Oeuvres complètes. Tome IV. Correspondance 1662-1663
(1891)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 1002.
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1. | J'en suis mieux esclairé. |
2. | J'en consume moins de cire. |
3. | J'en sens moins de fumée. |
4. | J'en ay moins d'embaras. |
5. | Ma lumiere est moins agitée, et pour article capital, |
6. | Je n'aij que faire de moucher ma chandelle. |
Si vous en voulez estre: considerez la simplicité des deux petites Machines innocentes, que je vous represente: La premiere me sert sur la Table de mon Cabinet, l'autre aupres du feu, au lict et par tout ailleurs.
Premiere. Dans le tuijau d'un petit Chandelier de Cabinet, soit rond, octan
gulaire ou d'autre figure d'or, d'argent, de cuivre doré ou d'acier, comme on les faict joliment à Paris, j'ajuste une bobesche de mesme estoffe, courbée par le millieu, comme ceste figure, c'est à dire à un angle d'environ 150 degrez, pour parler selon l'art, en matiere si sublime; le bout A est ouvert: à celuij de B, il ij a une poincte d'Acier qui esgale BC à CA, je plante le bout BC dans le Chandelier, et lors CA où je mets la Bougie entiere, par consequent de ce que dessus s'escarte de perpendicle environ à 30 degrez, qui n'est pas trop de pente.
Quand la Bougie est consumée jusqu'à vers A, je tourne la bobesche, et plantant A dans le tuijau, je fiche la pointe B dans le bout d'embas de ceste Bougie, et laisse ainsi brusler ma Cire jusqu'à rien, la pente demeurant la mesme.
Par ceste pauure industrie, voijci comme je prouffite les 6 avantages que je vous aij promis.
1. Je suis beaucoup plus esclairé, que je ne le scauroij estre de deux gros flambeaux ou mesches de lampes, par ce que mon feu est tout proche de mon papier.
2. Je consume peu de cire, par ce que ma Bougie, pour tresbien esclairer de si près, n'a que faire d'estre que de 36 à la livre, sur la longueur de 7 pouces de Rhinlande, et une mesche de quatre fils doublez, et je consume tout sans rien perdre.
3. Je ne suis incommodé d'aucune fumée de consideration.
4. Je n'aij point d'embaras de grands Chandeliers sur ma table.
5. Ma lumiere est coije et vifue, par ce que la flamme, qui monte tousjours droict, se desgage du lumignon, et n'en est ni agitée ni obscurcie, comme sont celles des Bougies droictes.
6. Et finalement, Je n'aij que faire de Mouchettes, qui est un sale et facheux instrument sur toute table, quoij que gardé dans quelque placque; ceste Bougie penchante se mouchant successivement elle mesme, par le petit bout qui sort de la flamme; qui me semble une delivrance de beaucoup d'importunité pour qui a d'autres pensees.
Seconde. devant le feu et ailleurs voicij la Machine, qui me sert à bien moins
de façon, faisant qu'un seul doigt me vault beaucoup plus qu'un Lacquaij ou un Gueridon.
Ce terrible chandelier n'a gueres plus de Diametre qu'un escu blanc. Contre son tuijau il y a un Anneau soudé, qui ne touche point embas au pied. Jl est fort mollement poli par dedans, et large à ij passer tel doigt qu'il vous plaist, jusques par dessus la joincture. Celuij de devant, ou bien le grand du millieu ij sont les plus propres. En suitte le Chandelier, tourné vers le creux de la main (qui est le plus aisé) passe avec partie de son pied sous le doigt qui le porte, lequel l'empesche de tourner, quoij qu'aucun autre doigt ne le serre: tout le reste pouvant servir à d'autres usages.
Dans le Tuijau j'ajuste une Bobesche droicte, ouverte d'un costé et poinctée de l'autre, pour le mesme usage que dessus; sans qu'elle aijt besoin d'estre courbée comme l'autre, par ce que pour degager la flame du lumignon, on biaise la bougie de la main autant qu'on veut.
Ceste bobesche droicte est de la mesme hauteur que le Tuijau, de sorte que quand son costé ouvert est embas, il n'ij a que la pointe qui sorte dehors: quand il est en haut, elle sort du Tuijau autant que la pointe est longue, et ceste saillie sert à la retirer aisément.
Si vous trouvez encor trop de façon à tout cecij, voijci mon dernier expedient, qui en effect me sert tout autant que la Bobesche. Je n'aij faict mettre qu'un petit bout de Tuijau sur le Pied du Chandelier, en achevant le reste de la hauteur qui m'aggrée par la pointe d'Acier, ou je fiche ma bougie tres-aijsement et tres ferme, comme icij.
Quelque sorte de ces deux que vous choisissiez, sachez qu'en un besoin la mesme main qui escrit porte aisément sa chandelle, en ne tournant que le chandelier en dehors, et passant le doigt du millieu par l'autre costé de l'anneau.
Mais notez que ce bout de tuijau est ouvert par embas, pour servir à esteindre la Bougie, comme font autrement les bobesches, par ou les mesches estouffées conservent leur longueur, de sorte que rallumées, d'abord elles font autant de flame qu'il en faut pour tenir la bougie seche, et sans degouster.
Par fois aussi, je fische la pointe en tel endroict de la bougie et avec autant
de pente que je veux, et cela peut au besoin valoir une bobesche courbée comme vous voijez.
Que s'il vient à point de planter soudainement le Chandelier sur quelque tableou ailleurs, je tourne la pointe embas, et l'ij fiche tant qu'il me plaist, soit tout droict ou de biais, et mets la Bougie dans cette dite ouverture du pied, qui lors renuersé sert de chandelier ainsi.
Encor depuis auons nous trouvé moijen de garder le Tuijau du Chandelier, qui peut venir à point, et de nous passer de toute Bobesche. Cest que contre le costé dudit Tuijau je faij souder la Poincte d'Acier à telle eminence qu'il me plaist, et ainsi je n'aij plus à saire qu'à une piece, et ne suis subject à rien tourner, comme se void en ceste figure.
Il ij a du mijstere à ce que jaij dit, que l'anneau ne touche pas au pied du Chandelier: c'est qu'estant un peu eslevé il sert à ij passer le bout fondu de la Cire d'Espagne, sans toucher à rien, dont on se trouve embarassé en cachettant des Lettres.
Vous m'allez faire deux objections d'apparence. Mais je les soudraij aisement.
1. Vous craignez qu'une Bougie de Biais ne degoutte: La dessus je vous apprens, que comme on l'allume, s'il ne sort beaucoup de Mesche hors de la Cire, elle est subjecte à laisser tomber quelque goute: par ce que son petit feu faisant fondre plus de cire qu'il n'en scauroit manger, le surplus decoule necessairement un peu, si on ne tient la Bougie fort coije et droicte. Mais dès que la flamme a prins son estendue, qui arrive dans un moment apres, elle devient la maistresse. Le haut de la bougie se seiche tout à faict, et ainsi elle se consume jusqu'au bout, sans que rien degoutte, quand mesme on luij donne beaucoup plus de penchant que dessus, qui est chose tres verifiée.
2. Vous apprehenderez, peut estre, que le feu si proche ne vous jncommode la Veuë. Pour moy, vous sçavez que je l'aij aussi tendre que Personne, Mais pourtant je vous asseure que je n'en sens aucun jnconvenient, car en effect, je mets tousjours le bord de mon chapeau entre deux, et ainsi la flame et moij nous ne nous voijons point.
Voila bien du prone sur peu de subject. Mais vous scavez qu'il ne faudroit pas moins de discours sur la veritable Anatomie d'une Mouche, que sur celle d'un Elephant; et puis il a fallu vous obeir, puis que je suis.
- voetnoot1)
- Voir la Lettre No. 1001.
- voetnoot2)
- Il existe plusieurs copies dissérentes de cette pièce, une entre autres à la Société Royale, où elle se trouve classée parmi les lettres de Chr. Huygens.