Briefwisseling. Deel 6: 1663-1687
(1917)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend6953. S. Chieze. (L.B.)Je vois bien, Monsieur, par vostre charitable lettre du 3 de ce moisGa naar voetnoot4) que las cuyras (?) se doivent raconter d'un ton douloureux, y que lo he errado en voulant me chatouiller pour vous faire rire au recit de mes maux, et du secours passager qui m'est venu si à propos. Vous saurez donc - si desja ne le savez - qu'il y a pres de dix mois que, prevoyant la perte inevitable de la Bourgoigne, j'avois prié S.A.S. de m'assigner un autre fond pour ma subsistance, en insinuant que ce fut sur les parties casuelles que depuis la guerre elle tire des prises qui se font sur les costes de Galice, du mauvais usage desquelles j'avois esté adverty et donné avis à S.A.M.r de Buysero pere et fils successivement me faisoient esperer de m'obtenir de courrier à autre un ordre pour cella. Ma necessité augmentant et la Bourgoigne estant attaquée dez le mois de Fevrier, je priay par lettres les commissaires de S.A. à la Coroigne, de m'aviser s'ils avoyent quelque fond en main, et de me garder une petite somme, jusques à ce que l'ordre de S.A. dont Mess.rs de Buysero me donnoient esperance, fut parvenu entre mes mains. Ces Messieurs sans plus long delay ny ceremonie m'envoyerent au mois de Juin une lettre de change de 5000 florins. J'en donnoy d'abord avis à S.A. et à Mons.r de GeinhovenGa naar voetnoot5), la chose estant encor en son entier et ladite somme deposée chez M.r l'ambassadeur de HollandeGa naar voetnoot6). C'est ce secours celeste dont j'avois voulu vous parler par ma | |
[pagina 355]
| |
derniere. Le tems et la necessité pressant je m'en suis servy, et il me reste entre les mains de M.r l'ambassadeur pour quelques mois encor de subsistance. Apres quoy, si le ciel n'en est pas d'accord, il ne seroit pas juste de me laisser mourrir. J'en escriray encor à S.A.S., mais si vous, Monsieur, ne m'appuyez aupres d'elle, qui est ce qui peut m'asseurer que dans les grandes occcupations ou ce Prince est continuellement, il daignera me respondre sur cet article? Par toutes mes precedentes j'ay prié Mons.r de Geinhoven d'en conferer avec vous, et ainsy j'avois subjet de croire, qu'il vous deschifferoit l'endroit de ma lettre qui vous a paru obscur, comme je me persuade encor, que vous ne me laisserez pas dans les expediens. Il y a plus de trois ans que j'ay insinué à S.A. celluy de me rapeller, ou d'en faire du moins le semblant; j'en prioy instamment M.r de BeverningGa naar voetnoot1) à son despart, et quoyque mes lettres ayent esté despuis ce tems la assez positives sur ce chapitre, elles n'ont fait que m'en attirer une de S.A., pour faire voir aux ministres, qui parloit de mon rappel prochain, si on ne luy donnoit pas contentement, sur une affaire que j'ay du despuis emportée au grand estonnement de tous les ministres estrangers qui sont en cette cour et qui scavent qu'elle est encor plus chiche de tiltres que d'argent. C'est le malheur du tems que je n'en ay point touché encor, mais j'ay du moins la consolation de n'avoir rien oublié à dire à la Reyne et aux ministres, et d'avoir en main de marques de la satisfaction que S.A. a de mon procedez. Je vois bien que le Maistre a ses raisons pour mesnager l'Espaigne, puisqu'on a trouvé à propos pardela, que M.r l'ambassadeur ne fit pour encor aucun devoir pour m'assister dans cette sollicitation; par cette raison je n'ay pas voulu remettre celluy d'Angleterre sur les rangs. Mais à leur deffaut je ne mesnage rien - facit indignatio versum - et je donne chasque jour de memoires chagrins. J'escriz aux ministres des billetz qui ne sont pas doux, menaçant des maux que le deffaut de payement peut produire mesme pendant la guerre, et en effect dez que S.A. faira seulement semblant de mettre les represailles en jeu, comme j'ay tousjours esté d'avis qu'on fit, vous verrez ces gens icy changer de notes, et chercher eux mesmes les moyens de satisfaire S.A. Ils n'ont jamais voulu respondre sur ceux que M.r de Beverning et moy avions proposez, mais comme les choses ont changé avantageusement pour S.A. despuis ce tems la, Mess.rs les Espaignolz changeront aussy de methode. J'ay preparé despuis quelques mois un memorial qui est une espece de declaration de guerre, mais Mons.r l'ambassadeur me retient le bras, sous le bon plaisir de S.A. à laquelle il en a escrit de mesme qu'a Mons.r le pensionnaire FagelGa naar voetnoot2), de crainte que celle ne nuise à une demande qu'il a fait à la Reyne, au nom et par orde exprez de l'Estat, pour la cassation de la soutenue donnée jadis par la Cour feodalle de Brabant, en faveur de la comtesse d'Isenguien. Mais S.E. craint que la transaction passée ensuitte n'y soit un obstacle invincible. En tout cas je suis averty, que la comtesse fait quelque proposition au Roy pour son payement, et que S.M. consentira volontiers à se charger de la debte. Vous jugez bien, Monsieur, qu'il ne tiendra qu'a S.A.S. de se faire payer du reste, et que les voyes fortes qu'il tesmoignera vouloir prendre en procureront icy de douces. Il n'y a presentement icy que pure misere, et la necessité presente de cette cour est au dessus de toutes les reigles de la politique, de mesme que celle de la faim a esté à mon esgard au | |
[pagina 356]
| |
dessus de toute autre consideration, et que voyant du pain cuit, je n'ay peu m'empecher de me ruer dessus. Tirez moy, s'il vous plait, Monsieur, de cette terrible necessité, et cependant, si l'on chicanoit pardela ces honnestes commissaires de la Coruña, je vous prie d'estre leur protecteur, puisqu'ils ont creurendre un grand service à S.A. en sauvant l'honneur du Maistre et la personne de son ministre dans un pays, ou le plus grand ambassadeur n'a pas de credit pour vivre un seul jour sans argent. Pour ne faire pas moins qu'aucun de ceux de la seconde classe, ut nunc sunt mores, j'ay à l'heure que je vous parle seize bouches à nourrir, sans compter mes quatre mules, et ces seize bouches, qui par malheur ont des meilleures dentz que moy, vous demandent, Monsieur, panem aut missionem. Je suis tres ayse que Salinas soit de vostre gré. Fray Luis de GrenadaGa naar voetnoot1) n'attend qu'une commodité pour le suivre. Preparez cependant vostre liste de commissions pour quand le ciel pitoyable me voudra tirer de cette valée de misere et de chagrins pour retirer a los piez de V.S. Ill.ma et de la nombreuse descendance que Mess.rs voz filz vous vont batissant, et ma joye sera achevée, si elle peut estre veue de Mad.e de S.t Annelant. Nous enterrasmes hyer soir M.r Don Diego de la Torre, secretaire d'estat, le meilleur ministre de cette Couronne et le plus grand amy que j'eusse à Madrit. Le public et S.A. y perdent beaucoup. Quand vous fairez le compliment de doleanceGa naar voetnoot2) à Mons.r Don Manuel de Lira son beau filz, ayez s'il vous plait la bonté de luy faire rendre cette inclose, et d'y faire changer de subscription si celle-cy n'est pas suivant les tiltres qu'on luy donne maintenant pardela. A Madrit, le 29e Aoust. 1674. |
|