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[Préface]
Christiaan Huygens, en léguant à la Bibliothèque de Leide ses écrits mathématiques, traités inédits, observations, notes et calculs, ainsi que sa Correspondance avec divers savants, a désiré que les professeurs de Volder, de Leide, et Fullenius, de Franeker, se chargeraient de parcourir ces manuscrits et de publier tout ce qui s'y trouverait propre à être livré à l'impression.
De Volder et Fullenius se sont acquittés de la tâche que Huygens leur avait confiée, en faisant paraître, huit ans après sa mort, sous le titre de Christiani Hugenii Opera posthuma, les traités inédits plus spécialement indiqués dans le testament olographe de l'auteur, savoir, la Dioptrique avec la Dissertation sur les Couronnes et Halos solaires, les Commentaires sur l'art de polir les verres de lunette et le Traité sur le Choc des corps, auquel ils ajoutèrent celui sur la Force centrifuge et la Description du Planétaire automatique.
Dans leur préface, les savants éditeurs, en signalant les difficultés qu'ils avaient rencontrées dans l'arrangement des diverses matières, spécialement de la Dioptrique, firent remarquer qu'ils avaient trouvé encore d'autres traités, qui cependant ne leur parurent pas assez complets pour être confiés à la presse.
Plus d'un siècle s'écoula après cette publication sans qu'on paraisse avoir songé à souiller les trésors restés enfouis dans les cartons de la
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Bibliothèque de Leide. 's Gravesande lui-même, qui donna une nouvelle édition des OEuvres de Huygens, publiée successivement en 1724 et 1728 sous les titres de Christiani Hugenii Opera varia et Opera reliqua, ne semble pas avoir examiné avec attention ces manuscrits: il s'est borné à reproduire les ouvrages déjà imprimés du célèbre savant.
Ce fut van Swinden qui, le premier, étudia avec soin les écrits laissés par Huygens. Il y recueillit les données historiques de son travail: Sur Huygens, inventeur des Horloges à pendule. Dans les Annexes de ce Mémoire, lu devant l'Institut Royal des Sciences d'Amsterdam le 5 et le 9 février 1814 et publié dans les Actes de la Classe des Sciences exactes en 1817, van Swinden donna des extraits de la Correspondance que Huygens eut, au sujet de son invention, avec Mylon, Wallis, Tacquet, Bouillau, Gregorius à Sancto Vincentio, Kinner de Löwenthurn, Bellair, de Carcavy, l'abbé Brunetti, du Gast, Guisony, Paget, van Schooten, de Sluse, Pascal et Petit. Il y ajouta une partie d'un manuscrit de Huygens, portant l'inscription ‘Anecdota’ et renfermant des détails historiques sur l'horloge à pendule. De plus, parmi les planches jointes au Mémoire de van Swinden, on trouve la reproduction de deux dessins représentant, l'un une horloge à pendule commencée par Galilée, l'autre une horloge à pendule trouvée à Florence dans le palais des Médicis. Ces dessins avaient été découverts par van Swinden parmi les papiers de l'inventeur.
Uylenbroek, en 1833, a suivi l'exemple de van Swinden. De même que celui-ci, il avait reçu, en étudiant les documents de la Bibliothèque de Leide, une vive impression de la haute valeur de la Correspondance de Huygens. ‘Je crois à peine possible’, dit-il dans un discours latin, ‘que quelqu'un parcoure ces écrits sans une grande jouissance de l'esprit et sans en même temps en éprouver l'utilité. En effet, ils sont d'un tel caractère et d'une telle ampleur, que les plus illustres philosophes de cette ère glorieuse apparaissent devant nos yeux comme des
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acteurs en scène, racontant et dépeignant ce que chacun d'eux, pour le bien et l'avancement de la Science, a pensé, écrit et accompli, non pas une fois, mais de jour en jour.’
Uylenbroek compléta la tâche de de Volder et Fullenius. Sous le titre: Christiani Hugenii aliorumque seculi XVII virorum celebrium exercitationes mathematicae et philosophicae il publia la Correspondance de Huygens avec Leibniz et avec le Marquis de l'Hospital. Huygens avait, en effet, par ses dernières volontés, signalé plus particulièrement cette partie de sa Correspondance, qu'il avait soigneusement gardée à part. L'éditeur y joignit des annotations comprenant des extraits d'autres parties non moins importantes de la collection.
Un discours De fratribus Christiano et Constantino Hugenio, artis dioptricae cultoribus, prononcé par Uylenbroek le 8 février 1838, en quittant la charge de Recteur de l'Université de Leide, lui fournit de nouveau l'occasion de montrer, par de nombreuses citations, l'importance du précieux dépôt conservé dans les archives de l'Université.
Depuis les publications d'Uylenbroek, les écrits restés inédits de Huygens ont de plus en plus attiré l'attention. M. Henry, le savant directeur de la Bibliothèque de la Sorbonne, dans son ouvrage Huygens et Roberval, a fait connaître quelques pièces conservées à la Bibliothèque nationale de Paris. Les Recherches sur les Manuscrits de Pierre de Fermat, et l'étude sur Pierre de Carcavy, du même auteur, contiennent des correspondances empruntées au fonds Huygens de la Bibliothèque de Leide. M. le professeur Le Paige, de Liège, a recouru à la même collection pour en extraire plus de soixante lettres qu'il a insérées dans son remarquable travail sur René-François de Sluse. Et ce n'est pas seulement dans l'intérêt de l'histoire des sciences que les écrits de Huygens ont pu servir, la Science elle-même y a recueilli des données qui, de nos jours encore, offrent une grande valeur. C'est ainsi que Kaiser, dans une controverse avec M. Otto Struve, au sujet de la variabilité supposée de l'an- | |
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neau de Saturne, s'est servi des dessins de Huygens pour en déduire le rapport le plus probable que les dimensions de cet astre présentaient au milieu du dix-septième siècle. Récemment encore, les dessins du disque de Mars, exécutés par Huygens, ont pu contribuer à l'évaluation exacte du temps de rotation de cette planète, en permettant au successeur de Kaiser à l'Observatoire de Leide, M. van de Sande Bakhuyzen, d'asseoir ses calculs sur des observations suffisamment exactes embrassant une période de plus de deux siècles.
L'importante collection des manuscrits légués par Huygens a encore été enrichie par divers dons et achats, parmi lesquels le don de S.M. le Roi Guillaume Ier, consistant en cinq portefeuilles de correspondance, et celui de M. A-J. Royer, comprenant des lettres de Mersenne, Bartholin et autres, sont spécialement à remarquer. Cependant, plusieurs pièces de la Correspondance étendue de Huygens n'y ont pu être retrouvées, ni en minute, ni en copie; les originaux sont dispersés dans diverses bibliothèques de la Hollande et de l'Etranger. De plus Huygens, qui de 1666 jusqu'en 1683 vécut à Paris où il avait été appelé par Louis XIV pour faire partie de l'Académie des Sciences, y a laissé de nombreuses traces de son infatigable activité. M. Bertrand, l'éminent Secrétaire perpétuel de cette Académie, en a dévoilé l'existence, et a fait voir, en 1868, par un exemple intéressant, que les Registres des premières années de la célèbre Institution contiennent des matériaux précieux pour la reconstruction complète de l'oeuvre de notre illustre compatriote.
C'est à l'Académie royale des Sciences d'Amsterdam que revient l'honneur d'avoir, la première, compris l'intérêt scientifique d'une publication de tous les manuscrits de Huygens. A l'occasion d'une proposition de M. Harting, tendant à rendre à la mémoire de Huygens un hommage public, en lui érigeant une statue, M. van de Sande Bakhuyzen, dans la séance de la Section des Sciences du 28 octobre 1882, fit remarquer qu'on
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pourrait atteindre le but proposé, fonder un monument en l'honneur de Huygens, et en même temps rendre à la Science un service signalé, soit en faisant paraître une nouvelle édition de ses OEuvres, soit en publiant ses écrits restés inédits, ainsi que sa Correspondance. L'Académie donna unanimement son adhésion à ce projet, elle institua une Commission pour en étudier et préparer l'exécution et vota les fonds nécessaires à ces travaux. Cette Commission, nommée par le Président de l'Académie, se composait des Membres suivants: MM. Bierens de Haan, Grinwis et van den Berg, mathématiciens, Bosscha et Lorentz, physiciens, van de Sande Bakhuyzen et Oudemans, astronomes. Sur l'invitation de la Section des Sciences, la Section des Lettres désigna, pour faire partie de la Commission, M. Campbell, directeur de la Bibliothèque royale de la Haye. Plus tard, la Commission, usant de la faculté qui lui avait été accordée, s'adjoignit MM. Korteweg, professeur de mathématiques et du Rieu, directeur de la Bibliothèque de Leide. Présidée par M. Bierens de Haan, bien connu par ses recherches bibliographiques, elle a pu rendre compte de ses travaux dans trois Rapports consécutifs. Les actives investigations de plusieurs de ses Membres, particulièrement du Président et de M. van de Sande Bakhuyzen, secondés à l'Etranger par M. Govi, professeur à Naples, par M. Favaro, professeur à Padoue, par M. Henry, directeur de la Bibliothèque de la Sorbonne, par les Directeurs des Bibliothèques de la Société royale et du British Museum de Londres, et récemment encore par M. Bertrand, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences de Paris, ont amené la
découverte de plusieurs lettres et documents importants. Dans son dernier Rapport, la Commission put constater qu'elle avait à sa disposition environ 2600 pièces de correspondance, auxquelles s'ajoutent plusieurs écrits du père et des précepteurs de Huygens concernant son éducation. Toutes ces pièces avaient été copiées, collationnées et classées d'après leurs dates par les soins persévérants de M. Bierens de Haan, assisté de M. du Rieu et de ses collègues de Leide.
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Il est clair qu'une collection de cette étendue, embrassant la vie tout entière de Huygens depuis sa neuvième année, offre des matériaux aussi précieux que rares pour établir l'image de l'homme et du savant. Elle fait connaître la candeur justement louée de son caractère, l'élégance naturelle et la culture de son esprit, les premiers essais et le développement de son génie, l'origine et le progrès de ses découvertes et de ses travaux, ses sentiments sur les questions scientifiques du jour, en même temps qu'elle met devant nos yeux les moeurs du siècle, le milieu dans lequel Huygens a vécu, depuis l'humble artisan auquel il empruntait les artifices pratiques de la construction de ses instruments jusqu'aux personnages les plus illustres de son époque, cette noble confrérie de savants qui dans leur correspondance regardaient comme une marque de leur amitié de se communiquer, soit quelque problème ardu à résoudre, soit quelque invention procurant de nouveaux moyens de recherche, parfois même ouvrant de nouveaux horizons à la contemplation de la nature.
Aussi la question de savoir jusqu'à quelle limite il convenait d'étendre la publication de ces manuscrits fut facile à résoudre: il était évident qu'on ne devait laisser perdre aucun détail, qu'il fallait publier tout ce qui pouvait être mis dans un ordre et sous une forme intelligibles.
Cependant l'impression d'un recueil qui comprendrait, avec les ouvrages déjà connus, la collection complète des lettres, notes et documents inédits qu'on eût pu rassembler devait dépasser les moyens dont l'Académie d'Amsterdam peut disposer en dehors de ses obligations ordinaires. Dans ces conditions, la Commission, qui se trouvait munie de pleins pouvoirs pour faire réussir l'entreprise scientifique et nationale à laquelle elle avait donné l'essor, s'adressa à la Société hollandaise des Sciences de Harlem pour lui proposer de prendre soin de la publication que la Commission se déclara disposée à préparer sous les auspices de la Société.
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Les Directeurs de la Société hollandaise des Sciences, s'estimant heureux de pouvoir entreprendre l'oeuvre utile conçue par l'Académie d'Amsterdam, ont accepté l'offre de la Commission. Pour faciliter le concours de ceux qui voudraient seconder la Commission dans ses recherches, ils ont publié la Liste Alphabétique des pièces de correspondance provisoirement classées par la Commission, base du travail considérable que demanderont la rédaction définitive et l'annotation de cette partie de la nouvelle édition. Ils ont confié l'impression du recueil des écrits de Huygens à la célèbre maison harlemoise Joh. Enschedé et fils, qui perpétue dignement les honorables traditions de l'ancienne typographie hollandaise.
En offrant au public scientifique et lettré le premier Volume des OEuvres Complètes de Christiaan Huygens, les Directeurs ont à témoigner leur reconnaissance envers la Commission pour les soins constants qu'elle a voués à sa tâche laborieuse et souvent difficile. Ils expriment l'espoir que ce travail sera apprécié, non seulement par la Société à laquelle appartiennent tous les Membres de la Commission, mais par tous ceux qui cultivent la Science et honorent leurs prédécesseurs.
Les Directeurs de la Société hollandaise des Sciences,
J.W.M. SCHORER, Président.
J. BOSSCHA, Secrétaire.
Harlem, février 1888. |
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