant tousjours l'heure, le jour du mois, et l'accroissement et decroissement de la lune, outre le mouvement des autres planetes. Que ces planetes se voient avec leurs satellites au dessus de la plaque, où les orbites sont percées subtilement dans toute leur circonference (sans qu'il y ait ces 4 endroits ou Mr. Römer a esté obligè de laisser des attaches). Que tous les cercles des planetes y sont dans leurs proportions veritables, ce qui donne la vraye idée de tout le systeme, et fait que l'on y voit toutes les conjonctions et les oppositions des planetes entr'eux, ce qui manque dans la machine de Mr. Römer a l'egard de Jupiter et de Saturne. Enfin je puis compter ces avantages jusqu'au nombre de 13 ou 14⁴⁾, dont je me donneray l'honneur de vous escrire plus amplement, quand tout sera achevé et dans sa perfection. Ma boëte octogone est de deux pieds de diametre, et on la suspend contre la Tapisserie avec une console dessous, comme une pendule ordinaire la manivelle s'appliquant par le costè lors qu'on veut representer les mouvemens de plusieurs années. Et elle tourne fort legerement et sans interruption ce qui n'est pas ainsi dans la machine de Mr. Römer. Aussi sa construction et la mienne ne se ressemblent point, ni pour le dedans, ni pour le dehors⁵⁾. Je me suis encore appliqué a celle des verres pour des grands Telescopes et a chercher la veritable methode de les faire dans la perfection comme le Sr. Campani, qui n'est pas une petite entreprise et je n'espererois pas d'en venir a bout comme je fais, sans l'aide et l'assistance fidelle d'un frere que j'aij qui aime cette curiositè autant que moy. Vous jugerez bien Mon-

3) Römer avait construit pour l'Académie deux machines, l'une ‘pour le calcul des éclipses’, l'autre ‘pour la théorie des planètes’. Cassini les expliqua au Roi, lors de la visite du 5 décembre 1681, mentionnée dans la Lettre N^o. 2253, note 1. Les deux instruments sont décrits et figurés dans le Journal des Sçavans du Lundy 19. Janvier m.dc.lxxxii.

4) Voir la seconde partie de la Lettre N^o. 2272.

5) L'instrument, dans un état de conservation parfaite, se trouve actuellement à l'observatoire de Leiden. Il porte l'inscription suivaivante:
Chr. Hugenius inventor A^o 1682. Johannes van Ceulen fecit Hagae Hollandia A.J. Royer ipsis manibus restauravit 1781.
Jean Théodore Royer, qui avait acheté l'instrument à la vente de la succession de la famille Huygens en 1754, pour la somme de 725 florins, le légua à l'Université de Leiden.
Chr. Huygens en a donné une description détaillée dans son écrit:
Christiani Hugenii Descriptio Automati Planetarii,
publié pour la première fois par de Volder et Fullenius dans leur ouvrage:
Christiani Hugenii Zelemii, dum viveret, Toparchae Opuscula Postuma, quae continent Dioptricam. Commentarios de Vitris Figurandis. Dissertationem De corona & Parheliis. Tractatum De Motu. De Vi centrifuga. Descriptionem Automati Planetarii. Lugduni Batavorum. Apud Cornelium Boutesteyn. 1703. in-4^o.
La description a été réimprimée par J. van 's Gravesande dans sa publication:
Christiani Hugenii Zuilichemii, Dum viveret Zelhemi Toparchae, Opera Reliqua. Amstelodami, Apud Janssonio. Waesbergios. m.dcc.xxviii. 2 vol. in-4^o.

[p. 344]

sieur par tout ce que je viens d'escrire, et dont je vous entretiens peut estre trop longtemps que mon inclination pour les sciences ne diminue point. Je vous puis asseurer que celle que j'ay a vous honorer continue de mesme, et que je suis avec passion.

Monsieur

Vostre &c.