Briefwisseling. Deel 6: 1663-1687
(1917)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend6221. Aan M. de NeuréGa naar voetnoot1). (K.A.)Vous croyez que je ne vous ay qu'une seule obligation, et j'en compte trois. La premiere de ce que vous avez eu la patience de lire ma resverie, l'autre de ce que vous avez prins la peine d'y respondre, et la troisiesme de ce qu'en passant il vous a pleu me faire la grace de m'advertir de mes solecismes. Je recommence par derriere, pour oster un embaras hors de mon chemin, qui ne faict rien au but où je tens ni au subject que je traicte. En vous remerciant donc autant que je le doibs du soin que vous avez eu de m'instruire en une langue que j'avouë ne sçavoir qu'aussi imparfaictement que toute autre chose, je vous supplie que pour ceste fois nous laissions là ceste critique, et que les paroles ne puissent nous destourner de la matiere. Car, pour ce qui est de la peine que vous croyez que j'auray a persuader vos gens en mon patois, je puis vous asseurer que je n'en auray du tout point, parce que je n'ay point envie d'en prendre aucune, ni de me tourmenter pour leur faire deplaisir. | |
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C'est une observation de chez nous que je leur communique. S'ils ne la trouvent digne de leur consideration, parce qu'un estranger la leur expose en mauvais françois, je me lairay, n'en sachaut point d'autre meilleur; et cependant ne lairray pas de m'estonner un peu comment des gens si delicats ont pù se resoudre à recevoir les inventions estrangeres de la poudre à canon, de la boussole, de l'imprimerie, du telescope, de la pendule, si, peut estre, on est venu à les leur exposer en un langage mal poli selon leurs regles. Ne croyez pas, s'il vous plaist, que j'enrage jusqu'a faire comparaison de ces grands subjects à ce pauvre petit dont je parle. Ce n'est que pour dire qu'à mon advis, où la matiere ne depend point de la façon, idoneus autor est, quiconque se faict entendre du mieux qu'il peut. Et c'est à quoy je retourne encor un coup; à la charge que si mon caquet vous ennuye vous en demeuriez icy; ce que je prendray en fort bonne part, et avoueray que vous ne me faictes que justice. Mais, Monsieur, souffrirez vous bien aut sine risu aut sine rictu qu'avant que revenir à mes moutons, j'ose vous attaquer sur vostre fumier d'une recrimination de grammaire? Je vous prie de croire que je m'en vay le faire en me couvrant la jouë de peur d'un nouveau soufflet, comme vous sçavez que faisoit le singe qui jouoit aux eschecz contre son maistre. Mon grand eschec ne va qu'à vous demander modestement si c'est mieux dit en vostre langue, d'avoir recouvert un papier esgaré que de l'avoir recouvré? Pour moy j'ay osé donner une de vos petites croisades à ce recouvert. Voilà pas la derniere insolence à un Hollandois? Le moyen de venir à bout de ces gens-là! Mais vous estes si bon, qu'il n'est pas possible que les estourdis vous craignent. Pour enfin parler d'affaire, quod est, Posthume, de tribus capellisGa naar voetnoot1), obligez moy de souffrir que je vous die, que d'aucuns de vos vers françois sont plus beaux que les autres, que nous n'en recevons que de ceux de ceste meilleure sorte, et qu' à mon opinion vous ne feriez pas mal de vous obliger à la mesme exactitude, qui consiste à ne forcer ni ne fausser point vos quantitez. Pour m'expliquer en cecy le plus simplement, qu'il est possible, je dis qu'en françois parlér est un iambe, et párle un trochaee. En suitte, que qui dans un vers iambique tourne parlér en párler, et au trochaique párle en parlé, faict faute et defigure sa langue. Vous voyez bien, que je pose tousjours en faict que toute vostre poesie rimée aussi bien que toute la nostre, et l'italiene et l'espagnole et l'angloise et toute autre moderne, est ou iambique ou trochaïque, et qu'en suitte ces deux pieds y doibvent estre observez. Si vous me niez cela, et y voulez aussi recevoir le dactyle, l'anapaeste et autres pieds grecs ou latins, ou bien si sans autre esgard vous ne voulez que compter vos syllabes, je n'ay rien à dire, sinon que je vous ay monstré les inconveniens qui en resultent, et apres tout la difference que trouve l'oreille bien harmonique entre la cadence d'un vers purement iambique ou trochaïque et celle d'un autre qui ne l'est point. Vous en avez veu la preuve dans les comparaisons qu'il me semble qu'il m'a esté permis de faire de M. Corneille et d'autres à eux mesmes, de quoy je puis vous dire que desjà des oreilles françoises, et aussi doctes que friandes, sont demeurèes d'accord avec les mienes. Bref, c'est icy toute ma critique. J'espere qu'on me comprend, et mesme j'ose esperer qu' avec le temps on ne la voudra pas tant blasmer. Sin secus, quid ad me? Que si peut estre nous nous equivoquons en ce qui s'appelle quantité, je retourne à vous dire que celle dont je parle est toute autre que celle des anciens Grecs et Romains, et que j'en recognois en nosdites langues modernes que celle que faict l'accent ou le ton naturel du mot. Ainsi j'appelle longue la premiere en dire, et briefve la premiere en diray, sans m'amuser ni a position ni à autres observations de l'anciene prosodie, qu'aujourdhuy nous ne connoissons plus. En suitte les penultismes en estonné et labouré nous sont briefves, et les dernieres longues; ce qui ne seroit pas en Latin. Mais il en est de mesme en ces autres langues que je vien de nommer. Je ne vous en cite point d'exemples, pour abreger mon prone, qui est desjà trop long. Seulement je vous advertiray, si peut estre vous n'y avez prins garde, que le bon Dante est celuy d'entre les Italiens que j'ay trouvé le plus exacte observateur de ses yambes et trochées purs, si bien que souvent on y void une assez grande suitte de vers où il ne se rencontre pas une faute, de ce que faute nous appellons. Ce qui est bien autrement en Petrarque et tant d'autres. D'ailleurs si vous goustez nostre regle, vous trouverez, que ceux qui ont essayé de faire en aucune de nos langues d'aujourdhuy des vers mesurez à l'antique, tantost en mesures heroïques, tantost en sapphiques ou autres, y ont fort mal reussi pour avoir pensé faire valoir | |
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la prosodie latine en leurs metres, chose non entendue au siecle où nous sommes; là oú au contraire, s'ils se fussent advisez de mesurer leurs quantitez à l'accent de la prononciation, qui doibt tout regler, le plus idiot lecteur eust gousté la cadence de leurs vers, ne luy estant possible de la fausser, en ne faisant que lire comme chascun parle. Pour ce qui est des quatre pieds dont j'ay parlé au lieu de six, vous avez plus que raison, et c'a esté lapsus calami, ou de moy, ou de mon copiste. C'en est bien un plus grand, direz vous, d'avoir sali tant de papier pour une bagatelle. Mais enfin les petites choses requierent souvent autant de façon que les grandes, et je croy que l'anatomie d'un elephant ne cousteroit non plus de peine que celle d'un puce, si on pouvoit s'y appliquer. Apres tout comme j'ay marché à reculons en mes trois articles, il faut que je finisse dans le premier, et revienne à vous rendre grace de ce que vous avez daigné me lire, et que peut estre encor ceste fois vous aurez voulu obliger de la mesme civilité ..... Par., 11 Feb. 1664. |
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