| |
| |
| |
* Lettre DCIII.
Ga naar margenoot+Le Prince d'Orange au Comte Jean de Nassau. Capitulation de Zierikzee.
Monsieur mon frère. Je vous envoye cy-joincte une lettre que je vous avoys escripte ces jours passez; mais n'ayant alors icy que ce présent porteur, messagier ordinaire, et attendant tousjours vous pouvoir envoyer quelques nouvelles de noz affaires, et mesmes de la ville de Ziericxzee, j'ay jusques icy retenu laditte lettre chez moy. Vous verrez par le discours d'icelle tout ce qui c'estoit icy passé jusques alors et l'estat de noz affaires. Depuis, quelcque peyne ou travail qu'ayons faicte, il n'a esté possible de faire pour ceulx de la ville ce qu'eussions bien désiré, de sorte que tant les bourgeois que soldats, craingnans la rigeur des ennemis s'ilz attendoyent l'extrémité, ont commencé à tourner leurs pensées pour faire appoinctement avecq les ennemis, et de faict sont tombez d'accord le pénultiesme de l'aultre mois, et s'est laditte ville de Zierixzee par composition rendue à eulx. Je vous envoye ung double de l'accord faict entre ceulx de laditte ville et les ennemis, afin puissiez voir les particularitez d'icelluy. La perte de la dite ville a de prime face ung peu estonné le peuple par deçà, mais commence à reprendre courage. Si l'on nous eust de quelque costel donné le moindre secours du monde, ou que nous y eussions faict du commencement nostre devoir comme avions bien le moyen, jammais la povre ville ne seroit tombée ès mains des ennemis, d'autant qu'avions asseurez advertissemens que leurs affaires estoyent réduictz en
| |
| |
Ga naar margenoot+telz termes qu'ilz n'eussent peu longtemps continuer le siège. Mais, quelque poursuyte que j'en aye faicte, tant en Angleterre qu'en France, le tout a esté en vain. Nous avions toujours espéré que la paix de France nous eust pour le moins quelcque peu eslargy de ses bénéfices, mais il me semble qu'un chacun est content de faire ses particuliers affaires, sans se donner peyne de celles d'aultruy. Et pour cela ne voulons icy perdre couraige, mais espérer que, lorsque serons abandonnez de tous les hommes du monde, le Seigneur Dieu estendra Sa droite sur nous. Cependant toutesfois je vous laisse penser si je n'ay occasion d'estre en peyne. Je voysGa naar voetnoot1 travaillant le plus que je puis pour donner ordre par tout à ce que l'ennemy ne passe plus oultre. Nous ne pouvons encoir bonnement comprendre son desseing, ny sçavoir ce qu'il vouldra davantaige attenter. Noz soldats sortiz de Zierixzee, estans la pluspart Walons, nous viendront fort bien à propos, pour estre bons hommes et bien aguerriz. J'attends avecq bonne dévotion de voz nouvelles, et mesmes de ce qui se passe en ceste diète de Regensberch. Escript à Middelborch, ce 16me jour de juillet.
VostreGa naar voetnoot2 bien bon frère à vous faire service,
Guillaume de Nassau.
Monsieur mon frère. Suyvant que par voz lettresGa naar voetnoot(1) du xxvj jour de may m'avez escript le désir qu'a Monsr le Lantgrave afin que vueillons renouveller l'obligation
| |
| |
Ga naar margenoot+qu'autresfois luy avons donné pour les deniers qu'il nous avoit prestez, je vous envoye joinctement ceste laditte obligation signée de moy en telle forme que désirez; mais, au regard des places qu'il vouldroit avoir pour asseurance, je ne puis rien disposer d'icelles, pour estre lesdittes places vostres, et pourtant je me remectz du tout en cecy à ce que vous en vouldrez faire, et cependant puisque vous n'avez eu aulcun prouffict dudit argent, ce ne seroit raison qu'en vostre particulier vous en demeuriez chargé. Je vous prie de faire entendre avecq opportunité de ma part audit Sr Lantgrave combien que je me sentiray à tousjours obligé en son endroict pour ung si grand bénéfice receu par luy pour le regard dudit argent, et de ce qu'il luy a pleu si longtemps, comme aussi il luy plaist encoir, avoir patience, y adjoustant qu'il me poiseGa naar voetnoot1 extrêmement de n'avoir encoir les moyens de le pouvoir satisfaire ainsy que je vouldrois bien. Je me confie tant de sa grande prudence et béningnité, que, considérant l'estat auquel nous sommes par deçà, et le pesant fardeau que depuis quelques années avons porté pour tirer ces Pays-Baz de la tyrannie des Espaignolz, et par mesme moyen d'en asseurer les pays circumvoysinz et mesmes l'Allemaingne, le dit Sr Lantgrave acceptera présentement la bonne et entière volunté que j'ay de luy satisfaire en temps et lieu, et luy estre et demeurer tousjours bien humble serviteur.
La perte de Zierikzee, qui sembloit devoir être si funeste, amena une délivrance signalée. Désappointés par l'insuffisance du butin, les soldats Espagnols, more solito, se mutinèrent, et, rava- | |
| |
Ga naar margenoot+geant la Flandre et le Brabant, forcèrent la population à prendre les armes, le Conseil d'Etat à les déclarer rebelles, enfin les Pays-Bas à s'unir par un pacte de résistance commune. La Hollande et la Zélande, serrées de près, virent l'ennemi subitement disparoìtre; et avec la paix eurent tout-à-coup de nombreux Confédérés: dix-sept provinces, d'un même accord, protestent contre la lésion de leurs droits. La question grandit, les événements se pressent et se compliquent. Aussi le Prince dans son Apologie, s'adressant aux Etats-Généraux, considère-t-il comme une nouvelle époque ‘ce qui est advenu depuis que Dieu vous eût ouvert les yeux par le moyen des insolences des Espagnols, et [que], pour délivrer finalement le pauvre Pays de cette maudite race, vous les déclarastes et leurs adhérens pour rebelles et ennemis du Pays:’ Dumont, V. 1. 395b.
Il est nécessaire de jeter ici un coup d'oeil sur la situation des Pays-Bas.
Les quinze Provinces, où le Roi avoit jusqu'alors maintenu son autorité, se retrouvoient, après un douloureux intervalle d'environ dix années, dans une position pareille, sous plus d'un rapport, à celle de 1565 et 1566.
Ce fut par l'exaspération contre les Espagnols que la commotion fut déterminée. Ce sentiment fut universel. Depuis longtemps chaque distinction conférée à un étranger sembloit une injustice et presque une insulte envers le pays. On se plaignoit surtout de la direction suprême des affaires confiée en grande partie à un conseil Espagnol (Tom. II. p. 7, sq.). On désiroit un ‘Raedt van Nederlanders by den Koning om op alle nooden te voorsien:’ v. Meteren, p. 102d: ‘in Spangien by zyn Maj. een ordinaris Nederlandschen Raad, van goede getrouwe lieden in Nederland geboren en opgetogen:’ Bor, 569b. Ce mécontentement et la crainte de l'Inquisition d'Espagne avoient été le principal mobile de la Confédération des Nobles (Tom. II. p. 7, sq.). Une longue oppression et des souffrances cruelles augmentèrent encore la haine; d'autant plus que le Duc d'Albe, expression fidèle de l'orgueil Castillan, et gouvernant ces Provinces plutôt en Pays
| |
| |
Ga naar margenoot+conquis qu'en Etats patrimoniaux, avoit indigné jusqu'aux ministres les plus fidèles du Roi, par sa hauteur et son dédain; employant des étrangers de préférence aux hommes les plus estimables et le mieux au fait des coutumes, des droits, et des besoins spéciaux. Viglius écrit à Hopperus: ‘Expectamus hic Hispanos Italosque consiliarios pro criminalium civiliumque judiciorum reformatione, ac hic, quotquot fere sumus, inepti inutilesque videmur:’ Epist. ad Hopp. p. 544. Réquesens mit un terme au régime de terreur et de sang, mais les excès de ses soldats furent souvent intolérables. Aussi, après une expérience si douloureuse, tout les natifs des Pays-Bas se rencontroient-ils dans une antipathie commune. A cet égard nulle différence entre les Provinces Wallonnes et Germaniques; entre les Catholiques et les Protestants; entre le Clergé et les laïques. En 1575 le respectable Evêque d'Arras, Richardot, présentoit la requête des Etats à Réquesens, dirigée surtout contre les étrangers, et déjà en 1572 certain prêtre Catholique, aimé du peuple, s'écrie: ‘ay ghy Spaengiaerts, Spaengiaerts, ghy maeckt ons la Geus:’ v. Meter. p. 137d. De même Granvelle, Bourguignon, haïssoit les Espagnols, et Languet écrit à tort du Comte de Berlayment et de Viglius: ‘ministri fuerunt crudelitatis quam Dux Albanus exercuit.’ Ep. secr. I. 2. 231. - En 1576, au bruit d'une sédition nouvelle, l'impatience du joug et le courroux
national, longtemps comprimés, éclatent. Les Espagnols insurgés, eurent, même avant de s'être livrés sans retenue au pillage et au massacre, le pays entier pour antagoniste.
Mais chasser les Espagnols, but final pour les uns, étoit pour plusieurs un acheminement vers d'autres desseins. Comme en France vers la même époque, on vouloit une réforme dans le Gouvernement. En ceci néanmoins la divergence des opinions étoit fort prononcée. Il y avoit bien des personnes qui, fermement attachées à la Constitution essentiellement monarchique réprouvoient toute innovation spontanée: d'autres, et en grand nombre, avoient adopté sur l'origine du pouvoir, les rapports entre le Roi et les sujets, les attributions des Etats et des Communes, des doctrines incompatibles avec le droit établi et traditionnel.
| |
| |
Ga naar margenoot+Quant à la religion, les choses avoient changé. Le Catholicisme, ébranlé, avoit repris racine. La plupart de ceux, dont la foi étoit fervente, avoient péri ou émigré. Le Duc d'Albe avoit nommé partout des Magistrats Papistes. Les hautes classes étoient généralement ennemies de la Réforme. En 1574 les Etats réunis à Bruxelles par Réquesens, du reste nullement craintifs dans l'expression de leurs griefs, protestent de coeur et de bouche, devant Dieu et les hommes ‘datse liever willen sterven de dood dan te sien eenige veranderinge in de Religie:’ Bor, 518b. Le même esprit se manifeste dans chaque Province en particulier. Dans le Brabant les Etats déclarent en 1575 ‘dat sy in de Vergaderinge van de Staten-Generael niet en sullen gedogen dat in hare of eenige van haerlieder presentie sal geproponeert, geadviseert, geraemt of getracteert worden 't welk eenigsins soude wesen ten achterdeele van de oude Catholyke Roomse Religie.’ l.l. p. 615a. Cet attachement avoit une grande ferveur dans les Provinces Wallonnes, en Gueldre, à Utrecht, à Groningue, enfin à peu près partout. Ceux même d'entre les Nobles qui aspiroient à beaucoup d'indépendance et de liberté, avoient le plus souvent pris en haine la Réforme. N'hésitant guère à s'opposer, sous d'autres rapports, aux volontés du Roi, on mettoit presque toujours en avant le maintien du Catholicisme.
Voyons maintenant ce qu'on vouloit dans les deux Provinces qui résistoient au Roi, ayant le Prince pour Chef.
D'abord, comme partout, affranchissement complet du joug et même de l'influence des Espagnols.
Ensuite, et ceci encore étoit un point de ralliement, des limitations considérables à l'autorité du Souverain. Le Prince lui-mème donnoit aux libertés et aux privilèges une interprétation fort large. Les Etats-Généraux ayant pleine puissance (T. II. p. 37) voilà le remède auquel toujours il revient. Dès le commencement des troubles; dans l'accord des Confédérés, qui s'obligent à s'employer ‘à tout ce qu'il plaira à S.M. leur commander par l'advis et consentement des Etats-Généraux’ (T. II. p. 241); aux négociations de Breda (p. 150, 260). Et, s'adressant le 30 nov. 1576 aux
| |
| |
Ga naar margenoot+Etats assemblés à Bruxelles, il écrit: ‘Myn voornemen is nooit anders geweest dan deselve landen gegouverneert te sien, gelyk van allen tyde is geschiet, van de Staten-Generaal, dewelke bestaen in drie Staten, van de Geestelykheid, Edeldom, en van de Steden en leden aen deselve hangende; onder de wettelyke gehoorsaemheid van haren natuirlyken Prince:’ Bor, 747, in f.
Enfin, et surtout, on vouloit la Réforme Evangélique; et même, malgré les exhortations du Prince, plusieurs en exigeoient le maintien exclusif. C'étoit là une source de désaccord avec les autres Provinces; c'étoit le plus grand obstacle à tout accommodement sincère avec le Souverain.
Il est essentiel de remarquer que l'opinion du Prince s'étoit beaucoup modifiée relativement à la possibilité d'une réconciliation de la Hollande et la Zélande avec le Roi. Longtemps il avoit nourri cet espoir; mais après les négociations de Bréda il paroît l'avoir abandonné. jamais, à son avis, les Réformés n'obtiendroient la liberté de culte; jamais du moins avec des garanties suffisantes pour déposer avec sécurité les armes. Il falloit donc, ou changer de Souverain; ou tout au moins réduire extrêmement son autorité. - Telle étoit la position tout à fait spéciale des deux Provinces, mais, dans leur intérêt, tous les efforts du Prince devoient tendre à la généraliser. C'est là désormais le secret de sa politique.
Il mit admirablement les circonstances à profit. De Middelbourg, où il se trouvoit pour observer les événements de plus près, il écrivit aux Etats de Brabant, de Flandres, d'Artois, du Hainaut, de la Gueldre, aux Gouverneurs Provinciaux, à des particuliers, excitant contre l'oppression, rappelant les griefs communs, insistant sur la nécessité d'agir de concert, offrant des secours, promettant de ne rien innover contre la volonté des Etats. Bor a conservé plusieurs de ces Lettres: p. 694, sqq.
En peu de semaines la résistance des Pays-Bas fut organisée. |
|