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Le poëme des roses.
A MADAME LA MARQUISE DE G ...
Ganz besonders lieble sie die Ronen.
H.-C. Andersen.
Une reine païenne aimait les fleurs, les roses.
Dans toutes les saisons elle en avait d'écloses,
Et son palais était un jardin parfumé,
Plein de roses toujours ainsi qu'au mois de mai.
Ce n'étaient que rameaux se courbant en arcades.
Et que bouquets vermeils s'épanchant en cascades
Le long des grands piliers de marbre; les lambris
On les eùt dits sculptés en corymbes fleuris.
Et, de leurs frais arceaux les fenêtres encloses
Montraient au soleil seul ce poëme de roses.
Sans connaître l'hiver, là croissaient, douces fleurs,
Diverses de parfums, de grâce et de couleurs,
L'églantine des bois, la rose sans égale
Que voit s'épanouir la Chine ou le Bengale,
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Et celle que Sârons cueille à ses coteaux verts,
Ou la tiède Provence en ses bosquets ouverts,
Et celle dont le Gange en son onde azurée
Effeuille au vent du soir la corolle empourprée,
Ou qui, née à Pestum, dans les joyeux festins
Parfumait les chansons des poëtes latins.
Mais écoutez! Un jour - ô nouvelle fatale! -
Une rumeur sinistre emplit la capitale,
Et ce bruit qu'on entend dans la ville courir,
C'est: ‘La reine est malade, et s'apprête à mourir.’
Car les savants ont dit: ‘Le mal est invincible;
La sauver de la mort ne nous est plus possible.’
Un seul, vieillard courbé sous l'âge de Nestor:
‘Il nous reste, dit-il, ce grand remède encor,
O mourants, qui du seuil du tombeau vous rappelle.
Que l'on apporte ici la rose la plus belle.
Emblème de l'amour le plus saint, le plus pur;
La reine, l'ayant vue avec ses yeux d'azur,
Voilà que les monts, les vallées,
Et les plaines, de champs et de près carrelées,
Les buissons des coteaux, les arbres des jardins,
Et les forêts, cités de chevreuils et de daims,
Rassemblent le tribut de leurs roses vermeilles.
‘Relève un peu la tête, ô reine qui sommeilles;
Toutes nos fleurs, regarde, ô reine, les voilà!’
Mais la fleur de l'amour le plus pur n'est pas là.
Puis, des bardes voiei la liarpe harmonieuse
Qui célèbre en ses chants la rose merveilleuse
Et répond: ‘Nous savons où sa beauté fleurit,
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N'est-ce pas au jardin toujours vert de l'esprit?’
Mais des bardes en vain la harpe d'or résonne.
Et le vieillard, hochant la tête, dit: ‘Personne
Ne t'a nommée encor, rosé du paradis,
Toi qui rendrais l'espoir même au coeur des maudits.
Car tu n'es pas la fleur qu'aux baisers de l'aurore
Pestum voyait au fond de ses bosquets éclore
Et dont le doux Virgile et Properce ont chanté,
Dans leurs vers immortels, l'odoranfe beauté;
Ni celle qui, promise à l'autel de l'histoire,
A besoin pour s'ouvrir d'un soleil de victoire
Et prend sa pourpre au sang, héros, que la cité
Vous voit verser pour elle ou pour la liberté;
Ni celle enfin qui croît dans le champ de l'étude
Et, fille du génie et de la solitude,
S'ajoute à ce bouquet splendide des esprits
Que lègue chaque siècle à ses enfants surpris.’
- ‘Moi je sais, dit alors une mère joyeuse,
Moi je sais où fleurit la rose merveilleuse.
Car je la vois alors que mon enfant vermeil
Ouvre ses grands yeux bleus en sortant du sommeil.
Elle éclôt sur sa bouche en un si doux sourire
Qu'aucun langage humain ne saurait la décrire.
Un enfant qui sourit à sa mère, à coup sùr,
C'est la fleur de l'amour le plus saint, le plus pur.’
Et le vieillard: ‘La fleur de l'innocence est belle.
Mais l'autre l'est bien plus, et rien n'approche d'elle.’
- ‘Oui, bien plus belle encor,’ murmure en ce moment
Une femme en levant les yeux au firmament:
‘Car je l'ai vue un jour sur le front de la reine.
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Son fils était malade; et, quoique souveraine
Etant mère, le coeur de larrnes étouffant.
Près du berceau flèvreux où gisait son enfant,
Elle s'était assise. Éperdue, insensèe,
Ne voyant que la mort au fond de sa pensée,
Criant grâce et pitié, pleurant, pleurant toujours,
Elle y veilla dix nuits, elle y resta dix jours.
Des sanglots déchirants se pressaient sur sa lèvre,
Dans ses yeux on lisait la folie ou la fièvre.
Son visage était morne et blême de douleur,
Et d'une rose blanche il avait la paleur.’
- ‘Oh! sans doute, répond le vieillard, sur la terre
C'est une fleur du Ciel que l'amour d'une mère;
Et pourtant le Ciel garde en son riche trésor
Une rose plus sainte et plus splendide encor.’
- ‘La fleur dont vous parlez, dit alors un vieux prêtre,
A mes yeux bien des fois je l'ai vue apparaître.
Sur l'autel du Seigneur, ce Calvaire sans fin,
Hier je venais d'offrir l'holocauste divin,
Lorsqu'un groupe vermeil de blondes jeunes filles,
Pures comme les lis qu'abritent mes charmilles.
Approcha lentement et se mit à genoux
Devant la table sainte où Christ se donne à tous.
Leurs pieds n'étaient pas faits pour marcher dans nos fanges.
Elles avaient la grâce et la pudeur des anges.
Chastes fleurs sur la terre écloses pour les cieux,
La beauté de leur coeur éclatait dans leurs yeux.
Si bien qu'en les voyant on se disait: - Qu'ont-elles
Fait de leurs nimbes d'or et de leurs blanches ailes?
Tant elles ressemblaient à ces esprits charmants
Qu'un saint verrait passer dans ses songes dormants;
Tant c'étaient de vivants symboles de l'extase.
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Comme une lampe luit dans l'albâtre d'un vase,
Leur âme rayonnait en elles à travers
Leur corps, ce vêtement fait d'os et fait de chairs,
Et de la piété sur leur face candide
Je vis s'épanouir la fleur sainte et splendide.’
- ‘Oui, cette fleur est sainte aux yeux. de Dieu. Pourtant
Ce n'est pas celle encor que la malade attend.’
Comme le vieillard parle, on voit s'ouvrir la porte.
Un jeune enfant, le fils de la reine, entre. Il porte
En ses petites mains un manuscrit ouvert,
Garni de signets d'or et de velours couvert.
Quatre agrafes d'argent y pendent ciselées,
Et sur le vélin blanc on aperçoit mèlées
Des lettres de cinabre et d'azur, puis encor
Une vignette peinte en un ovale d'or.
- ‘Écoutez! dit l'enfant comme pris de délire,
O ma mère, écoutez ce que je viens de lire!’
Puis du lit il s'approche, et du doigt lentement,
Et de sa voix que brise un sanglot par moment,
Il suit le texte saint, - l'histoire du Calvaire.
A ce récit touchant à la fois et sévère
La reine, le regard attentif et l'esprit,
Se trouble en elle-même, et son coeur s'attendrit.
Des pleurs d'émotion montent vers sa paupière.
Dans ses yeux bleus s'allume une étrange lumière.
Et de son âme, pleine encor d'obscurité,
On croirait voir jaillir un rayon de clarté.
Car elle a vu le peuple assaillir de ses haines
L'Homme-Dieu qui venait l'affranchir de ses chaînes,
Les bourreaux déchirer de leurs fouets irrités,
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O condamné divin, tes flancs ensanglantés,
Le Juste se vêtir, devant Ponce Pilate,
De la dérision du manteau d'écarlate,
Et du noir Golgotha gravir l'âpre hauteur,
Chargé de nos péchés et du bois rédempteur.
Elle a suivi la croix, et longtemps en silence
Regardé la couronne et les clous et la lance,
Et le sang ruisselant du Sauveur des humains.
Puis, s'écriant: ‘O Christ!’ elle joint les deux mains.
- ‘Voici, murmure alors le vieillard, que la reine
T'a vue enfin, t'a vue, ô rose souveraine,
Emblème de l'amour le plus saint, le plus pur,
Et que le jour s'est fait dans son esprit obscur.
Car voir ton sang, Seigneur, ô Christ, c'est te connaître,
C'est aimer, espérer et croire - c'est renaître
A ce monde meilleur promis à tes élus,
Au royaume éternel où l'homme ne meurt plus!’
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