Briefwisseling. Deel 4: 1644-1649
(1915)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend4538. Aan prinses Amalia van OranjeGa naar voetnoot4).aant.Je ne prendray plus la hardiesse que je me suis senti forcé de prendre une fois. Je n'iray plus porter mes plaintes de bouche aux oreilles de V.A. que je ne cognoy que trop agitée d'une infinité d'inquietudes de plus haute consideration. Le dernier de mes desseins est d'achever de me douloir en ce papier, et la derniere grace que je demande à V.A., qu'elle vueille daigner jetter l'oeil dessùs, comme elle feroit sur le dernier fueillet d'un mauvais livre, pour n'y en veoir plus de reste. Elle n'a que faire de s'y attacher; la lecture en sera bonne par boutades de loysir, et j'espere qu'en chasque page il se trouvera quelque verité d'importance qui l'empeschera de desesperer d'en rencontrer en celles qui les suivront. Je rends graces infinies à V.A. de ce qu'il luy a pleu m'informer de la faulte qui semble me rendre criminel aupres de S.A. Monseigneur. Car véritablement j'eusse toute ma vie fouïllé ma conscience sans l'y trouver, n'y ayant que l'excès d'une faulte contraire qui m'a tousiours intimidé, nommement en ces dernieres années, oû les indispositions de S.A. ont retenu les plus discrets de la surcharger d'affaires, à moins que d'une necessité bien urgente. Pour avoir eu ma part dans ceste consideration, il est dit que je neglige le service, que l'on ne me void jamais et que je ne prends que mes plaisirs á coeur. Je ne m'estendray pas, Madame, à dire de quel estonnement m'a frappé ceste accusation si esloignée de subject. V.A. l'a pû juger en partie par le peu de response que j'y ay sceu faire sur le champ, outre qu'une visite que V.A. avoit promis de recevoir m'obligea de rompre à moitié chemin. Je ne feroy qu'achever icy, en suppliant tres humblement V.A. de faire le tour de tous ses domestiques, je dis du moindre | |
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au plus grand, et de veoir s'il s'y en trouve un seul qui ayt faict le chien d'attache comme moy. Il est notoire que la necessité ou le plaisir en porte tous les jours l'un ou l'autre à demander des jours, des sepmaines, voire des mois de relasche, et n'y a si miserable esclave en Turquie, ni si povre soldat icy, à qui ceste grace ne s'accorde quelquefois. Mais quand ce viendra à me compter, je pense qu'on aura bien de la peine à se representer, quand c'est que j'en ay jouy. Il est vray que passé trois ans au retour de la campagne j'ay eu permission de me destourner aveq mon bateau pour huict ou dix jours jusqu'à Zuijlichem, où une fois enfin ma presence devoit regler beaucoup d'inconveniens prejudiciables à mes affaires de pardelà, mais de moy mesme j'ay borné mon congé à quatre nuicts d'absence. Depuis celles là je n'en sçauroy compter que deux autres, qu'il m'a fallu entendre de necessité absolue aupres de Leiden à la partie d'une succession escheuë à mes enfans. Où sont hors de là les tesmoings qui puissent dire que j'aye couché hors de la Haye, que j'aye manqué un seul jour de me trouver à la cour, qu'en ceste cour je n'aye esté veu des trois, des six, des vingt fois entre matin et soir à la porte de S.A. ou à ses pieds? Si des considerations, dont j'ay parlé, m'ont retenu d'y aller si tres souvent - encor n'est ce que fort rarement - qui est-ce qui la pluspart du jour, et nommement aux heures d'affaires m'a rencontré ailleurs que dans ma chambre à la cour? Car, graces au bon Dieu, du temps que je parle il ne m'a pas visité d'aucun accident qui m'ayt pû retenir au logis; et pour les medicamens dont il m'a fallu user, pour garentir par avance un corps qui n'est pas des plus robustes, quelque inhibition que m'en ayent faict les medecins, jamais ne m'y ont retenu. J'ay toutesfois disné et souppé au logis, et veritablement y ay passé d'autres heures, comme tout autre habitant de la Haye, et tout autre homme de ma vocation, et le temps s'escoule entre les occupations domestiques et publiques, comme sçavent ceux qui en manient moins que moy; mes estudes pourroyent y pretendre quelque part, mais de peur qu'on ne me les mette sur le chapittre des plaisirs, qui font partie aujourdhuy de mon crime, je ne les porteray en compte que sur les heures de la nuict, que j'ay creu m'appartenir, et que j'y ay employées au besoin. Mais apres tout, Madame, à quelque chose que j'ay vaqué - qu'on sache si c'est aux visites, à la chasse, au jeu, au vin ou à pis - ay-je manqué à mon devoir en me trouvant tous les jours et incessamment dans la chambre de S.A. tout chargé de papiers, dans la miene à la cour pour y en preparer, ou pour tout le plus esloigné dans ma maison, qui n'est qu'à cent pas de celle de mon maistre? Et n'a ce pas tousjours esté sa coustume, comme ce l'est de tous les Princes, d'envoyer appeller ceux de leurs serviteurs qu'ils demandent, et ne pourroy je pas supputer ainsi plus de six mille messages de halebardiers que m'ont esté envoyez, comme à tout autre serviteur de S.A.? Et n'est ce pas le dernier debvoir de se tenir tousiours en lieu propre et en estat d'accourrir au premier commandement? J'ay parlé de ce lieu pour ce qui est de la Haye. J'adjousteray pour la campagne, que là où un chascun se tue à occuper le meilleur logement, j'ay tousjours recerché comme le meilleur, celuy que j'ay trouvé le plus proche de mon maistre, quelque miserable qu'il fust, de peur que mon esloignement n'interessast son service; et de cela je n'ay pas moins que des armées à tesmoing. Pour l'estat de pouvoir servir, j'ose bien dire que j'y ay tousjours esté trouvé, au moins que le vin ny autre de ces debauches surnommées ne m'en ont jamais mis dehors; que je n'ay point d'ailleurs distingué la nuict d'aveq le jour; que quand il a pleu à S.A. m'appeller hors du lict - chose assez frequente aux armées - j'en suis sorti d'aussi bonne volonté que je l'ay esté obligéGa naar voetnoot1) de faire des meilleures compagnies de la Haye, quelque reproche qu'elles m'en ayent souvent faictes, comme d'une diligence affettée; que pour tout dire, je n'ay pas seulement attendu les commendemens de S.A., ains les ay poursuivis, et que là où les serviteurs de ma sorte se sont veus en possession de l'ayse de leur chariot, jamais aucune incommodité du temps ne m'a empesché de suivre la marche de S.A. à cheval, pour y rendre le service qu'elle a tant eu subject de m'ordonner en ces occasions là, et lequel j'ay tousiours executé aveq des promptitudes, dont S.A. ne desadvouëra pas d'avoir esté assez souvent surprins et estonné. J'advouë, Madame, que dernierement S.A. a voulu trouver long le temps que j'avoy mis à venir de mon logis jusqu'au Nordende, comme encor celuy qu'elle m'obligea de mettre tost apres à venir prendre quelques papiers en ceste cour, jusques à m'en dire quelque parole plus aigre que je ne luy avoy jamais veu tirer contre | |
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moy, mais je me retiendray de repliquer là dessûs autre chose, sinon que, comme j'avoy un carosse à la main, en ces deux allées et venues je ne marchay jamais qu'au grand trot, qui a tousiours esté mon pas, quand il a esté question d'obeïr à l'honneur des commandemens d'un Seigneur et Maistre à qui je veulx bien qu'on sache que je n'ay pas seulement servi comme à un grand Prince, mais de plus comme à un Pere, et comme à un Pere de la Patrie, je dis d'affection et de debvoir. Au debvoir je pouvoy satisfaire en ne faisant que ce que porte ma commission, et ce que d'autres ont faict, mais l'affection m'a porté jusqu'à l'impossible. Permettez moy de dire, Madame, que jay surservi. Cela ne regarde pas la diligence ny la fidelité; on y est obligé jusques au plus hault point et n'y a valet qui fasse oeuvre meritoire en servant aveq probité et promptitude imaginable. Mais j'ay surservi purement et simplement. V.A. le cognoist en partie, et me fera la grace d'en apprendre le reste. C'est le mestier d'un sot d'estaller ses merites, mais mon ennuy et l'amertume de mon esprit m'y contraignent. J'ay faict la charge de greffier de S.A. en une infinité d'occurrences, qu'il n'est pas necessaire de specifier apres ceste grande, longue, et penible du mariage d'Angleterre. J'y ay faict le greffier de plusieurs maistres et le clerq; car V.A. sçait combien ceste negociation a duré avant que pouvoir esclatter, et comme en suitte il m'a fallu travailler sur les minutes, les principaulx et les copies de tant d'escrits aveq ma seule main. Encor suis je bien asseuré que si V.A. voyoit ensemble le morceau de papier que cela faict, elle me regarderoit aveq beaucoup d'estonnement et certesGa naar voetnoot1) aveq un peu de pitié, sans me refuser la grace d'advouër, que c'est là un surservice d'assez de consideration, parmi tant d'autres occupations publiques qui m'ont tousiours accablé. J'ose poser pour un second article, que moy seul, je dis moy seul, Madame, et sans qu'autre serviteur de S.A. y pûst ny osast regarder, l'ay heureusement servi dans l'explication de tous les chiffres enemis qui luy sont tombez entre les mains, generalement dans tous les sieges et autres exploicts qui font partie de ses actions glorieuses, et s'il plaist à S.A. de regarder en arriere, elle se souviendra de l'importance de ces travaulx, et de ce qu'on m'eust bien voulu promettre avant la chose faicte, quand il estoit question de descouvrir les defaults des enemis d'au dedans, et leurs intentions d'au dehors, dont en telle occasion j'ay fourni des histoires à pleines poignées; et S.A. dans sa generosité ne desadvouëra pas le fruict qu'elle en a tiré à son temps, ny que par le passé ce mestier a cousté 1500 livres de pension à l'Estat au prouffit d'un grand hommeGa naar voetnoot2) qui jamais n'en avoit faict icy qu'une experience ou deux; et qu'en suitte c'est là un surservice à un secretaire, et une benediction de Dieu, dont les foibles pourroyent tirer de la vanité; mais pour moy je sçay bien que ce qui m'y a faict rompre la teste des nuicts entieres - comme c'est des plus terribles peines qu'on cognoisse - c'a esté ceste passion qui m'a tousjours interessé aveq chaleur dans la gloire de S.A. pour l'amour de laquelle cependant je veux croire que Dieu m'en a donné la capacité plus volontiers; aussi ne m'y suis-je jamais veu reuscir, que je ne luy aye rendu action de grace particuliere de m'avoir faict en quelque sorte cooperer à de si grandes actions et où le bien de l'Estat avoit tant d'interest. Je demande encor la patience de V.A. pour un seul et dernier article. C'est, Madame, qu'ayant veu mourir Pieter Coenen dans l'administration des listes et depesches de la campagne et des garnisonsGa naar voetnoot3), où, à mon advis, j'avoy observé plusieurs choses dont la suitte pouvoit causer et causoit souvent de grands inconvenienscomme entre autres Son Alt.e m'a compté qu'une fois certaine compagnie d'infanterie fut comme perdue une année entiere, sans que l'on pust la retrouver - l'envie de remedier à ces confusions par des voyes que j'en avoy imaginées de longtemps, et en suitte le desir de me faire augmenter les bonnes graces de S.A. par quelque service de consequence me fit luy demander le soing de cest employ. Je l'obtins sans peine, mais Dieu sçait si j'en ay soustenu la charge de mesme; moy qui de ce temps là - il y aura tantost dix ans - et bien auparavant me trouvay honoré par S.A. de la plus grande part de ses affaires plus importantes, et veritablement sentoy souvent aveq quelque sorte de remors que je m'estoy engagé trop gayement dans un employ capable d'occuper tout seul un homme deschargé, et de harasser touts les efforts de sa memoire. Mais Dieu m'assista, et me mit mesme au dessùs de ce premier dessein d'esclarcir ces confusions, | |
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et de reduire les listes à une clarté, justesse et politesse telle, que j'ose dire qu'il n'y a point de grands livres de financiers qui se gouvernent de plus belle methode et moins subjecte à erreur ou confusion, qui sont des pestes dans cest employ, ne se pouvant croire combien la consequence en est dangereuse et difficile à reparer. Enfin il viendra un temps que la posterité de S.A. benira l'autheur de ceste conduîtte. Et c'est apres l'honneur du service actuel que je rendois à un bon Maistre, ce que je m'en suis proposé pour recompense; et S.A. sçait si jamais je luy en ay demandé sol ni maille, soit de sa boursse, soit de celle de l'Estat; mais elle aura oublié que les gages qu'en tiroit P. Coenen ont esté appliquez à F. van der Lee, qui aujourdhuy a levé le talon infame contre moy, et jouïssant de l'honneur de se veoir de petit garçon que nous l'avons veu, pauvre enfant d'un pere deux fois banquerouttier, devenu maistre des requestes de S.A. aux gages de 1500 livres par an, qui est justement le triple de ce que S.A. me donne, n'a pû se contenter de ceste fortune, mais de plus a entreprins et reusci à sapper les fondemens de la miene, en portant, ou faisant porter S.A. par deux fois à luy donner la clef de mon honneur et de mes interests, l'authoriser de faire ce que je fay en ma charge, en somme à me le mettre en teste pour me tenir lieu d'une vexation perpetuelle et tousiours croissante, comme elle a faict, car les ouvriers d'iniquité ne s'arrestent jamais en si beau chemin. Comme le fil de ce discours m'a mené insensiblement à faire mention de cest homme affronteur, qui des sa jeusnesse a troublé toute la secretarie de S.A. et sur la fin a osé outrager la viellesse de feu le secretaire JuniusGa naar voetnoot1), son maistre et bienfaicteur, qui l'avoit tiré comme de la bouë, jusques à vouloir mettre violemment les mains sur luy sans qu'on l'en eust empesché, je ne sçauroy me retenir, Madame, de faire paroistre encor le ressentiment que j'ay, ce me semble, aveq toute justice de ce que S.A. l'ayst voulu renforcer de nouveau contre moy en une chose qu'elle a advoué ne luy avoir octroyée que par surprise, tesmoing la revocation, au moins la destruction formelle et evidente que S.A. de sangfroid et de propos deliberé a esté contente d'en faire par la declaration qui va cy joincte, en m'advouant de bouche et tresamplement, qu'elle se tenoit si satisfaicte de moy, qu'elle n'entendoit pas que personne se meslast de ma charge, aveq d'autres discours qu'il ne m'appartient pas de reciter. Cependant, Madame, il plaist à S.A. que je le voye agir devant moy en ce qui est purement des functions de ma charge; il plaist à S.A. me faire oster les papiers des mains, comme à un faquin infidelle, pour les luy donner à expedier. Les deputez des provinces, des villes, et autres particuliers, qui tous luy veulent aussi peu de bien que moy, ne sçavent que penser, non plus que moy que dire, quand ils trouvent leurs depesches diverties hors des mains de celuy qu'il y a 22 ans qu'ils les voyent administrer. Sera ce donq là, Madame, la recompense de tout ce que je viens de specifier? Je sçay qu'il est au pouvoir de S.A. d'employer à son service qu'il luy plaist, mais qu'il me soit, au nom de Dieu, permis de demander pourquoy elleGa naar voetnoot2) trouve juste d'exercer ce pouvoir à mon deshonneur et prejudice? Si j'ay commis chose qui luy desplaise - nous sommes tous hommes et le plus juste trebuche sept fois leGa naar voetnoot3) jour - pourquoy me cache-on ce desplaisir, pourquoy ne m'ordonne-on de corriger ceste faulte, de faire satisfaction pour ce crime? Pourquoy sur le declin de mes jours me faict on manger en ennuy et fascherie ce coeur qui n'a jamais respiré que de la fidelité pour vostre Maison? Si je fourvoy en ma charge, pourquoy me chastie-on sans mot dire? Pourquoy me traicte-on aveq plus de rigueur que le greffier MuschGa naar voetnoot4), à qui au moins on a mis une regle en main, au moyen de laquelle il peut satisfaire aux plus vehemens executeurs de sa conscience. Si je peche en sachant la volonté de mon Maistre, c'est lors que j'auray merité les doubles verges dont on me fouëtte au gré de mes enemis, et à la veuë de tant d'honestes gens parmi lesquels je ne sçay de quelle contenance me comporter. Il est vray, que ceux cy cependant auront de la peine à ne me croire pas coupable de quelque grande mechanceté, comme il est coustumier et raisonnable que la cause des chastimens se trouve plustost dans le valet que dans l'humeur du maistre, où la disparité de conditions est si infinie. Mais enfin et en tout cas, Madame, comme il est au pouvoir de S.A. de me defaire aussi bien qu'elle m'a faict, et aussi bien ouvertement et promptement qu'elle semble le tenter par | |
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voyes plus cachées et lentes, j'ose et oseray tousiours respondre à V.A. que, quand elle a daigné employer la prudence de ses persuasives en ma faveur dès BredaGa naar voetnoot1), oû ces desplaisirs furent esclos pour la premiere couvée, et à son grand regret, comme j'en fus bien informé, elle a porté la cause d'un homme de bien, d'un serviteur tout fidele, d'un esclave qui a desjà despendu un oeil au service de son maistre, qui s'est tousjours jetté entre luy et l'ingrate malice des temps ou nous vivons, et enfin n'a creu pouvoir trouver plus grande felicité que dans sa gloire, que Dieu luy vueille augmenter de sa grace jusques à celle de l'éternité. Qu'on fasse donc examiner mes actions; qu'on sache si j'ay malversé en ma charge, si j'en ay usé honteusement, si j'ay peché de guet à pens contre les devoirs d'un honest' homme, si, comme ce beau personnage qu'on me met en teste, j'ay oppressé la vefue qui m'a sollicité, ou exactionné l'orphelin qui a eu besoing de mon assistence, si j'ay postposé le droict et l'équité et là dedans la verité des intentions de mon Maistre à mes interests, ou à mes inclinations, ou son service à mes plaisirs; si jamais j'ay marchandé à luy obeïr aveq la promptitude possible; si jamais j'ay relasché de ceste assiduïté infatigable dont je me suis assubjecti à son service des l'heure que j'y ay esté receu; si en somme j'ay esté à honte ou à scandale à ceste cour. On trouvera que j'y ay gaigné quelque commodité, mais à la sueur de mon visage, et bien au bas du point que plusieurs l'imaginent, qui auroyent bien de la peine à croire que j'en ay souvent plus refusé et parfois donné que receu, et, pour le moins, ne prouveront jamais, que je me soye enrichi aux despens ny de la gloire, ny de la boursse de S.A., comme font bien d'autres, qui n'en sont pas chastiez. Que si apres ceste recerche, Madame, où le plus rude procedé me sera le pus cher, l'on me trouve coupable d'aucun des points que j'ay nommez et point nommez, je di du plus grief au moindre, justice soit faicte, et perisse le mauvais serviteur. Je ne demanderay pas seulement le temps ny la faveur de m'en pouvoir corriger; je tiendray qu'il n'y a point d'hyssope pour mon forfaict, et sans importuner Vos Alt.es d'une recerche de pardon, je me retireray à l'escart et iray porter entre Dieu et moy la peine d'avoir peché devant luy en m'acquittant mal de l'importante function où il m'a appellé. Si au contraire, Madame, l'extreme severité me trouve hors de reproche; si mesme la discretion et l'equité de mes juges se sent forcée d'advouër que j'aye merité un peu plus de gré que de chastiment, que, comme le bon valet de nostre Seigneur, j'ay desservi qu'on me fie choses plus hautes, pour avoir esté fidele aux moindre[s], j'attendray de la justice de S.A. qu'elle me voudra tirer de l'opprobre où elle m'a jetté soudainement, et sans ce mot de preadvertence et de menace que je l'ay bien veu envoyer à de ses serviteurs au besoin, tandis que pour ma part les oreilles me retentissoyent de tant de favorables rapports et tesmoignages qui me venoyent de la satisfaction qu'avoit S.A. de ce service, le debvoir duquel je proteste devant le Dieu vivant ne sçavoir pas avoir discontinué jusques à ce moment. J'attendray de sa bonté que, si elle n'a occasion de me faire autre bien, elle me laisse qui je suis, elle me souffre faire ce que j'auray tantost faict 22 ans de suitte, sans permettre que personne m'y troublé ny interrompe pour son plaisir, pour son avarice, pour son envie, ou pour son ambition, non plus que S.A. ne voudroit souffrir que cest affront fust faict à son capitaine des gardes, à son escuyer, à son greffier, ny à quelqu' autre serviteur dans sa Maison, où j'ay l'honneur de me trouver aux charges de consideration, quasi le plus ancien de tous. C'est l'issue, Madame, que, moyennant vos sages et prudentes interventions, j'attendray de ceste confusion fascheuse, aveq d'autant plus d'asseurance qu'il a pleu à S.A. me la redonner et confirmer depuis si peu, dans l'acte que j'ay cité. Que si, apres tout, Madame, et pour bonne que se puisse trouver ma cause, S.A. persiste à sembler ne la vouloir croire telle, à me chastier sans s'expliquer pourquoy, à souffrir qu'on s'ingere dans ma charge, comme si j'estoy mort, ou absent, ou inhabile, et que ceste mortification m'arrive de par un de mes clerqs que j'ay aydé à planter où il croit si insolemment, et qui, meprisant le bon employ qu'il a, ne bouge desormais d'autour de S.A. pour se prevaloir, comme il vient de faire aveq tant d'impudence, de l'estat où il la void, et pour intercepter tousiours quelque piece de mes depesches, dont il sentira aveq le temps le reproche que luy en font tous les gens d'honneur; si, di-je, Madame, S.A. continue d'aggreer ce desordre, dangereux mesme pour son service, comme il y a desjà paru à diverses fois, la sauce se trouvant | |
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gastée parce qu'on s'en est voulu remettre au valet à l'exclusion du viel maistre cuisinier, ce sera lors que, suivant la leçon et l'exemple des sages, je m'envelopperay dans ma vertu, je me reposeray sur mon innocence, et, portant la teste haulte comme le peult et doibt un homme de bien, soit que S.A. se resolve à m'esloigner tout à faict, ou à me laisser moysir, comme un vieux meuble, qui pourroit servir un jour à quelqu'un des siens, je prieray Dieu, comme j'ay tousiours faict, de benir ses conseils et ceux qui en doibvent avoir cognoissance en ces temps scabreux, où le gouverneur des Provinces Unies a besoing de plus de vigueur au dedans de soy, et de fidelité et d'experience autour de luy que jamais. Ce seront, Madame, les effects de ceste patience qu'il a pleu à V.A. me prescher aveq tant de douceur, quand j'eus l'honneur de luy dire en peu ce que je n'ay pu m'empescher de luy consigner plus amplement en ce papier. V.A. aura peur de le veoir si estendu et peut estre ne le lira jamais, peut estre aussi n'importera il pour son service qu'elle en prenne la peine; mais, quoy qui en soit, Madame, il m'a importé de l'escrire, et importera quelque jour à mes enfans d'y trouver le soing que j'ay prins de les affranchir du blasme d'appartenir à un pere disgracié aveq subject, et qui se soit trouvé trop lasche ou trop ladre, pour se ressentir et laver modestement d'une injuste fletrissure de son honneur. Dieu vueille redoubler de jour en jour celuy que V.A. se va acquerant dans cest Estat et ceste Maison, et me fasse le bien d'achever d'y vivre en sorte que V.A. me continue la grace de croire que je suis du fonds de l'ame ..... 6 Feb. 1647Ga naar voetnoot1). |
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