Oeuvres complètes. Tome III. Correspondance 1660-1661
(1890)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo. 847.
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moij deuenions capables de nous descharger de tant d'obligation. Le coeur me die bien que e'est vous mal assigner, puis que tous deux ensemble ne pourrons jamais fournir à la debte; mais ce mesme coeur se fie si auant de la bonté naturelle du vostre, par tant de preuues que nous en auons, qu'il m'anime à croire, que vous estes homme à souffrir plus tost qu'on vous doibue bien, que de vous veoir mal payée, et en monoije de bas alloij, comme sera tousiours la miene au regard la vostre, ce qui vous compete dans la derniere equité. En laissant donc là ce mauuais discours auec autant d'auersion qu'en ont les endebtez de leurs papiers, je tourne à vous dire, Monsieur, qu'ensuitte de l'aduertissement que vous venez de me donner j'aduertis mon pelerin que là ou il est il n'a point de Cité permanente et l'arrache d'entre la presse de tant d'amitiez qu'il a eu l'honneur de s'acquerir en vostre Monde. et ce pour complaire en partie a nostre excellent Monsieur le Prince Maurice de Nassau, mon tresdigne et tres-illustre Amij, qui aijant à se descharger d'une Ambassade extraordinaire en Angleterre de la part de Son Altesse l'Electeur de Brandenbourg m'a prié à mains joinctes, qu'au retour de mon fils hors de France je luij fisse passer la mer pour l'aller trouuer à Londres, où mesme, (sans parler du Roij, qui honore ce garçon d'une estime fort particuliere), il possede la bonne volonté d'assez bon nombre de virtuosi et de son mestier, qui ont accoustumé de le conuerser par lettres fort frequentes, et aggreeront assez sa presence. d'ailleurs, on y va couronner ceste majestéGa naar voetnoot1) qui est un de ces spectacles qui n'arriuent pas souuent en tous siècles, et vault bien la peine de deux trajects de mer à une personne de son aage, capable desormais de juger du vain et du solide auec quelque maturité. J'espere, Monsieur, que ces petites considerations vous porteront à n'improuuer pas le dessein que j'aij de laisser mon Galant une couple de moiz dans cette belle Isle, pour contenter l'enuie qu'il en a dès longtemps; ne fustce mesme que pour luij faire acquerir en passant la perfection de la langue du Païs, qu'il entend si bien par liure, qu'il ne luij faut que peu de peine pour en venir à bout, ce que je sçaij par experience, me l'aijant rendue familiere et aisée autant que la maternelle, par la mesme methode, dont peu de gens s'auisent. Il est vraij que ceste olla podrida de toutes langues n'a point d'estendue en terre ferme. mais si vous sçauiez la quantité de beaux liures que l'Angleterre a produits et ne cesse de produire tous les jours, en toutes facultez, et nommement en celle de Theologie, vous en seriez aussi amoureux que moij qui possede une quantité assez considerable de ces belles productions transmarines et suis redeuable à la nation de beaucoup d'excellente doctrine. Bref mon cher Monsieur, vous voyez la fatalité qui nous gouuerne et que quand d'ailleurs on ne m'empescheroit de vous veoir et de veoir Paris, ce que je mets en parallele, je m'en destourne moij mesme pour l'amour de mes enfans; car à ce compte icij, celle que vous m'offrez si bonnement d'aller cercher mon fils à vostre belle Retraicte s'en va en sumée, et j'advouë que je commence à me rendre au raisonnement de Monsieur | |
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le Premier et à perdre et l'espoir et la fantasie de ce voijage, ou de ceste promenade, s'il vous plaist: si ce n'est que, peut estre un emploij vers Orange, dont il semble qu'on me vueille menacer vienne a m'ij ramener. mais c'est a quoij on ne sçauroit songer, qu'au preallable nous ne nous entendions beaucoup mieux que nous ne faisons auec deux certains Roiz de noz Amis, qui nous traictent à peu près comme s'ils ne l'estoijent point. fusse-je si heureux que de vous pouuoir entretenir de bouche sur ce Chapitre et tant d'autres qui en dependent! n'aurez vous jamais tant beu de laict, qu'il vous fasse venir le courage de m'en donner le moijen en Hollande, où asseurement ceste medecine est plus grasse et vigoureuse que partout ailleurs? Songez-ij, de grace, et croijez que le seul changement d'air vous importe; mais sur tout, que, si vous en prenez la resolution, tant que j'ij respire vous ij disposerez d'un homme peu digne de l'honneur de vostre amitié, mais plus veritablement et auec plus de passion que personne du monde etc. |
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