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La Néerlande A S.M. le roi Guillaume III.
Dans le passé toujours l'avenir se prépare.
Tous les beaux fruits vermeils dont notre été se pare,
N'est-ce pas de ses fleurs que le printemps les fait?
Car la fleur est la cause et le fruit est l'effet.
Or, quel passé jamais fut comparable au nôtre?
En vain le temps remplace un siècle par un autre.
De tout ce qu'ont, produit ces ouvriers vainqueurs
L'éternel souvenir palpite dans nos coeurs.
Aucun peuple du monde autant que nous peut-être
N'a le droit d'être fler du sol qui l'a vu naître.
Créateurs après Dieu, nos aïeux n'ont-ils pas
Au flot des mers ravi la terre où vont nos pas,
Bt dans ce sol étroit, mais si grand par la gloire,
Planté pour l'avenir l'arbre de notre histoire,
Chêne prodigieux, dont les rameaux vivants
Aux tombeaux des vieillards, aux berceaux des enfants
Ont prêté tour à tour leur ombre séculaire,
Et dont le tronc, plus fort à chaque nouvelle ére,
Sut, bravant du destin les retours inconstants,
Résister aux assauts des hommes et des temps?
En soumettant l'Europe à sa force usurpée,
Rome sur notre auduce ébrécha son épée,
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Et Civilis apprit aux peuples éperdus
Comment on reconquiert les biens qu'on a perdus,
Nos droits de race libre et tels que Dieu les crée.
Honneur à ceux pour qui la patrie est sacrée!
En vain Pepin d'Herstal, en vain Charles Martel
De notre liberté crurent briser l'autel.
Charlemagne lui-même, et si grand qu'il pût être,
Charlemagne ne fut qu'à demi notre maître,
Et l'homme qui donnait au monde des frissons
Ne fit jamais courber la tête à nos Frisons,
Plus tard, quand Charles-Quint eut, roi dés sa naissance,
Pris au vaste réseau de sa toute-puissance
Deux mondes, et formé cet État sans pareil
Qui ne voyait jamais se coucher le soleil,
Et qu'il eut, fatigué de la grandeur suprême,
Cru se continuer dans un autre lui-même, -
On vit s'ouvrir ce cycle immense de combats,
Notre Iliade à nous, que nous n'oublîrons pas;
Car tu n'ignores point, ô patrie, ô ma mère,
Que, depuis trois cents ans, le peuple en est l'Homère:
Poëme merveilleux, chanté par le canon.
Notre premier Guillaume en fut l'Agamemnon,
Lui la tête et le bras de tant d'hommes stoïques
Qui, comptant moins de jours que d'actes héroïques,
Surent briser, durant plus de quatre-vingts ans,
Toute l'Espagne et tous ses efforts impuissants,
Pour faire de ce sol que la brume enveloppe
Jaillir la liberté - cette aube de l'Europe.
Et, pendant que les uns (sublime piété!)
Luttaient pour la patrie et pour la liberté,
D'autres, par les déserts de la mer boréale,
Nous cherchaient vers l'Asie une route idéale,
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Argonautes nouveaux que le pôle neigeux
Vit cingler à travers son domaine orageux
Et montrer à la fois nos couleurs et nos voiles
Aux astres dont le Nord fait son dôme d'étoiles.
Depuis, plus rien ne put arrêter notre essor.
Notre grand siècle vint. On s'en souvient encor.
Nos vaisseaux, affrontant les mers les plus sauvages,
De tous les continents abordaient les rivages.
Un balai symbolique arboré sur leurs mâts,
Leur audace a scruté les plus lointains climats;
Et souvent l'Angleterre et la France et l'Espagne,
Alors que nos marins se mettaient en campagne,
Dirent, en les voyant sur l'onde foisonner:
‘Ces laboureurs des mers, où vont-ils moissonner?’
Ils moissonnaient le champ glorieux de l'histoire,
Et ne rentraient au port qu'avec quelque victoire.
Même n'ont-ils pas fait qu'au bord du flot grondant
Le roi Soleil trouvât chez nous son occident?
Le monde applaudissait à l'oeuvre de nos pères,
Nos villes chaque jour grandissaient plus prospères.
Le commerce du globe y venait aboutir,
Et Fénelon y prit son image de Tyr.
Mais la science aussi, mère de la pensée,
Eut sa tâche féconde et sa route tracée,
En fouillant tour à tour, selon ses buts divers,
Tantôt le coeur humain et tantôt l'univers.
Que de grands noms l'histoire avec orgueil nous cite!
Huygens, notre Pascal, et Hooft, notre Tacite;
Erasme, dont l'esprit semblait un réservoir
D'où jaillissaient sans fin tous les flots du savoir;
Grotius, que l'on vit, si grand de caractère,
Du droit des nations fixer le code austère;
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Et tant d'autres encor, dont la gloire à jamais
Voit les ombres hanter ses radieux sommets.
Les lyres cependant ne restaient pas muettes.
Car la patrie aussi peut vanter ses poëtes.
Vondel, qui, peintre ardent et si large de ton,
Créa dans Lucifer le Satan de Milton;
Antonides, qui, plein d'un large souffle épique,
Fit briller sur ses vers les splendeurs du tropique;
Poot, notre Théocrite, à qui les fleurs des champs
Des bergers de Virgile enseignèrent les chants;
Puis toute cette suite illustre de grands hommes
Dont la chaîne s'étend jusqu'aux jours où nous sommes
Et qui l'âme d'en haut et l'esprit éclairé,
N'ont pas laissé dans l'art un coin inexploré.
Puis nos peintres qui, plus encor soleils qu'étoiles,
Chantaient l'hymne éclatant des couleurs sur leurs toiles
Et dont les noms, connus du monde jout entier
Ont laissé jusqu'à nous plus d'un noble héritier.
Enfin, pas un fleuron ne manque à ta couronne,
Patrie, ô toi que tant de prestige environne.
Entretiens dans nos coeurs tout l'amour qui t'est dù
Des vertus du passe que rien ne soit perdu,
Et que chacun de nous se fasse un héritage
Du trésor de grandeur qu'il nous donne en partage.
Si le Ciel nous a fait souvent des jours amers,
Si nos nefs ne sont plus les maîtresses des mers,
Si notre pavillon, respecté des deux mondes,
Ne va plus promener la terreur sur les ondes,
Contentons-nous, au moins, de cet orgueil pieux
De conserver en nous la fierté des aïeux.
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Soyons de notre temps. Cherchons notre equilibre
Aux travaux de la paix qui fait tout peuple libre.
Que la cité prospère, et que dans l'atelier
L'ordre avec le travail consente à s'allier.
Que la Science montre, et que l'esprit s'éclaire.
Ayant dans sa raison son étoile polaire.
Mais que l'art ait aussi son grand rôle à remplir,
Lui qui charme la vie et sert à l'embellir.
Soit qu'il parle à nos coeurs, soit qu'il parle à notre âme,
Qu'il s'incarne vivant dans la forme du drame,
Qu'il prenne tour à tour, pour nous rendre meilleurs,
Le langage des sons ou celui des couleurs,
Et qu'enfin il nous hausse, en nous prêtant son aile,
Vers les cimes où luit la splendeur éternelle!
Car le reflet du vrai, c'est la clarté du beau.
La science est l'étoile et l'art est le flambeau.
Aussi bien qui le sait mieux que vous, prince illustre?
De toutes les grandeurs vous comprenez le lustre,
Et l'hospitalité de votre toit royal
Accueille tous les coeurs épris de l'idéal.
Sciences, lettres, arts, toutes ces forces vives,
Y sont les bienvenus et souvent les convives
Aux fêtes du savoir votre esprit se complaît.
Sachant bien que, sans lui, tout règne est incomplet
Votre exemple soutient; votre voix encourage.
Aussi fasse le Ciel prospérer votre ouvrage!
Car c'est par là, malgré notre âge indifférent,
Qu'un peuple devient fort et qu'un roi reste grand.
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