Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Supplément
(1847)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij
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Ga naar margenoot+....Ga naar voetnoot(1) Et d'abord, il est public et notoire que la duchesse de Parme, ex-gouvernante du roi d'Espagne, mon très-gracieux seigneur, avait expressément permis et toléré les prédications de la parole divine, comme, au besoin, je pourrais le prouver par des documens dignes de toute confiance; qu'elle avait assuré que tous ceux qui entendraient ou qui auraient entendu le prêche, ne s'exposeraient à aucun danger ni inconvénient. Quant à moi, conformément aux ordres de la duchesse, j'ai fait publier ces promesses, et je me suis fermement obligé vis-à-vis des sujets de les faire observer et d'y prêter main forte. Le duc d'Albe, au contraire, a plongé dans la misère, dépouillé de leur avoir, de leurs femmes et de leurs enfans, chassé et expulsé impitoyablement une foule de bons et loyaux vassaux et sujets de sa majesté. Bientôt, sur des citations illégales, nulles et de nul effet, sans observer, comme il le devait, les formes ordinaires de la procédure, il s'est livré à la saisie de leurs biens et les a confisqués de facto, bien que sous le prétexte et l'apparence que les pauvres gens étaient des rebelles et des hérétiques, et il a commencé le procès de praeda et executione, non-seulement en opposition directe avec le droit commun écrit, mais encore avec les promesses, et contrats solennellement jurés, libellés, scellés de sa majesté royale et des Pays-Bas. Il a, en outre, contre toute justice et équité, de la manière la plus horrible et la plus tyrannique, fait décapiter et égorger, en public et en secret, avec la corde, le feu, le glaive, ou de toute autre façon non moins atroce, une foule de personnes distinguées, loyales et pieuses, tant de la bourgeoisie que du commerce et de la noblesse, et tout cela pour le fait de la religion. Il en a fait périr d'autres dans une dure captivité, torturer et martyriser quelques-uns, à un tel point qu'après avoir subi de longs tourmens, ils terminèrent une vie innocente dans les plus grandes douleurs. Et afin que le duc d'Albe manifestât suffisamment son coeur sanguinaire et tyrannique, il a fait à jour fixe arrêter et traîner hors de | |
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Ga naar margenoot+leurs maisons et de leurs lits un grand nombre de ceux dont la foi lui paraissait seulement tant soit peu suspecte, afin que, dans la suite, il pût les traiter selon son bon plaisir et ses insolens caprices et s'emparer des biens de ceux qui avaient été chassés, condamnés et exécutés. C'est pourquoi il a plongé les magnifiques pays dont il s'agit, non-seulement dans une servitude et un esclavage extrêmes, mais encore dans le besoin, la misère et la désolation: et si ses desseins sanguinaires ne sont pas déconcertés par l'appui de Dieu et par des voies et moyens chrétiens, il ne manquera pas de les enfoncer plus avant dans la détresse et de leur préparer une irréparable chute et perte, en dépit de la grande et très-humble fidélité que les Pays-Bas ont volontairement témoignée à sa majesté et à feu l'empereur Charles, de très-douce et très-louable mémoire, en payant sans murmurer tant et de si fortes contributions, dont quelques-unes s'élevaient à plusieurs millions de florins, et notamment dans les dernières guerres à quarante millions; joint encore que dans ces derniers temps, ils ont offert jusqu'à trois cent milleGa naar voetnoot1 florins, si on leur accordait la liberté de conscience, et ils se sont obligés en outre, de montrer l'obéissance la plus soumise à sa majesté dans toutes les affaires civiles et extérieures. Que de là il naitrait des rébellions, des troubles et de la désobéissance, comme le duc d'Albe et sa séquelle, pour justifier leur tyrannie et leurs actions atroces, voudraient le faire croire au public, cela est trop clair et trop net, pour que cela ait besoin de beaucoup d'écritures ou de réfutations. Bien que sa très-haute majesté royale, sur les instances et les rapports de la très-excellente Gouvernante, eût gracieusement promis et assuré à tous les seigneurs et à la noblesse qui lui avaient remis une supplique tendant à l'abolition de la cruelle inquisition et des mandats d'exécution, que sous ce rapport ils n'avaient rien à craindre, il est néanmoins clair comme le jour, que maintenant sous la trop cruelle domination du duc d'Albe, en dépit, à la honte et au mépris des promesses et assurances formelles de sa majesté, des personnages distingués, qui s'étaient fiés entièrement et sans arrière-pensée aux paroles consolantes de sa majesté et de l'ex-gou- | |
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Ga naar margenoot+vernante, furent condamnées à une dure captivité, et leurs biens, comme ceux des émigrés, confisqués, sans aucune distinction de culte et contrairement à tous droits, ordonnances, usages et coutumes, principalement aux priviléges, contrats, obligations et libertés des Pays-Bas, dont sa majesté royale avait solennellement promis et juré le maintien. D'où l'on peut comprendre que ledit duc d'Albe non-seulement abuse des ordres de sa majesté, en les tournant au détriment et à la perte de ses fidèles pays et sujets; mais encore que ses fureurs et sa tyrannie sont évidemment contraires aux intentions de sa majesté, trop célèbre par sa douceur et sa bonté pour que de pareilles horreurs eussent jamais pu entrer dans son coeur et dans sa pensée; d'où il suit, en outre, que le duc d'Albe, poussé par son avidité et son caractère sanguinaire, exerce ces violences de son propos délibéré et contrairement aux obligations, assurances et sermens de sa majesté. Et les choses en sont venues au point qu'on n'épargne plus personne, de quelque religion, état ou condition que ce soit. Innocent ou coupable, pourvu que l'on ait de la fortune ou seulement quelque chose à perdre, on est menacé du plus grand péril. Je passerai sous silence les horreurs, les crimes, l'impudicité et l'insolence auxquels se livrent journellement les troupes du duc d'Albe, excès plus insupportables que la mort à tout homme d'honneur, qui les voit commettre sur les siens ou qui apprend qu'on les commet. J'ai toujours, autant qu'il était en mon pouvoir, pris vivement à coeur d'employer le temps de mon gouvernement et de mon âge mûr à propager et à augmenter l'autorité, la grandeur, la gloire et la puissance de sa majesté; de conserver à ses pays et à ses peuples la paix, le repos et la prospérité; je n'ai pas eu au monde un intérêt plus vif que d'en éloigner, autant qu'il m'était humainement possible, tout mauvais conseil, tout dommage et tort, ainsi que je l'ai prouvé et démontré, aux périls de mes biens et de ma vie. Néanmoins, sur une citation partiale et nulle, et sur une proclamation diffamatoire, en dépit des usages, priviléges, chartes et statuts du pays, on m'a accusé du crime de rebellion, come si j'avais visé à la suprématie et hauteur de sa majesté royale d'Espagne; et sans enquête légale, préalable et suffisante, on m'a, à l'exemple de tant d'autres innocens grands et | |
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Ga naar margenoot+petits, dépouillé arbitrairement de mes biens et de ma fortune, de mes pays et de mes gens, et on les a retenus, jusqu'à ce jour, en dépit de tous les droits naturels, spirituels et temporels, ainsi que de tous les décrets, ordonnances et statuts impériaux. Et cependant j'en atteste Dieu le tout-puissant, le salut et le bonhenr de mon âme; et, au moyen de ce très-humble Mémoire, je veux prouver devant votre Majesté Impériale qu'avec de si pénibles accusations on me fait tort et violence; que les choses qui me sont imputées par la haine et la méchanceté de mes adversaires, lesquels en agissent ainsi pour justifier leurs parjures, leur violences et leurs tyrannies, n'ont jamais été dans ma pensée, loin d'avoir été mises en oeuvre; et tant que je vivrai, elles n'entreront pas dans ma tête. C'est ce qui résulte déjà, sans préjudice de ma justification ultérieure, de ce que, pour écarter tout soupçon inique, j'ai volontairement résigné, rendu, risqué mon gouvernement de Hollande, Zélande et Utrecht; de ce que j'ai abandonné librement les villes, forts et châteaux que j'avais entre mes mains, et que, pour échapper à toute suspicion et accusation, je me suis rendu publiquement en Allemagne. Ce que je n'aurois certainement pas fait, si dans mon âme et conscience je n'eusse pas été tranquille; si dans mon amour de la vérité, je n'eusse pas prié avec de très-humbles instances qu'on interrogeât et examinât scrupuleusement tous les fonctionnaires et capitaines de ces villes, forts et châteaux, qui m'avaient été confiés dès le principe de mon gouvernement, afin de s'assurer si jamais j'ai fait auprès d'eux la moindre tentative d'évacuer, céder ou livrer, en mon intérêt particulier, quelque ville, fort ou château. Au contraire, le duc d'Albe et sa séquelle avide et tyrannique, qui sont les véritables rebelles et ennemis, non-seulement de sa majesté royale d'Espagne et de ses fidèles et soumis sujets et pays, mais encore de votre majesté impériale et de tout l'empire, n'ont eu d'autre but (comme d'ailleurs ils l'ont depuis longtemps résolu et pratiqué avec le cardinal de Granvelle) que de dépouiller les magnifiques Pays-Bas de leurs antiques libertés et priviléges; de réduire tout sous leur joug, de plonger le pays dans un éternel esclavage, de repousser et d'exclure du gouvernement et de la succession de ces peuples et de ces pays sa majesté royale et son cher fils, ainsi que votre majesté | |
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Ga naar margenoot+impériale et ses héritiers et hoirs légitimes; de régner eux-mêmes dans les Pays-Bas sans obstacle et selon leur bon plaisir; d'attaquer ensuite les états voisins; de les réduire un à un sous leur pouvoir et d'exercer sur eux leur tyrannie, comme déjà ils l'exercent. Tout cela résulte clairement et facilement des terribles exemples, des lamentables exécutions, des persécutions inouïes et tyranniques que le susdit d'Albe a fait éprouver à une foule de gens nobles et non nobles, innocens, bons et loyaux, le mieux intentionnés pour sa majesté royale d'Espagne; tout cela résulte encore de ce qu'il a, sans le moindre fondement, en partie chassé, en partie assassiné et massacré les principaux membres des états et chevaliers de la Toisond'Or, que sa majesté avait chargés du gouvernement des Pays-Bas; tout cela dans des projets criminels et afin que lui et sa bande rapace et sanguinaire, après avoir exterminé, extirpé et exécuté tous les seigneurs distingués qui voudraient les entraver dans leurs actions rebelles, destructives de la paix du pays et anti-chrétiennes, pussent parvenir plus vite au but qu'ils se sont proposé depuis longtemps, et qui tend à mettre les Pays-Bas dans leur dépendance, d'assurer le gouvernement à leur bon plaisir et à s'ériger en seigneurs et maîtres. Ce qui est du reste, surabondamment prouvé parce que, dans leur méchanceté, ils sont parvenus à incarcérer le fils unique de sa majesté, pour qu'il ne pût s'intéresser au sort des Pays-Bas que le duc d'Albe a si horriblement ravagés et ruinés, et n'opposer aucune résistance aux tentatives anti-chrétiennes dudit d'Albe et à sa rage impitoyable. Et pour montrer davantage encore ses projets hostiles et anti-chrétiens, il a fait enlever mon cher fils, le comte de Buren, malgré son jeune âge et son innocence d'enfant, il l'a fait emmener de Louvain, où je l'avais mis pour ses études, et pour qu'à l'avenir il pût être plus utile et plus propre au service de sa majesté. Il l'a ensuite fait emprisonner en Espagne, dans l'intention, sans doute, de me lier les mains et de m'empêcher à le paralyser d'autant moins dans son régime tyrannique. Offensé ainsi devant Dieu et le monde, j'avais tout motif légitime de m'entendre avec d'autres seigneurs et amis, et d'aviser aux moyens de nous opposer à la violence qui était faite à la paix, aux ordres et aux statuts du saint-Empire romain, ainsi qu'aux droits écrits du | |
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Ga naar margenoot+pays, et je le pouvais d'autant plus que la susdite paix du pays autorisait une défense chrétienne des lois violées; cependant pour prouver de plus en plus mes intentions pacifiques, et pour éviter tout trouble ultérieur, j'ai préféré souffrir pendant quelque temps et regarder avec patience les plus horribles violences, plutôt que de trancher dans le vif et de recourir à la résistance, dans le consolant espoir que cette pénible affaire serait arrangée d'une manière digne et supportable par la très-gracieuse intercession et négociation de votre majesté, ou que du moins, en vertu de la paix publique de votre majesté et du saint-Empire romain, ainsi que de ses ordonnances d'exécution, il serait mis un terme aux actes de violence exercés par le duc d'Albe contre moi et d'autres personnes de haut et bas rang. Je trouve au contraire, très gracieux Seigneur, non sans inquiétude, que la tyrannie et les persécutions susmentionnées, loin d'être empêchées ou arrêtées le moins du monde, s'accroissent de jour en jour, et de plus en plus, tellement qu'on ne saurait les dépeindre, ni par la plume, ni par la parole, comme étant chose inouïe en Allemagne. Or le dit d'Albe, non content d'avoir fait depuis son arrivée dans les Pays-Bas, de la manière la plus horrible, en public et en secret, décapiter, martyriser, vexer, tourmenter, plonger dans la misère quelques milliers de personnes, non-seulement de la religion, mais encore d'autres; il a encore, pour montrer davantage son coeur féroce, fait confisquer, le 2 juin dernier, les biens de soixante nobles et autres riches bourgeois et marchands de Bruxelles et un grand nombre d'habitans d'autres villes, et les a fait périr sans motif légal, de la manière la plus cruelle. De même, comme votre majesté en aura été informée, le dit duc, insatiable dans ses vengeances, a le cinq juin, sans procès préalable et contrairement à toutes lois naturelles et divines et à tous les droits, décrets, ordonnances et statuts de l'Empire, fait exécuter par le glaive, de la manière la plus tyrannique et la plus sanglante, les ducs, comtes et chevaliers, comte d'Egmont et comte de Horn, qui avaient, comme tout le monde sait, mis leur fortune et leur existence au service de l'empereur Charles et de sa majesté royale d'Espagne, et, pour plus grande honte des seigneurs exécutés et de leur respectable famille, il a fait hisser, pendant des heures leurs têtes sur des perches ou fourches; et | |
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Ga naar margenoot+après leur exécution, il a fait arrêter encore un grand nombre de personnes. Ces fureurs, ces cruautés, ces persécutions inouïes chez tous les peuples ont répandu une telle terreur que, dans un court espace de temps, plusieurs milliers de personnes ont quitté le pays, même quelques-uns des principaux papistes, attendu que cette tyrannie est dirigée contre plusieurs, sans distinction de religion. Et le susdit d'Albe a fait entendre publiquement qu'il nous ferait chercher, moi et tous ceux qui sont échappés à sa tyrannie, dans l'Empire et partout, autant qu'il était en son pouvoir, ouvertement et en secret, et jusque dans nos lits, ainsi qu'il m'en parvient tous les jours des avis et des avertissemens. Les actes de violence sus-énumérés, ces actes anti-chrétiens et destructifs de la paix publique pourront maintenant prouver à votre majesté, vers quel but sont dirigés les sentimens et les intentions du duc d'Albe et de sa horde cupide et sanguinaire; ils ne veulent rien moins que nous égorger, détruire, exterminer, moi et tous les seigneurs et états qui seraient tentés de mettre quelque entrave à leurs iniques projets: et ensuite traiter le reste de la noblesse, les bourgeois et les marchands, comme des esclaves achetés, comme des valets et des serfs-de-corps. Ils veulent établir dans les pays dont s'agit, un régime intolérable, afin de réduire un jour sous le joug ignominieux les principautés et les villes avoisinantes; ils veulent supprimer, casser, anéantir de fond en comble toute bonne police, ordonnances, libertés, privilèges, droits et coutumes, gouverner le pays selon leurs caprices et pétulance, et le plonger dans la dernière misère et servitude, ainsi qu'ils l'ont déjà fait; ils veulent, avec le temps, déraciner la vraie religion, non-seulement dans les Pays-Bas, mais encore dans notre chère patrie de la nation allemande; ils veulent enfin dépouiller entièrement sa majesté royale d'Espagne et son cher fils de son gouvernement et possession, et priver votre majesté impériale et ses héritiers des droits légitimes qu'ils ont à la succession des magnifiques Pays-Bas, et introduire ensuite leur tyrannie et horribles violences (ce que Dieu prévienne!) dans les états du saint-Empire romain; et ce qui arriverait infailliblement, si l'on restait spectateur paisible de | |
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Ga naar margenoot+leur outre-cuidance et si on ne prévenait à temps leurs funestes desseins....Ga naar voetnoot(1) Je suis sûr néanmoins que ma conduite toute chrétienne et toute légale, dans cette occurrence, sera interprétée avec malveillance, comme si je voulais m'opposer, en criminel et en rebelle, à la majesté royale d'Espagne, mon très-gracieux seigneur; comme si je voulais refuser à sa majesté et à ses successeurs et héritiers légitimes le respect et la soumission que je leur dois, m'élever plus qu'il me convient et oser m'ériger en maître. Mais je prends Dieu à témoin que jamais pareille pensée n'est entrée dans mon coeur, et qu'en faisant cette légitime défense, je n'ai d'autre but que d'assurer l'honneur de Dieu, d'établir le libre exercice de la religion, de rendre au pays et aux sujets de sa majesté leur ancienne splendeur et prospérité, de leur conserver les sentimens d'obéissance qu'ils doivent à sa majesté et à ses successeurs, à qui seuls ces pays appartiennent de droit, de les préserver de l'inexprimable tyrannie et des persécutions du duc d'Albe, de les délivrer des troupes étrangères, de leur rendre leurs libertés, coutumes et priviléges, que sa majesté a juré elle-même, de restituer aux pauvres chrétiens expulsés leurs libertés et leurs biens, et à moi-même mes dignités et ma fortune, ainsi que mon cher fils, de me garantir enfin la vie sauve. Si l'on me donne tous mes appaisemens à cet égard, je déclare, en toute humilité, devant votre majesté impériale, de renoncer à toute défense et résistance, et prouver, par des faits, que je n'ai jamais eu d'autre dessein que d'assurer l'honneur de Dieu et la prospérité présente et future des sujets et des pays de sa majesté...Ga naar voetnoot(2) Donné à Dillenbourg, le 12 août 1568. Guillaume, Prince d'Orange. |
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