Oeuvres complètes. Tome VI. Correspondance 1666-1669

N^o 1536.
Constantyn Huygens, père, à H. de Lionne¹⁾.
19 avril 1666.

Une copie se trouve à Amsterdam, Académie Royale des Sciences.

A Monsieur de Lionne.

19 Avril 1666.

Monsieur;

Vous auez souuent prins la peine de jetter la veuë sur de mes oeuures mortes: en voijci une viuante²⁾, et la meilleure piece que j'aije mis au monde. Il semble au moins qu'il en a esté parlé ainsi au Roij, et ce sera bien ce qui aura porté Sa Majesté à me le faire demander de sa grace par Monsieur de Colbert. C'est un honneur, Monsieur, que je sçaij bien que je doibs estimer hautement: mais ie suis Pere, et si fort Pere, ou pour mieux dire, si foiblement Pere, que ie ne puis cacher le ressentiment que j'aij de me veoir frustré, auant mourir, de la conuersation d'un Enfant qui m'a tousiours esté cher et precieux, pour les excellentes qualitez dont il a pleu à dieu de le douër. Cependant comme ie le voij partir sans repugnance, et mesmes auec assez d'inclination, pour la France, où il a senti que les gens d'honneur luij veulent du bien, je m'estimerois moins bon Pere que je ne deburois l'estre si je le destournois de là où il faict estat de trouuer du contentement. Il n'en

1) Hugues de Lionne était alors ministre des affaires étrangères sous Louis XIV. Consultez la Lettre N^o. 1228, note 11.

2) En effet, Chr. Huygens partit le 21 avril.

[p. 31]

sçauroit manquer, Monsieur, si vous daignez le regarder de bon oeil. J'espere que la bonté de vostre naturel et sa modestie concourront à cela. Je ne laisse pas de vous en prier tres-humblement. J'auraij tout dit quand je vous auraij conjuré de le vouloir considerer en tout cas comme estant fils d'un Pere qui ne cessera, qu'en cessant de viure, d'estre &c.