Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Supplément
(1847)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij
[pagina V]
| |
[Préface]Nous désirons, dans cet Avant-Propos, donner une exposition succincte de ce que le Supplément renferme; ensuite rendre compte des motifs, pour lesquels nous n'avons pas réuni un plus grand nombre de matériaux.
Il y a ici des pièces inédites des Archives de la Maison d'Orange-Nassau et de celles de Hesse-Cassel; puis un assez grand nombre de fragments des Manuscrits de la Bibliothèque Royale à Paris et de la Correspondance de Granvelle à Besançon. | |
[pagina VI]
| |
Les documents de La Haye et de Cassel fournissent sur le Prince d'Orange et sa famille des détails curieux. Une Lettre du Comte Louis de Nassau fait voir que déjà en 1563, inquiet de la tournure des affaires dans les Pays-Bas, prévoyant et voyant les menées en faveur du Papisme, il offroit à son frère les moyens ‘d'avoir tousjours une bonne quantité de gens de guerre à la main, sans aulcun soupçon’ (p. 15*); lui rappelant ‘qu'il ne se fault jamais fier à gens de longue robe; ce qu'ilx cerchent et prétendent sçavés et entendés vous mieulx que ne vous sçaurois dire’ (l.l.).Ga naar voetnoot1 Il n'étoit pas Calviniste alors; bien au contraire; il vouloit qu'on pût communiquer l'original de la Confession d'Augsbourg au Comte Palatin, ‘affin que par là il puisse cognoistre quel grand scandale qu'il donne avecques sa faulse opinion à toute la Crestienté’ (p. 20*). Une des pièces les plus importantes est la communication du Comte au Landgrave Philippe de Hesse en 1567. Il y expose les mesures violentes et la mauvaise foi de la Duchesse de Parme; ses desseins de | |
[pagina VII]
| |
réduire le pays en servitude et d'extirper la religion Evangélique; les perplexités du Prince d'Orange, ne refusant pas de quitter les Pays-Bas, craignant néanmoins que son départ, dans des circonstances pareilles, ne puisse être assimilé à une fuite coupable et à un lâche abandon; sachant qu'on est tenu d'obéir au pouvoir légitime, mais sachant aussi que le motif et les bornes de cette obéissance se trouvent dans la volonté de Celui dont tout pouvoir émane et qui veut qu'on tende une main secourable à des frères persécutés pour la foi. Le Comte fait part au Landgrave des conseils du Duc de Brunswick et de l'Électeur de Saxe; il demande son avis; il n'oublie pas de lui fournir une espèce de catalogue des forces que le Prince, le cas échéant, auroit à sa disposition: de l'argent, des soldats, l'appui des Calvinistes quatre fois plus nombreux que les Luthériens, le gouvernement de provinces admirablement situées pour résister longtemps à des ennemis nombreux. On pouvoit compter sur 52 villes où les adhérents de Rome seroient immédiatement exclus des affaires; en Angleterre et en France, on avoit des amis; on savoit en outre que l'Empereur Maximilien, très-mauvais papiste, lanceroit peutêtre des mandements fort sévères, mais ne seroit pas fort ardent à en presser l'exécution. | |
[pagina VIII]
| |
On remarquera aussi la Lettre où le Prince s'étant réfugié en Allemagne, le Comte tâche de lui procurer, par l'entremise du Landgrave, un prédicateur vraiment Évangélique. Il le fait ‘principalement pour l'amour de Madame la Princesse’ (p. 65*); en même temps, il rend témoignage au Prince, qui ‘s'affectionne de plus en plus à la Parole de Dieu, y cherche sa consolation, et languit d'avoir auprès de lui un homme qui puisse aussi dans la conversation journalière l'instruire dans la vérité’ (p. 64*). Quelques Lettres du Prince d'Orange au Landgrave Guillaume de Hesse sont fort intéressantes. Il y en a une, écrite après la défaite du Comte Louis en 1568. Le Prince en déduit-il la nécessité d'abandonner pour le moment son entreprise? Au contraire: ‘il samble,’ écrit-il, ‘que chacun est tant plus obligé de se emforcer à refréner une si grande tyrannie, dont sans faute les mêmes useront maintenant davantaige, à cause de ceste victoire’ (p. 89*). Ici encore il avoit, diroit-on, pris pour maxime: Tu contra audentior ito quam tua te fortuna sinet: il redoubloit de zèle, en voyant doubler les périls. - Il s'agit surtout dans ces Lettres de la cause des Réformés en France, implorant le secours de leurs coreligionnaires en Allemagne. Les Princes Évangéliques, pour ne | |
[pagina IX]
| |
pas s'attirer la haine d'ennemis puissants, supposoient volontiers qu'au fond les troubles en France provenoient moins d'opinions religieuses que d'opinions politiques. Le Prince désire qu'ils pèsent consciencieusement les conséquences d'un refus basé sur des considérations de ce genre. ‘Il est à craindre, si les dicts princes fissiont seulement semblant de ne trouver bon ce qui se passe en France, qu'i donneriont ung pied et audace aux ennemis de l'Évangile de entreprendre quelque chose qui porroit redonder après à intérest de plusieurs et peult-estre à l'entier ruine de nostre religion’ (p. 67*). Il désapprouve que Condé et ses amis aient mêlés, dans leur Justification, aux griefs légitimes, ‘une particulière envie qu'ilz ont contre la Maison de Guise et gouvernement de la Royne-mère’ (p. 69*); mais ce n'est pas là une raison suffisante pour ‘se retirer de leur donner aide et assistence; veu qu'il importe tant à toutte la Crestienté que la religion ne soit de tout soupprimé en France, et ne vois pourquoy l'on debvroit plus tost interprèter cessi à rebellion que du passé, quand les Princes ne trouvoient pas seullement bon qu'ilz aviont prins les armes, mais leur aidoient, et d'argent, et de gens’ (p. 70*). Il faudra bien plutôt ‘prendre regard si ce faict de France ou du Pays-Bas | |
[pagina X]
| |
est ung faict de rebellion ou de religion, et ainsi commun à tous ceulx qui font profession de la religion; car, si longement que ceste dispute ne soit diffinie, jammais les affaires se porront traicter à quelque bon but; car vostre Exce voit que, en touts commencemens de faict de religion, ce point de rebellion a toujours esté imposé, qui a esté cause que une partie soit bendée de l'ung costé et l'aultre de l'aultre, mesmes entre ceulx d'une mesme religion, comme l'on voit encoires aujourduy qu'il se practique, qui a esté cause de tant de maulx et calamités qui sont ensuivis’ (p. 71*). La fausseté du reproche de rebellion est confirmée, quant aux Pays-Bas, par le témoignage du Landgrave Guillaume: ‘nous voyons, malgré tout ce qu'on voudroit faire accroire, que les Seigneurs des Pays-Bas souffrent surtout pour la Religion cette persécution violente’ (p. 133*). C'est pourquoi, malgré sa prudence accoutumée (No 23), et quoiqu'il ne veuille pas les soutenir contre le Souverain, il déclare au Duc de Holstein, voué au service de Philippe II, que, quant à lui, il ‘ne se souillera point du sang des Chrétiens, attentif à la parole de Celui qui ne sauroit mentir, et qui a dit: quiconque fait du mal au plus petit d'entre les miens, touche la prunelle de mon oeuil’ (p. 133*). | |
[pagina XI]
| |
Ici encore on voit dans les Lettres du Comte Jean de Nassau l'originalité de son style et de ses remarques. Par exemple, donnant à entendre qu'il se défie de l'Électeur de Cologne et d'autres personnages, auxquels il falloit néanmoins avoir recours; ‘nous devons imiter les abeilles,’ dit-il ‘et parfois tirer le miel de fleurs vénéneuses, laissant ce qui est mauvais, et prenant ce qui est bon’ (p. 150*). Mais on lira surtout avec plaisir un Postscriptum autographe et tout-à-fait confidentiel, relatif aux conditions auxquelles il pourroit se résoudre à accepter le gouvernement de la Gueldre: ‘mon cher secrétaire; ayez soin qu'on ne méconnoisse pas mes intentions, comme si je me défiois du pays, ou comme si je voulois m'enrichir à ses dépens. Non seulement mes circonstances, mais aussi mon caractère et ma nature vous sont suffisamment connus, pour que vous puissiez facilement me rendre témoignage et dire si je recherche avec tant d'ardeur mon intérêt particulier et si jusqu'à présent, j'ai eu plus de souci de mes affaires privées que des affaires publiques et surtout du bien-être des Pays-Bas; mais tous mes voisins et amis détestent cette entreprise, et, pour les contenter, ou du moins pour leur imposer silence et ne pas être décrié comme me perdant de propos délibéré | |
[pagina XII]
| |
avec ma Famille, il faut que je leur montre quelque chose d'assuré et de positif; afin qu'ils me déconseillent moins vivement la chose, et ne s'indignent pas de l'ingratitude des États, comme de gens qui veulent m'entraîner jusqu'à la fin dans une ruine complète’ (p. 209*, sv.). Six Lettres de la Comtesse Julienne de Nassau au Prince d'Orange respirent sa pieté fervente et son tendre amour maternel. - En 1573, à l'époque du siège de Haarlem, elle lui écrit: ‘Avec quelle joie j'ai reçu votre écriture et appris de vos nouvelles! Le Seigneur vous soit en aide dans les grandes affaires que vous avez sur les bras; à Lui est donnée toute puissance dans le Ciel et sur la terre... Jamais il n'abandonnera ceux qui se confient en Lui... Je prie Dieu qu'il veuille fortifier aussi les braves gens de Haarlem;... mon coeur de mère est toujours auprès de vous’ (p. 138*). Ayant peut-être appris les négociations avec la France: ‘Mon très-cher fils,... que Dieu vous accorde des conseillers fidèles qui ne vous engagent à rien de nuisible au corps ou à l'âme.... Je vous supplie de ne pas avoir recours, dans vos difficultés, à des moyens contraires à la volonté de Dieu; car le Seigneur peut aider, lorsque tout secours humain est épuisé, et Il ne délaissera jamais les siens’ (p. 139*). | |
[pagina XIII]
| |
En 1574, après un succès considérable, rapportant tout à la faveur de l'Éternel: ‘Je vous félicite de la grande victoire que le Seigneur, dans Sa grâce miraculeuse, vous a donnée’ (p. 152*). Après la perte de ses deux fils au Mookerhei, au milieu des angoisses d'un coeur brisé, se résignant à la volonté toujours bonne et parfaite de Celui qui fait concourir toutes choses en bien à ceux qui Le craignent: ‘En vérité je suis une pauvre et misérable femme; je ne saurois être délivrée de ma douleur, avant que le bon Dieu ne me retire de cette vallée de larmes; j'espère et je prie de coeur que ce soit bientôt. Vous m'écrivez que rien n'arrive sans la volonté de Dieu; que par conséquent il faut porter patiemment ce que le Seigneur nous envoye; je sais tout cela, et que c'est notre devoir, mais les hommes restent des hommes et ne peuvent le faire sans Son secours. Puisse-t-Il nous accorder Son Esprit, pour nous faire accepter Ses dispensations et trouver notre consolation dans Sa miséricorde.... Je ne vous retiendrai pas plus longtemps par ma lettre; mais je persévérerai, autant que Dieu m'en fera la grâce, en priant pour vous’ (p. 168*). En 1575, lorsque la cause de la religion dans les Pays-Bas sembloit désespérée: ‘Humainement parlant, il vous sera en effet difficile, étant dénué de tout | |
[pagina XIV]
| |
secours, de résister à la longue à une si grande puissance; mais n'oubliez pas que le Tout-Puissant vous a délivré jusqu'à maintenant de tant de grands périls: tout Lui est possible; sans Lui rien ne peut se faire. Je prie le Dieu de toute miséricorde de vous faire la grâce de ne pas perdre courage dans vos nombreuses afflictions, mais d'attendre avec patience Son secours, et de ne rien entreprendre qui soit contre Sa Parole et Sa volonté, et qui puisse nuire au salut de votre âme’ (p. 177*). ‘Le Seigneur vous soit en aide et en consolation dans toutes vos affaires et dans vos graves soucis; de même que jusqu'à ce jour Il vous a sauvé de la violence et des menées de l'ennemi’ (p. 181*). - A l'incrédulité ou au formalisme, qui n'a de Chrétien que le nom, de tels passages doivent paroître fades et insipides: mais nous sommes persuadé que le Prince, en lisant ces paroles aura souvent répété avec ferveur les mots de l'Écriture: ‘tourne Toi vers moi, et aie pitié de moi; donne Ta force à Ton serviteur, délivre le fils de Ta servante.’ Nous leur attribuons même une importance historique; sachant que la prière du juste a une grande efficace, que les supplications des fidèles trouvent accès auprès du Dieu des armées, que Lui même est leur aide et leur bouclier, leur forteresse et leur libérateur, leur | |
[pagina XV]
| |
haute retraite, qui sauve le peuple affligé et abaisse les yeux hautains. La mère de Guillaume Premier nous semble occuper une place parmi ceux qui, avec des armes plus terribles que la lance et l'épée, se sont montrés forts dans la bataille. Elle vécut et mourut presqu'ignorée, souvent au milieu des épreuves et de la douleur; mais Celui qui regarde aux humbles, avoit fait de cette pauvre et misérable femme (ci-dessus p. xiii) une héroïne de la foi.
Le second genre de documents appartient à des Collections qui déjà se publient ou dont il est permis d'espérer la publication. On ne sera donc pas surpris que nous ayons transcrit des fragments détachés: ici en effet nous pouvions en toute sécurité morceler les documents; agir contre notre habitude, sans déroger à notre principe.Ga naar voetnoot1 Mais on trouvera peut-être que, puisque la publication des documents de Besançon, se poursuit avec vigueur, l'impression de nos extraits devient un travail superflu. Nous avons au contraire, malgré la certitude que la presque totalité des Manuscrits de Granvelle verra le jour, cru devoir recueillir, afin de mettre en regard les contrastes, quelques passages saillants d'une Correspondance, où le | |
[pagina XVI]
| |
portrait de nos amis est tracé de la main et coloré par le pinceau de nos antagonistes.Ga naar voetnoot1
Pour apprécier les intentions et les actes de Granvelle, on fera bien de méditer ce qu'il écrit à Morillon: ‘Ce seroit à mon grand regret que tout cela entra au pays, pour la grande ruyne que cela causeroit et n'y vouldrois veoir tant d'estrangiers, ny qu'i succéda ce que aulcuns pcrsuadent par delà pour commouvoir les subjetz, sed multi ad fatum venere suum dum fata timent, et l'on ne procède pas par le chemin que conviendroit pour réparer contre le mal. Combien de fois m'avez-vous ouy dire, moy estant là, que s'ilz voulloient tenir intelligence avec moy pour soustenir la liberté du pays et les privilèges, je y mettrois la propre vie mieulx et plus volontiers que [pièce] d'eulx; dois icy je ne puis ce quc en présence, et ne me semble qu'ils ont pris le chemin que convenoit pour | |
[pagina XVII]
| |
exclure les Espaignolz des affaires de pardelà’ (p. 43*). De même sa Lettre à Belin, où il réprime l'ardeur juvénile de ‘monsieur l'avocat,’ qui, dans le sentiment un peu trop vif de sa haute capacité, se sentoit poussé à régenter l'univers: ‘employez vous doulcement et promptement en ce que l'on vous mectra en main; si l'on y change, ou que l'on ne suyve vostre advis, ne soyez contentieux et passez oultre allégrement; vous êtes là pour ayder, et non pas pour avoir charge de gouvernement général: à ceulx qu'embrassent plus d'auctorité, imputera l'on la faulte, si les choses ne vont bien’ (p. 79*). Surtout aussi les lignes où il s'en rapporte au jugement de Morillon: ‘vous sçavez si mes opinions ont esté sanguinaires ou doulces, et combien j'ai procuré le repos et seurté du pays, et en si long temps avez pu cognoistre mes entrailles, et si je suis ny ambitieux, ny vindicatif, ou tel que ces malheureux me veuillent peindre;’ (p. 114*). Philippe II écrit à l'Empereur Maximilien: ‘Quant à ce que me conseillez de suivre la doulceur,.. non seulement dès maintenant je suis délibéré d'ensuivre en ce vostre bon et saige conseil et advis, autant qu'il sera possible, mais aussi auparavant, suivant mon naturel tant cogneu par tout le monde en toutes | |
[pagina XVIII]
| |
mes actions précédentes: mon intention ne fut jamais autre’ (p. 46*). Nous ne voulons pas préjuger la sentence définitive sur le caractère du Duc d'Albe, mais dans les Lettres de Morillon il y a deux passages qui, en tout cas, feront désormais partie des pièces du procès. Le premier lui fait honneur: ‘le Duc a dit que la maladie qu'il avoit eu, estoit procédée du respect qu'il avoit prins du commandement que luy avoit faict S.M. si exprès d'exécuter la sentence des Seigneurs, et qu'il avoit procuré de tout son pouvoir la mitigation, mais que l'on avoit répondu que, si il n'y eut esté aultre offence que celle qui touchoit S.M., le pardon fut esté facille, mais qu'elle ne pouvoit remectre l'offense faicte si grande à Dieu, et j'entendz d'aucuns que son Exc. at jecté des larmes aussi grosses que poix au temps que l'on estoit sur ces exécutions’ (p. 81*). Le second passage est défavorable: ‘J'espère que sous le Duc de Medina-Céli les affections du peuple retourneront; ce que ne se fera jamais soubs Albe, estant-il trop abhorré et réputé pour un homme qui n'a ny foy ny loy, et certes il ne fault espérer rien de bien de luy; la présomption et l'orgueil est trop grand. Il ne veult croire aulcun conseil’ (p. 113*). La politique du Duc de Médina-Céli contrastoit | |
[pagina XIX]
| |
avantageusement avec le régime de terreur et de sang. ‘Il dit qu'on avoit fort mal fait de bannir tant de gens, et de ainsi enaigrir les villes.. et que, si quelcun trouvat ses propres moutons pasturans ses bledz verds, que s'il les blessoit ou tuoit, il perdoit ses bleds et ses moutons, qu'estoit une similitude bien apte et que je ouyz fort volontiers’ (p. 114*). La cruauté n'avoit servi de rien; au contraire, ‘Mme de Parme, ayant laissé ces États paisibles aux mains du Duc d'Albe, rien ne s'est ému que après que le Conseil des troubles commença à troubler tout’ (p. 117*). Il y a plusieurs particularités sur les rapports entre le Prince d'Orange et le Comte d'Egmond. En 1564, ‘quoy qu'ils se caressent, touteffois l'on s'apperçoit que c'est simulation’ (p. 22*). Plus tard le Prince ‘ne vouloit ouïr parler de lui, ni se trouver là où il sera, l'aiant ainsi trompé, abusé et abandonné’ (p. 43*); car il ‘avoit rompu avec Granvelle et Berlaymont à regret, à la persuasion de Egmont, qui luy dit qu'il ne falloit préférer le particulier au public’ (p. 49*). Il est curieux de comparer les on-dits et les opinions sur les desseins et le caractère du Prince, avec la réalité de sa vie et le témoignage de ses actions. Léoninus avoit raconté à Morillon qu'il étoit ‘misérable et que ses gens luy commandent plus tost que luy à | |
[pagina XX]
| |
eulx, et qu'il s'advança de luy dire que à la longue il ne se polroit soubstenir, et qu'il luy confessa que cela sçavoit-il bien, et que, s'il polroit obtenir la grâce de son Roy et du pape, qu'ils se mectroit à deux genoulx pour recepvoir tous leurs commandementz; et, ad ce que je veoidz, il se feroit catholicque pour ravoir son bien’ (p. 116*). Le Seigneur de Champagny ne doute guères, encore en 1572, qu'on ne puisse séduire le Prince et ôter le chef à la faction, en rendant son bien à son fils par quelque moyen honnête: il est d'opinion que ‘le père se rangeroit, selon son naturel craintif et peu ami de hazard, avec ce qu'il doit être maté des travaux passés’ (p. 118*). Certes le Prince ne laissoit, autant que possible, rien au hazard; mais il ne craignoit point, malgré ce naturel craintif, de repousser des conditions avantageuses pour lui-même, et de sacrifier ses biens et sa vie au salut commun; au milieu de travaux, de périls, et de revers qui devoient l'abattre, il puisoit de nouvelles forces dans le sentiment de sa mission et dans une confiance inébranlable en l'Éternel. Nous enregistrons donc ces insinuations calomnieuses, en nous rappelant que sa vie en fut le perpétuel et éclatant démenti. - Les prophéties de ses ennemis ne s'accomplissoient pas d'une manière exacte. C'est ainsi que, sur un faux rapport de la | |
[pagina XXI]
| |
mort du Comte Louis de Nassau, en 1572, on écrit à Granvelle: ‘il ne faut plus avoir peur du Prince; sa vaillance est abolie avec celle de son frère; il a démontré son petit coeur; il s'en est retourné avec honte; il n'a fait que piller le pays et animer contre lui ceux qui lui portoient quelque bonne volonté; il n'aura jamais le moyen de retourner; sa vie ne sera longue, car il est fort abattu et triste’ (p. 115*). Il est vrai qu'à peu près simultanément Morillon écrivoit au Cardinal: ‘j'ay opinion que, tant que le Prince vivra, il ne manquera pas de nous faire des venues, toutes les fois que l'occasion se donnera’ (p. 116*). Le Comte Louis de Nassau étoit particulièrement à charge aux ennemis des vérités de l'Évangile et des libertés de la nation. On craignoit que son ascendant sur le Prince ‘ne menât celui-ci à la Confession d'Augsbourg’ (p. 44*); on l'accusoit d'avoir fait grand mal en la Religion (l.l.). Le Roi se plaignoit de ses pratiques malicieuses, injustes, indues et dangereuses et de ce qu'il venoit se mêler des affaires des Pays-Bas, qui ne le touchoient en aucune façon (p. 46*). Au reste, dès qu'on le crut mort, on rendit justice à sa valeur et à ses talents militaires: ‘l'on tient pour certain que le Comte Ludovic est mort, qu'est un grand bien, car tant qu'il eusse véeu, n'eusse faict | |
[pagina XXII]
| |
que guerroyer, pour être adonné à cela; ayant été estimé par les François qu'estoient à Mons, le meilleur soldat et capitaine qu'ils ont jamais connu’ (p. 115*). Nous renvoyons au Supplément même, pour plus de détails. - Les extraits de la Correspondance du Roi de France avec ses ministres en Allemagne et en Espagne sont riches aussi en traits remarquables, surtout sur le revirement de sa politique, et son rapprochement subit de Philippe II, produit et scellé par le plus détestable massacre. Nous n'analyserons pas ces fragments curieux, nous bornant à une seule citation, relative au fanatisme du Roi soi-disant Catholique; passage qu'on ne sauroit lire sans frissonner. Il s'agit de la manière dont on reçut à Madrid la nouvelle de la St. Barthélemy et de la première entrevue du Roi avec l'Ambassadeur de France après l'arrivée du courrier. ‘Ayant le Roy ceste nouvelle, il a monstré contre son naturel et coustume tant d'allégrie, qu'il la faict plus manifeste que de toutes les bonnes advantures et fortunes qui luy vindrent jamais, aiant apelé ses familiers pour leur dire qu'il cognoissoit que vostre Majesté estoit son bon frère, et qu'il voioit qu'il n'y avoit au monde qui en méritast le tiltre de très-Chrestien qu'Elle.... Quand je fus arrivé auprès | |
[pagina XXIII]
| |
de luy, il se prist à rire, et avecques démonstration d'un extresme plaisir et contantement, il me commança à louer vostre Maté du tiltre de très-Chrétien, me disant qu'il n'y avoit Roy qui se peult faire son compaignon, ni an valeur ni en prudance. Premièrement louant la résolution prise et la longue dissimulation de si grande entreprise, n'estant tout le monde ensemble capable de la pouvoir comprendre, l'aiant mise si à propos et contre toutes aparences et espérances.... Dieu l'avoit voullu faire protecteur de la Chrestienté et rampart contre les misères signifiées par tant de conspirateurs tirans, lesquels s'estoient élevez contre les Roys qui deffendoient Son honneur et Sa loy avecques les Estats desquels il les a faicts gardiens. Je luy dits, Sire, que je louois et remerciois Dieu et me réjouissois avecques luy’ (p. 125*, sv.).
Ce Supplément est peu de chose, en comparaison de ce que nous imaginions un jour qu'il pourroit devenir. Nous nourrissions de vagues espérances de réunir, en persévérant dans nos recherches, presque toutes les pièces inédites se rapportant à Guillaume I. Dès longtemps nous sommes désabusé de toute illusion | |
[pagina XXIV]
| |
pareille. La tâche spéciale qui nous est dévolue, ne s'étoit pas montrée à nous dans toute l'étendue de ses devoirs et de ses difficultés. En outre on ne connoissoit pas, il y a quelques années, on ne soupçonnoit pas même l'immensité des trésors, dont l'existence nous a été révélée depuis par le zèle infatigable des savants dans des pays divers. L'imagination est confondue quand on songe, d'après les notions que nous avons maintenant acquises, à ce qui se trouve encore dans un grand nombre de dépôts publics dont le dépouillement scientifique est à peine commencé. Nous n'en voulons pour exemple que les Archives des Affaires Etrangères à Paris, où, en parcourant la Correspondance de Hollande, nous avons pu nous former une idée de la masse des matériaux historiques que la diplomatie si active et si universelle d'un pays comme la France, durant plus de deux siècles, doit y avoir accumulés. Probablement les Archives de Londres et surtout celles de Vienne ne sont pas moins considérables. Et si, retrécissant l'horizon de nos recherches, nous regardons uniquement à la lutte religieuse, dont le Prince d'Orange fut sans contredit le plus illustre héros, nous verrons néanmoins apparoître incessamment une multitude de documents, qui dépasse toutes nos prévisions et tous nos calculs. | |
[pagina XXV]
| |
On peut apprécier déjà, par la publication de M. Weiss, la valeur des papiers Granvelle. Les indications de M. Ranke font souvent entrevoir la multiplicité des correspondances intimes, ensevelies encore dans les Archives des Maisons Princières en Allemagne. M. Gachard doit avoir rapporté de ses voyages en Espagne un nombre prodigieux de Lettres du plus haut intérêt. Ses renseignements et ceux de M. Ranke sur les dépôts de la Belgique, promettent là aussi une large moisson, et la Correspondance de Charlesquint par M. Lanz est venu montrer, par une preuve irrécusable, qu'il n'y a rien d'exagéré dans leurs rapports. Il est à présumer que l'ouvrage sur la Réforme par M. Mignet nous fera bientôt connoître en France aussi de nouvelles sources longtemps intarissables. L'aspect de tant de collections gigantesques, si nous regardons à nos forces individuelles, décourage, abat, écrase. Pour vaincre la difficulté, le seul moyen est dans l'unité des tendances jointe à la division du travail. Que chacun reste à son poste; que chacun défriche son terrain; ainsi, par l'ardeur des efforts particuliers, on avancera vers le but commun. Pour nous, ne pouvant accomplir qu'une portion minime de notre tâche, nous sommes disposé bien plus à nous décharger d'une partie considérable de notre | |
[pagina XXVI]
| |
fardeau qu'à faire dorénavant des incursions quelconques sur un territoire étranger.
Nous n'avons pas joint aux pièces du Supplément des remarques. A cet effet nous aurions dû en quelque sorte recommencer le labeur de huit volumes. En outre les réflexions que nous venons de faire ont également ici leur application. Nous apprenons, en avançant dans la vie, à rétrécir, selon la mesure de nos forces, l'étendue de nos désirs et le cercle de nos projets. Nous avons aspiré d'abord à rédiger une espèce de commentaire perpétuel; nous avons approfondi souvent les questions que les documents faisoient naître, nous nous sommes occupé des problêmes dont ils devoient rendre la solution plus facile; nous ne reculions pas devant l'idée d'écrire l'histoire par la contexture de Lettres intéressantes dont nos observations formeroient, pour ainsi dire, le fil. Peut-être ne faut-il pas nous en faire un reproche. Car enfin il ne suffit pas de produire les Lettres; il faut souvent les expliquer; et le genre de connoissances nécessaire au premier travail étant également indispensable pour s'acquitter convenablement du second, on ne sauroit blâmer ceux qui tâchent de satisfaire à cette double mission. Toutefois le devoir le | |
[pagina XXVII]
| |
plus important des personnes qui ont accès aux sources, est de les faire couler; vouloir trop faire ou vouoir tout faire est le sûr moyen de succomber à la peine, de faire peu ou de ne faire rien. Travailleurs à qui l'obligation est imposée de pénétrer dans les profondeurs des terrains historiques, nous ne pouvons nous flatter de mettre en oeuvre et de révêtir d'une forme durable les matières que nous extrayons du sol; fouillons patiemment la mine; on sera toujours à temps pour faire passer l'or au creuset. Commençons par sauver du naufrage tant de précieux restes; remettons en lumière ce qui avoit disparu dans la nuit des générations passées. Nous ferons ainsi ce qui appartient à une époque où les progrès de la science historique transforment, avec une étonnante célérité, même les évènements et les hommes, sur lesquels on croyoit depuis longtemps avoir porté un jugement irrévocable. Nous ne nous laisserons point séduire par le désir de consigner dans de pompeuses histoires des résultats soi-disant définitifs; sachant que c'est une oeuvre prématurée, impossible à réaliser, et qui doit aboutir à la déplorable alternative d'abattre des constructions inachevées, ou de trahir la vérité, en faisant entrer de force des matériaux hétérogènes dans le plan qu'on s'étoit tracé et que, malgré son insuffisance, on | |
[pagina XXVIII]
| |
ne veut point abandonner. Nous préparerons obscurément la voie où d'autres entreront après nous pour se rendre illustres; nous trouverons notre encouragement et notre récompense dans le sentiment du devoir, dans les douceurs du travail, et, s'il faut plus encore, dans la pensée qu'on a besoin des fondements qui se cachent modestement sous terre pour construire un jour le dôme qui s'élèvera majestueusement vers le Ciel. |
|