Briefwisseling. Deel 3: 1640-1644
(1914)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend2297. J.L. Guez de BalzacGa naar voetnoot4). (R.A.)aant.Je n'ay pas receu vostre lettreGa naar voetnoot5) avec moins de joye que si elle m'estoit tombée du ciel, et que j'y eusse trouvé ma bonne fortune. Je parle ainsi, a cause que je pensois que vous ne vouliés plus que je fusse heureux, et que je me desfie tousjours de la durée des biens de ce monde. L'opiniastreté de vostre silence me faisoit craindre quelque chose de pis que la discontinuation de nostre commerce, et quand je me voulois flater, je me figurois que vous m'aviés oublié sans me hayr. J'ay invoqué, et ma voix n'a point esté exaucée; j'ay escrit des lettres, et je n'ay point eu de response. Car il est vray, Monsieur, que je vous pourrois rendre toutes vos plaintes, et vous appeller cruel, ou pour le moins dedaigneux, si je n'avois mieux aymé chercher une cause estrangere de ce manquement, et m'en prendre aux courriers, aux saisons, a la fortune, au destin, et a tout autre, plustost qu'a vous. A la fin j'ay sceu qu'il y avoit un paquet pour moy a Paris, et la bonne Madame DeslogesGa naar voetnoot6) m'a annoncé une si bonne nouvelle. Mais croyriés vous bien, Monsieur, que ce paquet a vielli au logis du messager, et qu'apres estre arrivé a Paris, je l'ay attendu icy plus de quatre moys? Il faut sans doute qu'il y ait un demon envieux de mon bonheur, qui n'est occupé qu'a mettre des barrieres entre vous et moy, et qui guette sur les chemins tous les presens qui me viennent de Hollande. Il surprend quelquefois vos lettres; il se contente quelquefois de les retarder, et ne pouvant me faire perdre vostre affection, il me traverse tant qu'il peut en la jouissance de vos faveurs. Neanmoins en despit de luy et de ses malices, les voicy au port, apres six mois de voyage, et je vous donne advis que j'ay receu avec vostre eloquente lettre le plan de vostre belle maison. Pour juger du merite d'un ouvrage si achevé, il faudroit avoir les yeux plus sçavans que je ne les ay, et mieux purgés des vapeurs terrestres, et de la barbarie du village. Il faudroit estre de Rome, et non pas de Balzac, où veritablement la nature a quelques graces et quelques attrais, mais ou l'art | |
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a esté violé d'un costé et d'autre, et a receu une infinité d'outrages par les artisans. Au lieu de vos chefs d'oeuvres et de vos idées de perfection, vous ne remarqueriés que des monstres et des prodiges faits a la main. Il n'y a pas une pierre, où il n'y ayt une incongruité en architecture, et qui ne blesse la veue de ceux qui voyent avecque science. Tellement que si vous me faisiés jamais l'honneur que vous voulés que je recoive chez vous, je serois contraint, de peur de vous presenter des objets irreguliers, de vous faire dresser des tentes sur le bord de ma riviere, apres avoir cherché quelque charme pour vous rendre invisible ma maison. La figure de la vostre ne me plaist pas moins que les deux descriptions que Pline nous a laissées des deux siennesGa naar voetnoot1). Vous en devés estre extremement satisfait, et n'en scauriés parler trop avantageusement. Mais quand elle sera accompagnée de la dissertation qu'en suite vous me faites esperer, vous pourrés dire lors, que vous avés basti pour l'eternité et que vostre structure n'aura point d'autre fin que celle du monde. C'est en effet un moyen infaillible de la deffendre du temps et des hommes, et de chanter aussi justement que les poetes, Exegi monumentum aere perenniusGa naar voetnoot2), et Iamque opus exegi, quod nec Jovis ira, caetGa naar voetnoot3). J'ay grande impatience de voir ce discours, et d'aller aussi prendre possession de l'appartement que vous m'offrés de si bonne grace, et dont je vous remercie de tout mon coeur. Mais cependant, Monsieur, trouvés bon que des remerciemens je vienne aux prieres, et que je vous die qu'il y a une grace que j'attens de vostre cour, et que vostre credit peut a mon advis me procurer. C'est le congé de Monsieur de ForguesGa naar voetnoot4) pour la prochaine campagne, que je vous requiers avec tant d'instance, et que je desire avec tant de passion, que vous me donnerés la vie, si je le recoy. Je ne vous representeray point qu'il sert il y a plus de dix ans avec assiduité, et qu'il porte sur sa personne de glorieuses marques de ses services. Je vous asseureray seulement qu'il seroit desja parti pour l'armée, si je ne le retenois de toute ma force, et n'usois de tout le pouvoir que me donne l'amitié, pour luy faire differer son voyage. Il a des affaires qui luy sont si importantes, et qui exigent si necessairement sa presence, que ce seroit les perdre que de les abandonner en l'estat où elles sont. Cela neantmoins ne seroit point capable de l'arrester, et le moindre interest d'honneur luy estant plus sensible que toutes les affaires ne luy sont considerables, sans la violence que je luy fais, il feroit une oeuvre de supererogation, et se rendroit a sa charge avant mesme le quinziesme de Mars. De sorte que s'il luy arrive quelque mal de ce retardement, dont je suis le conseiller, vous voyés bien de qui il aura sujet de se plaindre, et le peu de satisfaction que j'auray de mes conseils, s'ils sont de la nature de ces remedes, qui gastent le foye en soulageant l'estomac, et s'ils n'ont pû luy proposer la conservation d'une chose, sans la ruine d'une autre. C'est pourquoy, Monsieur, tant pour l'honneur de mon jugement, qui est engagé dans l'avis que j'ay donné, que pour le contentement d'une personne que je n'ayme pas moins que moy mesme, j'implore icy non seulement vostre faveur et vos offices, que je scay estre tres efficaces auprés de Monseigneur le Prince d'Aurange, mais encor vos expediens et vos moyens, que je n'ignore pas estre tres puissans en toutes sortes d'affaires. Outre que la rigueur des loix recoit quelquefois du temperament, et que la justice n'exclut pas les graces, rien n'est impossible a un esprit adroit et intelligent comme le vostre, qui employera utilement l'industrie où il faut espargner l'autorité, et sauvera par quelque voye destournée ce qui se perdroit dans le droit commun. Monsieur de MoriacGa naar voetnoot5), en vous rendant cette lettre, vous entretiendra plus particulierement sur ce sujet, et vous fera ouverture des biais qui luy semblent les plus propres pour faciliter l'affaire de son amy. Je vous conjure encore une fois, Monsieur, de la vouloir entreprendre pour l'amour de moy, que vous ne scauriés jamais obliger plus sensiblement qu'en cette occasion. Et si vous jugiés que mon nom pust avoir quelque force dans vostre bouche, et fust assés connu pour estre allegué a son Altesse, j'oserois me promettre qu'elle n'auroit point de regret de m'avoir accordé une faveur, que je ferois sonner si haut, et aller si loin, que peut estre la posterité l'en remercieroit. Il y a longtemps que j'ay ce grand | |
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Prince dans l'esprit, et qu'il est le heros de mes pensées; mais si de plus il vouloit estre mon bienfaiteur en cette rencontre, et l'objet de mon amour, comme de mon admiration, ce seroit une seconde passion dont je serois piqué, beaucoup plus douce et plus delicate que la premiere, et je m'estimerois heureux d'avoir receu quelque chose d'un homme que je ne laisserois pas d'adorer, quand il m'auroit osté ce que j'ay. - Je luy souhaite une longue jouissance de sa gloire et demeure .....Ga naar voetnoot1). Monsieur de ThouGa naar voetnoot2) me fist l'honneur de me venir voir il y a quelques jours, et me parla d'un commencement de guerre civile parmy vos docteurs, et de la querelle des Hellenistes. A vous dire vray, il semble que vostre amy aspire a la tyrannie, et que d'une republique il veuille faire une royauté. On m'en a conté d'estranges choses, et si elles sont veritables, il n'estoit pas plus dangereux autrefois de disputer contre celuy qui avoit trente legions. Je passeray asseurement dans l'esprit de Monsieur de Saumaise pour un des flateurs de ce tyran, puisque je n'ay point effacé le tiltre d' Incomparabilis, que je luy ay donné dans une de mes lettres latines, non pas mesme despuis la censure de mes censures; ainsi, Monsieur, nommés vous son livre, quoyque je n'aye jamais eu dessein de le censurer. Il a mal pris certes ma bonne intention, et n'a pas receu mes civilités, comme il le devoit. Et au reste, bien qu'il soit riche en lieux communs, et qu'il traite grand nombre de belles matieres, il semble a quelques uns qu'il ne les desmesle pas assés, et que sa facon d'escrire est un peu embarassée; outre que mesmes ces belles matieres ne sont pas tousjours en leur place, et qu'elles ne font rien a nostre affaire. Il s'esgaye sur des choses, dont j'estois demeuré d'accord avec luy, et change l'estat de la question, ou ne la touche que legerement. De sorte que je n'ay pù encore apprendre de luy, si un corps composé de differentes, voire de contraires especes, se peut dire natures, et si les Anges des Juifs et les Furies des Payens eiusdem dramatis personae esse possunt. Car en effet vous m'avouerés, qu'il y a bien de la difference d'user des mots de Tartare et d'Acheron, que l'usage a autorisés, et qui ne sont plus ce qu'ils estoient, ou d'introduire sur la scene des Megeres et des Tisiphones avec des Gabriels et des Raphaels,
ut turpiter atrum
Desinat in piscem mulier formosa superne,
Serpentesque avibus geminentur, tigribus agniGa naar voetnoot3).
Je ne vous dis rien de ses divers stratagemes, et des mauvais offices qu'il m'a voulu rendre de tous costés. On m'en a escrit de Rome; et le Pape, qui ne lit gueres non plus que les autres hommes l'Errata, qu'on met a la fin des livres, n'a pas esté fasché de se voir nommé dans celuy d'un protestant, ipsum etiam Ecclesiae caputGa naar voetnoot4). Quoy qu'il en soit, quand il n'auroit pas toutes les vertus morales, j'estimerois tousjours infiniment ses qualités intellectuelles; et d'ailleurs vostre amitié est un caractere qui me semble inviolable, en quelque lieu que je le rencontre, et que je veux reverer en la personne mesme d'un ennemy. Au demeurant il ne seroit pas bien, Monsieur, de vous parler de tant de choses, et de ne vous dire pas un seul mot des exercices de mon desert. Scachés donc, si hoc scire tanti est, que ma retraite n'est pas tout a fait la sepulture d'un homme vivant, et que j'ay des ouvrages faits et plusieurs matieres pour en faire qu'il faudra enfin estaler, puisque le monde ne veut pas que je resve secretement, et sans luy en rendre conte. Je destine tout cela a mes amys, qui sont mes princes et mes souverains; et n'ayant pas d'asses bonnes parolles a leur prester, comme Platon a fait aux siens dans ses Dialogues, pour le moins je leur veux adresser les miennes, bonnes ou mauvaises, et je vous advertis d'avance que vous vous y verrés en plus d'un endroit. Cependant il est tres vray que je ne parle jamais de vous que comme d'une personne extraordinaire; et qu'en vostre profession je vous oppose a toute la gloire de la sage et biendisante Italie; je n'en excepte pas | |
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son Annibal CaroGa naar voetnoot1), ny ses Bembes et ses SadoletsGa naar voetnoot2), qui ont esté des secretaires illustres, et qu'on estime plus que leurs maistres. Mais ce n'est pas icy le lieu de faire l'eloge de Monsieur de Zulichem,
Et dabitur nostris aliquando haec purpura fusis.
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