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Chant Quatrième.
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Chant quatrième.
La navigation.
Sur un trône éclatant, la Patrie adorée
Se montre à nos regards de splendeur entourée;
L'encens du monde entier brûle sur son autel,
Et son coup-d'oeil embrasse et la terre et le ciel.
Tous les peuples divers, soumis à sa puissance,
Révèrent inclinés sa noble indépendance.
L'empreinte du génie et la mâle fierté
Relèvent de son front l'auguste majesté.
Elle agite en sa main sa lance belliqueuse;
Des reflets du soleil la clarté radieuse
De sa cuirasse d'or fait scintiller les feux;
Son casque est ombragé d'un panache orgueilleux;
Sa sublime grandeur, sa prestance divine,
Tout révèle en ses traits sa céleste origine.
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Des bouts de l'univers, les coeurs reconnaissans
Déposent à ses pieds des parfums, des présens,
Et le Gange et l'Indus, sur leurs vagues fécondes,
Conduisent dans ses ports les tributs des deux mondes:
La perle qui, ravie à des gouffres sans fond,
Diadême pompeux, vient couronner son front;
La graine de Moka dont l'active ambroisie
D'un stérile sommeil délivre le génie;
L'odorante muscade et l'arbre de Ceilan
Dont la suave essence embaume l'Océan,
Richesses, trop souvent par le sang obtenues,
De ses puissantes mains en tous lieux répandues!
Voyez-la sur les mers lancer ses pavillons,
Et braver des autans les fougueux tourbillons!
Des lieux où meurt le jour aux portes de l'Aurore,
Quelle foule à l'envi la salue et l'honore!
Sa présence partout fait naître le bonheur.
Vierge pure et sacrée! à ton bras protecteur,
Les peuples du couchant foulés, chargés de chaînes,
Ont confié leur sort; des hordes inhumaines,
Sur ces infortunés exerçant leur fureur,
Ont rempli ces climats d'épouvante et d'horreur:
Tu parais: ton Lion à l'aspect de ces crimes,
Arrache à leurs bourreaux ces sanglantes victimes.
Un coup d'oeil a vaincu les cruels Lusitains,
Et des bords du Japon aux déserts africains,
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Chez vingt peuples vengés et rendus à la vie,
On entend retentir le nom de ma Patrie!
O muse! quel éclat! quel brillant appareil!
Muse, vole avec elle aux sources du soleil:
Que mes vers inspirés des filles de mémoire,
En chantant ses hauts faits soient dignes de sa gloire?
Et vous, de nos aïeux illustres descendans,
Suivez-moi; venez tous écouter mes accens;
Famille de héros, venez, avec audace,
De l'immense Océan parcourir la surface.
De rochers en rochers, et d'échos en échos,
Nos immortels exploits sont redits sur les flots.
Batave, entendez-vous l'éloge de nos pères?
Venez; suivez mon vol aux plages étrangères.
Voyez, vers l'Orient, l'intrépide Gama,
Que d'une noble flamme un génie anima,
Lorsqu'au sein des brouillards, sa valeur héroïque
Interrogea les mers sur les rives d'Afrique!
Payé de ses travaux, heureux navigateur,
Il s'arrête à la fin sous un ciel enchanteur,
Sur ces bords où l'Indus, chéri de la nature,
D'un éternel printemps étale la parure.
Dans ce riant Eden il fixe ses vaisseaux.
Enivré de parfums il jouit du repos.
Mais quel prompt changement attriste ce rivage?
Le Lusitain féroce, avide de pillage,
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Effrayant ces climats de ses crimes affreux,
A son sceptre de fer asservit ces beaux lieux.
L'Orient opprimé gémit sans espérance:
Ses peuples abattus ont demandé vengeance.
Qui se présentera pour frapper leurs tyrans?
Qui voudra s'opposer à ces fougueux torrens
Échappés en courroux de l'Ibère et du Tage?
Quels bras pourront jamais arrêter ce ravage?...
La Hollande se lève; et ses vaillans guerriers
Sur des bords inconnus vont ravir des lauriers.
Libres du joug fatal qui pesa sur leurs têtes,
Ils vont tenter au loin de nouvelles conquêtes.
C'est peu, pour ces lions, que nos aïeux divins
Sur l'Espagne vaincue aient fondé leurs destins:
Vengeurs audacieux, avec des cris de joie,
Jusqu'aux bouts de la terre ils vont chercher leur proie,
Affrontant tour à tour et les flots déchaînés,
Et du sauvage errant les traits empoisonnés.
Vers les lieux embrasés où le jour prend sa source,
Les voiles de Houtman ont dirigé leur course.
Vainement le Cancer, de la voûte des cieux,
Couvre les vastes flots d'un déluge de feux:
Il vogue plein d'espoir sur ce brûlant abîme.
Déjà de Ténériffe il voit poindre la cîme.
L'impérieux besoin assiége ses vaisseaux,
Par un calme funeste enchaînés sur les eaux;
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La voile, retombant sur ses longues antennes,
Des fils légers d'Éole implore les haleines,
Et dans leur sein brûlé les nochers défaillans
D'une chaleur mortelle éprouvent les tourmens.
Tout à coup, ô terreur! de leur prison profonde,
Accourt des vents rivaux la troupe vagabonde;
L'horizon s'obscurcit; le sinistre ouragan
Avec un bruit confus menace l'Océan.
Une nuit ténébreuse étend son crêpe sombre;
En livides sillons l'éclair brille dans l'ombre.
L'onde mugit; la foudre éclate; et sur les mers
L'effroyable trépas sort des gouffres ouverts.
Jusqu'aux cieux enflammés les poupes élancées
Dans l'abîme sans fond retombent fracassées.
Les éclats de la foudre et le feu des éclairs,
Les cris des matelots répélés dans les airs,
Des navires brisés les craquemens horribles,
Tout redouble l'effroi dans ces momens terribles.
Le gouvernail rompu, sur les flots écumans,
Refuse d'obéir et tourne au gré des vents.
Au milieu des écueils et des traits du tonnerre,
Bravant des élémens l'épouvantable guerre,
Le héros aux périls s'expose le premier,
Et de son grand dessein s'occupe tout entier.
Cependant la tempête arrêtant ses ravages,
Éteint ses feux bruyans dans le sein des nuages.
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Phébus descend dans l'onde; et le Cap africain,
Comme un point lumineux paraît dans le lointain.
Là, règne des brouillards le monarque livide.
Son aspect fait frémir le nocher intrépide:
Fantôme monstrueux, sur les cbamps de Téthis,
Il lève en grandissant ses humides sourcils:
On dirait ces rochers, ces masses immobiles
Qui bravent des autans les assauts inutiles.
Hautman seul l'aperçoit. Les vents tumultueux
Autour de lui pressés agitent ses cheveux;
Ses yeux étincelans resplendissent dans l'ombre:
Tels on voit deux brasiers briller dans la nuit sombre.
Ses traits sont nébuleux: ainsi l'aube du jour
Du soleil de l'automne annonce le retour.
Géant audacieux, son sceptre redoutable
Semble un pin séculaire en sa main formidable;
Sa voix, comme un torrent qui fait mugir ses flots,
En terribles éclats va frapper les échos:
‘Malheur à l'imprudent qui brave ma puissance!
La mort, la prompte mort en est la récompense.’
Le pavillon batave apparaît à ses yeux,
Et calme par degré son transport furieux.
Alors, adoucissant sa voix retentissante:
‘Héros! que mon aspect n'ait rien qui t'épouvante.
Des peuples opprimés généreux défenseur,
L'Orient abattu t'a nommé son vengeur.
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Approche; va remplir cette tâche immortelle.
Le sort le veut ainsi. Guide sûr et fidèle,
Je marche devant toi; je remets en tes mains
De l'Ibère dompté les fragiles destins.
Les trésors du Levant vont payer ton courage;
Mais descends en ami sur l'indien rivage.
Les temps sont arrivés: pénètre l'avenir.
Je rassure tes pas: c'est à toi d'obéir.’
O prodige! soudain, sur ces rives affreuses,
Des monstres des déserts retraites ténébreuses,
Sur ces bords dévorés par les feux du soleil,
La nature embellie a marqué son réveil.
Tout change, tout sourit: de propices ombrages
Partout donnent la vie à ces fertiles plages,
Et le dieu de Naxos, sur des côteaux joyeux,
Étale de ses dons les rubis précieux.
Le sol est habité; sur la plaine profonde,
D'innombrables nochers fendent le sein de l'onde,
Et sous l'abri puissant d'un rempart protecteur,
Vont déposer en paix le prix de leur valeur;
Sur le sommet des tours nos flottantes bannières
Instruisent l'étranger de nos destins prospères.
Là, dans des prés fleuris bondissent des troupeaux;
Plus loin, le laboureur, fidèle à ses travaux,
Et dès l'aube échappé de son champêtre asile,
Guide le soc tranchant dans la terre fertile.
Houtman de ce tableau reste long-temps ému.
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Le monarque fait signe, et tout a disparu!
‘Tu viens de voir, dit-il, la fortune élevée
Qu'ici pour ton pays le sort a réservée.
Hâte-toi; le temps presse. Ah! tant que, sur ces monts,
Du Batave on verra flotter les pavillons,
Partout victorieux, son courage indomptable
Couvrira ses exploits d'un lustre ineffaçable.
L'Europe et l'Orient, avides de trésors,
Pour jouir du repos attirés vers ces bords,
Du commerce agrandi serrant la chaîne immense,
Appelleront ce lieu: le Cap de l'Espérance.’
Il se tait: et soudain les agiles vaisseaux,
Sur les ailes des vents ont sillonné les eaux.
On avance. Déjà, dans la vaste étendue,
Le rivage indien se découvre à la vue.
Peuples, rassurez-vous! le Batave est humain.
Loin de lui la fureur de l'affreux Lusitain!
Unissant la justice à l'audace guerrière,
L'olive de la paix brille sur sa bannière.
Le Batave est heureux quand, de son ennemi,
A force de bienfaits il peut faire un ami.
L'Indien est surpris: il croyait voir encore
Ces cruels étrangers qu'il craint et qu'il abhorre,
Jusques sous leur climat se frayant un chemin,
Pour y porter la mort et ravir leur butin,
Semblables à ces feux dont la rapide rage
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Consume les forêts sur son fatal passage,
Ou tels que ce fléau, ce monstre redouté,
Exhalant le trépas de son flanc empesté.
Enfin de nos vaisseaux les flottantes carènes
Ont touché de Java les brûlantes arènes.
Tout chargé des trésors et des fruits précieux
Que la riche nature amassa dans ces lieux,
Houtman, exempt de crime et fier de sa victoire,
Remporte en son pays sa fortune et sa gloire.
Muse, change de ton; que tes accords touchans
Sur ma lyre plaintive inspirent mes accens.
De deux infortunés redis-moi les alarmes;
Sur le sort d'Adéka laisse couler tes larmes,
Adéka, jeune fleur, tendre objet du zéphyr,
Que les champs de Banda virent naître et mourir.
Viens chanter Égeron, l'honneur de ce rivage,
Et l'amour malheureux et le noble courage;
Déplore la vieillesse, en son fatal destin,
Traînant ses faibles jours sous le poids du chagrin;
Maudis des Portugais l'affreuse violence,
Et du ciel irrité raconte la vengeance.
Le peuple de Banda, sous un chef vertueux,
Satisfait de son sort, rendait grâces aux dieux.
Égeron gouvernait: au feu de la jeunesse
Il savait allier la sévère sagesse.
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Par l'arrêt du trépas ses trois fils condamnés,
A la fleur de leurs ans sont tous trois moissonnés.
Hélas! on voit languir ce père déplorable,
Tel qu'un tronc foudroyé renversé sur le sable.
Une fille lui reste; et son chagrin amer
Se dissipe aux doux soins de cet objet si cher.
Dans cette aimable enfant concentrant sa tendresse,
Auprès d'elle Égeron goûte encor l'allégresse,
Et les traits d'Adéka lui rendent chaque jour
L'épouse qui jadis alluma son amour.
Belle comme un palmier libre dans son feuillage,
Adéka touche à peine au printemps de son âge.
Son coeur, ami du bien, sensible, généreux,
Pour alléger leurs maux cherche les malheureux.
Son sourire est divin; et son âme modeste
Se peint dans ses beaux yeux comme un rayon céleste.
Que de charmes divers! que d'attraits à la fois!
Le chant du rossignol est moins doux que sa voix.
Le vieillard, à l'aspect de cette enchanteresse,
De ses premiers désirs se rappelle l'ivresse,
Et jamais de Timor les guerriers valeureux
Sans palpiter d'amour n'ont rencontré ses yeux.
Souvent parmi les prés, rose qui vient d'éclore,
Elle efface en éclat les élèves de Flore.
Elle entre dans cet âge où, doucement ému,
Le coeur avec ennui sent un vide inconnu.
Dans l'ombre des forêts, profonde solitude,
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Adéka va porter sa vague inquiétude;
Elle y rêve en silence... Et lorsque, vers le soir,
Pour ranimer ses fleurs elle prend l'arrosoir,
De son oeil virginal une larme échappée
Rend la mélancolie, à son âme occupée.
Dès que l'astre des nuits, de ses pâles reflets,
Vient blanchir par degré la rose des bosquets,
Elle va confier à ces lieux solitaires
Ses soupirs prolongés, ses pleurs involontaires.
Le rossignol plaintif attendrit les échos;
Il gémit..... Adéka sent redoubler ses maux.
Elle veut deviner pourquoi son coeur soupire:
De l'invincible amour elle ignore l'empire;
Elle vit pour son père, et borne ses plaisirs
A charmer sa vieillesse, à combler ses désirs.
Mais quel jeune héros, dans le fond du bocage,
Apparaît devant elle à travers le feuillage?
C'est le vaillant Aymar, prince de Naïra,
Que, jeté sur ces bords, la tempête égara.
O surprise! il la voit, et ressent, dans son âme,
D'une soudaine ardeur la pénétrante flamme.
C'en est fait: ce moment a décidé son sort.
Du plus brûlant amour c'est le premier transport.
Adéka s'abandonne au penchant qui la guide,
Et sur Aymar déjà lève un oeil moins timide.
Quel hardi Bandanais, jaloux de son destin,
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Oserait d'Adéka lui disputer la main,
A lui, prince et guerrier, dont la mâle vaillance
Accrut en combattant l'éclat de sa naissance?
Adéka de l'amour éprouve tous les feux:
La nature s'anime et sourit à ses yeux;
Elle aime des oiseaux la douce mélodie;
Son coeur enfin respire et jouit de la vie.
Ah! l'amour, l'amour seul occupe ses loisirs:
Elle entend son amant dans le vol des zéphyrs,
Dans le chant des oiseaux, dans l'onde qui murmure.
Vient-elle quelquefois, sous un dais de verdure,
S'asseoir près d'un ruisseau qui s'enfuit mollement?
Chaque flot lui redit le nom de son amant.
Le jour, elle le voit dans le miroir de l'onde;
Le soir, fixant les cieux, sous leur voûte profonde,
Elle le voit encore; et, dans un songe heureux,
La nuit revient l'offrir à son coeur amoureux.
Elle évite la cour; et le silence même
L'entretient de ses feux et de celui qu'elle aime.
Enfin est arrivé le fortuné moment
Qui les doit réunir par les noeuds du serment.
Le palais d'Egeron est orné de guirlandes;
Les dieux sur les autels ont reçu des offrandes;
Du chant des Bandanais l'air au loin retentit;
Sous le couteau sacré la victime gémit.
Vers la rive à l'instant, quatre vaisseaux rapides
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S'avancent inconnus sur les plaines liquides.
On aborde: et Banda, pour la première fois,
De soldats étrangers vient d'entendre la voix.
L'avide Lusitain, dans sa perfide adresse,
Partage de ce jour les plaisirs et l'ivresse.
Déjà la soif de l'or allume dans son coeur
L'impatient désir d'assouvir sa fureur.
Ses regards affamés considèrent sa proie,
Et sa rage infernale en palpite de joie.
Il élève un rempart d'où la foudre en éclats
Sur le peuple effrayé fait voler le trépas.
Sous les drapeaux d'Aymar le Bandanais se range;
Aymar vaut une armée! A son aspect, tout change;
La frayeur se dissipe; il marche à l'ennemi,
Affronte son tonnerre, et, d'un bras affermi,
Dans le camp Lusitain répandant les alarmes,
Trempe au sang étranger ses redoutables armes.
Il sème devant lui l'épouvante et la mort.
Envain le Portugais tente un nouvel effort:
Jusques dans son rempart battu, sans espérance,
Il n'oppose au vainqueur qu'une faible défense,
Et la mer qui vomit ces cruels étrangers,
Devient leur seul refuge au milieu des dangers.
Aymar, armé de feux et d'une main hardie,
De leur fort à l'instant fait un vaste incendie.
Chassés de toutes parts, atteints de fouets vengeurs,
Ils gagnent en fuyant leurs vaisseaux protecteurs.
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Là, vaincus et honteux, leur noire perfidie
Pour consommer leur plan lâchement s'humilie,
Et sous de faux dehors trompant les Bandanais,
Abandonne sa proie et demande la paix.
Ah! grands dieux! qu'aisément parjure, sacrilége,
A la sincérité la fourbe tend un piége,
Et que la trahison, dans ses lacs séducteurs,
Des mortels confians sait attirer les coeurs!
La ruse a triomphé; la paix est consentie.
Aymar revoit enfin son épouse chérie,
Et suivi des guerriers que sa valeur guida,
Marche l'appui du trône et l'orgueil de Banda.
Tout est prêt; et l'instant marqué pour l'alliance,
Sur le terrain sacré rassemble un peuple immense.
Les prêtres inspirés ont invoqué le ciel.
Égeron et son fils s'avancent vers l'autel;
Sa fille suit ses pas. Ce vieillard vénérable
Prie et rend grâce aux dieux de ce jour mémorable:
‘O vous, divinités propices à nos voeux,
Vous, que nous adorons, ô redoutables dieux!....’
A ces mots, le fer brille, et des clameurs sinistres
Épouvantent le peuple et troublent les ministres.
Le tumulte s'accroît; avec un long fracas,
S'élancent, des vaisseaux, de barbares soldats.
Partout plane la mort; et le glaive homicide
Perce aux pieds des autels le héros intrépide:
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Aymar tombe!... Adéka pousse un cri déchirant,
Et vole avec effroi vers son époux mourant.
A l'aspect d'Adéka, son coeur palpite encore;
Il tourne ses regards vers celle qu'il adore,
Et la cherchant, hélas! de ses bras étendus,
L'appelle en soupirant, ferme l'oeil et n'est plus!
Le peuple dispersé partout a pris la fuite.
L'atroce Lusitain que sa victoire excite,
Insulte dans sa rage un vieillard chancelant,
Et de fers odieux charge son corps tremblant.
Égeron enchaîné, sans crainte pour lui-même,
Oppose un front tranquille à son malheur extrême;
Mais d'un fils qu'il aimait il pleure le destin.
Adéka, dérobée au vainqueur inhumain,
Confiant aux déserts ses maux et ses alarmes,
A l'abri des horreurs va répandre ses larmes.
Là, remplissant les airs de lamentables cris,
Elle demande Aymar aux échos attendris.
Tantôt, près d'un torrent, son oreille attentive
Entend le nom d'Aymar expirer sur la rive;
Tantôt, dans la forêt, le vol léger des vents
Agite le feuillage et fait frémir ses sens.
Le soir la voit en pleurs, et les feux de l'aurore
Au milieu des sanglots la retrouvent encore.
Le temps pour sa douleur semble s'être arrêté,
Et chaque jour pour elle est une éternité.
Du souvenir d'Aymar son âme possédée
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N'a plus qu'un sentiment, n'entretient qu'une idée:
‘O cher époux, dit-elle!’ et lui tendant les bras,
Elle croit voir errer son ombre sur ses pas:
Aymar ne répond plus à sa voix qui l'appelle.
Le passé, le présent ne sont plus rien pour elle:
Seule avec son amour, seule avec sa douleur,
Des plus sauvages lieux elle parcourt l'horreur,
Et maudit, sans Aymar, une existence arrière.
Ah! si son coeur flétri ne tremblait pour un père,
Pour un faible vieillard sans appui, sans secours,
Déjà son désespoir aurait tranché ses jours!
Partout le Portugais obéit à sa rage:
Il s'abreuve de sang, il détruit, il ravage.
Tout tombe sous ses coups! comme un rapide éclair,
Il porte dans les champs et la flamme et le fer.
Le zélé serviteur, dont le hardi courage
Sut sauver Adéka des horreurs du pillage,
Affrontant pour son roi les cachots et la mort,
A ces monstres cruels veut soustraire son sort.
Le métal corrupteur l'arrache de l'abîme,
Et les geoliers vendus ont lâché leur victime:
Adéka la reçoit dans son antre ignoré.
Mais quels nouveaux chagrins pour son coeur ulcéré!
Elle voit Égeron accablé de misère,
Égeron pour jamais privé de la lumière.
L'ardente soif de l'or a produit ce forfait.
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Père trop malheureux, interdit et muet,
Il touche son enfant, il l'embrasse, il la presse:
Hélas! il ne voit plus l'objet de sa tendresse.
Et vous, murs de Banda, (regrets trop superflus!)
Berceau de son enfance, il ne vous verra plus!
Dans la nuit du malheur plongé sans espérance,
Il traîne lentement un reste d'existence.
Des vertus d'Adéka le touchant souvenir
Lui donne seul encor la force de souffrir.
Sur le sein de sa fille il repose sa tête,
Et semble à ses côtés défier la tempête.
Antigone nouvelle, appui de ses vieux ans,
Adéka sert de guide à ses pas chancelans,
Bénit l'infortuné qui soigna sa jeunesse,
Et partage, en pleurant, le chagrin qui l'oppresse.
Son coeur avec transport lui prodigue ses soins,
Devine ses désirs et prévient ses besoins.
A travers les rochers, sur le bord des abîmes,
Sur les monts, franchissant leurs orageuses cîmes,
Chasseresse intrépide, elle va, l'arc en main,
Aux monstres des forêts disputer leur butin,
Et, d'un air triomphant, revient, l'âme attendrie,
Porter au malheureux l'aliment de la vie.
Ainsi par son courage et les soins les plus doux,
Du sort qui les poursuit elle amortit les coups,
Et du coeur d'Égeron refermant la blessure,
Sait pleurer en secret et souffrir sans murmure.
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Mais hélas! ces travaux, si chers dans son malheur,
Ne doivent pas long-temps distraire sa douleur.
Son amour n'ira plus chercher pour son vieux père
Ou le fruit savoureux, ou l'onde salutaire.....
O comble d'infortune! aux mains de ces brigands,
Qui massacrent le peuple et ravagent les champs,
Elle tombe, et la mort, son horrible sentence,
Près des murs de Banda va finir sa souffrance.
Elle expire; et sa voix formant de faibles sons,
D'Égeron et d'Aymar prononce les doux noms.
Repose, ange du ciel, dans une paix profonde,
Tu ne souffriras plus, tu n'es plus de ce monde!
Qui peindra d'Égeron le douloureux tourment?
Il attend Adéka; le temps fuit vainement.
Il compte, avec effroi, les heures éternelles.
Qui le délivrera de ses craintes mortelles?
Ah! quel bras secourable, en lui perçant le coeur,
De ce lâche forfait lui cachera l'horreur?
Sa fille ne vient point; tout accroît ses alarmes,
Et la voix d'Adéka ne tarit plus ses larmes.
Il l'appelle..... L'écho de ces vastes déserts
Redit au loin ses cris et ses sanglots amers.
Infortuné vieillard, sans appui, sans famille,
Ton coeur abandonné n'entendra plus ta fille;
Sa main qui, chaque jour, t'offrait tes alimens,
Ne t'allégera plus le lourd fardeau des ans,
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Et des flancs entr'ouverts de la roche écumante,
Ne t'apportera plus l'onde rafraîchissante.
La mort te l'a ravie!.... Enfin, le serviteur
Qui déroba son prince au glaive du vainqueur,
De la fin d'Adéka s'est chargé de l'instruire.
Ah! comment supporter ce coup qui le déchire!
Il tombe anéanti! trop heureux si la mort,
En ce fatal moment eût terminé son sort!
Le Destin envieux le rappelle à la vie;
Mais il n'est plus d'espoir pour son âme flétrie.
Au rivage, aux rochers, qui guidera ses pas?
Comme un bienfait du ciel il attend le trépas.
Lassé de tant de maux, dans sa retraite obscure,
Il reçoit à regret sa faible nourriture.
Mais quel bruit, tout à coup, quels cris inattendus
Ont ébranlé les airs sur ces bords inconnus?
Pour la première fois, près de ce lieu sauvage,
Le pavillon batave a touché le rivage.
On approche. Égeron, qu'assoupit le sommeil,
Entend des étrangers qui troublent son réveil.
‘Barbares, leur dit-il, dont l'atroce furie
Osa porter le fer sur ma fille chérie;
Finissez mon supplice, achevez mon destin;
Frappez! qu'attendez-vous? frappez; voilà mon sein!’
A peine délivré d'une erreur importune,
Il fait le long récit de sa longue infortune.
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Tant d'insignes revers ont touché ces héros:
Tous jurent de punir ses infâmes bourreaux.
‘Prince, lui dit leur chef, trop illustre victime,
Venez être témoin du feu qui nous anime.
Suivez-nous: votre fille est perdue à jamais;
Mais ces vils Lusitains paîront cher leurs forfaits!’
Il cède: transporté sur leurs voiles rapides,
Il vole aux bords sanglans foulés par des perfides.
On débarque; on se bat: ces brigands sans valeur
Tombent comme l'épi sous l'acier moissonneur.
Tout se calme: Égeron remonte sur le trône.
Mais quels charmes pour lui peut avoir la couronne?
Sans sa chère Adéka que lui sert la grandeur?
Pour lui ne brille plus l'étoile du bonheur.
Il n'entend plus la voix de sa fille adorée:
Au milieu des honneurs son âme est déchirée.
A qui confîra-t-il sa joie ou ses soupirs?
Qui saura partager sa peine ou ses plaisirs?
La mort, qui doit unir et l'enfant et le père,
Est son unique voeu dans sa tristesse amère.
Rien ne peut désormais calmer son désespoir;
Mais avant de mourir il remplit son devoir:
Il veut que ses bienfaits, que sa reconnaissance
Do ces braves guerriers égalent la vaillance.
Dépouillé de son sceptre, il confie à leurs bras
Ses fidèles sujets, ses fertiles États.
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Épuisé de douleur, doucement il succombe,
Et son coeur va rejoindre Adéka dans la tombe.
On dit que, sur les bords du limpide ruisseau
Qui serpente et murmure autour de leur tombeau,
Le zéphyr est plus doux, que la fleur parfumée
S'ouvre avec plus d'éclat sur la terre embaumée.
A l'heure de minuit, dans ces funèbres lieux,
Aymar fait retentir des accens douloureux,
Et le nom d'Adéka, dans la sombre vallée,
Éveille tristement l'écho du mausolée.
Bataves, jouissez du prix de vos travaux!
Voyez ces Indiens, saluant vos vaisseaux,
Sur la foi des traités, par un heureux échange,
Vous combler des trésors de l'Indus et du Gange!
L'un à l'autre enchaînés par le noeud des bienfaits,
Vos pavillons vainqueurs sont unis pour jamais.
Ainsi, soumis aux lois de Saturne et de Rhée,
Vécurent les humains sous l'empire d'Astrée.
Pour les dons de Cérès, l'intrépide chasseur
Adandonna sa proie à l'actif laboureur.
On ne vit point alors la force et la puissance
Opprimer sous le joug le faible sans défense;
Le ciel également répandait ses faveurs;
La paix, l'aimable paix régnait dans tous les coeurs;
Et la raison enfin, toujours victorieuse,
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Calmait des passions la fougue impétueuse.
Tel l'enchanteur Hayden, par les plus doux accens,
Apaise sur son luth l'orage de nos sens,
Quand, peignant tour à tour les plaisirs, les alarmes,
Il élève notre âme, ou fait couler nos larmes.
Mais l'Ibère et le Tage, irrités contre nous,
Ne laissent pas long-temps sommeiller leur courroux:
Comme on voit deux torrens, dans leurs chutes profondes,
Écumer sur des rocs, bondir, mêler leurs ondes,
Rouler avec fracas leurs flots retentissans
Et traîner avec eux la dépouille des champs;
Ils se jettent sur nous, et l'Orient paisible
S'épouvante à l'aspect de leur flotte terrible!
Que de combats sanglans et combien d'ennemis
Dans les mers de Java tombent ensevelis!
Vainement l'Espagnol tente encor la fortune,
Il cède furieux l'empire de Neptune;
Et bravant, hors des fers, un pouvoir détesté,
L'Orient retentit des cris de liberté.
Les peuples délivrés, dans leur commune ivresse,
Font monter vers les cieux des hymnes d'allégresse.
Gange, réjouis-toi! roule en paix sur tes bords:
Il n'est plus d'Espagnols pour ravir tes trésors!
Le glaive du Batave a sauvé ces contrées,
Et purgé de tyrans tes rives éplorées.
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Indien, qui du Tage as dû subir la loi,
Libre sous tes climats, chante, réjouis-toi!
Les présens que le ciel t'a donnés en partage,
Ne seront plus livrés à l'horrible pillage;
Tu ne porteras plus à de vils oppresseurs
Les produits de ton sol, le prix de tes sueurs,
A des maîtres cruels qui, forts du droit des armes,
S'abreuvent de ton sang et méprisent tes larmes.
La perle, ensevelie au vaste sein des flots,
N'ira plus enrichir tes odieux bourreaux!
Inde, réjouis-toi! tes vierges immolées
Sous les pieds des vainqueurs ne seront plus foulées,
Et vous, tendres beautés, sous vos yeux interdits,
Vos fidèles amans ne seront plus ravis!
Peuples, prosternez-vous! les cieux vous sont propices:
Offrez sur vos autels vos pompeux sacrifices.
Couronnez-vous de fleurs; et que des chants pieux,
Dans vos temples sacrés satisfassent vos dieux!
Jamais, ô mon Pays, le démon de la guerre
Ne te souffla l'ardeur d'ensanglanter la terre!
Le glaive de tes fils, dans leurs nobles exploits,
Brillait à leurs côtés pour soutenir leurs droits:
Des peuples opprimés embrassant la défense,
Il ravit aux tyrans leur superbe espérance,
Rendit tout son éclat à l'Indus ravagé,
Fit rebrousser l'Ibère; et l'Orient vengé
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Remit avec orgueil, sur les flots atlantiques,
Le sceptre du Levant dans nos mains héroïques.
Quel siècle glorieux! Le monarque du jour,
A la terre embellie annonçant son retour,
De son char radieux, voit les hardis Bataves
Protéger l'Orient et briser ses entraves;
Au milieu de son tour, l'Orénoque orgueilleux
Fait monter jusqu'à lui leur éloge pompeux;
Et quand ses fiers coursiers, de la voûte éthérée,
Descendent haletans dans la plaine azurée,
Il voit, vers Gibraltar, dominateurs des flols,
Nos guerriers triompher et mourir en héros!
Mais ce n'est point assez. Dans leur noble énergie,
Il faut d'autres lauriers aux fils de la Patrie.
Sous les feux du Lion ils parcourent les mers;
Leur sublime coup-d'oeil embrasse l'univers,
Et, vainqueur de la nuit, dans son essor immense,
Des peuples inconnus révèle l'existence.
O divine Uranie, ô toi, dont les regards
Planent du haut des cieux sur les mondes épars,
Qui couronnes ton front, qui fais briller tes voiles
Des feux du diamant et de l'or des étoiles,
Viens éclairer ma muse; et vole avec Tasman
Ravir un nouveau monde à l'antique Océan.
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Bretagne, ton Raleigh a droit à mon hommage!
France, ton la Peyrouse et son fatal voyage
Ont fait couler mes pleurs! Avec Cook élancé,
J'avance sans frémir vers le pôle glacé;
Aux bords de Taïti, ma téméraire audace
Du valeureux Couver aime à suivre la trace.
Mais d'autres ont déjà, sur le globe agrandi,
Dans les siècles passés porté leur vol hardi:
Oui! parmi ses enfans la fière Balavie
Peut citer d'un Colomb la gloire et le génie.
Mais de tant de héros, favoris du trident,
Qui, lancé le premier sur l'abîme grondant,
Affrontant du Midi les ondes ignorées,
Sillonne ces déserts, orageuses contrées,
Traverse Magellan, fait retentir son nom
Aux côtes du Chili, sur les mers du Japon,
Et volant aux combats dans sa course intrépide,
Va soumettre à sa loi le Lusitain perfide?
Après trois ans d'absence, après de longs travaux,
Quel guerrier triomphant ramène ses vaisseaux?
C'est Van Noord! et la gloire et la terreur des ondes;
Il revient tout chargé des trésors des deux mondes,
Et sur son noble front, dans ce jour solennel,
Nos vierges ont posé le laurier immortel.
Quoi! la Grèce orgueilleuse a cité, d'âge en âge,
Du fortuné Jason le merveilleux voyage;
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Le vaisseau qui porta ces héros demi-dieux,
Protégé par Neptune est placé dans les cieux,
Et mon oeil, ô Van Noord, (ah! qui pourra le croire?)
Cherche en vain une pierre élevée à ta gloire!
Sur ta tombe modeste où dorment tes débris,
Je sens couler des pleurs de mes yeux attendris.
Ma lyre en te chantant frémit enorgueillie:
Honorer tes vertus, c'est servir la Patrie.
Le pilote troublé qui, dans les champs de l'air,
Entend gronder la foudre et voit briller l'éclair,
Qui, jouet des autans, voit avec épouvante
Ses mâts rompus tomber dans la vague écumante,
Maudit, pâle et tremblant, le mortel courageux
Qui le premier osa, sur l'abîme orageux,
Dans un fragile esquif confier sa fortune;
Il jure qu'échappé du courroux de Neptune,
Il fuira pour jamais les gouffres mugissans
Et ne quittera plus sa femme et ses enfans.
Le tonnerre se tait; on aperçoit la plage:
Ses amis, sa famille ont bordé le rivage.
Il croit déjà voler dans leurs bras étendus.
Il arrive: ô momens si long-temps attendus!
Il tressaille de joie; et son âme ravie
Retrouve avec transport sa compagne chérie;
Et son fils! ô tendresse! ô fortuné retour!
Bégaie entre ses bras son innocent amour.
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Plus de mers, plus d'écueils! Au sein de sa famille,
Où sur des fronts sereins la douce gaîté brille,
Heureux et sans projets il coulera ses jours.
Mais quoi? de son bonheur interrompant le cours,
Déjà le vague ennui le tourmente et l'assiége.
Des soucis importuns le fatigant cortége
De son âme inquiète a banni le repos.
L'Imagination le porte sur les flots:
Il croit voguer encore; et la rive paisible
N'offre plus à ses yeux qu'une image pénible.
Auprès de son foyer, il écoute les vents;
Il entend de la mer les longs mugissemens,
La mer qui lui reproche, au fond de son asile,
Et son courage oisif et son repos stérile.
Dans l'erreur du sommeil, il embrasse ses mâts;
Il vole impatient de climats en climats.
Les cris des matelots et le bruit de la rame,
Tout, jusques aux dangers, vient enflammer son âme.
Il oublie à la fin son épouse et son fils;
Il part, il fuit la terre, et ses voeux sont remplis.
Ainsi, brave Tasman, Colomb de ma Patrie,
Après un vol hardi languissait ton génie.
Aux rives de Java, ses pénates heureux
Semblaient lui préparer des jours délicieux.
Son esprit, tourmenté d'une ardeur inquiète,
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L'appelle sur les flots, l'arrache à sa retraite.
Pour prix de ses travaux à son grand coeur si chers,
De cet immense globe il veut sonder les mers,
Et Colomb et Gama, dans leur brillante gloire,
Viennent à sa valeur présenter la victoire.
Que d'autres, de l'Indus asservissant les ports,
De la fertile Asie entassent les trésors:
Dans le pressentiment où son espoir se fonde,
Il veut d'autres exploits, il veut un nouveau monde.
Ses pavillons sont prêts; déjà les matelots
Des clameurs du départ ont troublé les échos.
Sur des flots inconnus les vents portent ses voiles:
Il voit un autre ciel semé d'autres étoiles.
Les habitans des eaux et pressés et nombreux
Sous un nouvel aspect viennent frapper ses yeux.
L'aimant est sans pouvoir; l'infidèle boussole
Sur son pivot muet ne cherche plus le pôle.
Le tonnerre mugit; le pilote effrayé
S'attache en frémissant à son mât foudroyé.
On se plaint, on murmure; et Tasman immobile
Promène sur ses plans un oeil calme et tranquille.
Des nochers furieux il n'entend point les cris:
Sa gloire tout entière absorbe ses esprits.
Ainsi lorsqu'autrefois Syracuse éperdue
Sous les coups du malheur vit sa force abattue,
D'un air calme, un grand homme affrontant les destins,
Se montra dans ses murs sourd aux cris des Romains.
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Ils entourent Tasman: dans leur aveugle audace,
Ils osent exhaler l'injure et la menace.
Mais le vol des oiseaux, à ces coeurs égarés,
A promis tout à coup les bords tant désirés.
Leur courroux qui s'apaise accueille ce présage,
Et bientôt l'horizon découvre le rivage.
O transports d'allégresse! ô douces voluptés!
Quel tableau se déroule à leurs yeux enchantés!
Les forêts, par degrés, s'élancent de l'abîme;
Tels que d'altiers géants, les monts lèvent leur cîme;
Des tapis émaillés de verdure et de fleurs
Sur de riches côteaux étalent leurs couleurs;
De suaves parfums l'essence fugitive
En nuage embaumé se répand sur la rive,
Et les chantres ailés, dans leurs brillans concerts,
De sons mélodieux font retentir les airs.
Là, d'un riant bosquet formé par la nature,
S'échappe en murmurant une onde vive et pure;
Ici, le cocotier, dans le cristal de l'eau,
Contemple de ses fruits le glorieux fardeau.
Les oiseaux familiers, d'une aile confiante,
Suivent des matelots la troupe turbulente;
Le cygne, avec orgueil, déployant sa beauté,
Promène sur les flots sa fière majesté;
Sur un fond pur, la perche, à l'écaille azurée,
Agite, en se jouant, sa nageoire pourprée;
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Pomone offre partout un aspect enchanteur,
Et l'hôte des forêts, respecté du chasseur,
Ignorant les dangers qui menacent sa vie,
Aux matelots surpris sans crainte se confie.
Les orages, les vents, les rochers, tout a fui.
Dans leurs coeurs rassurés un nouveau jour a lui.
Ils bénissent leur chef; et leur commune ivresse
Dans leur cercle bruyant ramène l'allégresse.
La coupe, aux bords étroits, circule en s'épuisant.
L'un fait de ses amours le récit amusant;
L'autre, dans ses transports qu'un soupir accompagne,
Regrette sa patrie et boit à sa compagne.
Mais Tasman, échappé de ce groupe joyeux,
S'enfonçant loin du bruit dans un bois ténébreux,
De ses vastes desseins occupe sa pensée.
Vers le but désiré son âme est élancée,
Quand des rayons, pareils aux feux des diamans,
Font jaillir jusqu'à lui leurs jets étincelans.
De tous côtés s'élève une odeur d'ambroisie:
Un fantôme apparaît à sa vue éblouie.
Il l'attend sans frémir; il s'arrête; et ces mots
Troublent de la forêt les paisibles échos:
‘Héros, de ces climats vois l'ange tutélaire.
Ce pays, où tu viens mettre un pied téméraire,
Est plus grand que l'Europe, et son peuple nombreux,
Enfant de la nature, est simple et généreux.
Tu ne peux habiter ce tranquille rivage.
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Lève l'ancre; va, pars; fuis loin de cette plage;
Va chercher d'autres cieux. Le jour n'est pas venu
Où le fier étranger sur mon sol répandu,
Dans ces lieux enchantés fixera son asile.
Mais ta grande entreprise, à l'univers utile,
Rappellera sans cesse à la postérité
Tes éclatans exploits, ton courage indompté.
Souviens-toi de ces bords où mon pouvoir commande;
Nomme-les, je le veux, La Nouvelle-Hollande.
Quand Saturne jaloux, rapide destructeur,
Aura sur ta Patrie assouvi sa fureur,
Comme un astre brillant, ce nom vainqueur des âges,
Des siècles à venir percera les nuages.
Obéis!’ - Il se tait, et disparaît soudain.
Tasman reçoit ému cet ordre souverain.
Les siens sont rassemblés; la voile frémissante
Se déploie et s'élève au gré des vents flottante.
On s'éloigne; et long-temps leur regard attristé
Contemple avec regret le bord qu'ils ont quitté.
L'heureux Tasman poursuit ses desseins immuables.
Partout les cieux, partout les ondes indomptables!
Il leur semble, égarés sur les gouffres des eaux,
Que le monde se borne à leurs faibles vaisseaux,
Que leur esprit s'épure, et que l'Éternel même
Attache leurs destins à sa grandeur suprême.
Cependant on avance. Un point noir, incertain,
Apparaît aux nochers dans l'horizon lointain.
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Il s'approche, il s'élève, et comme une île immense,
S'agrandit à leurs yeux. On regarde en silence.
De longs rangs de forêts sortent des flots amers,
Et des chaînes de monts s'étendent dans les airs.
Oui! Magellan batave, à ton noble génie
Est réservé l'honneur d'illustrer ta Patrie:
De la nuit, où ton bras a porté tes exploits,
La Nouvelle-Zélande est sortie à ta voix.
Mais c'est peu. Non content d'une telle victoire,
Tu voles au Couchant ajouter à ta gloire.
Tout seconde tes voeux: les Iles des Amis
Déjà couvrent au loin les plaines de Thétis.
A ces bords, ô Tasman! ô héros magnanime!
Tu voulus que l'Amstel donnât son nom sublime.
Mais ce titre n'est plus: au Breton envieux
Qui permit d'effacer ce titre glorieux?
Ah! sans doute honoré, chéri sur cette plage,
Au jaloux Léopard il portait trop d'ombrage.
Dans ces lieux pleins d'attraits savourant le repos,
La troupe de Tasman a fixé ses vaisseaux.
Autour d'eux à l'instant mille nymphes charmantes
Font bondir à l'envi les vagues blanchissantes:
Leurs regards agaçans et leurs folâtres jeux
Invitent les nochers sur ce rivage heureux.
Ils abordent: soudain une subtile flamme
Circule dans leurs sens et pénètre leur âme.
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On dit que de Paphos l'aimable déité,
Quittant pour les humains son empire enchanté,
Dans un char attelé de colombes chéries,
Vint abaisser son vol sur ces rives fleuries:
Elle crut retrouver ces bosquets où jadis
L'amour la conduisit dans les bras d'Adonis.
Contre les feux du jour, cherchant un doux asile,
Cythérée aperçoit un ombrage tranquille,
Où des myrtes touffus, sur de limpides eaux,
Tendrement enlacés s'élèvent en berceaux.
Là, le voile tissu par ses nymphes savantes,
Tombe et montre aux zéphyrs ses formes ravissantes,
Ces charmes séducteurs par l'amour embellis,
Où s'élève la rose, où triomphent les lis.
Elle détache enfin sa magique ceinture,
Précieux talisman, présent de la nature,
Et les flots amoureux caressant ses trésors,
De leur cristal jaloux ont voilé son beau corps.
Au sortir de son bain, dans une grotte sombre,
Attirée en ce lieu par la fraîcheur de l'ombre,
Vénus va de Morphée implorer les pavots.
Tandis qu'elle s'endort dans les bras du repos,
Ornement de cette île, une beauté naïve,
Errant parmi les fleurs s'approche de la rive.
Elle jette les yeux sur l'ouvrage divin,
Le contemple, l'admire et s'en pare soudain.
Une subite ardeur l'agite et la dévore;
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Elle brûle; elle éprouve un pouvoir qu'elle ignore,
Détache la ceinture et s'éloigne en tremblant.
La reine de Paphos sourit en s'éveillant,
Vole aux bords fortunés où son voile repose,
Et, près de les quitter, y fait naître la rose.
Depuis cet heureux jour, dans ces lieux enchanteurs,
Les folâtres plaisirs enivrent tous les coeurs,
Et de ses feux ardens le dieu de la tendresse
Réveille des désirs l'impétueuse ivresse.
Sous ces brûlans climats, dans ce riant séjour,
Les prés, les bois, les monts, tout invite à l'amour.
Là, d'un tissu léger les nymphes revêtues,
Aux guerriers de Tasman s'offrent à demi-nues;
Les Ris et les Plaisirs voltigent sur leurs pas.
L'une semble éviter les amoureux combats,
Fuit dans un antre obscur et brûle d'ètre vue;
L'autre, belle sans art, agaçante, ingénue,
Du plus tendre sourire appelle son vainqueur,
Et suit en folâtrant le penchant de son coeur:
Des oiseaux amoureux la douce mélodie
Porte des chants d'hymen à leur âme ravie.
Délicieux Eden! asile fortuné,
Que la haine et son fiel n'ont point empoisonné!
Plût au ciel que toujours vous pussiez méconnaître
Les sanglantes horreurs que l'Europe voit naître!
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Mais Tasman met un terme à ces joyeux ébats.
Plein d'un brillant espoir, il quitte ces climats.
Il s'éloigne: il répond aux voeux de sa Patrie,
Par ses hardis succès à jamais enrichie.
Déjà la terre a fui: ses agiles vaisseaux
D'un cours précipité fendent le sein des eaux,
Et bientôt de Java le fertile rivage
D'un nouveau Magellan admire le courage.
Audacieux Tasman! ton intrépidité
T'a conduit à grands pas vers l'immortalité;
De Gama, de Colomb tu partages la gloire,
Et tu t'assieds près d'eux au temple de mémoire.
C'est assez parcourir les sentiers du soleil:
Muse, bravons du Nord l'effrayant appareil!
Vainement la nature aux limites du monde,
Six mois plonge les cieux dans une nuit profonde,
Vainement sur ces bords entassant les hivers,
L'Aquilon règne seul dans ces vastes déserts;
A travers les glaçons de ces Alpes flottantes,
Le Batave a guidé ses poupes triomphantes.
Que l'astre des saisons, sur ces monts orageux,
Pâle et le front voilé, lance à regret ses feux,
Et, prenant en horreur ces mers hyperborées,
Refuse ses rayons à ces âpres contrées;
Que le crêpe des nuits sur la vague étendu,
Y remplisse d'effroi le nocher éperdu;
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Nos héros vont tenter ces ténébreux passages.
Bravant le Nord glacé, théâtre des naufrages,
Barendz vers l'Orient dirige ses destins.
Des rives de Waigatz, poursuivant ses desseins,
Sur des flots inconnus il fait voler ses voiles.
Mais pour lui tout à coup ont pâli les étoiles:
Sous ces affreux climats où règne la terreur,
La nature rebelle étonne sa valeur,
Et l'arrêtant aux lieux que la nuit couvre encore,
Lui défend à jamais d'unir l'Ourse et l'Aurore.
Pour la dernière fois ses avides regards
De ces terribles eaux vont sonder les brouillards:
Il voit des monts glacés suspendus sur sa tête,
Dans leurs flancs entr'ouverts recélant la tempête,
S'approcher, se heurter, et, par d'horribles coups,
Se briser en éclats dans les mers en courroux.
Ici, l'ours furieux mêle au bruit des orages,
Ses mugissemens sourds et ses plaintes sauvages;
Là, le loup dévorant, tourmenté par la faim,
Répond aux cris aigus du vautour inhumain;
Plus loin, un monstre énorme, errant au sein de l'onde,
Attaque le vaisseau sous sa quille profonde,
Et d'immenses glaçons, enfans de cent hivers,
Ouvrent ses flancs brisés sur l'abîme des mers.
Le nocher sans secours a perdu son audace.
La froidure redouble et l'haleine se glace.
Ah! plongés dans la nuit, tous ces infortunés
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Aux plus affreux tourmens sont-ils donc condamnés?
Ne reverront-ils plus leur femme, leur patrie?
Sans embrasser leurs fils quitteront-ils la vie?
Le sombre désespoir s'empare de leurs sens.
A la voix de Barendz, à ses mâles accens,
Leur douleur s'adoucit, leur plainte est moins amère.
Ils repoussent la mort; et, d'un bras téméraire,
Saisissant du vaisseau les débris dispersés,
Rendent un frêle espoir à leurs jours menacés.
On touche enfin la terre, et sur un sol de neige
On élève un abri que l'Aquilon assiége.
Mais bientôt le soleil, ô comble de malheur!
Se cache pour long-temps à ces lieux pleins d'horreur.
Une effroyable nuit se répand sur le pôle.
Hélas! c'est vainement que leur chef les console.
C'en est fait: plus d'espoir! de lamentables cris
Frappent lugubrement les échos de Thétis.
Des monstres affamés les hurlemens funèbres
Réclament leur pâture au milieu des ténèbres;
Le fracas des glaçons par les flots repoussés
Vient accroître l'effroi sur ces bords délaissés.
Le feu perd sa chaleur; dans la veine engourdie,
Le sang presque arrêté ne porte plus la vie!
Tout à coup, ô surprise! ô bonheur imprévu!
Aux lueurs du matin le rivage est rendu.
Vers l'Orient vermeil, leur mourante paupière
Revoit avec transport des rayons de lumière,
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Et Phébé repliant ses voiles ténébreux,
L'astre consolateur reparaît dans les cienx.
Le courage renaît. Des débris de l'asile
Qui de tant de dangers sauva leur corps débile,
Un esquif protecteur est construit à l'instant:
L'onde enfin les reçoit dans leur abri flottant.
Tels qu'on dut voir jadis ce mortel intrépide,
Premier dominateur d'un élément perfide,
Ils affrontent la glace et les rocs écumeux,
Et vers le sol natal tournent leurs tristes yeux.
Mais bientôt l'Ouragan, déchirant les nuages,
Vient sur leur faible barque exercer ses ravages.
Jetés sur des écueils, ces malheureux nochers
Errent sans alimens de rochers en rochers.
Au comble du malheur, abattus de souffrance,
Ils appellent la mort leur unique espérance,
Et Barendz épuisé, se sentant défaillir,
Exhale ses regrets et son dernier soupir.
O Barendz! c'est en vain qu'une épouse éplorée
Attend de ton retour l'heure tant désirée;
En vain, aux bords des flots, ses voeux impatiens
Sur la plaine liquide interrogent les vents.
O trop aveugle espoir! ô douleur trop cruelle!
Elle apprend de ta mort la fatale nouvelle,
Que sur des rocs glacés, tes illustres débris
Sous un peu de frimas gisent ensevelis!
Hélas! à tant de maux son coeur ne peut suffire:
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Dans les cris et les pleurs l'infortunée expire.
Enfin, de mers en mers, sur nos rives traînés,
Les braves de Barendz, faibles et décharnés,
Ont revu leur Patrie; et ces fils de Neptune
D'un chef qu'ils adoraient déplorent l'infortune!
L'Europe n'ose plus, dans ces funestes lieux,
Tenter après Barendz des sentiers ténébreux.
Cependant nos héros, vers les glaces de l'Ourse,
Pour de nouveaux exploits ont dirigé leur course.
Pleins de force et d'ardeur, ils lancent leurs vaisseaux,
Et du géant des mers vont troubler le repos.
A peine le nocher, sur les vagues lointaines,
Vers la voûte des cieux voit jaillir deux fontaines,
L'équipage s'avance; et, dans un frêle esquif,
Attache sur sa proie un regard attentif.
Des gouffres écumans la baleine s'élance,
Monte et paraît soudain telle qu'une île immense,
D'où semblent s'élever deux fleuves à grands flots,
Qu'environne partout le vaste sein des eaux.
Déjà le harponneur tient le câble robuste:
Il s'approche du monstre, il l'observe, il l'ajuste;
D'un bras sûr et nerveux lance le triple acier,
Et dans son large dos le plonge tout entier.
La baleine bondit, s'enfonce dans l'abîme,
Et des flots agités fait bouillonner la cime.
Elle sent la blessure, elle tourne, elle fuit,
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Elle veut s'arracher au harpon qui la suit.
Infructueux efforts! On déroule le câble
Qui retient dans ses flancs le trait inévitable.
Ainsi le criminel, de remords déchiré,
Veut fuir l'affreux serpent dont il est dévoré;
Il cherche le repos: vain espoir! soin stérile!
Au milieu des tourmens son coeur lui sert d'asile!...
Le monstre furieux reparaît sur les mers;
Son sang, à gros bouillons, rougit les flots amers;
Il respire, il s'agite; et, de sa queue énorme,
Bat la vague en courroux, frappe son corps difforme;
Atteint d'un dernier trait, épuisé de douleurs,
Il expire, et sa mort le livre à ses vainqueurs.
Batave fortuné! vois tes rives fécondes
Amasser les trésors apportés des deux mondes!
Le commerce s'élève; et l'Amstel glorieux
Roule des sables d'or dans son lit orgueilleux.
Habile fondateur de ton destin prospère,
Tu parcours triomphant l'un et l'autre hémisplière.
Aux mines du Pérou, par l'Ibère enchaînés,
Les enfans du Soleil, aux travaux condamnés,
S'enfermant tout vivans dans le sein de Cybèle,
Y vont ravir pour toi le métal qu'il recèle.
Vois les portes du jour ouvertes à tes voeux!
Vois ton sol embelli favorisé des cieux!
Des cités, de ta gloire éternels témoignages,
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De momens en momens naissent sur tes rivages,
Et partout le labeur, le génie et les arts
En domptant la nature étonnent les regards.
Que de palais sortis de tes marais immondes!
Que de fertiles champs arrachés à tes ondes!
Mercure fait un signe; et le souffle des vents
Des bouts de l'univers t'apporte des présens.
Peuples laborieux, nations opulentes,
Par les noeuds du commerce à jamais florissantes,
Rendez grâce au Batave, à ses divins aïeux,
De vos prospérités auteurs industrieux!
Nos pères immortels vous ont instruit d'exemple;
Et si le monde entier aujourd'hui vous contemple,
Si vos hardis travaux enrichissent vos ports,
Ne nous devez-vous pas vos immenses trésors?
Après le grand Colomb, dont le puissant génie,
S'emparant en vainqueur du compas d'Uranie,
Aux gouffres du néant ravit un univers;
Sans doute, il est aisé, sondant les vastes mers,
De découvrir un cap, d'aborder une plage;
Mais, nochers, votre gloire est encor son ouvrage:
Par son astre guidés, pleins de son souvenir,
Vous suivez les chemins qu'il sut vous aplanir.
Herschell des champs de l'air peut percer l'étendue,
Quand l'art de Métius vient agrandir sa vue.
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Je n'encenserai pas ces moissonneurs zélés
Qui font bondir l'épi sous leurs coups redoublés;
Leur utile travail suit un antique usage:
Mais, rempli de respect, je porte mon hommage
A cet esprit sublime, à ce mortel divin
Qui, sur le sol oisif jetant le premier grain,
Élève de Cérès, reçut, avec usure,
Les fruits dont le combla la prodigue nature.
fin du quatrième chant.
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