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† Lettre MXXXVII.
Le Prince d'Orange aux Quatre-Membres de Flandre. Affaires militaires (MS. G., o. br. k. 1581).
*** En Flandre les autorités civiles, voulant se mêler de la direction de la guerre, faisoient du mal par leur ignorance et leur témérité (T. VI. p. 608 et ci-dessus p 27). Le Prince le leur fait sentir, tout en ménageaut, autant que possible, la susceptibilité extrême de ces messieurs.
Messieurs. J'ay veu la copie de la lettre que vouz avez escript à Monsieur de VilersGa naar voetnoot(1), et esté bien joyeulx d'entendre par icelle la bonne résolution que je voy que vous prennez, et la bonne diligence qu'usez à advancer les affaires et furnir aux nécessitez du camp et des exploictz de la guerre; ne faisant nul doubte que, si vous continuez en ce train, comme je m'asseure que ferez, qu'avecq la grâce de Dieu nous verrons bientost, non seullement ces chastellenies en particulier dont vostre ditte lettre faict mention, mais aussi tout le pays délivré des foulles et oppressions des ennemis et des calamités de ceste guerre présente; singulièrement, si vous accompaignez ceste bonne volunté et résolution d'un bon ordre et de meur
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Ga naar margenoot+et bon conseil. Quant au poinct principal touchant l'entreprinse de Pont-Rouard, je ne puis sinon grandement louer vostre bonne intention, et trouve les raisons par vous alleguées de très-grand poix et considération, me persuadant fermement que les meismes raisons ont induit le dit Sieur de Villers de trouver bonne la dite entreprise et de vous promectre à s'y emploier, mais, aprez avoir le tout bien considéré et examiné le présent estat de noz affaires, le confrontant avecq les advertissemens que nous avons des forces et desseings de son Altèze, je ne puis trouver conseillable, ny meisme conforme au droict de la guerre en une telle conjoincture, de s'engager en quelque place, où il fauldroit fère plus long séjour que l'estat de noz affaires ne comporte; veu meismement que dedans le dit fort y a six compaignies, que la place est forte, et a un cavailler qui y domine et une esplanade faicte au devant, touttes choses qui rendront indubitablement l'entreprise plus difficile que l'on ne pense; et combien que j'espère que nous le pourrions à la fin bien forcer, si sera-ce une chose de plus longue durée qu'il n'est expédient, et en cas qu'il fallust fère retraitte, au moins l'artillerie y demeureroit engagée, qui seroit une grande désréputation et chose par trop désadvantageuse au succès de nos affaires. Voilà pourquoy je ne puis aulcunement trouver convenir de faire ceste entreprinse, veu meismement qu'il n'est conseillé en ce temps de riens hazarder, ains fault du tout tendre au but principal, affin que la victoire que la bonne volonté, résolution, et
l'appareil de son Altèze, par la grâce de Dieu, nous semble promectre, ne soit mise en branle par aulcune hastivité mal à propos, ou par impacience; veu meismes que les
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Ga naar margenoot+issues de la guerre procèdent pour la pluspart plustot de persévérance et fermeté de résolution, fondée en bon conseil, que des exploicts hazardeux des entreprinses, lesquelles succèdent bien souvent tout au rebours de ce que l'on s'estoit imaginé; mais, en cas qu'il vous semble que l'on doibve faire quelque exploict avecq noz trouppes, je seroi plustôt d'advis que l'on attacquast les places de Hekelsbeke et Wormhout, lesquelles on pourra saisir, sans y fère long séjour et sans mectre les affaires en hazard, et meismes cela servira pour advancer l'exploict [en renfort] des trouppes de son Alt., selon que l'on trouvera convenir aux occurences qui se présenteront, veu que c'est le passaige qu'il fauldra tenir; ce que je vous prie de considérer et croire que je ne regarde en cecy à aultre chose qu'au plus grand bien du pais et advancement des affaires, selon que la raison et le droict de la guerre le porte; espérant que vous vous y conformerez, tant au regard de la promesse qu'avez si souventeffois faict de remectre le faict de la guerre aux cheffz et conseil ordonnez pour cest effect, que meismes pour la résolution que mentionnez en vostre ditte lettre de vous remettre au jugement du dit Sieur de Villers, auquel pour cest effect ai escript mon advis et intention..... Escript à la Haye, le 19 jour de juillet 1581.
Vostre bien bon amy à vous faire service,
Guillaume de Nassau.
A Messieurs les Quatre-membres du pays et conté de Flandres.
L'abjuration solennelle par les Etats-Généraux eut lieu à Amsterdam (p. 555) le 26 juillet.
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Ga naar margenoot+Le traité avec Anjou étant ratifié (p. 508), le Prince d'Orange insistoit sur la déchéance de Philippe.
La mise en délibération d'une telle mesure, décisive, irrévocable, avoit excité une vive opposition.
Plusieurs avoient demandé un délai dans l'intérèt du commerce. Une déclaration plus ou moins subite sembloit devoir causer des pertes énormes. En effet, malgré la guerre, on n'avoit pas interrompu les rapports avec l'Espagne. Un grand nombre de navires alloit donc très-probablement être confisqué. Les Etats du Brabant et ceux de Hollande ‘verklaren, aangaande den Koning van Spaignen of men deselve voor vyand sal verklaaren dat daarmede alsnog sal worden gesupersedeert...; alsoo teegenwoordig wel twee honderd scheepen in Spaignen en Portugaal uit deese landen zyn gekoomen en wel drie duisend bootsgesellen die in pericul gesteld souden worden:’ Rés, de Holl. 1581, p. 615.
Puis le Prince eut à lutter contre ceux qui, ouvertement ou en secret, étoient restés Catholiques. Chêz quelques-uns les griefs politiques prévaloient peut-ètre sur les intérêts de la foi; d'autres auront vu dans l'avènement d'Anjou la garantie d'une tolévance que de nouvelles complications pouvoient compromettre: mais le plus grand nombre, à l'exemple des Provinces Wallonnes, désiroit la réconciliation avec le Roi.
Enfin, quoique beaucoup de Réformés trouvoient que déjà trop longtemps l'on avoit ménagé un tyran, un idolàtre; toutefois, même parmi les zèlés calvinistes, plusieurs n'étoient pas au clair sur la légitimité de l'abjuration.
On le comprend en lisant la fameuse déclaration des Etats.
Quelques assertions sur l'origine et la nature du pouvoir sembloient peu en harmonie avec la doctrine Evangélique. Les principes mis en avant, tels que ‘le Prince créé pour les sujets, l'autorité Souveraine fondée sur des contrats, le peuple délié de ses obligations par les torts du Monarque,’ thèses hardies, conformes aux idées de l'époque, formoient contraste, non seulement avec la pratique de Charles-quint, mais en général avec les lois, les moeurs, et les souvenirs traditionnels.
Puis dans cet Acte l'on avoit, par ménagement envers les Catho- | |
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Ga naar margenoot+liques, omis ou du moins voilé le motif principal, et, à vrai dire, le seul qui rendit l'abjuration inévitable, le refus constant de tolérer l'existence publique des Eglises Réformées. En admettant que dans l'énumération des sujets de plainte il n'y ait eu rien d'exagéré, toujours étoit-il notoire que, sans l'article de la religion, la paix, nonobstant tous ces griefs, eut été conclue à Bréda, à Cologne. Ainsi, en dissimulant la véritable cause de la révolution, on ôtoit au raisonnement sa force, et l'on augmentoit l'angoisse des consciences timorées.
D'ailleurs, même sur ce point, Pillusion, malgré la violence et l'obstination des refus du Roi, n'étoit pas complètement dissipée; plusieurs ne désespéroient pas encore de le voir octroyer un jour la liberté de culte.
Les esprits étant en général prévenus contre Anjou, les doutes, les craintes de tout genre trouvoient aisément accès.
Il falloit la persistance du Prince et sa tactique des assemblées pour amener les délibérations à un résultat.
Voici quelques conséquences immédiates de l'abjuration.
Anjou devint Souverain; du moins en titre; car la Souveraineté étoit bien dénaturée.
Matthias vit expirer ses pouvoirs avec les droits du Prince dont il s'étoit dit le ministre. Déjà le 7 juin sa démission avoit été acceptée par les Etats-Généraux. Le 29 oct. il reprit la route d'Allemagne; avec la promesse de ƒ 50000 par an: V. Meteren, p. 190. L'histoire ne dit pas que la pension ait été régulièrement payée. - Il n'emporta pas de souvenirs glorieux. Toutefois, bien que sa conduitesubséquente ne donne pas une haute idée de son caractère ni de ses talents, on auroit tort de le mépriser à cause de sa nullité complète dans les Pays-Bas. Séduit par des espérances qui, même à beaucoup de gens sensés, ne sembloient pas entièrement chimériques, il se jette, encore enfant, sans connoissance ni du pays, ni des hommes, au milieu des intrigues et des partis. A peine arrivé, une manoeuvre habile du Prince d'Orange, bouleversant tout à coup les rapports et les calculs, confond les partisans de l'Archiduc et ne laisse à celui-ci que l'appui de ceux qu'il avoit présumé
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Ga naar margenoot+devoir ètre ses antagonistes. On ne lui donne du pouvoir que le nom: d'ailleurs, quand il eût eu une autorité réelle, comment eûtil pu, eùt-il voulu l'exercer, à côté du Prince et dans une crise pareille? Enfin il paroît que l'Empereur, sur lequel il avoit sans doute compté, se refusoit à lui donner aucun genre de secours: p. 236. Languet écrit le 8 mars 1581: ‘Certe Archidux habet justam causam conquerendi de suis a quibus ita deseritur ut non solum nihil pecuniae ad ipsum mittant, sed ne quidem secum quemquam habet qui ipsi suo consilio adesse possit in tantis difficultatibus quibus est undique circumventus et ex quibus se difficulter sine aliquâ notâ Austriacae familiae explicare poterit:’ Ep. secr. I. p. 849. Et le 14 mars de même: ‘Non possum satis mirari aulam Caesaream non habere majorem rationem hujus Principis... Habet secum homines ineptos, qui multa moliuntur quae ipsum exosum reddunt... Forte parum honorifice dudum esset hinc dimissus, nisi Princeps Orangiae suam authoritatem interposuisset:’ l.l. p. 850.
Le Prince d'Orange fut, jusqu'à la venue du Souverain, à la tête du Gouvernement. Les Etats-Généraux déclarent le 7 juin: ‘dat de Generaliteijt met zijn v.G. sal het Gouvernement van de voorn. Nederl. aennemen, ter tijt toe dat den laentraedt sal opgestelt werden ende dat den Hertoge van Anjou de landen sal aengenomen hebben; wel verstaende dat alle de depessien sullen gedepesciert werden en uutgaen op de naeme van de Generaliteijt:’ Rés. MSS. d. Et.-Gén. Le Prince fit des difficultés: ‘Ende belangende het Gouvernement van de Nederlanden, heeft zijn Exc. deselve resolutie oick goet gevonden, haer nochtans grootelicx excuserende hetselve Gouvernement met de Staeten aentenemen, om d'onnoordeninghe rijsende in 't beleg van alle saeken het welvaeren van het Vaderlant angaende; bijvoegende dat alsnoch nijet voorsien en is op d'artillerie, waerinne nochtans men nootsaekelick moet voorsien, ende op al 't gene dat daeraenne cleeft.’ l.l. - Il accéda néanmoins au désir général.
La Hollande suivit, comme auparavant, une marche séparée. Elle n'avoit cédé aux instances du Prince que sous la réserve expresse que les démarches auprès d'Anjou seroient pour la forme, tandis que la Province auroit le Prince d'Orange pour véritable
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Ga naar margenoot+Chef: p. 304, sqq. On peut se faire une idée de la défiance contre les François, en voyant les Etats supplier le Prince de ne pas aller à la rencontre du Duc. ‘Hun werd te meer nadenken gegeven overmits voorgaande exempelen die in Vrankrijk zijn gebleeken aan den Admiraal aldaar en over sijne Exc. mede versogt souden moogen worden, hoewel op den Persoon van den Hertog van Anjou goed vertrouwen werd genoomen...; daeromme sijne Exc. ernstelijk versogt sal worden van sijn voorneemen te willen afstaan:’ Rés. de Holl. 12 sept. 1581, p. 871.
Ils se serrent autour du Prince: ils insistent sur l'exécution de la promesse qu'il leur a faite. Le 15 mars ils le prient de se servir de l'autorité reçue en 1576 (T.v. p. 340, sq): ils veulent ‘de Overigheid en de authoriteit van sijne Exc. vaster constitueren en bevestigen: l.l. p. 416. Même ils songent de nouveau (T. V, p. 87) à rendre le pouvoir héréditaire: “soo verre sijne Exc. quaame te overlijden, of een van de kinderen van sijne Exc. in de plaatse van sijne Exc. gesteld en aengenomen soude mogen werden:” l.l. Le 12 sept. ils l'invitent à venir en Hollande; nader deese Landen te willen koomen; te meer, alsoo de Staaten van meeninge zijn eerstdaags te doen voltrekken baarluider resolutie genomen in april 1580:’ l.l. p. 872.
Le Prince ne se montre nullement empressé.
Une continuation provisoire de son autorité lui suffit: ‘eene in trainbrenging van 't geen in 1576 reeds besloten was, doch nu alleen rernieuwd werd:’ Kluit, Hist. der Holl. Staatsr. p. 271: ‘eene vernieuwing van de hem in 1576 opgedragen macht, die door vele invallende gebeurtenissen, of verzwakt, of veranderd, of miskend was:’ l.l. p. 421.
Voici le motif qu'il donne. ‘Hij wilde eerst het verschil met Amsterdam en de Staten bijgelegd hebben en niet dan met volle eenparigheid het absolute Gouvernement aannemen:’ l.l. p. 260.
Ce n'étoit qu'un prétexte.
M. Beaufort écrit (Leven v. Willem. I. D. III. p. 385) que, malgré le bon accueil en mars 1580 ‘het daernae gebleeken is dat hij die machtige Stad tot sijn belangen en insigten niet heeft konnen overhaelen.’
Il se trompe. A peine le Prince a-t-il quitté la ville, que les
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Ga naar margenoot+résolutions les plus favorables arrivent à la Haye: ci-dessus, p. 306. Et en 1581 Amsterdam, loin de former obstacle à ce qu'on défère au Prince la Souveraineté, se prononce avec énergie en faveur de ce dessein. Le 3 juillet elle déclare qu'il est nécessaire ‘dat men zijn Exc. zal verzoeken om als Overhoofd en Hooge Overigheid het Gouvernement van den Lande van Holland aan te willen nemen:’ Kluit, l.l. p. 261. Le 12 juillet on réitêre cette déclaration: l.l..
Le différend dont le Prince fait mention, avoit rapport aux intérêts particuliers de la ville: l.l. p. 437. On auroit pu, ou arranger la chose, ou procéder à l'acceptation du Prince, en accordant à Amsterdam ‘Acte van non prejudicie van hun Satisfactie:’ p. 261. Déjà la ville avoit offert de s'en contenter; mais le Prince ne désiroit pas que la difficulté fût écartée.
On auroit tort de voir dans cette manière d'agir un refus simulé, artificieux, une espèce de coquetterie politique. Le Prince, dans l'intérêt du pays et dans le sein, opposoit des bornes à un zèle inconsidéré.
Depuis longtemps, pour sauver les Pays-Bas, il vouloit Anjou pour Souverain. Il redoutoit donc des démarches qui alloient jeter des semences de désaccord, mécontenter le Duc, exciter sa jalousie et ses soupçons. Il n'étoit pas homme à compromettre, pour une jouissance d'amour-propre, le résultat de tant d'efforts. Le nom de Comte (p. 307, in f.) n'eût rien ajouté à son pouvoir; son autorité au contraire eût été plus limitée. - En appréciant le plus ou moins de probabilité de suppositions pareilles, rappelons nous enfin que le génie n'a pas besoin de rechercher les titres; c'est par droit naturel que, dans les moments critiques, il exerce un ascendant irrésistible, une véritable dictature sur les esprits. |
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voetnoot(1)
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Vilers. J. de Soete, Seigneur de Villers, en 1580 Gouverneur de Bouchain; en 1584 Stadhouder de la Province d'Utrecht.
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