Briefwisseling. Deel 6: 1663-1687
(1917)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend
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6236. Aan H. de Lionne. (H.A.)aant.Vous n'estiez pas bien assez de loisir, ces jours passez, pour m'ouïr reciter les outrages qui nous arrivent à Orange. Je vous supplie tres-humblement d'aggreer que je vous en expose quelques uns dans ce papier, pour quand vos grandes occupations vous permettront d'y jetter les yeux. Je n'en prendray que deux ou trois articles pour eschantillons. Car de vous dire tout ce que j'en scay, ce ne seroit jamais faict, aucun ordinaire n'arrivant de là bas qui ne m'en porte de nouvelles plaintes. 1. Au mois d'Aoust 1661 M. le commandeur de Gaut s'avisa de faire saisir la somme de cinq ou six mille livres en pieces de cinq sols, fabriqués dans la Monoye d'Orange, toutes conformes en tiltre, poids et figure aux especes qu'on y a travaillé de tout temps. Le pretexte pourtant fut le foiblage du tiltre et l'empreinte de la figure. Les fermiers protestent de l'un et l'autre. Allons à la derniere extremité, Monsieur, s'il vous plaist, et prenons que ce fust fausse monoye. Cette accusation suffit elle pour faire coupper la boursse aux gens? Faut il pas que le proces soit faict à ces faux monoyes? Ce proces peut il leur estre faict ailleurs que devant leur juge? Numquid domino suo stant aut cadant? Ont ils autre juge que leur Prince naturel? Ce Prince faict il pas rendre justice à un chascun par les gens de son Parlement? A on requis ce Parlement de prendre connoissance de l'affaire? Rien de tout cela; l'argent demeure confisqué et le proces a esté entamé par l'execution où il devoit finir. Il y a bien plus, Monsieur, et ce qu'il semble qu'on pourroit avoir de la peine à croire. Apres l'insulte faict au particulier, on s'est rué sur le Prince orphelin; on a fracassé les coffres de sa Monoye, on en a tiré et emporté toutes les machines et instrumens, et depuis ce temps toute la Monoye demeure close et infructueuse aux fermiers du domaine, qui par ceste non-jouïssance soustienent qu'à la raison de 6500 ℔ par an, que leur valoit la sousferme de ce revenu, il leur sera deu de rabaiz en Aoust prochain la somme de 19500 ℔, de quoy en effect ils n'ont rien voulu payer à present. J'ay veu alleguer, Monsieur, que le Roy auroit interest à la fabrique desdites pieces de cinq sols, pour je ne sçay quelle ressemblance qu'il y auroit à celle des monoyes de France. Mais j'ay desjà dit, que la figure de nostre coin est telle qu'on l'a tousjours pratiquée. Posons encor une fois au pis aller, que cela ne soit pas. En bonne foy y auroit il là dedans de quoy justifier un semblable procedé? Notez, s'il vous plaist, que ce n'est qu'au Levant où la monoye d'Orange a quelque cours, et c'est là où on la debite. Pour la France, s'il y en paroist, le remede est il point à la main, et les Princes en usent ils autrement à l'endroit de leurs voisins, que par voye de descri et defense d'exposition, sur telles peines qu'il leur plaist? Certes, Monsieur, ce sont choses qui arrivent tous les jours et partout, mais jamais, peut estre, il ne s'est rien veu de pareil à ce qu'on faict souffrir là dedans à mon pauvre Maistre. Je ne dis pas le Roy; Dieu m'en garde. S.M. est juste, et trop esloignée de vouloir veoir outrager un Prince pupille, qui a l'honneur de luy appartenir. Mesme il y a longtemps qu'à mon instance elle a faict mander par lettres expresses et serieuses à M. le commandeur de Gaut de laisser agir les officiers du Prince en liberté et sans prendre aucune connoissance de leur administration, chose digne de sa generosité toute royale, mais le desordre vient d'ailleurs. | |
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2. Beauregard, thresorier de S.A. à Orange, en rendant ses comptes au Bureau, qui a charge de les veoir et clorre provisionellement pour apres estre veus et approuvez au Conseil du Prince à la Haye, il s'est trouvé un poste qui a faict heziter ledit Bureau, la verification ne s'en trouvant pas valable, à leur advis, ainsi qu'il convenoit s'en adresser au Prince, y allant d'une somme assez considerable, sçavoir d'environ 17000 ℔. Ce thresorier voyant ne pouvoir venir à bout de la conscience de ces messieurs, s'advisa d'un attentat, dont le pareil n'aura gueres esté veu; il emporte les comptes de son Maistre à trois journées hors de la principauté à Pezenas, les y exhibe à M. de Bezons, surintendant de la justice en Languedoc, et par des informations abusives et obreptives, mestier que tout le monde sçait qu'il entend à merveilles, dispose ce seigneur à justifier presque toute sa pretension dans une lettre escritte à M. le commandeur de Gaut, par laquelle il luy mande de retenir ensemble le Parlement d'Orange, qui alloit sortir de seance, pour examiner et determiner ceste affaire. Le Parlement obeït, malgré qu'il en eust [aversion], comme n'ignorant pas que la connoissance des finances du Prince luy estoit defendue expressement par son instruction. Dont aussi il n'a pas manqué d'en envoyer faire des excuses où il appartenoit. Entrant en affaire, il trouve la mesme difficulté aux comptes que le Bureau, et envoye le rendant à son Prince. Vous diriez, Monsieur, qu'apres cela il ne restoit autre recours à ce rendant, mais il fut bien plus fin. Il trouva moyen de si bien negocier en ceste cour, qu'au mois de Febvrier 1663 il y obtint acte du Conseil par lequel le Roy donnant mainlevée de la saisie de tous les revenus du Prince, que M. le commandeur de Gaut avoit ordonnée en faveur de ce bon thresorier, en excepta la somme de 20000 ℔ qui demeuroyent sequestrées entre les mains des sousfermiers. Chose estrange pour la seureté des pretensions d'un officier comptable à son Maistre, de qui il tire ses gages et pensions ordinaires, et au Conseil duquel ses comptes en question n'ont encor jamais esté exhibez, et où mesmes, quand ils auront este produits on l'a faict asseurer qu'il sera traicté en toute douceur et equité. Les fermiers generaux incommodez de cest arrest, ont tant travaillé depuis qu'enfin apres quelques moiz de poursuitte ils ont obtenu [un] autre acte du Conseil, par lequel le Roy les rend depositaires eux mesmes de ladite somme de 20000 ℔, de laquelle en suitte ils devenoyent capables de faire le payement au Prince; mais, pour vous faire veoir, Monsieur, comme va le mesnage, domini ubi absunt foris, jusques à l'heure que j'escris les fermiers n'ont pû obtenir l'execution de cest acte; et, ce qui est de surprenant, c'est le chasteau mesme qui les en empesche, directement contre les ordres du Roy; ce que j'entens qu'ils imputent au ressentiment dudit S.r commandeur de ce qu'ils luy refusent une pension de 1500 ℔ par an, dont il y a longtemps qu'il les presse. Je ne sçay ce qui en est, et n'en prens connoissance, non plus que de toutes ces saisies et mainlevées faictes sur la boursse de mon Maistre, qui seul, à mon advis, la debvroit gouverner. Bien est il vray, Monsieur, qu'ayant ouy parler de ce premier arrest du Conseil, j'ay faict demander au thresorier s'il pretendoit s'en prevaloir ou non, pour sçavoir s'il estoit à plus qu'un maistre, mais il n'a jamais voulu respondre qu'en protestations vaines, illusoires et, comme disent les jurisconsultes, actui contrarijs. Je vous supplie de considerer quel estat vous feriez d'un domestique qui vous traitast ainsi, et s'il meriteroit bien, en vostre opinion, la protection d'un plus puissant voisin. | |
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3. L'année passée voyant le temps approcher qu'il falloit disposer de deux petites charges auniversaires dans la ville d'Orange qui, peut estre, ne valent que cinquante ou soixante ℔ par an, j'escrivis au greffier du Parlement, de faire en sorte que la collation en fust surcise jusques à ce que j'en pusse sçavoir la bonne intention de la Tutele, à qui j'en avoy escrit. Le greffier ayant faict veoir ceste lettre où il convenoit, l'enseigne du chasteau, jeusne homme de vingt deux ans, l'envoya querir, le gourmanda brutalement pour avoir publié madite lettre, et apres tout, l'ayant faict lever de son liet de grand matin, par un temps de grosse pluye, le fit mener au chasteau, et coffrer dans un trou infame parmi des criminels et toute sorte d'ordure, insupportable à une personne de sa qualité et en aage foit avancé. Voila, Monsieur, comment les officiers du Roy observent les ordres que S.M. a eu la bonté de leur donner, de laisser agir ceux du Prince, comme j'ay dit dessus. Peut estre que vous jugerez qu' à peine des Chrestiens en pourroyent attendre davantage d'entre les mains des Turqs. Il me reste bien d'articles, dont le consideration n'est pas moindre que des precedens et où je ne vous parleray que d'exils et emprisonnemens des pauvres subjects de S.A., mais, Monsieur, je me trouve desjà avoir sali tant de papier, quoyque j'aye tasché d'exposer le plus briefvement qu'il se pouvoit des choses qu'il nous importeroit de vous specifier plus par le menu, qu'en verité cela me retient d'abuser plus longtemps de vostre patience; seulement je doibs vous dire avec indignation, que je sçay que ledit jeusne enseigne, homme de bas lieu, a l'insolence, de dire ouvertement qu'il se moque de tous les officiers du Prince et de son Parlement et ne les menace de rien moins que d'une basse fosse, en cas qu'ils s'opposent le moins du monde à ses ordres, ou en reçoivent d'autres que les siens. Violence que d'aucuns evitent en desertans la place et leurs functions, et d'autres, en refusant de s'y rendre aux sessions ordinaires. L'on peut juger en quel estat est ceste miserable principauté et comme le reste des subjects est traicté, puisque la magistrature y est outragée comme je vien de dire, et pis encore. Que si, Monsieur, vous trouvez à propos de ne cacher pas ces choses au Roy, je suis bien asseuré que la grande bonté de S.M. luy fera dire d'abord, pourquoy on ne les luy a pas dites, mais je sçay bien aussi, que sa justice, qui est si exemplaire, luy dictera que, comme c'est le droit du maistre, qu'autre que luy ne regle sa maison, on a eu raison de ne demander jusques ores, si non qu'apres que le Roy a disposé de ceste maison, ainsi qu'il luy a pleu, et ainsi qu'on n'a jamais sceu que les Seigneurs Princes d'Orange eussent merité, il soit permis à ce maistre au moins de rentrer dans ses ruïnes et d'y vivre aveq ceste autorité que S.M. ne conteste ni n'embarasse pas seulement au moindre de ses subjects; qui est ce grand argument indisputable par lequel on demeure tousjours persuadé, qu'un Prince si genereux et de si haute reputation par tout le monde ne voudra pas permettre qu'il soit dit parmi les potentats de la Chrestienté, qu'il prenne plaisir à occuper la maison d'un petit Prince son parent, sans qu'il y aille en aucune sorte de son service, là où au contraire ce jeusne Prince en souffre jusqu' au dernier prejudice, en ce que les malvueillaus le voyans mortifier sans subject là où il devoit se promettre le plus fort soustien de sa jeunesse, prennent la hardiesse de l'opprimer, au lieu qu'un rayon de la bienvueillance d'un si grand Roy seroit capablede le faire considerer, de fermer la bouche à ses plus forts adversaires, de dissiper toute leur malice, et en somme | |
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de le faire remettre en estat de continuer au Roy les mesmes services que la France a tant tirez des Princes ses predecesseurs. Je vous en dis trop, Monsieur, à qui entendez mieux cela que personne, et sçavez à quelle bagatelle il tient que nous ne soyons mis hors de plainte, et le Roy delivré de nos importunitez; je dis bagatelle au regard de S.M., mais pour nostre interest, charge et condition beaucoup plus prejudiciable que tout ce que nous endurons jusqu' à present. Tous les gens d'honneur en jugent ainsi, et je m'asseure que, si vous l'entreprenez, vous n'aurez point de peine à en donner les mesmes impressions au coeur de vostre incomparable Maistre. Je vous en demande la faveur au nom de plus d'un grand Prince qui s'interesse en la justice de ceste cause, et de mon particulier celle de me vouloir croire à toute espreuve ..... A Paris, 18e Mars 1664. |
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