Briefwisseling. Deel 6: 1663-1687
(1917)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend6220. M. de NeuréGa naar voetnoot4). (K.A.).J'arrivey hier au soir si tard de la ville a mon logis, qu'a peine eu je le loisir d'escrire un billet a Monsieur vostre fils pour luy rendre conte de ce que j'avois fait au sujet de celuy qu'on m'avoit rendu de sa part le matinGa naar voetnoot5). Et comme j'estois prest d'envoyer cette response, le Suisse me souvint qu'il avoit un pacquet a me donner, lequel ayant ouvert je trouve qu'il contenoit le livreGa naar voetnoot6) que vous voulez que j'aye l'honneur de presenter de vostre part a Monsieur le premier | |
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presidentGa naar voetnoot1), dont je me senty si obligé que je ne cru pas avoir assez de temps pour vous en faire mes remercimens et vous les envoyer avec mes sentimens sur vostre lettre a Mons.r de CorneilleGa naar voetnoot2), que j'avois malheureusement esgaree et n'ay retrouvée que depuis deux jours. J'ay donc remis le tout a ce matin afin de penser un peu commant je m'en devois acquitter. Veritablement il faut que je vous avoüe aussy que vostre livre m'a desbauché, et que l'ayant ouvert, j'ay plus songé a vous lire, qu'a vous escrire. Il ne m'a presque pas donné le loisir de fermer l'oeil. Et quoyqu' estant fort las j'eusse grand' envie de dormir, et que le repos m'eust esté fort agreable, les agrémens que je trouvois dans sa lecture l'emportoient et j'ay eu toutes les peines du monde a le quitter. Or si ses charmes ne m'avoient endormy, ou tenu au lieu de sommeil, je n'aurois pas la force de tenir ma plume a la fin de tant de veilles qu'il me vient de faire faire. Ce qui devroit m'obliger a differer ma response, qui vous va sans doute faire voir que je suis encore tout endormy, et plus en estat de resver que d'escrire. Quoy que c'en soit, je ne sçay pas si c'est un songe, mais je sçay bien que j'ay souvant esté ravy, et que ce ne peut estre que par des beautez fort veritables et reelles, puisque je voy dans les tesmoignages de tant de solides espritz, qu'ils en ont esté enchantezGa naar voetnoot3) aussy bien que moy. Voila, Monsieur, l'effet de vos Sirenes quoyque ce n'ayt estè qu'en passant, et dans un temps ou le sommeil devoit estre le maistre. Je ne croy pas que qui que ce soit en puisse estre touché moins fortement, et que Monsieur le premier president n'y prenne encore plus de plaisir, estant plus capable d'en gouster les delices, et s'y voyant convié par cette agreable semonce qu'il trouverra de vostre main tout au commencement du livreGa naar voetnoot4). Elle est digne de luy, digne de vous, et digne d'estre universellement admiree, aussy bien que l'a déja esté tout ce qu'il y verra ensuite. Asseurez vous donc, Monsieur, que je ne tarderay pas longtemps a luy donner ce plaisir, et que je me sens pas peu vostre obligé de m'avoir choisy, et m'avoir donné un si beau moyen de bien faire ma cour à cette illustre personne, dont je vous rend mes humbles graces. Apres vous avoir fait des remercimens, il vous faut faire aussi des excuses, d'avoir tant gardé vostre lettre, par laquelle vous avez tasché de persuader a Monsieur Corneille vostre opinion touchant la prosodie de nos vers. En verité, Monsieur, aussytost qu'elle me fut apportee un de mes laquais me la brouilla avec d'autres papiers si estrangement, que j'avois desesperé de la pouvoir jamais retrouver. Enfin l'ayant recouverte je l'ay parcourüe, mais non pas peut estre avec toute l'application qu'il seroit necessaire pour en juger bien sainement et en parler bien a fond. Ce que j'en comprend c'est qu'asseurement vous aurez de la peine a faire demeurer d'accord nos Francois de ces piedz mesurez par longues et par breves, que vous observez dans nostre poesie, laquelle se contente d'un nombre de syllabes arrangé, soubs les lois de quelques reigles ou la quantité n'a presque point de part. Je se scay pas mesme comme ils vous pourront entendre quand vous dittes que la pluspart de nos vers sont ou jambiques ou trochaiques, et ne sont au plus que de quatre pieds. Si cela est, nos alexandrins ne pourront jamais estre purs, car estant necessairement de douze syllabes, sçavoir les masculins que l'on pourroit nommer acatalectes, ou les feminins de treize, respondant aux catalectes, ils ne sçauroient estre composez de quatre jambes qui ne feroient que huit syllabes, ce qu'on dira pareillement des trochaïques. Veritablement en resoudant les pieds des uns et des autres en dactyles ou anapestes qui sont de trois syllabes, on y trouverra le nombre prescrit en y mettant quatre de ces piedz. Si vous eussiez mis trois au lieu de quatre, j'aurois creu que vous eussiez voulu mettre mesure au lieu de pieds, pour respondre a la façon des antiens qui se servoient du nom de metrum qui signifie mesure, laquelle contenoit deux piedz; auquel sens nous pourions dire que nos alexandrins sont de trois mesures; c'est a dire de six piedz, comme qui diroit trimetres, et voudroit, que les piedz fussent dissyllabes pour | |
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estre, comme vous dittes, des jambes ou des trochees, et ainsy le conte s'y trouverroit. Mais avec tout cela, quelque difference que vous imaginiez dans les syllabes de nos motz, soit de son ou de quantité, c'est a dire d'accent ou de breve ou de longue, vous aurez de la peine a la faire sentir avec quelque loy de ne pouvoir estre mise dans le vers partout ou le poete voudra, pourveu que ce ne soit point contre les reigles de l'arrangement qui ne regardent que le nombre et quelques autres petites observations independantes de l'accent et de la quantité, que peut estre vous reconnoissez dans les autres langues, particulierement dans la vostre. Et comme il est raisonnable de vous en croire, plustost que ceux qui ne seroient pas de vostre nation, je croy que ceux de la nostre demendront le mesme privilege pour les loix de leur poesie, d'en estre plustost crus que vous, quelques lettres de naturalité que les applications à nostre langue vous ayent pu jusques a present faire obtenir. Ce qui peut mesme encore les fortifier dans cette pretention, c'est qu'ils croiront avoir de fort justes raisons de douter, si vous ne faittes point un faux parallele de la propriete de vostre poesie a celle de la nostre, comme vous ne pouvez vous empescher d'en faire quelques fois des phrases de vostre langue avec celles de la nostre, qui ne s'accordent du tout point. Car par exemple il se peut faire qu'en vostre langue ces façons de parler - qu'en passant on a marquées dans vostre escrit avec ce petit trait * - sont fort bonnes et possible elegantes; mais en francois on ne les pourroit souffrir. Et comme ceux qui ont le naturel et le veritable usage de nostre langue sont fort convaincus que ces manieres d'escrire sont estrangeres, et ne sont pas recevables, ils auront grand sujet de soubconner que celuy qui en est l'autheur, n'aura pas plus de raison de vouloir establir dans la poesie de la mesme langue une conformité a celle de la sienne. Voila, Monsieur, ce que ceux qui n'auront pu entrer dans vostre sens pourront, ce me semble, assez probablement vous repartir. Ce n'est pas apres tout, qu' enfin on ne viennc avec le temps a quelque chose peut estre de ce que vous pensez. Et comme la poesie n'est belle qu'en ce qu'elle a des loix bien plus rigoureuses que la prose, et que nous voyons qu'elle se perfectionne toujours en se gehennant, la nostre pourra bien encore quelque jour adjouter a ses contraintes establies et augmentees par le temps, celle de cette prosodie que vous asseurez avoir deja lieu dans la vostre, mais que vous aurez bien de la peine a faire voir dans celle des Francois, qui ne s'en voudront jamais rapporter a un estranger, quelque sçavant et intelligent qu'il puisse estre d'ailleurs. Je vous demende pardon, si je vous marque si librement mes deffiences, ausquelles vous ne devez pas avoir grand esgard, n'estant que les reflexions d'un homme qui dort encore, et qui n'a presque pas eu le loisir d'y penser. Je seray peut estre mieux esveillé en vous allant rendre response de vive voix du succes de ma commission. Mais je crains que vous ne soyiez deja bien las et ennuyé d'une longue lettre pour avoir la patience de m'entendre davantage. Voicy heureusement la fin de mon papier qui m'oblige a finir avec luy ce long discours et me laisse a peine de la place ou mettre la protestation que je voulois vous faire d'estre toute ma vie ..... Ce dimanche matin, 10 Febv. 1664. |
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