Briefwisseling. Deel 5: 1649-1663
(1916)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend6093. Aan P. CorneilleGa naar voetnoot3). (K.A.)En suitte de l'entretien dont je commençay à vous importuner à RouënGa naar voetnoot4), je retourne à vous dire par escrit, qu'à mon advis la maxime qui dicte qu'au vers rimé françois il ne vient à considererer que le nombre des syllabes, sans ce qui est de la cadence des pieds, est dangerense et peu veritable, veu qu'à ce compte là il faudroit souffrir des vers bastis comme cestuy ci: Feindre de l'amour sans s'aviser pourquoy. Las!transposé de cestuy ci: Las! feindre de l'amour sans s'aviser pourquoy,ou, comme quelcun a transposé le premier de Petrarque: Voi ch'in rime sparse il suono ascoltate,au lieu de Voi ch'ascoltate in rime sparse in suonoGa naar voetnoot5). J'oppose donc à cest abus une autre maxime, que je tiens indisputable et generale pour la poesie de toutes les langues modernes, et dis, que tous leurs vers rimez consistent en pieds ou yambiques ou trochaiques - qui ne sont au plus que de six pieds - et que ces pieds doibvent estre formez suivant les tons ou accens naturels de leurs syllabes, qui est la seule marque de leur quantité. Il n'y en a point, que je sache, en vos belles oeuvres de theatre que de la premiere sorte. Apparemment vous les aurez trouvez de plus doux rapport aux grands vers qui sont tousjours yambiques; et ce choix est fort raisonnable, mais il m'empesche de vous alleguer icy que pour l'une moitié; pour l'autre vous me permettrez de la cercher ailleurs. Voicy donc comme pour fonder ma these je vous compare à vous mesme, dans les premiers endroits que je rencontre où tout est beau en perfection. Soyez vostre arbitre; il n'y a personne qui en soit plus capable. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Aemilie dit en vostre belle CinnaGa naar voetnoot1): (3) Enfans impetueux de mon ressentiment
Que ma douleur seduitte embrasse aveuglement;
et avec la mesme politesse: (11) Que par sa propre main mon Pere massacré
Du throne où je le voy faict le premier degré,
et tost apres: Je m'abandonne toute à vos ardens transports,
et (21) Ouy, Cinna, contre moy moy mesme je m'irrite,
et (23) Quoyque pour me servir tu n'apprehendes rien,
et (27) L'issue en est douteuse et le peril certain,
et (31) Tourner sur toy les coups dont tu le veux frapper
Dans sa ruine mesme il faut t'envelopper.
Et en petits vers au Cid: (297) Si pres de veoir mon feu recompensé,
O dieu! l'estrange peine,
En cest affront mon Pere est l'offensé,
Et l'offenseur le Pere de Chimene.
Et en plusieurs endroits de la mesme scene et ailleurs comme en la VefueGa naar voetnoot2): (393) Secrets tyrans de ma pensée,
Respect, amour, de qui les loix,
et (403) Moy mesme je fay mon supplice,
A force de leur obeir,
(408) Et forment ma crainte et mes voeux
Pour ce bel oeil qui les faict naistre, etc.
Avant que toucher aux trochaïques, qui seront d'auteurs moins illustres, confrontons ces cadences si polies et si naturelles, avec ces autres, tirées des mesmes endroits, et voyons si la difference ne choque le bon lecteur. Je marque les syllabes selon moy placées contre nature.
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Je m'abuse fort, si tout homme non prevenu ne gouste infiniment mieux la ronde et douce volubilité des premiers exemples, que le contrepoil des autres. En voyci d'une et d'autre sorte en petits trochaïques. Aux Entretiens de BrebeufGa naar voetnoot1) il y a:
Ceste precieuse flamme,
et
Bien que les incertitudes,
et
L'ame qui vous est fidele
Voit ces changemens divers,
Les tempestes, les orages,
Les injures, les outrages.
et
La serenité du coeur.
Et de mesme en beaucoup d'endroits. Venez de sortir de ces douceurs, et lisez incontinent apres sans vous fascher s'il est possible:
Pourroit on bien n'y avoir que moy en France d'assez peu friand, pour ne sentir pas ces faux accens? Je sçay bien que pour toute solution on me repart, que s'il y a du defaut en ces vers, on le corrige et l'adoucit par la pronunciation; mais c'est desjà avouër que l'auteur a besoin du fard et du plastre du lecteur. En suitte la composition est defectueuse, et faut confesser, que là, où on n'a besoin de secours, la beauté naturelle est parfaicte, ainsi qu'il appert assez dans la versification latine. Voyons donc comment va le secours de ceste correction. Le premier de vos exemples se lit ainsy: Vous prenez sur mon ame un trop puissant empire,
par deux anapaestes et le reste par yambes. Le second, si on ne veut forcer l'accent, se doibt lire ainsy: Durant quelques momens, etc.,
par un yambe et un dactyle. Le troisiesme ainsi: La cause de la haine, et l'effect de la rage,
par deux anapaestes. Le 4e: Et croy pour une mort luy devoir mille morts,
de mesme. Le 5e ne se peut mieux lire qu'en quatre anapaestes: Et je sens refroidir ce bouïllant mouvement.
Le 6e de mesme: Quand il faut pour le suivre exposer mon amant.
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Le 7e:
D'une si haute place on n'abat point de testes,
par trois dactyles et deux trochaees. Le 8e: Un ami desloyal,
comme le 5e. Le 9e:
Peuvent sur son auteur renverser l'entreprise,
comme le 7e. Le 10e: Aux douceurs, etc.
comme le 5e. Le 11e: Luy ceder, etc.
de mesme. Le premier des petits vers ainsi: Faut il laisser un affront impuni,
par deux anapaestes apres deux yambes. Le second: Que je sens de rudes combats,
par deux anapaestes et un yambe. Le 3e: M'es tu donné pour vanger mon amour,
comme le premier. Le 4e: Il vaut mieux courir au trespas,
comme le 2e. Le 5e: Tout redouble ma peine,
par deux anapaestes etc. Le 6e: N'escouttons plus ce penser suborneur.
Le 7e:
Puisqu'apres tout il faut perdre Chimene,
par trois dactyles, etc. Le 8e: Ne soyons plus en peine,
comme le 5e. Le premier des trochaiques se lira ainsy: Honneurs, plaisirs ou richesse.
Le second ainsi:
Les mouvemens genereux.
Le 3e:
Respectueux et soumis,
de mesme. Le 4e:
Sont ses plaisirs, etc.
de mesme. Le 5e ainsi: Plusieurs se plaignent de moy.
Le 6e:
Une amitié plus durable.
Le 7e:
Luy devenant, etc.
de mesme. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Le 8e:
De vostre dupe, etc.
de mesme. Le 9e:
Et successeur de mon mal,
comme le 2e. Le 10e:
Pour concevoir,
comme le 6e. Et à la verité c'est là cacher des defauts du poete, et la nature de l'accent nous y meine. Mais en en usant ainsi, que devient la dimension du vers, qui debvant avoir six pieds en retient tant moins. Comme quand au lieu de ces six: Un ami desloyal peut trahir ton dessein,
il ne luy en demeure que ces quatre: Un ami desloyal peut trahir ton dessein.
Et ainsi des autres à proportion. Enfin ce n'est plus le mesme vers, parce que ce n'est plus le premier mouvement; et ce premier mouvement est faux, parce que la nature de l'accent y repugne. Ainsi le poete ne faict pas ce qui estoit de son dessein, à scavoir ni le vers yambique ni le trochaique, mais donne dans un mouvement tout divers et casuel. Ne retournez pas, s'il vous plaist, à me repliquer, que c'est assez bien payer que de fournir le nombre des syllabes; je vien de vous en faire veoir l'inconvenient, et comme il est dangereux d'ouvrir ceste porte. Si vous croyez que tout le monde en vueille user aussi discretement que vous, vous serez bientost rebuté de ceste charité, en ne prenant que la peine de fueilleter vos Espagnols, et toute la poesie italienne, où veritablement on rencontre des licences de ceste sorte, qui vous sautent aux yeux comme des esclats de lance. Voyez par exemple ce vers de Petrarque dont par hazard je me souviens: O che bel morir era hoggi e tertz' annoGa naar voetnoot1). Apres tout, Monsieur, vous me debvez accorder que comme tout poete chante, toute poesie debvroit estre bien chantable. J'advouë que vos syllabes comptées le sont; mais si le musicien altere vostre mouvement, comme il est necessaïre qu'il fasse, pour suivre l'accent des syllabes, dont il n'est possible qu'il se departe, ce ne seront plus là vos vers, comme j'ay dit dessus. Au moins sans ceste observation la musique appropriée au premier couplet d'une chanson ne s'ajustera jamais, que par grand hazard, au second, ce que vous sçavez avoir esté si fort consideré aux odes et epodes des anciens, qui se rapportent proprement à nos couplets. Je vous couche donc cela pour un argument indisputable de ce qu'il est aussi beau et aussi inevitablement necessaire de s'attacher à cet accent naturel en toutes les syllabes du vers qu'en celle de la cesure du millieu, veu qu'en ce faisant vous ne sçauriez incommoder ni le lecteur ni le musicien, ni ce dernier vous desgouster, ni l'autre vous faire tort en lisant, ne fust il qu'un enfant d'escole. J'atten bien que vous m'objectiez que ceste contrainte est une captivité fascheuse et difficile; mais puisque je la prouve necessaire, l'une de ces deux considerations n'est plus recevable. Pour la difficulté je vous en mettray aysément hors de peine, si vous voulez croire, ce que toute ma patrie tesmoignera, que chez nous la prattique en est si universelle, que le plus petit rimailleur seroit sifflé, s'il ne l'avoit observée dans la derniere rigueur; et c'est par où j'ose vous dire, quelque basse opinion que vous puissiez avoir de la langue des Païs bas, que nostre poesie ne se trouve nullement des moins polies et coulantes du monde lettré. Outre que depuis environ un demi siecle elle a esté espurée de touts mots estrangers, et ne laisse pas de s'expliquer richement. Que si vous prenez la peine de bien examiner et mes raisons et vos propres exemples, j'ose me promettre que vous n'en aurez point à vous conformer à nostre delicatesse; au moins à m'avouër qu'elle est de bien plus grand' importance que ne sont certains fers nouveaux que ces derniers temps vous ont mis aux pieds, qui est ceste fuitte superstitieuse de la rencontre | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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de deux voyelles en deux mots; rigueur que vos excellens predecesseurs n'ont pas receuë, mesme qu'ils ont rejettée comme impertinente, voyant bien que qui n'ose dire, qui est là ne debvroit pas non plus oser dire inquiet, et si on peut dire l'amie entend, qu'aussi bien dit-on l'ami entend, et ainsi du resteGa naar voetnoot1). Certes nous sçavons assez ce qui est de la cacophonie, mais n'en trouvons pas tousjours en toutes telles rencontres; ains les supportons plus ou moins volontiers, selon la diversité des voyelles, qui est fort considerable la dedans. Mais ce pourroit estre là le subject de quelqu' autre entretien. Je n'avoy pas dessein de m'estendre si avant sur cettuy ciGa naar voetnoot2). Je vous en demande pardon, et soumets volontiers tout mon raisonnement à vostre dictature, que je revere autant que je doibs, et comme estant ..... A Paris, 30 May 1663. |
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