Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome VI 1577-1579
(1839)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij
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[Préface]Ce Tome commence à l'Edit Perpétuel, en février 1577, et finit à la rupture des négociations de Cologne, en aoûtGa naar voetnoot1 1579. Il renferme environ deuxcent Lettres. C'est, vû la gravité des circonstances, une des parties les plus importantes de notre Recueil. Un même pacte unit presque toutes les Provinces des Pays-Bas. Il s'agit de maintenir leur indépendance | |||||||
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et leurs libertés; de mettre des bornes à la suprématie Espagnole et d'empêcher les Papistes de rétablir un régime de sang. Mais cette alliance contient le principe de mort qui doit bientôt amener sa fin. Parmi ces ennemis de l'inquisition et de l'Espagne, les uns veulent que le Catholicisme continue à régner seul, les autres demandent et pressent l'introduction de la Réforme. L'opposition d'intérêts, de croyances, de passions se manifeste et se développe. A la guerre contre les Espagnols viennent se joindre les déchirements des partis et la guerre civile. Les germes de dissolution portent leurs fruits; les éléments contraires se séparent; une partie de la Généralité s'en détache, le reste continue la lutte sous la direction de la Maison de Nassau. Jamais peut-être le génie politique du Prince d'Orange n'a brillé avec un pareil éclat. Le cercle de son activité s'étend; il dirige un mouvement décisif pour la Chrétienté; et la situation atteint le nec plus ultra du désordre, comme pour mettre en évidence la pénétration de son esprit, la fermeté de son caractère, son habileté incomparable, et la variété prodigieuse de ses ressources. Ici, encore plus qu'ailleurs, il faudra, sur bien | |||||||
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des points, réformer nos idées. Des antipathies durables, succédant bientôt à une alliance éphémère, ont perpétué à l'égard de cette crise des jugements que la passion avoit dictés. Ce sont des opinions, pour ainsi dire, stéréotypées; des lieux communs historiques; et l'autorité traditionnelle de ces erreurs rend doublement nécessaire de les réfuter. Ces considérations nous ont engagé à traiter cette époque avec un soin particulier: exposant nos observations et nos doutes dans des notes nombreuses et détaillées, auxquelles, pour éviter les longueurs et les redites, il faudra, dans le cours de cet Aperçu, renvoyer souvent nos lecteurs.
La défiance envers D. Juan produit la guerre; la guerre amène le triomphe de la Réforme; le triomphe de la Réforme cause la scission des Pays-Bas. - La coalition, fortifiée par les périls (p. 1-170), résistant à l'ennemi (p. 171-456), dissoute par l'incompatibilité de ses éléments constitutifs (p. 457-681), telles sont les phases d'après lesquelles ce Tome peut-être subdivisé.
La première Partie, malgré les apparences de | |||||||
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paix et d'accord, est un temps de malaise et de lutte sourde contre le Gouverneur Royal. C'est un odieux nom dans les Pays-Bas que le nom de D. Juan. Surtout à son égard l'on partage, encore de nos jours, la haine des contemporains, l'on prend les exagérations des partis au pied de la lettre. Fût-il un prodige de perfidie et d'astuce? Pour le soutenir, il faut méconnoître son caractère et calomnier ces actes. Qu'on médite la Lettre que Granvelle lui écrit (L. 729), qu'on parcoure les remarques sur l'exécution de l'Edit Perpétuel (p. 1, sqq.), sur les fameuses Lettres d'Escovédo (p. 52, sqq.), sur la conjuration découverte (p. 42, 74), sur les événements de Bruxelles (p. 82, sqq.), surtout aussi sur ceux de Namur (p. 104-112); l'on verra que D. Juan, fidèle à ses promesses, voulut gouverner par la douceur; et l'on pourra voir en outre que ses antagonistes, dirigés, encourages par le Prince d'Orange, réussirent, par les suppositions les plus alarmantes et les plus outrageux soupçons, par des prétentions excessives, des reproches non mérités, des humiliations, des insultes, des conspirations même, à le décréditer, à paralyser ses efforts, à irriter son amour-propre, à anéantir son autorité, | |||||||
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à l'entretenir dans une crainte perpétuelle pour sa liberté et sa vie; à l'amener enfin à chercher le salut, tête baissée, dans un coup de désespoir. Acte insensé, folie, d'après le Prince d'Orange (p. 141); mais folie qu'il avoit prévue, desirée, préparée, et dont il sut admirablement profiter. Ayant, à vrai dire, forcé D. Juan à réaliser de fausses alarmes, il exploite la faute qu'il a fait commettre: une déclaration de guerre en est le résultat. Il n'étoit pas facile de décider les Etats-Généraux à prendre les armes. Ils se défioient du Prince. Aldegonde écrit: ‘Certainement la cause de la religion est merveilleusement haïe et suspectée par tout, ce qui rend mon voyage par deçà presque de tout infructueux, car ils soubsçonnent merveilleusement toutes mes actions et conseils, pensans que je panse à leur introduire Monsieur le Prince, pour par après amener le changement de religion, et semblent qu'ils [ayment] mieulx se perdre sans nous, que de se sauver avecque nous’ (p. 118). Le parti de la paix étoit nombreux, désirant, comme Schetz, ‘éviter l'exécrable guerre civile’ (p. 129). D. Juan, plus que jamais découragé par sa tentative inutile, se résignoit à tout et demandoit son rappel. Le Roi se disposoit | |||||||
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à le remplacer par la Duchesse de Parme (p. 204). Mais le Prince rend inutile ce concours de volontés pacifiques. Il redouble d'efforts pour prévenir une réconciliation qu'il juge funeste. Il commente chaque démarche de manière à y trouver motif de soupçon; il excite, par les Députés de la Hollande et de la Zélande, aux ‘résolutions bonnes et fermes’ (p. 162), à la destruction des Citadelles, à la levée de soldats; et quand les Etats, satisfaits par des concessions qui ne laissoient rien à demander, ont sanctionné l'accord par leur vote, le Prince, venant à Bruxelles, bouleverse ce qu'on avoit péniblement édifié. L'on revient sur la décision déjà prise, l'on révoque le décret, l'on présente un Ultimatum, qui devoit, aux yeux de D. Juan, ressembler moins à des offres de paix qu'à un insolent Manifeste (p. 166, sqq). Nous avons apprécié cette politique (T.V. p. xlii, sqq.). Cependant nous ne devons pas omettre l'opinion du Landgrave Guillaume de Hesse: ‘Ah! qu'ils eussent mieux fait d'obéir à D. Juan, tandis que ceux qui se savoient suspects ou coupables, eussent évité le courroux du Roi, emportant pour leur vie de quoi pourvoir suffisamment à leurs besoins. Ils n'eussent pas entrepris de telles énormités, pas | |||||||
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démoli les châteaux et les forteresses du Roi, pas violé à tel point son autorité, pas entraîné dans une situation affreuse tant de milliers de malheureux contraints de verser leur sang, pas attiré le blâme et la hainesur notre vraie religion Chrétienne, à laquelle on impute tous ces désordres’ (p. 254). Nous ne souscrivons pas à cette opinion, du reste assez conforme au caractère du Landgrave et à sa politique; toutefois nous comprenons l'irritation du Roi; nous affirmons que l'épithète de traîtres a été fort injustement prodiguée à ceux qui n'abandonnèrent point D. Juan (p. 118); nous croyons qu'en attribuant au Prince la continuation des troubles (p. 269), on n'avoit pas tort.
Sa venue à Bruxelles, longtemps différée, montre qu'il savoit hardiment aborder les situations les plus critiques. Une bienveillance apparente sembloit cacher des jalousies, des inimitiés, des embûches. Aussi voit-on l'anxieté de ses partisans. Ch. de Trello compte qu'il ‘ne se transportera par decha sans estre bien accompaigne et de fidelles capitaines et soldats’ (p. 154). Vosberghe écrit à Marnix que ‘par tous moyens on doit dissuader à son Exc. de ne se hazarder par trop’ (p. 178) | |||||||
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Il ne sait ‘si s. Exc. se doibt ainsy fier en toutes places, s'appuiant seulement sur le peuple, sans avoir aultre asseurance ou retraicte..., n'ayant aussi l'ennemi guières loing de là’ (p. 179). Mais cette venue avoit une haute portée et valoit, à coup sûr, la peine de courir quelque danger. Granvelle, après avoir parlé de la disposition du Roi à la clémence, ajoute: ‘je ne sçay ce que dira maintenant sa M. que les Estatz ont appellé le Prince d'Oranges et se gouvernent à sa voulonté’ (p. 205). En effet cette invitation, adressée au plus redoutable ennemi du Souverain, étoit presque un défi au Roi, et tout au moins un commencement d'hostilités contre D. Juan.
Avant de passer outre, nous signalerons quelques documents qui ont un intérêt particulier. Des minutes autographes du Prince d'Orange: savoir des notes sur divers points, jetées à la hâte sur le papier (no 714a, 722a); une Lettre à Marnix, écrite dans un moment difficile et sur des sujets importants et délicats (L. 748); une Lettre au Gouverneur de Bommel, où il le tance fortement pour avoir licencié des troupes sans demander ses ordres: ‘On ne me doibt tenir pour si légier, ni si ingrat | |||||||
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devers les soldats qui je sçay et cognois avoir faict au pays et à moy fort bon service.... C'est ung affaire qui me touche, et non pas à vous, qui est cause de vous prier que en ces choses semblables vous ne vous melliés et me lessiés faire, et me ferés plaisir... Ce n'est pas le chemin de attirer des gens de bien, ny lesser une bonne renommée’ (p. 80). La Comtesse-mère conjure le Prince à ne pas accepter une paix oppressive pour les consciences, et à se rappeler toujours qu'il vaut mieux perdre les biens qui passent que ceux qui sont éternels (p. 49). Le Comte de Buren exprime, avec une vivacité naïve, son mépris des superstitions Romaines et sa haine des Espagnols. ‘Les reliques ceste fois ne firent point de miracle... Il a grandes murmurations en ce peuple...: plust à Dieu... qu'ils fussent si entourtillés qu'ils ne se pussent eschapper’ (p. 103). La Comtesse Marie écrit que son frère Maurice ‘pren gran paine de bien estudier’ (p. 16). Buys, (L. 706), Adrien van der Myle (L. 709), l'Amiral Bloys de Treslong (L. 723), Ph. van der Meeren (L. 718) donnent différents détails sur les affaires | |||||||
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politiques; Chr. Roëls desire ‘qu'on sache publicquement en quelle manière la paix avec D. Jan a esté forgée’ (p. 51); Helling écrit ‘qu'à Haerlem le nombre des Chrestiens et auditeurs de la parolle de Dieu s'augmente de presche à presche à veue des yeulx’ (p. 43); Hembyze advertit le Prince de l'état de Gand, ‘pour par vostre vertu à cest affaire estre remédié, comme par inspiration divine v. Exc. trouvera en conseil’ (p. 41). Gaspard de Schonberg, écrivant au Roi Henri III (L. 722) sur les moyens d'attacher les Pays-Bas à la France, veut faire intervenir l'amour en politique: on pourra ‘faire proposer aux chefs des Estatz des alliances en France, sans toutefois y engager la parolle de v.M.’ (p. 58). Nous publions seize Lettres de la Princesse d'Orange; presque toutes autographes; d'un style enjoué et grâcieux, pleines de finesse et de sel. On en verra la preuve dans les passages sur l'affection prétendue et fort suspecte de la Comtesse d'Aremberg: ‘Et quant à ce que Madame d'Aremberg vous a prié de m'asseurer de sa part de la bonne affection et amitié qu'elle me porte, elle ne pouvoit trouver meilleur persuadeur pour me le faire croire que vous, Monseigneur, dont aussi je ne | |||||||
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faudray de m'en tenir pour asseurée, aussi advant que vous en estes persuadé de vostre part’ (p. 45). Sur le Comte J. de Nassau: ‘cependant que M. vostre frère est icy, il ne nous semble point que vous soiés du tout absent’ (p. 183). Sur un vase offert au Prince, où l'on avoit figuré une lézarde. et un serpent: ‘Quant à la sinification de la lésarde, d'aultant que l'on escript que sa propriété est, quand ungne personne dort et qu'un serpent le veulx mordre, la lésarde le réveille, je pence que c'est à vous, Monseigneur, à quy cella est atribué, quy etveillés les Estas, craingnent qu'y ne soits mordus. Dieu veille par Sa grâce que les puissyés bien garder du serpan’ (p. 190). - On remarquera son adresse à glisser, le cas échéant, un mot sur la politique: ‘Je voudroys bien savoir sy vous aurés remercié la Roine d'Engleterre de tant de bons offices qu'elle faict faire par son Enpasadeur...., ce que pran la hardiesse de vous ramentevoir’ (p. 174). Son zèle pour la religion: ‘je désirerois fort savoir sy les Estas ne vous auront poinct permis quelque exercice de la religion, soit secrètement ou aultrement; car je ne voy poinct, Monseigneur, comme vous pourés demeurer plus longuement sans cella. Je sçay bien que | |||||||
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vous y pencés, mais le désir que j'ay que Dieu face tourjours de plus en plus prospérer vostre labeur, me faict prandre la hardiesse de vous dire ce mot’ (p. 177). Surtout aussi son extrême tendresse pour son époux. ‘Vos Lettres, après l'assistence de Dieu, servent à ma convalescence plus qu'autre chose qui soit’ (p. 45). Lors du départ du Prince pour Bruxelles elle éprouve de vives et touchantes anxietés. ‘Je voudrois vous savoir bien de retour à Anvers....; je vous supplie de prandre meilleure garde à vostre sencté...; car dellà dépent la mienne’ (p. 172). ‘Je désirerois bien estre asseurée que vous n'allés plus sy souvent menger hors de vostre logis du soir.... Je vous supplie de prandre ung peu plus de garde à ce quy est pour vostre conservation’ (p. 177). Ecrivant à M. de Martini: ‘encore que je cognoy bien le bon zèle et coeur que ceulx de vostre ville d'Anvers et de Bruxelles luy portent, toutesfois l'esloignement de sa présence me donne beaucoup de peines et de craintes’ (p. 176).
Le Prince est à Bruxelles, siège ordinaire du gouvernement central et résidence des Etats-Généraux: | |||||||
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il va mettre fin aux velléités de soumission et aux tâtonnements d'une résistance timide et douteuse. C'est le commencement de la seconde Partie, qui s'étend jusqu'aux présages et premiers symptômes de guerre civile et à la mort de D. Juan.
Que veut le Prince? Garantir le Pays d'un triple joug; celui des Espagnols, de l'Aristocratie, et du Papisme. Il désire, pour écarter l'influence étrangère, circonscrire le pouvoir royal; pour contenir la Noblesse ambitieuse, augmenter l'influence du Tiers-Etat; pour établir l'Evangile, donner un libre cours à la Réforme. - Encore qu'il ait soin de ne pas se compromettre, on reconnoit aisément après coup, sous des expressions habilement choisies (p. 155), ses arrière-pensées et ses vastes desseins. Sans doute parmi ceux qui l'avoient invité, plusieurs ne demandoient que des conseils et ne désiroient pas une prolongation indéfinie de sa visite. Mais quand on accepte un tel Conseiller, c'est un Chef qu'on se donne. Le Prince, dès son arrivée, exerce une dictature morale sur les esprits. Il n'y eut chez la plupart de ces hommes, au nom desquels le Prince fut prié de se rendre en Belgique, | |||||||
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ni désir sincère, ni mouvement spontané. Le Peuple leur avoit presque forcé la main. En réalité le Prince étoit venu par la faveur du Peuple; ce n'étoit que par la faveur du Peuple qu'il pouvoit rester. Il y avoit en général manque d'énergie et de bonne volonté: ‘beaucoup de négligence, de jalousie, d'avarice, peu d'esprit de conduite, une extrême haine contre la religion Evangélique’ (p. 215). ‘Ny ordre, ny argent, ny contentement (p. 219). Les Etats-Généraux étoient, pour la plupart, ennemis déclarés de la Réforme. Parmi eux ‘peu de patriotes, beaucoup d'ecclésiastiques papistes et de jeunes Seigneurs sans expérience; des gens vendus, des avares, des ambitieux; des hommes craintifs et pusillanimes’ (p. 227). La Noblesse étoit, ou déjà contraire au Prince, ou, par la force des choses, destinée à le devenir. Le Prince comptoit parmi elle des partisans, des amis. Ils s'étoient montrés résolus et actifs. ‘Le Conte d'Egmont se monstre des premiers’ (p. 116). ‘M. de Lalaing pourroit redresser et animer les autres’ (p. 117). Le Comte de Bossu, ‘Seigneur prudent, saige, et expérimenté au faict des armes’ (p. 336), rendit jusqu'à sa mort, qui causa | |||||||
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‘la plus grande tristesse du monde’ au Prince (p. 513), des services importants (p. 475). Le Comte de Rennenberg fait au Comte J. de Nassau des protestations d'amitié (p. 598). Et M. de Champagny, trop décrié par nos historiens (p. 448), écrit au Prince: ‘je puis jurer sainctement que je n'ay peu apercepvoir jusques ici homme qui n'aye en admiration la prudence d'icelle, et qui ne lui soit affectionné pour celle-là, et en public, et en ce que j'ay veu traicter à part. Je voys que chascqun est pour lui céder par tout, où la religion Romaine ne recepvrat doubte, aux provinces où elle est réservée absoluement par le traicté de Guand; ou bien là où l'on n'at scrupule que la deue obéissanse et respect, que l'Union réserve à s.M., puisse estre violée’ (p. 226). Mais cette affirmation, sincère à notre avis, étoit trop générale. Marnix écrit: ‘les Seigneurs qui sont bien affectionnés et voluntaires.... ne se trouvent secondez des autres’ (p. 116). Plusieurs, après l'Edit Perpétuel grands amis de D. Juan, avoient plus tard suivi le cours du torrent populaire; mais comment se fier à leur enthousiasme de circonstance et de calcul! Il eût, par exemple, été difficile au Prince, connoissant la versatilité du personnage, de se livrer avec abandon | |||||||
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à ‘l'amitié fraternelle’ du Duc d'Aerschot (p. 21 et 141, sqq.). De Vosberge écrit à Marnix: ‘comme sçavez, ce ne sont pas tous amis et affectionnez à son Exc. qui la semblent adorer et journèlement à elle font mille caresses’ (p. 179). En outre le Prince, poursuivant ses desseins, devoit heurter bientôt les opinions de ceux mêmes dont le dévouement n'étoit pas douteux. Il y avoit divergence complète, précisément à l'égard des points sous la réserve desquels Champagny garantissoit le concours universel. Aussi voyons nous bientôt que ‘plusieurs, mesmes de la Noblesse, se faschent du Prince, s'apercevant maintenant de ses desseings’ (p. 385). Les mêmes remarques sont, à plus forte raison, applicables au Clergé. Le Prince, ne pouvant s'appuyer sur les hautes classes, travailloit à augmenter le pouvoir des Villes et l'influence du peuple dans les Communes. On lui reprochoit vivement cette politique. ‘Plusieurs prennent déscontentement du Prince.... et le tachent, oultre ce de la religion, du trop d'auctorité que, pour ses respectz, il donne aux communes des villes’ (p. 385). Sans doute il voyoit les inconvénients de sa conduite. Les rap- | |||||||
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ports avec des esprits turbulents et audacieux, comme, par ex., van der Straten (p. 262, sqq.), lui auront été à charge. Mais il n'avoit pas de choix. ‘Jusqu'à maintenant,’ écrit Jean de Nassau en 1578, ‘il n'y a eu, parmi les Etats-Gén. et les principaux de ces pays, personne que le Prince et ceux de Hollande et Zélande, et ci-par-là les classes pauvres, qui se soient ouvertement déclarés en faveur de la Religion et l'ayent sérieusement embrassée’ (p. 311). On ne pouvoit donc s'appuyer que sur le Peuple pour introduire la Réforme.
La meilleure justification est dans les obstacles que suscitoient sans cesse de nombreux antagonistes. D'abord, en faisant venir l'Archiduc Matthias (p. 191, sqq.). Ceci eut lieu, sinon contre la volonté expresse du Prince, du moins à son insu. En appelant au Gouvernement-Général un membre de la Maison d'Autriche, on espéroit divers avantages: un appui contre D. Juan, un médiateur auprès de Philippe II, surtout aussi un chef capable d'écarter le Prince, dont on ne partageoit pas les vues et dont on redoutoit l'incontestable supériorité. La finesse de celui-ci déjoua cette combinaison, | |||||||
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et même la fit tourner à son profit. Ainsi que le sage Léoninus (L. 782), il vouloit éviter une ‘dangereuse rompture,’ jugeant en outre ‘plus facil de pourveoir avec ung non riche ny puissant que avecq ung qui est puissant et authoritatif; plus apparent d'asseurer les Etatz et le peuple par bons moyens et conditions avecq ung tel jeune Prince que aultrement’ (p. 233). Son premier soin est de calmer le Peuple. Sans cette intervention, la guerre civile éclatoit. ‘Il faut’ disoit-il, ‘entourer le jeune Seigneur de bons enseignements et conseils: la chose pourra tourner en bien’ (p. 216). Du reste, ici encore, il suit une marche qui se distingue par l'énergie et l'audace. Il devient Ruard de Braband, fait arrêter le Duc d'Aerschot, organise, d'après ses vues, le Gouvernement nouveau. Le Gouvernement particulier du Brabant lui fut offert par compensation, par réprésailles (p. 208). L'emprisonnement d'Aerschot, Gouverneur de la Flandre, avec plusieurs personnages marquants (p. 216), fut une mesure bien violente. Une Lettre de Marnix atteste la consternation des Etats: ‘J'ay trouvé à Bruxelles plus d'altération des coeurs que je n'euse penssé... La playe est plus profonde que | |||||||
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je n'eusse cuydé... Je trouve icy une grande confusion en toutes choses... Si on pouvoit justifier le faict de Gand, ce seroit un grand poinct... Sans la présence de v. Exc. nous sommes icy certainement perdus; et si ne say-je si sa présence nous pourra assister’ (p. 219, sq.). Le consentement, au moins tacite, du Prince n'est pas douteux. Champagny lui adresse de très-fortes remontrances et qui ne manquent pas entièrement de vérité. ‘Créiés, Monseigneur, qu'à la fin nulle qualité, estat, ni condition, ne serat assurée, s'il ne faut sinon crier au lévrier, pour faire courir sus à qui on voudrat. Et, si ceste liscense passe outre, à mespris des magistrats et de la forme légitime de la justice, qui a esté tant regrettée, je ne sçai à la longue si Dieu s'en contenterat, ni si ceus qui dissimuleront, y pourront mettre la bride quant ils voudront’ (p. 225). Le Prince régularise les pouvoirs d'une manière favorable à ses desseins. Par la nouvelle Union de Bruxelles (p. 257), il donne des garanties aux Protestants; par les conditions imposées à Matthias (p. 258), il le met dans la dépendance des Etats; par le choix des membres du Conseil (p. 270, sqq.), il s'assure une majorité de ses amis. Enfin, quoi- | |||||||
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qu'il prie ses partisans ‘ne point vouloir se formaliser tellement pour moy que cela puisse estre la moindre cause de discorde’ (p. 279), il se laisse nommer Lieutenant-Général de l'Archiduc. A ses côtés, il devient son tuteur et son guide. Il gouverne par lui. La Noblesse désappointée lui cherche un autre rival. Elle choisit le Duc d'Anjou, croyant non seulement donner un défenseur puissant aux intérêts Catholiques, mais en outre détacher du Prince d'Orange celui en qui dès longtemps il avoit placé son espoir. Le Duc entretenoit des rapports avec le Prince: il avoit encore en 1577 recommandé aux Etats-Gén. de suivre son ‘saige conseil et trèsprudent advis’ (p. 244); il l'assuroit qu'il ne doutera nullement de sa ‘bonne vollonté, quelque chouze qu'on m'est volu dire, comme aussi vous ne devés douter de la miene’ (p. 246). Et le Prince, écrivant à M. des Pruneaux qu'il désireroit conférer avec lui ‘de ce qui me sembleroit convenir pour le bien et repos des consciences,’ ajoute: ‘je sçay qu'il n'y a Prince en la Chrestienté qui nous y peult tant ayder que Monseigneur d'Alençon; ce n'est pas une opinion qui soit d'un jour ou de deulx creue en mon esprit, | |||||||
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car il y a jà longtems que j'en suis résoulu, et encores à présent je demeure en la mesme opinion’ (p. 371). Anjou accepte, approche, et menace. Il veut entrer au pays ‘par l'une voye ou l'aultre, celle d'amis ou d'ennemis’ (p. 370). La Noblesse le soutient, les Provinces Wallonnes insistent, les Etats-Généraux sont embarrassés. Le Prince ue se laisse point déconcerter: dirigeant la négociation avec art, il enlève le Duc aux Wallons pour l'attacher à la Généralité (p. 438, sqq.), et bientôt Anjou, venu pour le supplanter, lui écrit: ‘je désire que nous ayons une bonne intelligence et correspondence ensemble, affin que, marchans d'ung mesme pied et zèle, nous ostions à l'ennemy toute l'espérance qu'il a fondée sur la division qu'il tasche par tous subtilz moyens et inventions faire naistre entre nous; laquelle, si ainsy estoit, ne sçauroit apporter que l'entière ruyne et subversion de tout ce pauvre pays, la conservation et salut duquel dépend, après Dieu, de nostre mutuelle intelligence, très-parfaicte union, et vraye concorde’ (p. 405, sq.). Une seconde fois il profite d'une intrigue qui, dans l'intention de ses auteurs, devoit ruiner son autorité. | |||||||
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Les Catholiques, jugeant le Prince trop zélé Protestant, lui avoient opposé Anjou et Matthias. Les Réformés, le trouvant trop modéré envers les Catholiques, lui adjoignent le Duc Jean-Casimir, par l'entremise d'Elizabeth. Personnage remuant, s'il en fût; mais dont Granvelle écrit avec vérité: ‘Quant à Casimirus, après la mort de son père, je tiens qu'il y a plus de bruyt que d'effect; ni n'ay jusque oyres entendu qu'il aye faict exploict de guerre d'importance, robbé et pillé si’ (p. 414). ‘Les principaulx de son Conseil le gouvernent entièrement’ (p. 417). Il pouvoit dire, sans doute, ‘Dieu m'a faict la grâce d'estre successeur et comme seul héritier en l'Empire de la vraye religion que mon père a maintenu contre la furie de tyrans’ (p. 617); mais, avec plus de prudence et de modération, il eût mieux gardé ce dépôt. Dans les Pays-Bas, sa présence ne fut qu'un embarras de plus. Il avoit montré pour le Prince une haute estime (p. 152); il désiroit, selon Beutterich, ‘que Mr le Prince et luy soyent deux testes en ung chaperon’ (p. 377), mais cette bonne harmonie fut étouffée en naissant. La circonspection du Prince lui sembloit de la tiédeur; il préféroit une marche plus rapide; toutefois son activité se réduisit à | |||||||
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commettre des fautes que le Prince eut souvent beaucoup de peine à réparer. On recevoit donc une infinité de secours inutiles et desquels même on pouvoit dire, le remède est pire que le mal. On avoit d'autant plus besoin d'un secours véritable et efficace, tel que l'acceptation du Stadhoudérat de la Gueldre par le Comte Jean de Nassau. Dévoué et infatigable, il cultivoit les rapports avec la France (p. 136), il venoit de prévenir la nomination d'un papiste outré à l'Archevêché de Cologne (service important aux Pays-Bas, à l'Empire, et à la religion Evangélique en général (p. 97 et 181)); le gouvernement d'une Province lui étant offert, il se chargea encore de ce pesant fardeau. Il le fit, après en avoir mûrement délibéré (Lettre 821); non sans peine, contre l'avis de plusieurs, prévoyant des soucis, des dangers, des sacrifices de toute espèce, mais désirant répondre à la confiance de son frère et de tant d'autres ‘Chrestiens qui, dans leur perplexité, avoient mis en lui leur espoir’ (p. 363).
Il est très-difficile de se réprésenter le désordre qui, vers le milieu de l'année 1578, régnoit dans les Pays-Bas. Il n'y avoit que dissentiments, jalousies, animosités, et haines; les prétentions étoient partout | |||||||
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et l'obéissance nulle part. Le Peuple ne connoissoit aucun frein. Le Conseiller Assonleville écrit: ‘tout se tourne de fons en comble, sans dessus dessoubz, la religion, l'auctorité du Roy, en effect tout le païs pend à un fille. Les titres du Roy, de Monseigneur l'Archiduc Matthias, des Estats, sur quoy les adversaires ont prins couleur et pregnent, ne sont rien. Tous se maisne ou confond par la populace; j'entends l'ordure et seullement personnes turbulentes, demandant jecter la religion et le Roy par terre, et ceulz là seuls commandent, ou bien forcent les aultres’ (p. 341). Guillaume de Hesse appelle la situation ‘un pot-pourri’ (p. 317) et ‘un véritable chaos’ (p. 427). Les divisions intestines devoient aboutir à la guerre ouverte. On la prévoyoit depuis longtemps. En 1577 le Comte Jean de Nassau écrit que les choses en sont venues au point de ne pouvoir presque se terminer sans guerre civile (p. 227), et le Landgrave de Hesse, vers la même époque, estime que tout ce qui a eu lieu sous le Duc d'Albe et les autres Gouverneurs n'a été que le prélude de ce qui doit encore arriver (p. 256). Concilier les partis devenoit impossible, surtout par le zèle outré et l'injustice de beaucoup d'entre | |||||||
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les amis de la Réforme (p. 382, sqq.). Peu satisfaits d'avoir obtenu ou conquis liberté de conscience, prêches particuliers, prêches publics, égalité avec les Catholiques, ils montroient, en ravageant les temples, en maltraitant les ecclésiastiques, en interdisant la messe, ne vouloir s'arrêter qu'à l'extirpation du papisme. La coalition crouloit par sa base. La révolution, de nationale, étoit devenue populaire et religieuse. Telle n'étoit pas l'intention de tous les Confédérés. Un grand nombre ne désiroit, ni le gouvernement du peuple, ni une rupture irrémédiable avec le Souverain, ni surtout l'anéantissement du culte Catholique, ni même l'introduction de la Réforme. Comment établir un accord entre des partis qui réciproquement vouloient s'arracher ce qu'ils avoient de plus sacré? La tentative d'introduire la paix de religion (p. 386, sqq.) fournit la preuve la plus évidente de son impossibilité. La résistance, la réaction se manifeste. La sagesse du Prince d'Orange avoit retardé l'explosion; mais à la fin lui aussi faisoit de vains efforts. La guerre civile, devenue inévitable, aura pour dernier et seul remède le démembrement des Pays-Bas. | |||||||
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La troisième et dernière Partie de ce Tome contient ce travail de séparation. La masse désordonnée tend à s'organiser en deux fractions ennemies. D'une part la Généralité; de l'autre ceux qui, ne trouvant plus une protection suffisante de leur foi, se défendent eux-mêmes, sous le nom expressif de Mécontents (p. 463). Là les Réformés dominent, ici les Catholiques. La haine des Espagnols leur est commune, mais ne les empêche point de s'entredéchirer. Vainement voudroit-on décrire avec exactitude un tel dédale de difficultés. Nous allons citer quelques traits qui peut-être en donneront une idée. D. Juan meurt, victime de son désespoir; moins digne de blâme que de pitié (p. 452, sqq.). ‘Certes,’ écrit Granvelle, ‘c'est chose digne de grande compassion d'avoir perdu ce Seigneur qu'avoit jà acquis si grande réputation en fleur de âge; il est en sa xxxi année; Dieu luy face mercy’ (p. 474). Sa mort ne profita point à ses ennemis; son successeur, le Prince de Parme, le surpasse en habileté. Impérieux et irascible, le Duc Casimir augmente les embarras par ses démarches inconsidérées (p. 466, sqq.). Le Prince d'Orange, après avoir, autant que possible, porté remède aux suites funestes de son | |||||||
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extravagance, parvient à l'éconduire poliment hors de Gand et des Pays-Bas (p. 507, 571, sq.). Le Traité avec Anjou (p. 438) avoit produit de minces résultats. Son mariage avec Elizabeth n'étoit pas en Angleterre l'objet de voeux unanimes (p. 422, 644). Ses qualités personnelles ne semblent pas avoir inspiré la confiance et le respect. ‘L'ayant traicté familièrement aulcuns des Pays d'embas n'y treuvent ce qu'ilz espéroient, ny pour personne sur quoy faire grand fondement’ (p. 474). Jaloux de Casimir, il se mettoit, par des secours secrets, presque à la tête des Mécontents. Le Prince lui fait savoir que ‘ceste façon de faire est chatouilleuse, et qu'il seroit meilleur s'abstenir du tout de telles trafficques’ (p. 516). M. de Maroles craint ‘que par les menées du Roy d'Espaigne et ses affectionnez, il n'abandonne nostre cause, ou tienne partie à nous contraire’ (p. 529). Ce n'est pas tout. L'Ambassadeur de France, M. de Bellièvre, nous fournit une preuve frappante du peu d'estime qu'on faisoit de son caractère. Il écrit au Duc lui-même qu'on le soupçonne de vouloir ‘extirper la nouvelle religion et fère massacrer le Prince d'Orenge’ (p. 444); et la manière dont il s'exprime, semble indiquer qu'il n'est pas sans inquiétude à cet égard. | |||||||
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Quoiqu'il en soit, le Duc ne trahit pas encore les Etats; il se borne à les quitter (p. 520). Le Gouverneur-Géneral ne fait rien moins que gouverner. L'histoire de Matthias dans les Pays-Bas a été tracée par Granvelle en trois mots: ‘l'Archiduc ne peult rien’ (p. 339). Il sent et déplore la nullite du rôle qu'on lui fait jouer. Anjou, dont-il voulut en vain prévenir l'arrivée (p. 366), ayant fait ‘dire expressément qu'il ne vouloit avoir affaire avec l'Archiduc, mais avec les Estatz tant seullement, Matthias, entendant ces nouvelles, commença à pleurer’ (p. 416, sq.). En Gueldre le Comte Jean de Nassau n'avoit pas une tâche facile. Tous ne s'étoient pas réjouis de son arrivée (p. 343). Un sécretaire du Landgrave, se trouvant sur les lieux, écrit: ‘Il a une infinité d'affaire de régir et modérer seullement ceux de ce pays, quy ne sontz pas seullement revèsches et malaisez à manier, mais aussi la pluspart des principaulx des villes encore bien affectionnez à l'Espaignol’ (p. 416). L'opposition étoit forte par elle même; le caractère et les actes du Comte contribuèrent encore à la faire grandir. Il n'étoit pas impartial envers les Catholiques (p. 494, sqq.). Désirant être juste envers tous, s'enquérant de la marche à suivre pour tenir | |||||||
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religieusement ses promesses (no 873a), désapprouvant les excès commis au nom de la Réforme (p. 580), il ne protégeoit pas toujours les Catholiques avec cette décision, qui à des époques pareilles, est seule efficace. Il poursuivoit vivement ses desseins, et son ardeur par fois dégénéroit en violence (p. 496, sqq.). Les Lettres que Léoninus lui adresse, font voir qu'à son avis, le zèle du Comte à propager sa foi donnoit lieu à de justes réclamations. Il désapprouve ‘le subit changement et totale cessation de la religion catholicque-romaine en aulcuns lieux contre le gré des subjectz’ (p. 501). Il exhorte le Comte, accusé jusque devant les Etats-Généraux, à ‘modérer l'affaire et à procéder en conformité de la religions-freidt, et assurer ung chacun, pour diminuer les apparentes dissentions. (ibid.). Je supplie que v.S. veuille tenir la bonne main que le tout soit modéré, comme la conjoincture du temps et repos publicq requierrent’ (p. 504). L'Assemblée de la Généralité sembloit le plus souvent sommeiller au milieu des périls. En vain tâchoit-on de lui imprimer une marche un peu vigoureuse. La lenteur, toujours la même, faisoit manquer les occasions les plus favorables, échouer les entreprises les mieux combinées; et causa, par | |||||||
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ex., la perte de Maestricht, que, malgré les efforts du Prince, on ne manqua pas de lui imputer (p. 621, sq.). Les Etats des Provinces étoient admirablement actifs quand il s'agissoit de leurs intérêts particuliers (p. 397); mais, cette ardeur se consumant dans les calculs de leur égoïsme, ils ne tenoient aucun compte du salut commun. Il y avoit opposition, il y eut bientôt inimitié entre les Provinces Germaniques et Wallonnes (p. 540). En Hollande et en Zélande des influences républicaines se faisoient sentir (p. 337, 415). Depuis l'absence du Prince, on n'y respectoit plus ses ordres avec le même empressement (p. 246 et p. 481). - Ceux d'Amsterdam, déjà en 1577, vouloient ‘gouverner leur Gouverneur’ (p 177). Les Villes refusoient de recevoir garnison, ‘ayans craincte que les soldatz se vouldront faire payer par force’ (p. 564). Le Prince ne tenoit pas toujours compte de leurs refus, jugeant qu'il ‘vault mieux de malcontenter un peu les villes que les perdre de tout’ (p. 571). La licence populaire franchissoit tous les degrés. ‘Les affaires ne sont en trop bon poinct, pour le | |||||||
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peu de respect que le peuple porte au Magistrat supérieur, jusques à dégorger des injures par trop diffamatoires’ (p. 656). A Anvers ‘la Commune fût venu trouver les Estatz-Gén. pour les maltraicter, si les Coronnelz et aultres gens de bien’ n'eussent déclaré ‘le debvoir faict de la part des Estatz’ (p. 531). Même il fut question d'une défénestration de l'assemblée. ‘Aulcuns bourgeois s'estoient desbordez sy avant qu'ilz menaschoient massacrer les Estatz-Gén. et les jecter hors des fenestres’ (p. 533). Les Magistrats de la Flandre, jaloux des autorités militaires, vouloient diriger leurs opérations. Dans une Lettre extrêmement caractéristique, le brave et pieux de la Noue, leur écrit: ‘Ce qui sera possible, nous le ferons; mais d'aller imprudemment attacquer mal à propos une place, c'est perdre la réputation et ruyner voz affaires. S'il y en a quelcun, qui promect prendre avecq les ongles les places, qu'il y aille, et vous verrez ce qui en arrivera. Ce seroit vous tromper, que de vous mentir ou flatter; mais, s'il vous plaist faire diligence d'avoir de ce qui convient, vous verrez sy nous avons du couraige et sy nous craignons nostre peau’ (p. 609). Gand surtout portoit un préjudice extrême à | |||||||
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la cause commune. Là plus qu'ailleurs, les Réformés étoient intraitables et le peuple menaçant. Cette Ville riche et populeuse, qui aspiroit à devenir une République indépendante, causoit à la Généralité des alarmes sans cesse renouvelées (p. 507, 586). Le Prince reprochoit à la Régence que, par sa tiédeur à réprimer les désordres, elle attiroit la ruine de la patrie et de la religion (p. 593). Malgré tant de causes et de symptômes de dissolution prochaine, le Prince ne se lassoit point d'en éloigner le terme. Il ne néglige aucune occasion, aucun moyen de resserrer les liens de la Généralité. On lit, tantôt qu'il veut faire ‘concepvoir certains articles à observer partout généralement’ (p. 470); tantôt que, ‘pour remédier à toute diffidence et remectre le pays en bonne et ferme union pour jamais, il trouvoit bon de faire nouveau accord et alliance générale ès provinces;’ tantôt ‘qu'il employera son sang pour la conservation de la Généralité’ (p. 530). Ces tentatives furent inefficaces. Nul pouvoir humain n'avoit désormais la force de résister au torrent. Deux Ligues se forment; l'une par le Traité d'Arras; l'autre par l'Union d'Utrecht (p. 521); | |||||||
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toutes deux déclarant respecter la Confédération Générale, mais, en effet, accélérant sa fin. Beaucoup de nos documents concernent l'Union d'Utrecht. D'abord un ample Mémoire (p. 539-560), réfutation détaillée des arguments par lesquels on rendoit le nouveau pacte suspect. Puis un projet, dans un esprit très-démocratique, d'après lequel un Seigneur, ‘qui présidera,’ sera élu par le Conseil d'Etat, choisi par ‘Magistratz et Officiers agréables à la Commune’ (p. 561). En outre plusieurs pièces (p. 326, sqq., 431, sqq., 486, 613, sqq.) d'où il résulte que le Prince d'Orange, qui désiroit une alliance pareille, n'approuvoit pas complètement celle d'Utrecht, à cause de sa tendance anti-françoise et anti-catholique, doublement dangereuse au moment où, plus que jamais, l'on devoit ménager les Provinces Wallonnes. Le véritable auteur de l'Union d'Utrecht, concertée aussiavecle Duc Jean-Casimir (p. 433), fut le Comte Jean de Nassau. Son influence s'étendoit bien au delà des limites de la Gueldre. En Hollande et en Zélande beaucoup de personnes vouloient lui donner la Lieutenance du Prince (p. 416). En outre on songeoit à le nommer Directeur de l'Union (p. 538). Il avoit une grande activité (p. 570). Il écrit lui-même à ses Conseillers: ‘nous sommes | |||||||
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parvenus à conclure l'Union, contre toute attente humaine et même d'abord contre la volonté de l'Archiduc et des Etats-Gén.’ (p. 568): il recommande que dans ses Eglises l'on rende grâces au Tout-Puissant (p. 569). L'Union d'Utrecht, le Traité d'Arras furent les premiers pas sur deux routes diverses; conduisant, l'une vers une réconciliation prochaine, l'autre vers une abjuration inévitable. Ce Tome en fournit la preuve, dans la paix des Wallons avec le Roi (p. 612) et dans l'inutilité des négociations de Cologne.
Ces négociations eurent lieu par l'entremise de l'Allemagne. Examinons leur nature; nous verrons bientôt quel pouvoit être leur résultat.
Les Pays-Bas n'avoient eu guères à se louer de leurs voisins. La Reine Elizabeth, quoiqu'elle n'abandonnât point ces Provinces, ‘le plus sûr bouclier contre les coups que lui préparoient’ (p. 240) ceux pour qui l'Angleterre étoit ‘le nid des hérétiques et la ressource d'iceulx’ (p. 72), mettoit dans ses | |||||||
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démarches une timidité, une tiédeur vivement condamnées par ses plus habiles ministres (p. 409, 442, sq.). Les Réformés de France et des Pays-Bas continuoient à regarder leurs intérêts comme identiques: ‘nous [courons] tous ung mesme chemyn de la religion, estans au nombre des proscriptz du pape, qui se sçait servir de la puissance de nos roys à l'extirpation de leurs propres subjects’ (p. 6). Mais leurs efforts et ceux d'Anjou n'étoient point avoués par le Roi. Oh! sans doute, il eût aimé joindre les Pays-Bas à sa Couronne (L. 762), mais il craignoit le courroux de l'Espagne et surtout aussi la grandeur d'un frère qu'il considéroit presque comme son rival. L'on étoit à l'égard de ses intentions dans une incertitude d'autant plus grande, que, voué à des irrésolutions perpétuelles (p. 186), il sembloit lui-même la partager. Quant à l'Allemagne, elle détournoit les yeux, ou contemploit passivement la lutte. Le Duc d'Albe s'exprimoit d'une manière caustique sur le compte des Princes Allemands. ‘Ce sont,’ disoit-il, ‘de grands Seigneurs; ils ont dans leurs armes beaucoup de grands animaux, comme des lions, des aigles, et autres; ils ont encore de grandes dents | |||||||
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et de grandes griffes; mais ils ne mordent et n'égratignent point’ (p. 300). Le Comte Jean de Nassau écrit au Duc Jules de Brunswick: ‘L'aveuglement, la sécurité, et la pusillanimité sont tels qu'on y reconnoit un signe certain de la colère divine, de la peine qui nous attend, de la dévastation et de la ruine dont tout l'Empire est menacé’ (p. 26). Les Princes Protestants sont compris dans ce reproche. Ils se bornent à donner des conseils de tolérance à D. Juan (p. 267). C'étoit souvent insouciance; c'étoit en outre prévention religieuse et politique. L'orthodoxie des ultra-Luthériens sembloit absorber la charité. Les opinions de Zwingle, auxquelles on assimiloit celles de Calvin, étoient tenues pour pires que la religion des Turcs (p. 321). Le Landgrave Guillaume de Hesse, en qui beaucoup de Chrétiens mettoient, après Dieu, leur espoir (p. 322), intercédoit, mais en vain, pour les Réformés (p. 322, sq.); d'accord sans doute avec les sentiments exprimés dans une excellente Lettre du Comte Jean de Nassau: ‘L'on ne perd jamais, mais l'on prête à usure ce qu'on fait pour l'amour de Dieu, de la patrie, et du prochain, et Dieu | |||||||
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rend abondamment et au centuple à ceux qui se confient ainsi en lui et font paroître leur foi’ (p. 321). - Des considérations personnelles donnoient à ces préventions une double force contre les Calvinistes des Pays-Bas; car l'Electeur de Saxe, presque chef du parti, haïssoit ‘le Prince d'Orange de malle mort, n'ayant mesme voulu jamais accorder d'envoyer ses députez à la journéede Basle, si l'on ne l'asseuroit premier que l'on ne parleroit de manutention ou conservation dudict Prince’ (p. 57). En Allemagne on considéroit les Pays-Bas comme en état de révolte. Le Comte Jean écrit: ‘On met la tyrannie sur une même ligne avec un gouvernement chrétien, la préférant ainsi au Seigneur et à Sa Parole’ (p. 33). Les Députés des Etats-Généraux en France avoient à combattre les mèmes préventions: ‘la Royne-mère nous dict que jamais il n'estoit bien prins aux subjets de prendre les armes contre leur Prince. Nous lui respondismes pertinemment sur ceste allégation, et lui dismes que ne demandions que la paix, pourveu qu'elle fut bonne, et que ne désirions de changer, ni de Prince, ni de religion; que ce n'estoit point une revolte, mais une résolution prise par le corps de tout l'Estat du Pays-Bas, pour la conservation de leurs vies et | |||||||
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biens, et de leurs privilèges’ (p. 237). Il n'étoit quetrop vrai:‘on ne regarde plus ceux qui en France et aux Pays-Bas sont si cruellement persécutés, comme des frères en Christ, mais comme des rebelles qu'on ne doit pas souffrir’ (p. 33). Le Landgrave Guillaume, dont l'opinion avoit une grande influence, désapprouvoit l'iconoclasie (p.451), le républicanisme (p. 254, sq.), l'alliance des Réformés avec des Catholiques (p. 478), les négociations avec le Duc d'Anjou (p. 428). Aussi exhorte-t-il, d'abord le Comte Jean de Nassau (p. 254), ensuite le Duc J. Casimir (p. 374, sq.) à ne point se rendre dans les Pays-Bas. Telles étoient les dispositions des Protestants; les répugnances, on peut le croire, étoient plus vives encore chez les Catholiques.
Remarque générale: les Pays-Bas, quand ils reçurent des secours, en furent le plus souvent redevables, non à des sympathies généreuses, mais à des calculs intéressés. Le véritable mobile qui leur donnoit des Alliés, c'étoit l'ambition de tel ou tel Prince, ou bien la jalousie et l'égoisme des nations diverses. La France ne pouvoit y souffrir l'Angleterre (on | |||||||
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s'en apperçoit dans une Lettre de Schonberg; p. 55, sq.) et l'Angleterre ne pouvoity souffrir la France (p. 406, sqq.). - De même l'Allemagne refusoit, ou du moins négligeoit de venir en aide aux Pays-Bas, et toutefois frémissoit à la pensée qu'une autre Puissance, les sauvant, pourroit y dominer. A la venue d'Anjou, les Allemands s'émeuvent, mais c'est pour songer moins au secours qu'à la menace. Le Landgrave écrit: ‘On en viendra peut-être à déclarer les habitants des Pays-Bas rebelles et séditieux, à les mettre au ban de l'Empire, à aider même le Roi d'Espagne à les subjuguer de nouveau’ (p. 429). Néanmoins ils préférèrent suivre des voies plus douces. La médiation de l'Empire fut offerte. Le Prince d'Orange l'avoit souhaitée. Il vouloit que par elle la persécution religieuse cessât, la paix de religion fût établie, les étrangers renvoyés, les privilèges maintenus; le tout, soit avec le consentement du Roi d'Espagne, soit même contre son gré (p. 28, sq.).
Etoit-ce là le ton et la lendance des délibérations à Cologne? Non certes. On resta bien en deçà de ces désirs. | |||||||
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L'intervention eut lieu uniquement dans les intérêts de l'Empire et de la Maison d'Autriche, avec une répugnance marquée envers les Protestants, et s'en remettant au bon plaisir du Monarque. Lueur passagère à laquelle succède un redoublement d'obscurité! De longues et pénibles négociations démontrèrent que des croyances et des prétentions si diverses étoient incompatibles, la rupture avec le Roi irrévocable, etles liens formés en 1576 à Gand déchirés.
A qui la faute? Doit-on accuser l'obstination du Roi, la défection des Catholiques, les prétentions du Prince d'Orange, ou les violences des Réformés?
Le Roi cédoit tout ce qu'en conscience il croyoit pouvoir céder. Il n'y a là rien de surprenant. La nécessité de pacifier au plutôt les Pays-Bas devenoit de jour en jour plus manifeste. Granvelle en fait ressouvenir D. Juan (p. 74, sqq.). Il désire que le Roi ne se laisse point exciter à laguerrepar de ‘vains espoirs’ (p. 203). Il recommande la douceur, en déplorant les injustices et les cruautés des Espagnols (p. 286, | |||||||
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410, sq.). Il prie ‘Dieu d'inspirer les Etatz à prandre bon chemin, devant que leur ruyne s'enchemine plus avant’ (p. 339). Il a toujours écrit ‘à sa M. propre et à ses ministres, franchement et rondement, pour la vérité et pour son service, et pour procurer que le tout se peult tost et paisiblement accommoder’ (p. 411). De même le Conseiller Assonleville écrit: ‘A la vérité, la paix est de tout nécessaire, et, à quelque pris que ce soit, elle ne peult estre que prouffictable à la religion et à sa M.’ (p. 514). Nous ne croyons pas qu'il faille louer démésurément le Roi d'avoir eu des dispositions conformes à ses intérêts; mais le fait est indubitable: Philippe II eut constamment en vue la pacification des Pays-Bas. En 1577 il ratifie l'Edit Perpétuel (p. 1), désapprouve la surprise de Namur (p. 111), se résout ‘du tout à la clemence, commande que nullement les Espagnolz ne retournent, veullant faire accomplir tout ce qu'estoit traicté’ (p. 203); se prépare à envoyer, au lieu de D. Juan, la Duchesse de Parme (l.l.), ‘qui, s'il est en pouvoir humain, l'eust mieux achevé que personne aultre, par plusieurs respectz notoires’ (p. 342); ‘Princesse d'auctorité, prudence, et expérience, studieuse | |||||||
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de la raison, auctorité du Roy, et du bien du païs, qui eust facilement trouvé les moyens de quiéter ces troubles, puysque on est d'accord des principaulx poinctz’ (p. 373); ‘donne,’ encore en novembre, ‘charge au Sgr. D. Joan de... haulser la main des armes et renvoyer les Espagnolz et que sa M. passera par tout ce qu'a esté par elle confirmé et obliera toutes choses mal passées’ (p. 247). Au commencement de 1578, il fait, par le Sr de Selles, des propositions dont les Etats soupçonnent à tort la sincérité (p. 283). Quelques mois plus tard ‘sa M. consent à l'Empereur... de traicter... l'accord, à conditions clémentes et raisonnables, s'accomodant à tout, non obstant les choses si mal passées et si estranges termes que l'on ha tenu contre sa M.’ (p. 477). Enfin à Cologne, ‘les Commissaires impériaulx ont opinion que le Roy faict et offre.... tout ce que en raison ses subjectz peuvent demander, et plus qu'on pourroit prétendre en vertu de la religions-fried d'Allemaigne’ (p. 660).
Mais, si le Roi est hors de cause, faudra-t-il accuser les Catholiques? On a beaucoup parlé de leur manque de foi, de leur servilisme. Nous avons cru devoir écarter ce reproche (p. 673-681). La Paci- | |||||||
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fication de Gand ne fut pas violée par eux. Ils ne se livrèrent point aux Espagnols. Ils ne sacrifièrent point leurs libertés. L'alternative poureux c'étoit, ou la paix, avec des garanties plus que suffisantes contre l'influence étrangère et le pouvoir royal, ou la guerre, avec la suprématie inévitable des hérétiques et des iconoclastes. Le choix ne pouvoit être douteux.
Est-ce donc le Prince d'Orange qui a rendu la paix impossible par ses ambitieuses menées? Nous avons exposé les détours de sa politique; s'il eût des torts, nous ne les avons point dissimulés. C'est un motif de plus pour combattre ici une fausse supposition. Il faut remarquer d'abord que, même en repoussant tout accord avec D. Juan, il n'avoit pas rompu irrréconciliablement avec le Roi. Même en 1578, le Comte Otton de Schwartzbourg s'étonne qu'il se soit ‘monstré tant enclin et vrayement volontaire à la paix’ (p. 518). Ensuite, et surtout, on doit observer qu'en déconseillant la paix, il y avoit, quant à ses intérêts particuliers, sacrifice et non calcul. Il avoit beaucoup de motifs pour désirer la paix (p. 629, sq.). Il en avoit un plus grand pour la combattre: le zèle pour la religion Evangélique, puisque la partie adverse mettoit chaque fois en | |||||||
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avant le maintien exclusif du Catholicisme. - Sans doute, considérant la situation presque désespérée de la Géneralité et les stipulations très-avantageuses par lesquelles le Roi vouloit acheter son départ (p. 629), il eût, guidé par l'égoisme, fait sa paix particulière sans hésiter. C'est pourquoi nous souscrivons volontiers son témoignage: ‘je loue mon Dieu qui m'ast faict ceste grâce que ouvertement je peus dire que jamais eu regart à mon particulier que je n'ay tousjours eu le bien de la patrie et le général plus à ceur et pour recommandé’ (p. 139).
Faudra-t-il, apres avoir, plus ou moins, plaidé la cause du Roi, du Prince d'Orange, et des Catholiques, attribuer le malheur des Pays-Bas aux Réformés? Les absoudre complètement seroit difficile. Nous avons déjà dû le reconnoître (p. xxviii); leur zèle fut souvent charnel, leur puritanisme outré. Ils commettoient parfois des violences, malgré des engagements positifs. Dans leurs démêlés avec les Catholiques, ils prenoient naïvement. leur propre croyance pour règle commune (p. 574); mode d'argumentation très-commode, très-efficace, quand il est soutenu par la force. | |||||||
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Nous regrettons que des Chrétiens, respectables par la pureté de leur foi, la profondeur de leurs convictions, l'énergie de leur dévouement, et l'austérité de leur vie, n'aient pas eu plus de modération dans leur conduite et plus de largeur dans leur charité. Toutefois, malgré notre attachement aux vérités Evangéliques, remises en honneur par la Réforme, nous n'hésitons point à faire cet aveu. - Une doctrine n'est pas responsable des excès qu'elle condamne. Enumérez, exagérez les écarts des Protestants; il n'en sera pas moins nécessaire d'accepter la justification gratuite par la foi, comme fondement du salut; il n'en sera pas moins déplorable de confondre la tradition des hommes avec l'oeuvre perpétuelle du St. Esprit, de remplacer par les enseignements du prêtre ceux des Saintes-Ecritures, et d'adorer un pauvre pécheur, à la place de notre Dieu-Sanveur Jésus-Christ. - Au besoin les récriminations seroient faciles. Reprocher amèrement la destruction de quelques images, ne convient pas à ceux qui firent périr des milliers de Chrétiens sur les bûchers. - Des écrivains Catholiques ont, encore de nos jours, sans aucun scrupule, dissimulé, dénaturé les faits qui leur étoient à charge. Pour nous, ne point les imiter n'est pas même un | |||||||
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mérite; car c'est la garantie du succès. L'histoire, abandonnée au triage des prédilections et des répugnances, devient tour à tour l'esclave de chaque parti. Enlevée à l'influence des petites passions, elle est l'auxiliaire puissant et fidèle de la justice et de la vérité. Gardons nous cependant d'imputer exclusivement aux hommes ce qui étoit inévitable à cette époque. Dans la révolution des Pays-Bas, le fait de la religion n'étoit, il est vrai, ‘qu'une accession de la première querelle des Estats,’ et beaucoup de personnes trouvoient ‘estrange que le dit accessoire fut devenu de plus grande importance... que le principal’ (p. 664). Cela devoit être. Protestants et Catholiques ne pouvoient encore, ni agir longtemps en commun, ni tolérer l'exercice public d'un culte, à leurs yeux, soit impie soit idolàtre. Dès lors toute garantie devoit, surtout aux Protestants, paroître insuffisante. La liberté, même de conscience, ne pouvoit être respectée du Catholique que par mesure provisoire, qu'il lui tardoit de voir révoquer. Une réconciliation avec le Roi, quelles qu'en eussent été les bases, eût, tôt ou tard, amené un résultat fatal pour la Réforme. Une séparation complète, douloureuse pen- | |||||||
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dant qu'elle s'opère, mais bénie dans ses résultats, pouvoit seule donner l'existence à la République qui, fondée sur l'Evangile, résistant aux attaques combinées de l'Espagne et du Papisme, alloit servir de magnifique témoignage à la promesse: ‘cherchez premièrement le Royaume de Dieu et Sa justice, et toutes choses vous seront données par-dessus.’
Ainsi les générations s'agitent; ainsi les hommes commettent des erreurs, dont la responsabilité leur reste et dont ils portent le châtiment; tandis que, sous la main de Celui dont les prévisions et les voies ne sont pas les notres, tous les événements, et jusqu'aux fautes des hommes, sont dirigés, en concourant au maintien de Son Eglise, vers l'accomplissement de Ses adorables desseins. † Nos remerciments à Mr Bodel Nyenhuis sont toujours également sincères, également mérités. | |||||||
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403) d'après l'original qui se trouve aux Archives du Royaume, et que M. l'Archiviste de Jonge a bien voulu nous communiquer. |
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