Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Supplément
(1847)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij79.
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Ga naar margenoot+jugement que je puis avoir. Car, si nous eussions pris la voye salutaire, (il fault que je l'appelle aynsy) avec le courage qui estoit nécessaire et requis, n'ayant esguard que là où il le falloyt avoir et non user de crainte ou connivence pour des respects indignes et très-préjudicyables, nous feussyons, veu le beau chemyn que la Providence divine nous avoit préparé, aux termes tous contraires à ceulx que nous sommes et tomberons désormais de plus en plus. Je voy que la pluspart du monde juge, et non sans raison, que mon royaume ne fut jamays myeulx disposé à recouvrir mon entière obéyssance et la bienveillance quant et quant de mes subjects; mais il estoyt besoing de bonne heure bastir sur ce fondement, que l'oraige a maintenant si esbranlé que je n'y voy pas doresnavant grande seureté; car si, lors que feu mon frère entreprinst et couronna nostre ruyne (je l'appele ainsy, dont je ne sçay s'il se chauffe point maintenant plus que de la chaleur naturelle ou du soleyl), nous luy eussions faict la [teste] honorable et utile pour ce pauvre royaume, nous seryons mieux, et que nous eussions continué avec la raison, nous laissant conduire à icelle et non à l'irrésolution, perte de toutes monarchies, nous seryons, et je le crois ainsy, redoutés de tous nos voisins et par conséquent plus aymez ou pour le moings sans les doubtes toutes aparants de la tempeste quil nous menace, et Dieu veuille qu'elle ne nous acable, ou pour le moings ne nous engloutisse telles provinces que l'on voudroit avoyr donné de ses ans, et n'en avoyr jamais esté la cause pour laisser [la dictte] réputatyon de soy, qui certes sera très-préjudicyable pour moy et mon estat, et peu ou point honorable, ny devant Dyeu ny devant les hommes. Il i heust un roy en la Judée, je ne sçay si c'est Roboam ou un autre, qui par mauvays conseil fust perdu; Dyeu en garde le roy de France! C'eust esté une belle conqueste et louable fort et ancores plus utile [pour] restaurer nostre estat; il a par le passé fait la barbe à Espaigne et à tous ceux qui s'y sont voulus prandre, mais c'a esté, n'entreprenant qu'avec la raison et qu'en sa deffense et conservation, et si ç'a esté, lorsque l'union d'opynyons estoit que le corps de nostre Seygneur estoit recogneu, comme tel qu'il est, par toute la France, que les partialités n'avoyent pris le pied qu'ils ont, que le roy ne debvoyt ryen, ayns avoyt denyers en bourse, et par mesme moyen ne [faisoit] subsydes nouveaux et à la grande charge du peuple, | |
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Ga naar margenoot+ny ne les laissoit manger sans se remuer, comme nostre filzGa naar voetnoot1 et frère a faict, tant et si horyblement que tout en crie vengeance devant Dyeu avec juste occasyon. Et, comme je dis, en tel temps il avoit la byenveulance de ses subgets; ce temps là, misérable que je suis, n'est plus, et fuyons, tant que nous pouvons, le chemyn de le revoir par nos péchés, car nous debvons tant que an paix mesmes ne sçait-on, si elle duroyt, comment en sortir: les hérétiques grouillent jusques dans nostre giron, par manière de dire; les praticques contre l'estat et ma personne sont plus fréquentes que le boyre et manger quasi, et les malcontents sans rayson s'augmentent tous les jours, et pour voyr mesmes nostre fondement sy esbranlé que chacun qui n'a pas grande fidélité ny amytyé où il la doit, veult faire sa part et me la faire comme au plus jeune, bien que Dyeu m'ayt faict l'aisné et à bonnes enseignes par sa grâce. Brief tout le contraire de ce qu'il fault, non seulement à commancer une lourde (et sans fin auscune se peult dire) guerre qu'à nostre très-grande desadvantage, car nostre humeur ne demeure pas assez en un lieu; si nous sommes là, nous voudrions estre aylleurs, et n'est pas ce que la guerre estranger veult et requiert pour en venir au bon succès; car avec les Huguenots nous [voullons] la guerre; nous l'avyons la paix, nous l'avyons et telle quelle, mais nous l'avyons; à cest-cy nous l'aurons la guerre, certes nous y allons au grand gualop; mais la paix il la fauldra, qui la voudra avoyr, avec honte très-grande et ayant plus de dommage, et le mal est (au moyns je le resants tel, comme celuy qui y a le principal intérest) que qui n'aura esté la cause, en portera toutefoys le plus de préjudice et perte: croyant pour certyn et puisque l'on dyt, le roy ne veult point la guerre, que je perdray, avant que la fin se départe, quelques provin[ces]. Pleust à Dieu que nous voulussyons la réputatyon, chascun en nostre [sexe] la mieulx séante, [l'homme] s'il est roy, tel q'un prince courageux la doyct avoyr et plus dignité et prudence, la femme celle dont an fin, quand l'on y aura bien songé, celle qui luy est la plus deue, et non [antramucher]; de sorte que par tellesGa naar voetnoot2 qui sont très-préjudiciables, nous perdyons les principales et plus louables [ceste y en a les] qui sont moindres, ainsy que leurs sexe, qualitez ou functions leur appellent et attirent d'avoir. [J'avoue] que | |
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Ga naar margenoot+par adventure nous n'aurions pris Cambray, mais nous ne l'eussions ny perdu ni aucune place ou province, comme je ne sçay ce qui en sera à l'advenyr; l'on nous eust touttefois regardé avec plus d'admiratyon que l'on ne nous [lairra faire] et que l'on n'aura de moyen de le faire, et diray que l'humeur des Françoys, quand leur roy est grand et bon, ou qu'il n'est meschant, n'est que telle qui luy plaist, et ne croiray jamays que ce que l'on dyct, qu'il faut des saygnées à la France, soyt à craindre. S'il [est] autrement, quand le prince est tel que j'ay dict cy-dessus et quand il est si stupide que de tout endurer, ou si vitieux et peu aymant le bien de son peuple que le laisser manger, comme les conseils que l'on m'a donnés de souffrir durant la vye de feu nostre [frère], ou je croys qu'il n'est pas mauvays que l'on mecte dehors ceulx qui peuvent prandre le party des turbulants, mais maintenant cela n'est plus, si nous voulons. Or je sçay bien, ce me semble, ce qu'il fauldra, mays je suis comme ceulx qui se voyent noyer et par obéissance sont plustôt comptensGa naar voetnoot1 de l'estre que de se sauver, et puis je seray seul de mon advys, où je me puys tromper: voilà pourquoy je me lairray emporter au pis, comme j'estime qu'il nous peult aryver, [outre ce] que je n'estime pas nullement [qu'il s'i] puisse remédyer, car le dé en est jetté, et eust fallu user en la sorte, à ce que je croys, et ne croys pas que premyèrement Celuy qui tourne nos volontés ne nous eust grandement aydé, c'est le princypal, et que, pour une bonne résolutyon et profitable, Il nous en auroyt donné une, s'il se peult dire ainsy; car de Luy dépend le bon ou malheur, ainsy qu'Il nous en juge capables. Il falloyt, moy venu à la couronne, juger à mon retour pour tenyr mon royaume en paix et restablir mon auctorité, faire une assemblée d'Estats, et comme je ne faisoys qu'entrer, bien receu de tous, car je n'avois faict ny mal ny bien, plustost avoyent-ils cause d'estimer par mes actyons passées le bien que le mal, et résolvant, tant avec les uns que les autres, ce qui pouvoit réunir le tout (et croys que nostre religion eust emporté l'autre, car lors ils n'estoyent si forts) faire [jurer] le tout et le signer par tous les principaux et les compagnyes, ainsy que l'on l'eust bien considéré de faire, comme des règles qui m'eussent en effect laissé la bonne auctorité, bien qu'il eust semblé que non; car un roy qui est un peu advi- | |
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Ga naar margenoot+sé, ne voulant que le bien, faict tousjours ce qu'il veult, et pour les faire byen observer, les faire jurer et signer à tous, affin que nul n'en prétendist cause d'ignorance, ny autre fissent les malcontans, lorsque contre telles ordonnances ils demendassent ce qu'il eust fallu refuser, et m'eust esté belle excuse; ainsy faire l'aquictement de mes debtes, qui se fust faict depuys l'heure que je suys roy, et seroientGa naar voetnoot1 lasGa naar voetnoot2 maintenant grand roy et bien puissant, et à mon ayse; car l'argent sert de nerf et de fondement princypal à tout faire an ceste assemblée; en somme, tant pour le général de mon estat que jusques à ma Court et ce qui en dépand, tout ce qu'il eust fallu pour ce reguard, et que tous les ans en mon principal parlement il eut esté [soldé]; où j'eusse esté et tous les principaux de mon royaume au jour assigné, et que nous eussyons envoyé vers tous nos voysins et ceux qui sont pour nous estre amys ou ennemys embassades, avec asseurances d'amytyé et les faire parler clair, leur monstrant que ce prince nouveau vouloyt vyvre en amytyé, s'ils le vouloyent, mais que, de sa nature estant fort franc, qu'il vouloit aussi scavoir [l'umeur] qu'ils auroient en son endroict et renouveller par traictés solemnels les amytyés ainsi qu'il eust esté advysé, et, comme l'on eust promis quelque traicté, ne l'enfraindre, ny souffryr par les syens l'estre; enfin faire profession exacte, tant avec les estrangers que ses subjects, de couraige et parolles, et que les efects s'en fussent ensuyvis, nous eussyons faict chose agréable à Dieu et aux hommes, et laissé après nous autre mémoyre que nous ne laironsGa naar voetnoot3; nos peuples s'en fussent byen trouvés, nos serviteurs, notre bourse et nostre réputatyon. Mais je sçay que l'on me dira, tout cela est fort beau, mais il n'estoit pas si aysé à faire et quasi impossible en beaucoup de choses; je dis que ouy, à l'humeur dont tout nostre gouvernement est possédé, mais non, si l'on eust esté tout au contrayre, et ne croys pas que, si l'on faisoit encorres ceste assemblée, pourveu que nous changeassions tous de peau en ce qui est de particulier pour le conseyl, et qu'ils voulussent embrasser ce que je dis, comme l'on n'a pas faict, qui a faict aller tout en fumée, il en réussiroyt quelque chose de bon; mais j'en pers l'espérance, car je n'y en voy nulle et croy que, si l'on eust envoyé ou faict traicter, qui eust esté ce me semble myeulx, avec l'Espagnol | |
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Ga naar margenoot+par l'ambassadeur nostre ouvertement et hors des dentsGa naar voetnoot1 et le faire parler clair, que nous seryons mieulx; mais je diray tousjours que l'eau tyède faict vomyr; les uns ne veulent la ruyne des Huguenots, les autres n'ont point de résolutyon, et les autres, comme par [nostre] habitude, ne se peuvent bonnement résoudre, bien ont-ils force doutes, et les autres je ne sçay ce qu'ils veullent devenir; je voudroys la paix, pour jouir de mon beau et grand estat et avoir la gloire de sa conservation et restauration, et ne prendre l'incertain et sans utilité, par advanture pour laisser le bien et honneur certain; or nous sommes non comme nous debvyons, ni byen, et, qui pis est, avec bien peu de ressources, de sorte que mes discours sont pour demeurer en papier. Je leGa naar voetnoot2 vous ay pas faict ainsi pour en espérer ryen d'effect, non je ne me trompe pas tant, et seulement pour en descharger mon coeur, qui en estoit trop oppressé; je sçay bien que nous avons Cambray et ne sçay si nous l'aurons tousjours, je sçay bien que nous sommes sans moyens, et si sçay bien que nous sommes pour en avoir moins, si Dieu ne nous regarde de Son oeil de pityé. Voilà pourquoy je trouve bon tout ce que j'ay mandé et ce que l'on m'a respondu, car nous ne voullons que pousser le temps avec l'espaule, et croy qu'à présent il ne se peult faire autrement. Atachons-nous donc à quelque branche, car encorres serons nous mieulx, ce semble, que de ne se tenir à aucune; [grandGa naar voetnoot3] aussy que nous nous prenyons à aucunGa naar voetnoot4 qui nous pique ou qui soit [intérestGa naar voetnoot5] et pour rompre; car j'estime que nous eussions mieux fait nous atacher à Catolique qu'à ceste femme, ennemye de nostre religion non seulement, ains ausy de nous, et Dieu veuille que ce que j'en pense n'aryve pour fin, fions-nous sur nostre arjantGa naar voetnoot6 qu'il nous fauldroit trouver sans délay et déplorons nos conseils passés: Dyeu mette Sa main aux présens, car je prévoy que nous espouserons un corselet qui ne seroit que [riche], mais avec cela nostre ruyne ou en tout, ou en partie, et moy encorres un coup diray bien mal venu à qui en sera cause, si faut-il que qui m'a conseillé achève, car je n'ai pas faict le mal, et puis me laisser au bourbier. Il faut que tous prennent courage et se noyent en la | |
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Ga naar margenoot+barque avec moy et non à cest heure jouer à l'esbahy. Je suis à Lyon, où je ne me plais guères, car il m'eust falu la fantaisie plus délivréGa naar voetnoot1 que je ne l'ay, et ne say si je verray Mr de Savoye; j'y feray ce que je pourray. Je suis en très-bonne santé et en grande peyne du mal de la reine ma mère, que Dieu veuille bien conserver. Je prie à Dieu, Villeroy, qu'Il vous ayt en Sa garde. Je vous ay escript, comme à mon serviteur particulier, que je sçay désirer quelque bonne résolution pour nostre conservation. De Lyon, le 14 août. Henry.
A cette singulière épitre nous ajouterons, relativement aux négociations du Prince d'Orange avec la France, le témoignage remarquable de Marnix: ‘En la dernière résolution que le Prince print avecq Messie urs les Estats d'envoier en France, pour demander secours au Roy (ce qu'advint environ un mois ou six sepmaines avant sa mort), il ne fut jamais à son aise qu'il ne m'eut mandé d'Anvers chez lui, soubs ombre d'assister au baptesme de son fils, et m'eut faict ouverture de son coeur et de toutes ses intentions, et par une conférence bien ample et fort privée sur tous les évènemens que l'on pouvoit attendre de ceste ambassade vers le Roy, il m'eut entièrement faict condescendre à ses résolutions, ce que je feis après longues disputes, et aiant bien amplement entendu de sa bouche le but de tous ses desseings n'estre autre que la seule conservation des Églises de Dieu et de ce pouvre peuple qui s'estoit mis en sa protection.’ Reponse apologéticque de Ph. de Marnix à un libelle fameux. Ce fut à ce même Marnix, se plaignant de ceux qui étoient bien aises de le traverser, que le Prince adressa un jour ces belles paroles: ‘“St. Aldegonde, souffrons que l'on marche sur nous, pourvu que nous puissions aider l'Église de Dieu.”’ Sur quoi je lui répondis: ‘“puis, Monseigneur, que vous estes résolu à cela, ja à Dieu ne plaise que j'en parle plus: emploiés moi partout où il vous plaira.”’ ‘Et là dessus je m'emploiay en tous ses commandemens aiant ce seu, but de la conservation des Églises de Dieu.’ l.l. |
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