Briefwisseling. Deel 5: 1649-1663
(1916)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend
[pagina 205]
| |
5347. Aan V. ConrartGa naar voetnoot1). (K.A.)Het verheugt mij, dat gij weer beter zijt. - ‘Cependant, Monsieur, je suis contraint d'avouër que l'ouverture de la perteGa naar voetnoot2) que vous me rememorez destrempe une bonne partie de la joye que me donne vostre guerison, et je m'asseure que comme c'est du fond du coeur que vous la plaignez, nous patissons quelque chose de fort esgal ensemble sur ce subject, et qu'en suitte nous ne sommes pas seuls capables de nous en consoler entre nous. Il restera de veoir ce qu'y gaigneront les belles plumes de vostre païs, qui ne pourront s'empescher de payer ce qu'elles doibvent à la memoire de ce grand personage. Ce que vous semblez vous en promettre de pardeça n'aura rien de proportioné ny à nostre douleur ny à la gloire du subject. Nous n'avons plus de Saumaise, plus de Barlaeus, plus de Boxhornius. Tout cela nous a esté ravi en peu d'années. Heinsius respire, mais Dieu a voulu que depuis quelque temps en cà ce grand genie souffre ce que Festus osa reprocher à St Paul, et n'exerce plus que la pitié de ses amis. Il reste bien son filsGa naar voetnoot3), mais il est en Suede, où toutefois je me fay fort de luy faire ouvrir la veine poetique qu'il a tres-exellente, comme en a bien jugé M. de Balzac mesme, par le commerce qu'il a entretenu aveq luy. Nostre SibylleGa naar voetnoot4), que vous quotez dans les premiers rangs, nous a quitté aussi, et se tient à Coloigne, où veritablement il n'y a pas si loing, que je ne puisse luy faire entendre ce que le monde lettré pretend d'elle en ceste occurrence, et je me charge encor de ceste entremise, mais ne sçaurois vous respondre de la promptitude de l'execution, où les executeurs sont si espars. Si vous m'escouttez, l'on ne nous attendra pas en France, et suffira qu'animez par les beaux exemples des plus capables comme des plus interessez, nous les suivions de loing, et ne donnions que le plus tard qu'il sera possible - au moins si nous presumons de parler François - dans la rigueur de vos censures academiques, qui desormais me semblent si severes, que ce n'est rien d'avoir passé par la critique et hypercritique de Jules ScaligerGa naar voetnoot5), au prix de ce qui reste à essuyer dans Paris. En effect, Monsieur, quand je me represente les coups d'ongle qu'on a donné depuis quelques années à de vos plus excellens auteurs, et comme ce que nous estimions de bien tissu ou de mieux poli a esté declaré fautif et criminel, je vous avouë, que la connoissance que j'ay de ma foiblesse me faict reculer plus de trois pas des quatre que mon ardeur et imprudence m'auroyent pû faire avancer. Outre que pour la poesie françoise je voy qu'on a prins plaisir à s'y lier les pieds et les mains par de certaines regles et observations qu'il faut qu'on me pardonne si je nomme abusives et superstitieuses. La seule que je vous marqueray pour le present c'est ce concours de voyeles dans la suitte de deux mots, que je voy qu'on abhorre comme une cacophonie insupportable. Ce n'est pas que je la tienne belle ou aggreable, mais la necessité m'y portant je ne voy pas, pourquoy il est plus messeant aujourdhuy que par le passé de dire: Tu as esté Seigneur nostre retraicte, Tu as eu l'oeil assez | |
[pagina 206]
| |
sur mes forfaicts, Qui est-ce qui conversera, Qui à usure n'entendera, etc. Ce sont, comme vous voyez, des vieux passages de nos Pseaumes, qui n'ont jamais offensé les oreilles les plus delicates, jusques à ce que ceste mode est venue à s'introduire, et j'en voudrois bien appeller à M. CorneilleGa naar voetnoot1) seul, s'il vouloit m'advonër l'incommodité qu'elle luy donne sur le theatre, où il n'oseroit avoir dit: Qui est là, S'il n'y entre, ou chose semblable, sans se faire siffler, et au fonds je voudroy sçavoir des auteurs de ceste belle remarque, pourquoy en mesme temps ils ne cassent tous les mots où la mesme cacophonie se rencontre, comme sont reünir, reüscir, plier, et mil autres qu'on ne sçauroit oster à vostre langue sans la destruire. Mais ce discours est de bien plus longue suitte, et tout idiot que je suis, croyez moy, Monsieur, que si j'avois à plaider le different par devant juges neutres, la bonne cause me fortifieroit; au moins je me flatte de ceste impression, et vous demande pardon, si je m'y suis engagé iey par occasion de la poesie que vous prenez la peine de me demander. Au pis aller nous verrons ce que la Muse latine voudra nous inspirer sur ce bel argument, car n'en deplaise à vostre illustre concileGa naar voetnoot2), c'est en ce stile là que nous pretendons estre un peu exempts de sa judicature, et osons nous imaginer que le Païs bas en entend le genie autant que la France pour le moins. Vous voyez, Monsieur, aveq combien de franchise je vous entretien sur des choses de peu, mais au sortir d'une grande maladieGa naar voetnoot3) l'on souffre volontiers de se veoir diverti sans contraincte, et c'est ce qui me faict causer avec moins de retenue. Vous eussiez mieux aymé que j'eusse employé le papier à seconder vos regrets sur le trespas de ce grand ami, mais comme d'un costé cela surpasse mes forces, je ne puis de l'autre m'empescher de vous dire par forme de complainte, que depuis quelques années en ça, je me suis trouvé frustré à la fois de la communication, et comme j'en puis juger, de l'amitié de ces deux illustres de vostre païs, qui sont M. de Balzac et de Corneille, sans seulement pouvoir me faire esclarcir du subject de leur froideur, quelque soin que j'aye prié mes amis d'en prendre. Le premier n'est donq plus. Pour le dernier, puisqu'il est en estat de pouvoir dire ce qu'il y peut avoir entre luy et moy, et que dependant de vostre jurisdiction, vous avez moyen, Monsieur, de l'y disposer, je vous supplie que ce soit en termes qui premierement l'asseureront de la parfaicte estime que je continue tousjours d'avoir pour son excellent merite, et en apres, s'il pense avoir quelque subject legitime pourquoy j'aye merité de me veoir forclos de sa bienvueillance, que je suis tout prest à luy en donner toute la satisfaction qu'il voudra me demander. C'est une faveur, Monsieur, que je vous demande aveq soin et sollicitude, n'y ayant chose au monde dont la conservation me soit plus chere, ni la perte plus sensible que celle de l'amitié des grands hommes. Ce qui demeurant tousjours veritable, je vous laisse penser s'il est apparent que je cesse jamais d'estre ..... 16 Avril 1654. |
|