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† Lettre DCXLVI.
Le Prince d'Orange au Sr Théron. Négociations avec le Duc d'Anjou.
Seigneur Théron, j'ai receu vos deux lettres, et vous remercie tousjours de la diligence de laquelle vous usez en nos affaires. Je n'ai pas encoires les nouvelles de la paix, qui faict que je ne puis encores escrire à son Altéze, d'aultant que le fondement de ma résolution doibt venir de là. Quant est de ce que Monsr l'Ambassadeur à si bien négocié par dela, je ne puis que je n'en soi grandement resjoui, car de ma part s.A. trouvera que de touts mes moiens je m'emploierai à son service, comme je sçai que mes offices particuliers et secrets n'ont rien nui au dict affaire conduict par Monsr l'Ambassadeur. Vous entendrez aussi plus amplemert par Monsr l'Ambassadeur quel est mon advis touchant la venue du Sr Don Juan d'Austria, à quoi il est plus que besoing d'avoir l'oeil diligemment, à quoi je m'asseure que vous ne
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Ga naar margenoot+ferez faulte, cognoissant bien combien il est important pour le service de s.A., et à tant, après m'estre recommandé à vos bonnes grâces, je prieray Dieu, Seigneur Théron, de vous augmenter les Siennes. A Middelbourg, ce 9 novembre 1576.
Dans le séjour de D. Juan aux Pays-Bas (nov. 1576 - oct. 1578) on distingue
a. | les négociations, jusqu'en février 1577. |
b. | les retards dans l'exécution de l'accord, jusqu'en mai. |
c. | les entraves dans l'exercice du Gouvernement Général, jusqu'en juillet. |
d. | la surprise du Château de Namur et les nouvelles négociations, jusqu'en décembre. |
e. | la guerre ouverte, jusqu'à la mort de D. Juan. |
Les Etats étoient disposés à recevoir D. Juan sans conditions. Le 6 novembre, ‘résolu que le Sr d'Isse s'envoyera vers D. Jéhan pour le convoyer jusqu'à Namur et que aulcuns des principaulx Seigneurs du Pays-Bas le viendront accompaigner jusques à Bruxelles:’ Rés.d. Et.-G. I. p. 98. Rien de plus naturel. Il venoit au nom du Souverain. On n'avoit rien à lui reprocher. Au contraire: compatriote, de sang royal, issu d'un Monarque glorieux et chéri, célèbre lui-même par ses hauts faits, il s'étoit empressé de venir porter remède aux embarras du Gouvernement. On ne pouvoit le soupçonner de vouloir donner gain de cause aux soldats mutins. La Pacification de Gand, conclue sous le bon plaisir du Roi, ne pouvoit être un motif de laisser le Gouverneur à la frontière; d'autant moins qu'il déploroit les excès des Espagnols et promettoit de les punir avec sévérité.
Malgré ces considérations le Prince réussit à lui faire provisoirement interdire l'entrée du pays. Il écrivit à diverses reprises aux Etats-Généraux, à ce sujet. Le 29 nov., par suite d'un Avis du Prince, est résolu ‘que ceulx du Conseil-d'Estat escripvront à ceulx de Namur, de point recepvoir D. Jéhan comme Gouver- | |
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Ga naar margenoot+neur, ne soit par précédente charge d'icelluy Conseil et des Estatz:’ l.l. p. 156. Après une Lettre du Prince, Bor ajoute: ‘Dese missive en is niet sonder vrucht geweest, want eenige die den handel voor Don Jan dreven en gaerne gesien hadden dat men Don Jan terstond als Gouverneur-Generael soude ontfangen, sonder eenige conditien, hierdoor werden opgehouden:’ p. 750a.
Il faut remarquer les conseils du Prince, les exigences des Etats, les offres de D. Juan.
Le Prince n'ose déconseiller entièrement d'entrer en communication avec D. Juan: ‘hy en can het hun niet ontraden;’ Bondam, I. 198; seulement il exhorte à observer scrupuleusement ‘de actiën, woorden en contenantien van D. Johan,’ l.l. ‘ende hun niet te laten verabuseren met schoone woorden ofte soete beloften:’ p. 196. Il veut qu'on rassemble des forces considérables. En outre il insinue les conditions qu'il faut proposer; et ceci surtout est digne de remarque; car on ne sauroit disconvenir qu'elles tendent à une rupture complète. La Lettre du 30 nov. ne laisse aucun doute à cet égard. Il veut d'emblée le Gouvernement par les Etats-Généraux, et, outre le rétablissement et le maintien des priviléges, formule très vague, D. Juan devra permettre ‘dat de Staten hen souden voorsien van Raden, so van State als van finantie, datse de vrijheid sullen hebben twee of driemaal des jaers te mogen vergaderen, of so dikmalen hen goed dunken sal, om te sien of de saken wel en wettelyk beleid werden, deselve te verbeteren en ordre te stellen, so sy sien sullen te behoren, en voor de reste dat alle Castelen sullen werden gedemolieert, dat hy geen krygsvolk sal mogen aennemen sonder bewilliginge van de Staten-Generael, en dat alle garnisoenen sullen beset worden door hun advys:’ l.l. p. 749a. Prescrire des conditions pareilles, c'étoit déclarer la guerre et non proposer la paix.
Les Etats exigeoient, avant de reconnoitre D. Juan pour Gouverneur, le départ des Espagnols, la confirmation du Traité de Gand, la convocation des Etats-GénérauxGa naar voetnoot(1). Mème on subordonnoit son pou- | |
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Ga naar margenoot+voir aux décisions de cette assemblée: il devoit s'engager ‘te blyven op hetgene aldaer geresolveert en besloten soude worden:’ Bor, p. 761a.
Faire partir les Espagnols, sans avoir de quoi les payer, n'étoit pas chose facile; la ratification d'un Traité, qui sembloit favoriser les hérétiques, devoit déplaire au Roi; et depuis longtemps on avoit évité la réunion des Etats-Généraux, comme extrêmement dangereuse.
Néanmoins, à ces propositions D. Juanrépondit qu'il feroit partir les Espagnols, bien entendu qu'on licencieroit également les troupes des Etats: qu'il étoit disposé à une Pacification générale, pourvu qu'on respectât le Roi et la Religion Catholique; et qu'il réuniroit les Etats-Généraux, sous la même condition. Il alloit jusqu'à offrir de se mettre en ôtage ‘in handen van een neutralen Prince’, jusqu'à ce que les troupes étrangères auroient quitté le pays.
Cette réponse n'avoit rien qui dût effaroucher les Etats Catholiques; quant au Prince, il savoit que, ‘s'ils se peuvent accorder, ce sera à nous à courir, assavoir ceulx de la réligion’ (Lettre du Prince, du 2 déc.). Poursuivant sans relâche sa tactique, il présente les actes et les paroles de D. Juan sous le jour le moins avantageux.
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Ga naar margenoot+Le Gouverneur refuse de s'aventurer, sans ótages et sans gardes, dans des Provinces où tout le peuple est en armes. Motif de soupçon.
Il est en correspondance avec les Chefs Espagnols, parmi lesquels plusieurs, ne pouvant demeurer isolés au milieu d'une population exaspérée, avoient été contraints de se rallier aux séditieux. Ces relations étoient naturelles et inévitables, nécessaires même pour satisfaire aux engagements envers les Etats. On y voit des indices sûrs de projets funestes.
Il reproche aux Etats leur bonne intelligence avec le Prince d'Orange: ‘Je m'étonne que vous ayez traité avec lui, rebelle et Luthérien; que vous pouvez escrire, ou négocier aucunement avec lui:’ Bond. I. 314. Certes il y avoit de quoi s'étonner, surtout ces rapports devenant plus intimes chaque jour. Ce mecontentement, exprimé sans détour, c'est une tentative de régner par la désunion.
Il désiroit faire partir les troupes par mer. Les Etats s'y opposèrent: non sans motif; car il y avoit là un grand danger pour les provinces maritimes.d. Juan méditoit une descente en Angleterre: mais on ne pouvoit deviner sa pensée, et quand on l'auroit pu, on n'eût pas aimé la voir se réaliser. Toutefois le refus étoit doublement désagréable, puisque sur ce point on avoit été d'accord: ‘de Staten-Generael bidden syn Hoogheid een persoon te senden aen het Spaense krygsvolk, ten einde sy terstond ter zee gaan, of andersins, naar believen van syn Hoogheid:’ Bor, 763b. D. Juan insiste Nouvelle preuve de pernicieux desseins.
Ce n'est pas tout. On pouvoit prévoir qu'il auroit le bon esprit de s'entourer de personnages natifs du pays. Voici comment le Prince jette déjà par avance la défaveur sur une démarche si conforme à ce qu'on avoit constamment désiré: ‘De Spanjaerden, onse gesworene vyanden,... hebben den Coninck geraden van Don Jan te belasten eenige Heeren en mannen van den Lande voor syne Raden te nemen, die doch in syne daden maer als een schaduwe dienen souden:’ Bor, 748a.
Enfin il ne pouvoit se résoudre à accepter la Pacification de Gand. S'il eùt voulu manquer à sa promesse, il n'eùt pas si
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Ga naar margenoot+longtemps délibéré. Ses hésitations témoignent de sa bonne foi. Les Etats et le Prince y donnent une interprétation bien differente; ce retard leur paroìt une insulte et presqu'un défi.
En un mot toutes ses démarches, d'après ses antagonistes, étoient pleines de ruse et de fausseté. On ajoutoit foi à toutes sortes de bruits, ‘die eenige waerachtig waren,’ dit Bor, ‘en eenige niet:’ p. 753b. On ne rêvoit que surprise et massacres. En décembre un député de la Gueldre, se mettant en route avec quelques collégues pour aller conférer avec D. Juan, écrit: ‘Godt helpe ons weder in Duytschlandt!... Godt wil schikken dat het geen Parys werck en wort!... WoeGa naar voetnoot1 ons ooc te moede is, kenne Godt; dan dulce est mori pro Patria; come ick niet weder, mogen u.L. my eene sielmisse nae laeten doen:’ Bondam, I. 283.
La Lettre et l'Avis suivants feront voir que, de son côté, D. Juan avoit quelque motif de ne pas se croire parfaitement en sureté. |
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voetnoot(1)
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Etats-Gén. Cette réunion existoit, dira-t-on, déjà de fait. Mais il faut remarquer que, bien que les Députés des Provinces se trouvassent à Bruxelles, c'étoit là une assemblée irrégulière et spontanée, pour subvenir aux nécessités du moment; tandis qu'on vouloit une convocation solennelle, pour décider, de concert avec le Roi, sur le Gouvernement du pays. De là il est dit dans l'Instruction des Députés vers D. Juan, le 3 nov. ‘Les Estatz-Généraulx ne se peuvent assembler avant que les Espaignolz soient retirez:’ Rés.d. Et.-G. I. p. 291. Et ‘S. Alt. est contente d'accorder l'assemblée des Et.-G. en la forme qu'elle le fust à la cession de feu l'Empereur:’ p. 309. - De même en 1575; ‘de twee Provinciën begeerden eene Vergadering der Provintien Staatswyze, gelyk by den afstand van Keizer Karel; de Spaensche Regering beriep alleen afgevaardigden uit de Provintien om te raadplegen over de verzogte beden:’ v.d. Spiegel, On. St. I. 3.
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