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Julien Chamard.
Aux éditeurs de ses oeuvres.
Amis, vous n'avez pas voulu sur cette cendre
Voir une double nuit de ténébres descendre
Ni que ce mort, déjà dans l'ombre enseveli,
Couchàt dans le linceul plus obscur de l'oubli.
Vous n'avez pas voulu que la tombe muette
Où dort ce qui nous reste, hélas! de ce poëte,
L'enfermât tout entier dans son silence et prît
Dans son froid ossuaire et le corps et l'esprit.
Car voilà qu'au chevet où sa tête affaissée
Dans le songe des morts complète sa pensée,
Vous avez, mes amis, sur son morne tombeau,
Devoir pieux et doux, allumé ce flambeau.
Vous avez fait parler cet esprit dans ce livre,
Où le rêveur aimé continùra de vivre,
Lui, qui, tombé si jeune au seuil de l'avenir,
Aura son monument dans notre souvenir.
Merci, pour lui, pour l'art, pour nous, pour la Belgique.
Vous, dont l'âme était soeur de cette âme énergique,
Qui hantiez de ce coeur les coins les plus secrets,
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Et, témoins de sa vie, y lisiez de plus près,
Vous savez quels trèsors ce songeur solitaire
Amassait chaque jour dans sa pensée austère,
Et, mineur obstiné, comLiien, de l'aube au soir,
Il fouillait de son pic le rocher du savoir,
Et tout ce qu'à travers ses veilles fécondées
Il suivait tour à tour de rêves et d'idées,
Lui que souvent la nuit, mère des astres d'or,
Vit veiller jusqu'à l'aube et méditer encor.
Je ne l'ai vu qu'un jour, c'est-à-dire qu'une heure.
Depuis, dans mon esprit son souvenir demeure.
Dans moi-même toujours je l'entends, je le vois,
Et j'ai tout retenu, jusqu'au son de sa voix;
Car le timbre en était plein de force virile.
Ses yeux étincelaient d'une clarté fébrile,
Et la toux par moments sifflait dans ses poumons,
Comme le souffle à ceux qui gravissent les monts.
Un masqué de paleur lui couvrait le visage,
Que parfois (il fallait la surprendre au passage)
Une rougeur subite un instant empourprait
Comme si quelque flamme au dedans l'éclairait;
Et, quand je pris sa main dans ma main empressée,
Je sentis qu'elle était moite et presque glacée.
Pourtant il souriait et ne se doutait pas
Que la mort, spectre obscur, approchât à grands pas.
Vers le chemin de fer nous allions. Nous causâmes
Des ténèbres qui vont obscurcissant les âmes;
De l'idéal qui va remontant vers le ciel
Et cède, chaque jour, plus de place au réel;
De Dieu qui resplendit visible en toutes choses;
De l'art, ce confident des astres et des roses,
Qui surprend, dans les bois et les près pleins de fleurs,
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La langue des parfums, des sons et des couleurs;
Et le causeur charmant, comme une parenthèse,
Jetait par intervalle au milieu d'une these
Quelque beau vers, ainsi qu'au souffle de la nuit
Un arbre trop chargé laisse tomber un fruit.
En causant de la sorte, enfin nous arrivâmes.
Le convoi s'en allait, et nous nous séparâmes.
Une dernière fois je lui serrai la main,
Et de la ville seul il reprit le chemin.
Le soleil de juillet, de ses rayons superbes
Illuminait la plaine où mùrissaient les gerbes,
Et dans mon coeur pourtant il faisait déjà noir.
Bien qu'il ne m'eùt pas dit: ‘Adieu’, mais: ‘Au revoir’,
Je pressentais au fond de mon âme inquiète
(Tant la mort s'acharnait sur ce pauvre poëte)
Qu'à notre rendez-vous, à l'automne prochain,
Je me trouverais seul et l'attendrais en vain.
De quoi sert-il, mon Dieu, qu'on ait donné sa vie
Et son aube, du soir, hélas! sitôt suivie,
A l'étude, et rêvé la chimère d'un nom,
S'il faut tomber au seuil même du Parthénon?
Car il avait l'amour de la verte nature,
De ce livre éternel il faisait sa lecture;
Et, sans trop demander le comment, le pourquoi,
Cherchait Dieu dans son oeuvre et l'homme dans sa foi.
Il comprenait les chants des oiseaux sur les branches
Et les doux entretiens que les étoiles blanches
Ont entre elles la nuit dans leur palais d'azur
Et les fleurs dans les bois pleins de silence obscur,
Comme du coeur humain il savait le mystère.
Souvent dans le passé, voyageur solitaire,
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Il entrait, et cherchait dans l'horizon des temps
Les sentiers pleins des pas des penseurs éclatants.
Du banquet de Platon commensal poétique,
Il s'abreuvait dn miel de la sagesse antique;
D'Homère et de Virgile ami discret et sùr,
Chez Horace il avait son entrée à Tibur,
Et Cicéron, au bord de sa lice oratoire,
Plus d'une fois le vit assis dans l'auditoire.
Sous son toit familier Juvénal l'accueillait,
Et lui-même parfois Zénon lui sonriait.
Il remontait ainsi le grand courant des âges,
Et, passant cour à tour des poëtes aux sages,
Cueillait à l'arbre grec comme à l'arbre latin
Les fruits mùrs du savoir, son trésor, son butin.
Or, le voilà qui tombe, ayant dans sa pensée
Ébauché seulement son oeuvre commencée,
Et l'architecte emporte en son cercueil dormant
Le rêve qu'il devait traduire en monument.
Mais ne le plaignons pas. - Sur la colline verte
Quand la fleur aux baisers de l'aube s'est ouverte,
Quand la blonde alouette aux rayons du matin
Se berce égayant l'air de son trille argentin,
Quand le bois chante avec les bouvreuils et les merles,
Quand la rosée épand son écrin plein de perles,
O roses des forêts, il est doux de fleurir.
Mais n'est-ce pas qu'il est doux aussi de mourir
Avant que la nuit vienne et de son ombre efface
Ces vivantes splendeurs qui vibrent dans l'espace,
Que la brise nocturne à son souffle embrumé
Dissipe les parfums dont l'air est embaumé,
Et que le noir silence ait couvert de ses voiles
L'hymne du jour qui cesse au lever des étoiles?
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Aussi qu'il dorme en paix dans ses songes charmants!
Plus tard seraient venus les désenchantements,
Les sourdes trahisons, les embûches dans l'ombre
Et les acharnements de cette guerre sombre
Qu'à tous les chiffres font les zéros, ces néants,
Et que tous les crétins font à tous les géants.
Mieux valait-il partir dés son aube vermeille
Et descendre au sépulcre où du moins il sommeille,
Les yeux et le coeur pleins de blanches visions,
Dans le chaste linceul de ses illusions.
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